28 septembre 2009
Qu’on se le dise, le globe de l’homme moyen ne tourne pas qu’autour de son nombril…
J’ai souvent envie de citer quelques-uns de mes amis écrivains, particulièrement ceux qui, étant morts, ne peuvent en aucun cas m’accuser de détourner leur pensée ou refuser de venir orner mon petit globe ! À défaut de les avoir connus, je puis du moins les partager.
D’autant que n’en déplaise aux zélateurs du progrès, l’intelligence humaine me semble particulièrement apte à la pratique assidue du sur-place, tout comme l’histoire de l’espèce, qui se répète inlassablement avec une désolante absence d’imagination.
Une chose est sûre : nos prédécesseurs n’étaient pas plus parfaits que nous, mais ne manquaient ni de cœur ni d’esprit, et je compte bien en fournir à mes lecteurs, pour leur plaisir et leur édification, quelques exemples des plus probants.
C’est ainsi que j’évoquerai bientôt d’un peu plus près deux de ces auteurs d’autant plus jouissifs qu’ils sont à peu près oubliés, et indûment considérés comme "mineurs" par des gens qui ne les ont pas lus : Sébastien Mercier, roturier et philosophe (cela allait de pair) et le vicomte Alphonse de Calonne, gentilhomme et philosophe (cela aussi pouvait aller de pair, voire parfois de duc et pair).
Tout les oppose et pourtant sur bien des points ils se rencontrent, sur un surtout : tous deux sont ce qu’on appelait en des temps un peu plus exigeants que le nôtre des honnêtes hommes, à tous les sens de cet adjectif, que nous avons depuis quelques décennies d’autant plus employé que nous pratiquons moins les vertus qu’il désigne…
Non que nos ancêtres aient été plus scrupuleux que nous : comme nous le verrons par ailleurs, en matière de corruption comme en matière de philosophie, ils nous tiennent aisément tête, nous damant le pion jusque dans nos domaines d’excellence : le premier Dictionnaire des Girouettes parut en 1815 et le premier Almanach des Cumulards fut publié en 1821.
Ils peuvent certes être fiers de nous ; reste que, malgré les progrès techniques dont nous sommes si excessivement fiers, nous ne les avons pas encore surpassés.
Mais pour aujourd’hui, penchons-nous sur l’actualité récente, quitte à l’éclairer des lumières d’un adepte de la philosophie du même nom, histoire de rappeler à nos mémoires oublieuses qu’il n’est au fond rien de nouveau sous le soleil…

ÉJACULATION PRÉCOCE
Notre président a depuis toujours un problème : il ne sait pas se retenir. Il faut que ça sorte. Cette impatience maladive lui a fait commettre beaucoup de sottises que l’opinion publique lui a trop souvent pardonnées, sans doute parce que cette névrose est, c’est le moins qu’on puisse dire, dans l’air du temps.
Sa dernière bourde est pourtant si énorme que j’en viens à me demander si cette impulsivité ne serait pas sous contrôle, chaque dérapage lui permettant de vérifier jusqu’où il peut aller trop loin : je risque une énormité, si personne ne réagit, j’en prends bonne note, et dès que possible je tenterai pire ; si c’est une levée de bouclier, je ferai retraite en bon ordre sur des positions préparées à l’avance (à savoir la dernière provocation réussie, c’est à dire entérinée par une bienveillante apathie du corps social) et je reviendrai à la charge d’une façon ou d’une autre à la première occasion, histoire de pousser le bouchon toujours un peu plus loin vers le pouvoir absolu.
Si personne ne réagit, si ma provocation passe comme une lettre à la poste, je passe aussitôt à la suivante, histoire toujours de pousser un peu plus loin le bouchon vers le pouvoir absolu…
C’est ainsi que procèdent les très petits enfants pour explorer les limites de leur domaine.
Dans une démocratie digne de ce nom, un président de la République qui dans l’exercice de ses fonctions traiterait de coupables des prévenus, qui plus est lors d’un procès où il est partie civile, serait aussitôt l’objet d’une procédure de destitution, tant cette intervention constitue une impardonnable violation de la lettre et de l’esprit de la Constitution.
C’est du moins ce qu’aurait certainement pensé Sébastien Mercier, dont je lis en ce moment L’An 2440, publié en 1761, passionnante anticipation pré-révolutionnaire, dont je ne saurais trop conseiller la lecture, dès qu’il aura terminé La princesse de Clèves, à notre accusateur public intempestif. Il y trouverait certainement mainte matière à méditer, ne serait-ce qu’en ouvrant l’édition de 1776 à la page 84, où fleurit cette note frappée au coin du meilleur bon sens citoyen :
« Ceux qui occupent une place qui leur donne quelque pouvoir sur les hommes, doivent trembler d’agir suivant leur caractère ; ils doivent regarder tous les coupables comme des malheureux plus ou moins insensés. Il faut donc que l’homme qui agit sur eux sente toujours dans son cœur qu’il agit sur ses semblables, que des causes qui nous sont inconnues ont égaré sur des routes malheureuses. Il faut que le juge sévère en prononçant la condamnation avec majesté, gémisse de ne pouvoir soustraire le criminel au supplice. »
Et l’auteur d’enfoncer le clou à la même page dans une autre note qui nous concerne tous :
« Heureuse conscience, juge équitable et prompt, ne t’éteins point dans mon être ! Apprends-moi que je ne puis porter aux hommes la moindre atteinte sans en recevoir le contre-coup & qu’on se blesse toujours soi-même en blessant un autre. »
On a tort de négliger les vieux auteurs ; ils n’avaient pas d’ordinateurs, et n’en pensaient que mieux.

ÉJACULATION PRÉCOCE (bis)
À la… décharge de Nicolas Sarkozy, il faut admettre que si la plupart des éjaculations précoces laissent assez logiquement de glace leurs, j’ose le dire, victimes, la sienne semble avoir fait jouir non seulement Monsieur de Villepin, mais ses avocats…