Cet étrange roman politico-philosophique est censé se dérouler dans près de quatre cents ans, à une époque où le progrès a permis l’épanouissement d’une humanité enfin parvenue à maturité, et qui se penche avec effroi et une certaine commisération sur l’état de la France en 1770, il y a près de deux cent cinquante ans.
À vrai dire, beaucoup des critiques formulées par l’auteur semblent malheureusement encore tout à fait d’actualité, et entrent singulièrement en résonance avec des problèmes politiques et sociaux que non seulement l’humanité contemporaine est loin d’avoir résolus, mais qui sont plus aigus que jamais… sans préjudice des problèmes nouveaux engendrés par les "progrès" effectués depuis l’époque où écrivait l’auteur, Louis-Sébastien Mercier !
Il ne fait guère de doute que les heureux citoyens de l’an 2.440 pourraient s’adresser à nous autant qu’à nos ancêtres quand ils s’exclament :
"Pourquoi avez-vous la fureur de comparer ce temps présent avec un vieux siècle bizarre, extravagant, où l’on avait de fausses idées sur les matières les plus simples, où l’orgueil jouait la grandeur, où le faste et la représentation étaient tout, et le reste rien, où la vertu enfin n’était regardée que comme un fantôme, pur ouvrage de quelques philosophes rêveurs ?"

Il y a évidemment lieu de se demander si cet utopique présent futur a un avenir, et si l’an 2440 remplira les espoirs de l’auteur… à supposer que l’humanité soit parvenue jusque là !
Mercier lui-même laissait place au doute quand il sous-titrait son anticipation : rêve s’il en fût jamais.
Reste que dix-huit ans après sa parution, le peuple prenait la Bastille…

C’était le début d’une révolution qui prouve que Mercier restait sans doute encore en dessous de la vérité quand, faisant à la fois la question et la réponse, il écrivait dans le même ouvrage à propos du fonctionnement de la monarchie de son époque :
« Voulez-vous connaître quels sont les principes généraux qui règnent habituellement dans le conseil d’un monarque ?
Voici à peu près le résultat de ce qui s’y dit, ou plutôt de ce qui s’y fait :
"Il faut multiplier les impôts de toutes sortes, parce que le prince ne saurait jamais être assez riche, attendu qu’il est obligé d’entretenir des armées, et les officiers de sa maison, qui doit être absolument très magnifique. Si le peuple surchargé élève des plaintes, le peuple aura tort, et il faudra le réprimer. On ne saurait être injuste envers lui, parce que dans le fonds (sic) il ne possède rien que sous la bonne volonté du prince qui peut lui redemander en temps et lieu ce qu’il a eu la bonté de lui laisser, surtout lorsqu’il en a besoin pour l’intérêt ou la splendeur de sa couronne. D’ailleurs il est notoire qu’un peuple qu’on abandonne à l’aisance est moins laborieux et peut devenir insolent. Il faut retrancher à son bonheur pour ajouter à sa soumission. La pauvreté des sujets sera toujours le plus fort rempart du monarque : et moins les particuliers auront de richesse, plus la nation sera obéissante ; une fois pliée au devoir, elle le suivra par habitude, ce qui est la manière la plus sûre d’être obéi. Ce n’est point assez d’être soumise ; elle doit croire qu’ici réside l’esprit de sagesse en toute sa plénitude, et se soumettre par conséquent, sans oser raisonner, à nos décrets émanés de notre certaine science." »

Au fait, voilà un discours qu’on pourrait bien appliquer mot pour mot à notre régime actuel…
Il est encore loin, l’an 2440 !