Écrire en italique

« Le mot croissance à lui seul est le signe d’une véritable supercherie, contre laquelle l’enseignement prémunissait autrefois les adolescents préparant le certificat d’études. (...) Ceux qui prêchent la croissance sont aussi néfastes que les dealers répandant leurs drogues. » Albert Jacquard (23 décembre 1925 - 11 septembre 2013), éditorial de La Décroissance n°29, décembre 2005.

Ce blog en tout cas décroît… et je ne m’en porte pas plus mal, mes lecteurs non plus sans doute !

Le texte qui suit est ma conclusion provisoire dans une controverse amicale autour du manichéisme éventuel de l’opposition entre croissance et décroissance. La question m’apparaît suffisamment importante pour être proposée ici. L’ensemble de ladite controverse peut être lu de façon commode en cliquant sur le pdf à la fin de mon petit texte.

Croissance versus Décroissance

Le mot « décroissance » n’est pas bon, d’après l’ami Klépal. Mais dans le cas du mot « croissance », c’est la chose, et non le mot, qui n’est pas bonne, et qui est désormais devenue insoutenable !
Je pense contrairement à lui que le mot « décroissance » était nécessaire, et qu’il est parfaitement justifié. Il était essentiel que ce mot intervienne pour faire apparaître la folie que représente dans un monde fini la recherche d’un développement infini. Pour mettre en lumière, de façon d’autant plus claire que le problème était et est encore à peu près totalement occulté par les autorités « responsables » et nié par les « entrepreneurs » irresponsables qui l’ont créé, le plus grave danger qui menace l’humanité actuelle : son choix tant conscient qu’inconscient de la quantité contre la qualité, du toujours plus contre le toujours mieux (et là ce n’est pas moi qui suis manichéen, c’est nous en tant qu’espèce schizophrène, je ne fais que constater un état de fait).
Notre choix de la quantité contre la qualité, qui s’exerce en tous domaines depuis le début de l’ère industrielle a entraîné un développement incontrôlé provoquant à son tour d’incontrôlables effets de masse. En matière de croissance, non seulement économique, mais scientifique, culturelle et par-dessus tout démographique, nous avons atteint la masse critique, au-delà de laquelle ne restent que deux issues : l’explosion ou l’implosion. La balance oscille pour l’instant assez équitablement entre les deux…
Ce problème de notre civilisation de masse, quantifiée selon des approches abstraites (croissance hypertrophique des statistiques, multiplication des « produits » inutiles, progression géométrique de la quantité des données sur internet, entre autres) avec des conséquences incalculables sur la réalité concrète, est le nœud gordien qu’il faudra bien trancher d’une manière ou d’une autre si l’humanité doit survivre à une croissance qui s’apparente bien davantage à la multiplication anarchique destructrice et suicidaire des cellules d’une tumeur cancéreuse qu’à l’harmonieux développement d’un arbre au sein de la nature qui l’entoure.
La non résolution de la question démographique (population mondiale pratiquement multipliée par trois en un demi siècle, fruit empoisonné de notre croissance tous azimuts et des retombées imprévues du « progrès », dont les dommages collatéraux sont encore très sous-estimés) entraîne à elle seule l’impossibilité de résoudre les problèmes connexes, qu’ils soient économiques, politiques ou écologiques – mais aussi artistiques, car l’art est l’une des principales victimes de la croissance « marketée ».
En ce sens, le terme « décroissance » est aussi légitime qu’adapté, ne serait-ce que parce qu’il rappelle que les systèmes vitaux fonctionnent de façon cyclique : la détumescence n’est pas une défaite, mais la condition d’un nouvel élan.
Les adeptes de la croissance font du priapisme économique, une névrose aussi dangereuse que déprimante. Nous avons tous pu le constater par nous-mêmes, la consommation boulimique est tout le contraire de la satisfaction. Incapable de s’accorder le moindre répit, obsédée par des exigences de rendement incompatibles avec nos possibilités concrètes comme avec celles de la nature, notre époque s’épuise à croître et meurt d’un excès de vie.
Il serait temps de relire avec le recul nécessaire les analyses aussi lucides que prophétiques de Reich et d’Ilich, les avertissements du Club de Rome et de René Dumont, et d’en tirer les conséquences concrètes. La décroissance a déjà commencé dans de nombreux domaines sans notre aval : pour ne prendre que cet exemple, dans les pays développés, l’espérance de vie commence à diminuer.
Rien de manichéen à mes yeux dans le couple croissance-décroissance mais la pulsation naturelle de la vie*, la manifestation du jeu perpétuel du yin et du yang.

* Pour Reich cette formule associant deux fonction physiques (tension-charge, décharge-détente) est caractéristique du phénomène même de la vie car il l’a observée aussi bien dans les mouvements internes unicellulaires qui parviennent à la mitose, que dans le mouvement du foetus dans un utérus chaud et détendu, dans les réactions corporelles d’un nourrisson satisfait avec le sein de sa mère, et bien sûr dans la fonction énergétique de l’orgasme.

La controverse en détail au format pdf