Dans le prolongement de mon exposition à l’Alliance Française de Venise en janvier de cette année sera ouverte du 15 juin 2013 au 25 avril 2014, à l’Hôtel de la Plage à Wissant, dans le Pas-de-Calais, entre les caps Blanc-Nez et Gris-Nez, l’exposition

PRESQUE RIEN
LES COULEURS DE LA LUMIÈRE
CILL RIALAIG, WISSANT, VENISE


À cette occasion, et dans le cadre de « L’été de la peinture » organisé par l’association Art et Histoire de Wissant du 21 au 28 juillet, Jean Klépal et Alain Sagault participeront à deux rencontres le 23 juillet et le 26 juillet à 15 h. La première pourrait s’intituler : « Presque rien, mais encore ? » et la seconde : « La peinture a-t-elle encore un sens ? »
Les deux textes que je propose ci-dessous tentent d’esquisser un début de réponse personnelle à ces deux questions…


On n'est jamais là pour rien, 30x45, 2010 DSC_3799
On n’est jamais là pour rien, 2010, 30x45 cm

« Quand l’imaginaire est réel, le réel est imaginaire. Là où il n’y a rien, il y a tout. »
Cao Xuequin (1723-1763), Le rêve dans le pavillon rouge

« La peinture n’est que la recherche des souvenirs de Dieu, dans le but de voir l’univers tel qu’Il le voit. »
Ohran Pamuk, Mon nom est Rouge

« Sublimes sont les paysages de montagnes silencieuses, les précipices et la mer uniforme. »
Edmund Burke

Je cherche en aquarelle l’immobilité vibrante, le silence parlant, quand l’écume de la vie se dépose et se dissipe, quand se découvrent le cœur du ciel pur et son reflet à la surface de l’eau. Alors tous deux, le ciel et la mer, s’appellent et se répondent, miroirs réciproques, images passagères de l’infini accordé au fini.
Peindre à l’aquarelle, pour moi, c’est chercher à faire percevoir tout avec presque rien, à travers les infinies variations des couleurs de la lumière.
Je crois qu’en aquarelle, il ne s’agit pas de peindre la lumière des couleurs, mais de découvrir les couleurs de la lumière. Ce qui compte dans une aquarelle, ce n’est pas tant la couleur que ce que la lumière en fait, tout comme dans un vitrail. L’aquarelle réussie, baignant dans la lumière intérieure du papier, rayonne. Ainsi peut-elle évoquer l’essence du paysage, séjour de nos âmes.
Le paysage, c’est le pays sage : un ancrage qui permet de dépasser le simple fait d’être soi et d’une conscience individuelle et de s’ouvrir au monde comme la lagune s’ouvre à la mer, pour mieux devenir elle-même. Toute vraie présence est présence au monde.
L’aquarelle joue avec l’eau, l’air, la terre et le feu, elle peint les quatre éléments émergeant du néant. Pour faire voir le cinquième.
Le cinquième élément, c’est la lumière, cette vibration invisible sans qui nous ne verrions rien.
Cette absence qui crée toute présence, je la trouve dans l’ambiguïté délicieuse, dans l’ubiquité fascinante qui, sur la plage de Wissant, sur les îles Skelligs au large des côtes du Kerry, et dans la lagune de Venise, marie si souvent jusqu’à les fusionner le ciel et la mer, si bien qu’entre ces éléments confondus on touche presque du regard le mystère de l’infini.
Le rêve du peintre, c’est de donner à voir l’universel dans le particulier, l’infini dans le fini.

Là, la plage, 2012, 36x51 cm
Là, la plage, 2012, 36x51 cm


PRESQUE RIEN,
ENTRE CIEL ET MER, À L’ÉCOLE DE WISSANT


À propos des nombreux artistes qui ont découvert ce village de pêcheurs autour du couple de peintres formé par Adrien Demont et Virginie Demont-Breton, on parle parfois d’École de Wissant.
On a peut-être raison…
Ce qui est sûr, c’est que j’ai été très tôt à l’école de Wissant. Presque dès ma naissance. Et depuis je reviens chaque année à l’école, pendant les vacances !
C’était une école assez douce, même si elle était parfois rude. Mais à Wissant, on respire bien, on ne manque jamais d’air…
À l’école de la plage, figure de l’infini, à l’école de la mer, sans cesse en mouvement, changeant sans cesse, à l’école du vent, qui soulevait en moi de grands élans, des envies de chevaucher la rafale, d’affronter la bourrasque, à l’école du ciel et des nuages, à l’école des flammes du couchant.
À l’école, tout aussi tôt et tout autant, de la peinture des peintres de ma famille, dont tableaux et études illuminaient nos lieux de vie et y chantaient un culte désintéressé de la beauté plus que jamais nécessaire aujourd’hui, dans une époque qui ne comprend que les « valeurs » de l’argent et méprise stupidement ce qu’elle croit inutile, l’essentiel en vérité. Ce qu’exaltaient de leur mieux mes arrière-grands-parents Adrien Demont et Virginie Demont-Breton, c’étaient la joie et le courage de vivre, car « l’École de Wissant », était aussi, et peut-être avant tout, une école de vie.
Ils m’ont appris le regard, et l’indépendance du regard, l’attention contemplative à ce qui est sous nos yeux et la fidélité à notre vision intérieure. Leur présence essentielle m’a longtemps un peu écrasé, mais quand, les événements aidant, j’ai fini par comprendre que je ne les sentirais plus peser sur mes épaules si je montais respectueusement sur les leurs, ils m’ont aidé, de bien des manières, et ils m’aident encore.
Je voulais marcher sur leurs traces, mais non dans leurs pas. C’est ainsi que grâce à mon maître et ami vénitien, Franco Renzulli, j’ai découvert et pratiqué la tempera à l’œuf, l’eau-forte, les émaux à froid, avant de découvrir, lors d’une seconde résidence d’artiste en Irlande, l’aquarelle.
Exposer à Wissant mes dernières recherches, grâce à Michel et Anne-Marie Coenen, dont le Musée du Moulin avait accueilli en 1994 et en 1996 mes premières créations, grâce aussi à l’association Art et Histoire de Wissant, est pour moi un moment aussi émouvant qu’essentiel.
Depuis une dizaine d’années mes tentatives s’orientent toujours davantage, à travers notamment l’aquarelle, vers ce que j’appelle le presque rien, à la recherche des couleurs de la lumière.
Cette recherche, je me rends compte chaque jour davantage de ce qu’elle doit à la lumière de Wissant dont mon inconscient d’enfant a été si tôt et si profondément pénétré, de sorte que ce paysage, métaphore de l’infini, s’est ancré dans mon regard au point de renaître sans cesse et tout naturellement dans ma peinture, toujours lui-même mais sous les aspects infiniment variés que chaque jour repeint sous nos yeux le jeu des éléments, l’amour sans cesse recommencé de la terre, de l’eau, de l’air et du feu.