C’EST LE PRINTEMPS…
Par Alain Sagault, mardi 12 mai 2009 à 09:38 :: LE GLOBE DE L’HOMME MOYEN ::#403
Il y a comme ça des saisons qui poussent au crime : au printemps, perdant toute retenue, je lâche parfois la bride, et il me pousse des boutons de poésie, une espèce d’acné poétique que d’ordinaire je dissimule sous d’épaisses couches de pommades ironiques, humoristiques, polémiques ou même philosophiques. L’explosion de joie qui saisit le vieux poirier et le couvre de fleurs, les pépiements de la nichée de charbonnières qui squattent le nichoir, je n’y tiens plus, et voilà ce que ça donne :
CE QUE J’ÉCRIRAIS
Je me demande parfois ce que je voudrais vraiment écrire, si j’en étais capable.
Il m’est arrivé d’écrire ce que je voudrais vraiment écrire ; mais ça ne m’aide guère, parce que ç’a toujours été un peu par hasard, pour ainsi dire à mon insu de mon plein gré, comme dopé par une intervention extérieure quasi miraculeuse, providentielle en tout cas.
Généralement, j’évite soigneusement d’écrire ce que je voudrais écrire, tout comme la plupart d’entre nous font de leur mieux pour ne pas vivre ce qu’ils voudraient vraiment vivre.
Parfois, sous l’emprise de quelque psychotrope, ou soulevé par l’élan d’une matinée ensoleillée, ou porté par un groupe euphorique, je me pose pour de bon la question.
Aujourd’hui, en proie à une folle témérité, je tente même d’y répondre.
Si j’en étais capable, voici ce que j’écrirais.
Si j’osais, si je pouvais, si je le voulais vraiment
j’écrirais le monde et il serait nouveau
le même que j’ai connu mais par moi recréé
le feu flamberait plus fort et la pluie battrait mes joues sous ma peau
je ne serais pas celui qui parle du loup mais je serais le loup
et mes mots hurleraient à la lune
hurleraient si fort à la lune qu’enfin
premier de tous les loups je la décrocherais !
Si j’en étais capable chaque mot que je proférerais s’incarnerait
et je tuerais tous les faux dieux dont le verbe s’est fait chaire
les Allah et les Jehovah et les Jésus-Christ,
tous les prophètes de bonheur avec leurs soixante-dix vierges
oui si j’osais chacun de mes mots déchirerait un voile
hisserait une voile
chacun de mes mots enfanterait une étoile !
D’un souffle j’enflammerais les cendres
rallumerais les yeux éteints qui m’ont tant manqué
d’un coup je reprendrais toute la hauteur qui me revient…
Si j’en étais capable mes mots auraient des ailes
flèches foudre raz-de-marée
galaxies éclatant aux mille coins de l’univers
la fantasmagorie des formes insensées
si j’osais mes mots repeindraient la vie
aux couleurs d’un arc-en-ciel éblouissant
Car je suis le kaléidoscope
celui qui toujours le même ne cesse de changer
tube borgne où s’agitent confettis et paillettes
tube nain où se réincarne le monde
où s’enchante la vraie vie
où résonne à l’infini la musique des couleurs
Et voici que j’ose
kaléidoscope
et que je peux
très humblement
comme nous tous
être moi-même
dieu
Car ce que je voulais vraiment écrire
je viens de l’écrire
et que nul ne le lise
n’empêchera pas que je l’aie écrit
dieu
minuscule
dieu
ridicule
dieu
lamentable
mais dieu quand même
en quête d’autres dieux
les vrais
les seuls
mes semblables
quand ils osent
mes si différents pareils
pour ensemble nous recréer
et le monde avec nous
Je me demande
puis-je me contenter
de n’être pas capable ?
Commentaires
J’ai toujours dit que Rimbaud l’avait dans le cul ! En poésie, JE est TOI, pas un autre !
Le jour où nous balayerons devant notre porte sans voir que le voisin ne l’a pas fait devant la sienne, ça pourrait commencer à aller un chouia mieux. Il le fera sans doute demain. Il faut regarder devant chez soi, pas de biais chez le voisin. Nous sommes tous des JE, pas des masses d’autres. Ce qui n’empêche pas de discuter gentiment avec le voisin ou la voisine.