CAFARD
Je me rends compte que j’ai vraiment le cafard quand j’en arrive à lire des livres sur les camps de concentration et la Shoah pour me convaincre qu’après tout je ne suis pas si malheureux que ça.

CALCULATEURS
Je n’ai jamais rencontré d’être humain incapable de calcul. Mais je n’ai cessé de croiser des calculateurs si essentiellement aptes à la duplicité qu’ils étaient parvenus à se persuader qu’ils ne nourrissaient jamais aucune arrière-pensée.
La plupart d’entre nous ont parfaitement compris que le calculateur le plus efficace est celui qui s’ignore…
Comment en vouloir à un calculateur naïf ? Comment même se rendre compte qu’il calcule ?

CALCULS
Nous calculons tous, et faisons bien. Ce qui est grave, c’est quand le calcul est si prépondérant que la spontanéité même en devient calculée.

CANCERS
On n’échappe pas au cancer. La vocation du cancer, c’est de se généraliser. Nous vivons à l’époque de ce que j’appelle le cancer globalisé, dans lequel les micro-cancers individuels sont la résultante du macro-cancer social.
Le cancer infecte tout en nous et en notre environnement parce qu’à tous les niveaux il est source de profit. Le profit, c’est le cancer par excellence.
Reich avait très bien perçu le lien organique entre la peste émotionnelle liée au désordre politique et social et le cancer individuel produit par ce chaos intérieur et extérieur.

CARNAVAL
La communication a peu à peu créé une société carnavalesque, où règne le renversement des valeurs. Mais dans l’ancien carnaval, ce n’est qu’une fois l’an que le roi descendait de son trône et que le bouffon se voyait couronné. Aujourd’hui, le carnaval est permanent : Johnny Halliday, le suisse fiscal, chante pour la France le 14 juillet, Michael Jackson, cet insondable abruti, est un génie, et un échotier, j’allais dire un égoutier, est ministre de la Culture.
Que des bouffons dirigent des états serait peut-être une bonne chose s’ils avaient conscience d’être ce qu’ils sont, mais les actuels bouffons de pouvoir se prennent si au sérieux qu’ils ne supportent pas qu’on leur tende un miroir.

CARRIÈRE (Jean-Claude)
Chaque fois que j’entends pérorer Jean-Claude Carrière, je me dis qu’il est le meilleur exemple actuel de ces brillants causeurs dont la culture est plus étendue que profonde, et relève davantage d’une remarquable mémoire que d’une intelligence exceptionnelle. Il y a chez les compilateurs une fâcheuse propension à enfoncer à grand fracas des portes depuis longtemps ouvertes, et le dernier livre de Carrière avec son ami Eco relève de cet art un peu douteux qui consiste à présenter comme une réflexion non conformiste un assez consternant catalogue de lieux communs.
Carrière et Eco sont assurément de grands habilleurs d’idées pauvres, et c’est pourquoi leurs œuvres respectives sentent si fort l’étude ; quand ils tentent de retrouver la verdeur rabelaisienne, c’est toujours du haut d’une chaire virtuelle : malgré leurs laborieux efforts pour la rendre truculente, la culture chez eux sent toujours un peu la naphtaline.
Carrière s’est beaucoup intéressé à la bêtise sous toutes ses méformes, et je crains qu’il ait fini par faire corps avec son sujet, comme cela arrive souvent aux experts ; à tout le moins, il sait de quoi il parle.
C’est ainsi qu’il s’autorise à conclure qu’on reconnaît la bêtise à ce qu’elle est péremptoire et aussi sûre d’elle que de sa vérité.
Ce qui l’autorise à décréter péremptoirement, bien à tort selon moi, que 95% des écrits humains sont aussi stupides qu’inutiles, indiquant clairement par là qu’il pense en priorité aux siens.
On se gardera de le contredire : la bêtise ne supporte pas la contradiction.

CATÉ
Je croirais peut-être en Dieu si je n’étais pas allé si longtemps au catéchisme.

CATHOLICITÉ
Tout n’est pas à rejeter dans l’héritage catholique, à commencer par le caractère universel qui lui a donné son nom…
En fait, de l’héritage catholique, il n’y a guère à rejeter que la foi…
Mais alors fermement !
Pour une raison cardinale : la foi déresponsabilise.

CHANGEMENT
Les détails changent, pas l’essentiel. Demandons-nous qui a écrit : « Mais ils ne font guère mieux, ceux d’aujourd’hui qui avant de commettre leurs crimes les plus graves les font toujours précéder de quelque joli discours sur le bien public et le soulagement des malheureux. On connaît la formule dont ils font si finement usage ; mais peut-on parler de finesse là où il y a tant d’impudence ? »
Et du même, qui n’a pourtant pas connu nos gouvernants mondialisés : la populace, « ils n’ont jamais eu plus de facilité à la tromper, ils ne l’ont jamais mieux asservie que lorsqu’ils s’en moquaient le plus ».
Cet auteur à lire toutes affaires cessantes par toutes les couilles molles qui peuplent la planète, c’est La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire, il y a bientôt cinq cents ans.

CHEMIN
Plus nous vieillissons, plus notre chemin de vie se rétrécit, devenant d’autant plus délicat à parcourir que notre équilibre diminue.

CITOYENS
« Les citoyens, c’est très bien, mais nous sommes là pour les éclairer », décrétait l’autre jour sur France-Inter je ne sais plus quel cacique de la majorité, à propos du « référendum » sur la Poste. J’espère que les 53% de sombres abrutis qui ont porté ces brillants démocrates au pouvoir seront heureux d’apprendre qu’ils n’ont pas affaire à des ingrats, et que leurs élus vont s’efforcer de les rendre un peu moins stupides. À vrai dire, s’ils n’ont pas encore ouvert les yeux, ils méritent le mépris qu’affichent pour eux leurs maîtres…

CLASSE
Pour trouver que Federer a de la classe, il faut soi-même en manquer totalement. La « classe » de Federer, c’est le bling-bling des nouveaux riches, un argument de vente, une astuce de marketing. Avoir de la classe, ce n’est pas frapper ses initiales au cul de ses chaussures. Ce n’est pas endosser des vestes blanches, mais savoir en prendre avec dignité, sans chouiner ni crâner. Federer aura de la classe le jour où il sera lui-même et non, comme Agassi, un cintre à porter haut et fort des « valeurs » publicitaires, tout en se chargeant comme une mule et en portant perruque.

COHEN (Albert)
Ce Solal, quel con ! Un larbin qui veut jouer au grand seigneur. Les petits bourgeois se pâment. Tant de jactance !
J’ai beau faire, Belle du Seigneur me tombe des mains. Trop d’affectation et de forfanterie chez Cohen comme chez son pitoyable héros. Grandiloquence et présomption s’enflent à chaque page, et je me demande sans cesse si elles appartiennent au personnage ô combien principal ou à son auteur envahissant.
Chaque fois que ça devient beau, il est si content de lui qu’il développe à l’infini, comme si la beauté ne se suffisait pas, comme si elle devait convaincre par la répétition et l’entassement.
Belle du Seigneur, c’est le Cantique des Cantiques délayé jusqu’à l’écœurement, jusqu’à ce que les mots, loin de servir la réalité, l’emportent sur elle, tournant en rond dans le manège surchargé d’un esprit pour qui l’artifice est le comble de l’art.
Pas de doute, Albert Cohen est intelligent. Trop, ou mal. Il fait partie de ces intellectuels qui n’arrivent jamais à forcer le mur de l’intelligence, à ouvrir les portes de l’émotion. Peut-être parce qu’ils font trop confiance au pouvoir des mots, croyant bien à tort qu’ils peuvent remplacer la réalité, voire la dépasser.
Or ce ne sont pas les mots qui créent, n’en déplaise aux poètes prétentieux. C’est l’amour qui trouve les mots, non l’inverse. La Kabbale se trompe, qui veut croire que le Verbe se fait chair, c’est en vérité la Chair qui crée le verbe.
Ainsi Cohen s’agite comme un mille-pattes, court partout comme une fourmi égarée, vibrionne à l’infini – et n’avance pas.
Rien de plus irritant que cette intelligence qui ne débouche jamais, que cette perpétuelle logorrhée d’un « radauteur » qui entasse les mots comme si leur litanie obsessionnellement répétitive pouvait à force créer par accumulation ce qu’il ne parvient pas à faire exister naturellement.
Si Proust donne à son lecteur l’impression d’être devenu intelligent, la lecture de Cohen donne au lecteur l’impression, pas forcément plus justifiée, que l’auteur est intelligent. Proust ne me paraît jamais bavard, ni complaisant. Cohen, j’ai sans cesse l’impression qu’il se regarde dans un miroir. Grossissant, pour mieux s’admirer.
Sa prolixité a quelque chose de malsain, sa nature est l’artifice. Voilà : pour moi, Belle du Seigneur est un artificiel feu d’artifice, et le bouquet retombé connaîtra le même sort que ces autres feux d’artifice à paillettes, les interminables et insupportables romans précieux auxquels il me fait irrésistiblement penser.
Cohen a l’impuissance bavarde d’une Scudéry des années folles.
Voir DISCOURS et SOPHISTICATION

COINCIDENCE
Ce que nous appelons faute de mieux le hasard existe-t-il vraiment ? Je me le demande souvent, particulièrement quand de petits événements apparemment fortuits viennent ébranler ma cuirasse rationnelle. Ainsi l’autre jour, partant pour un long voyage, j’appuie sur le bouton de la radio, et au moment précis où je passe, quelques instants plus tard, devant la maison de retraite médicalisée où agonise une vieille cousine, résonnent les premières mesures du mouvement lent de la sonate funèbre de Vivaldi…

COMMENTAIRES
Parmi les commentaires les plus stupides des libres consommateurs individuels contemporains, celui-ci, parlant d’un tableau ou d’un livre :
– Ça ne me parle pas.
Répondre aussi sec :
– Ça ne vous parle pas ? Pas grave. Ça vous parlera peut-être plus tard, quand vous aurez compris de quoi ça cause…

COMPLAISANCE
Je tombe par hasard sur une chanson de Gainsbourg, et y renifle une fois de plus quelque chose de répugnant – pire, de gnangnan. Cette habileté putassière, ce savoir-faire de maquereau, décidément, je ne m’y fais pas. L’époque, qui s’y reconnaît, a voulu voir du génie là où il n’y a pour moi qu’un talent aussi indiscutable que complaisant et veule, habile à ne provoquer que ce qu’il faut pour avoir l’air d’un provocateur sans en avoir la chanson. Le vrai mérite de Gainsbourg est de ressembler à son époque, à laquelle il a tendu un miroir d’autant plus sévère qu’il était complaisant.
Je reviens souvent sur Gainsbourg, trop peut-être ; mais il est en effet une de mes bêtes noires tant il est représentatif de l’homme branché, cette caricature d’être humain qui m’a toujours fait penser aux petits marquis, ces courtisans d’autant plus insolents à la ville qu’ils étaient serviles à la cour, si efficacement brocardés par Molière qu’ils ne s’en sont jamais remis. Eux aussi se croyaient provocateurs, quand ils n’étaient que des mufles incapables de hausser leur grossièreté au-dessus des platitudes de la vulgarité.
J’y suis : Gainsbourg me fait penser à deux autres provocateurs en mie de pain, faux anticonformistes toujours courant langue pendante après la mode, les deux Philippe, Sollers et Val, prêts à s’abaisser à tout pour grimper à leur niveau d’incompétence et péter plus haut que leur cul.

COMPLOT
Bien sûr qu’il y a complot, mais largement subliminal, du moins jusqu’à présent. Riches et puissants ont très bien compris, au moins inconsciemment, que nous sommes trop nombreux pour que nos modes de vie puissent perdurer, et, très logiquement, ils organisent le massacre en espérant y échapper – ce qui dénote de leur part un optimisme tant soit peu délirant.

COMPRÉHENSION
Ça fait onze ans qu’à force de vouloir comprendre les autres je finis par ne plus me comprendre moi-même.

CON
Congénères, concitoyens, condisciples, compatriotes. J’ai du mal à ne pas détester tous ces cons.

CONSENSUS
Toute idée de consensus me fait fuir. Si tout le monde vous trouve bon, c’est que vous ne valez pas grand-chose. Rien de plus suspect que l’unanimité. Quel renoncement sordide cache cette adhésion universelle ? Il y a toujours sous les accords parfaits une défaite de l’esprit. Et pas seulement de l’esprit critique.

CONTRADICTIONS
Nos contradictions sont devenues insolubles parce que nous sommes à la fois trop nombreux et trop puissants pour que leur mise en œuvre permanente ne nous mène pas à l’autodestruction dont nous semblons rêver au fond de nous, sans doute par dépit de n’être pas tout à fait des dieux, ce qui ne nous permet pas d’échapper aux conséquences de notre toute-puissance.
Comme il se doit dans un monde beaucoup moins chaotique qu’il ne nous plaît de le croire, notre principale faiblesse est notre force, et c’est notre excessive réussite qui provoquera notre inévitable échec.

CONVAINCU
D’un conte que je lui ai envoyé, un éditeur m’écrit : « Je ne suis pas convaincu. »
Fort bien ; mais je n’écris ni ne peins jamais pour convaincre. Chercher à convaincre est une démarche radicalement opposée à l’idée que je me fais de ce que c’est que créer. Chercher à convaincre, c’est vouloir éliminer le hasard, et savoir ce qu’on va faire avant de l’avoir fait.
Je laisse le désir de convaincre aux créatifs – qui sont tout sauf des créateurs. Pour moi, je propose un témoignage, je présente des créations.
Quant à mon sceptique, je n’ai pas pu m’empêcher de lire convaincu en deux mots.

CONVICTION
La conviction comme monnaie d’échange. Conviction et passion se vendent très bien de nos jours. Ce sont des valeurs d’autant plus fortes qu’elles nous font radicalement défaut.

CONVOQUER
Que les amateurs de tartes à la crème sont gâtés de nos jours ! Et particulièrement s’agissant de ces arts plastiques qui ont si congrûment remplacé les Beaux-Arts…
Pas un barbouilleur dont les croûtes ne « convoquent » l’univers, pas un bidouilleur dont le « geste » « n’interpelle » l’histoire de l’art toute entière tout en « questionnant » l’ensemble de ses contemporains. Que d’inflation et d’enflure dans ces rodomontades de marché !
Autant l’avouer, ma peinture ne convoque personne, mon geste ne questionne aucune certitude, je tente de peindre, de donner à voir ce que j’aime voir, c’est déjà un sacré pari. Presque un pari sacré.

CORRUPTION
Ce ne sont pas les corrompus conscients qui me font peur, ni même ceux qui parviennent à se convaincre qu’ils ne le sont pas plus que les autres. Ceux qui me terrifient, ne serait-ce que parce qu’ils sont infiniment plus nombreux, ce sont ceux qui sont en toute bonne foi convaincus d’être honnêtes, tant la corruption leur est devenue une seconde nature.
Voir REPÈRES (perte de)

CUIR
Il en est de si énormes qu’ils prennent un caractère sublime : le plus beau peut-être, entendu sur France-Inter : « Les choses t’avancent ». Pour une fois, le coupable n’était pas l’ineffable Bernard Guetta…

CUISTRE
Sollers, ce moderne Trissotin, ce qu’on peut rêver de pire en matière d’intellectuel : un libertin laborieux. Un intellectruel.

CYNISME
Il entre presque toujours beaucoup de naïveté dans le cynisme, car le cynique est souvent un idéaliste déçu. Se sentant trahi par la vie, il la prend en haine pour l’avoir trop aimée.

DÉCEPTION
C’est parce que j’aurais tant envie de pouvoir les estimer que j’engueule si férocement mes congénères.

DÉCULPABILISER
Sous prétexte de déculpabiliser l’être humain, nous avons réussi à lui faire perdre tout sens moral.

DELORS (Jacques)
Chaque fois que j’entends parler Jacques Delors, je me rappelle ce proverbe un peu cynique mais ô combien perspicace : « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». Et je me dis qu’il n’y a jamais très loin du vieux sage au vieux con. Cela dit, ce Rubicon-là, Delors, grand naïf prétentieux et sentencieux, l’a franchi très tôt : encore jeune con, il jouait déjà les vieux sages.
Tout en faisant le lit de l’ultra-libéralisme, car ce Lamartine de l’économie, aussi naïf qu’incompétent, aura été une véritable catastrophe pour l’Europe. Les pires chevaux de Troie sont ceux qui croient porter secours à ceux qu’ils livrent à l’ennemi. Delors n’aura été que le faux nez inconscient des néo-libéraux.

DÉMOCRATIE
N’est plus qu’un mot. Début septembre, Boutros-Ghali a pu dire que les occidentaux « refusent la démocratie » parce qu’ils ne voulaient pas participer à un « sommet de l’anti-racisme » réunissant la fine fleur des dictatures afro-asiatiques. C’est le sort des grandes idées de finir dans la bouche des hommes les plus méprisables.

DÉPAYSEMENT
Ce besoin pressant que j’ai de me dépayser de temps en temps pour mieux me repayser. Constater qu’ailleurs je ne suis pas mieux que chez moi, et que je suis donc mieux chez moi, même si ailleurs je ne suis pas moins bien que chez moi…

DIABOLISATION
Dans ma famille, certains se plaignent de la « diabolisation » de Sarkozy. Réaction typique des nantis au début des prises de pouvoir par des régimes totalitaires : chaque fois, le bon bourgeois s’insurge contre l’opposition qui diabolise Mussolini, Hitler, Franco, etc.
Ne pouvant en aucun cas admettre la réalité sordide du pouvoir qu’ils soutiennent, les bien-pensants font l’autruche et nient les faits les plus évidents, se raccrochant à des « arguments » si stupides qu’ils devraient en avoir honte, mais qui leur évitent la honte plus grande encore de reconnaître qu’en soutenant un pouvoir sans foi ni loi ni honneur ils se déshonorent eux-mêmes.
Il suffit de lire les journaux de l’époque pour apprendre qu’aux yeux d’une quantité de « braves gens », sous leurs airs méchants, Mussolini, Hitler et Franco étaient des types bien, des hommes de bonne volonté scandaleusement calomniés par des opposants remplis de la plus perverse mauvaise foi.
C’est vrai, quoi, c’est indécent de diaboliser le diable !
Dire la vérité sur un salaud, c’est donc le diaboliser.
Grâce à cette pitoyable pirouette, les bons apôtres de la bourgeoisie conservatrice s’exonèrent au meilleur compte depuis toujours de leur responsabilité dans la montée des totalitarismes.
La paranoïa étant contagieuse, quand je tente d’exposer à peu près objectivement les faits, j’ai parfois l’impression d’être diabolisé, tant la réalité que je décris semble sacrilège à nos aveugles volontaires…

DISCOURS
Contrairement à ce que veut croire la Kabbale, le discours n’est pas fondateur. Il n’est pas le point de départ, mais l’arrivée. L’inconscient (et pas seulement le collectif) précède le langage. Lacan, ce cabaliste contemporain, a d’autant plus complètement échoué dans sa tentative de reprise du pouvoir par le langage qu’il avait oublié la mystique en route, ce qui fait de sa tentative de magie une contrefaçon ridicule, dans le meilleur des cas une assez pathétique prestidigitation.
Voir COHEN (Albert)

DISCRÉTION
Je continue à me demander si dans nos vies minuscules l’héroïsme, d’ailleurs tout relatif, ne consiste pas à tenter de poursuivre son chemin en passant de son mieux à travers les gouttes, comme ces fourmis à qui je mettais des bâtons dans les roues pour admirer plus longtemps leur incroyable et tranquille acharnement à aller vers le but qu’elles veulent atteindre.

ENFANTS
Je parle très peu des miens dans ce que j’écris. Non que je n’en sois pas fier ou que je ne les aime pas, mais par pudeur, si, si, et pour ne pas les mêler sans leur aveu à mes petites affaires.

ENNUI
Si nous ennuyons ceux qui ne nous ennuient pas, et que les gens que nous n’ennuyons pas nous ennuient, autant rester tout seul…

ESCLAVAGE
Revenir sur cet esclavage qu’est une totale liberté. Le consommateur actuel en est la parfaite illustration. Son illusoire liberté de consommer l’enferme plus sûrement que des barreaux.
Je l’ai déjà dit, j’y reviens, tant pis, parce que c’est un des enjeux capitaux de la crise globale de l’humanité actuelle : en nous libérant, nous nous sommes enchaînés.
C’est une de ces évidences qui vous tombent dessus dans votre baignoire, ou vous réveillent à trois heures du matin. Ça s’appelle inventer l’eau chaude, mais rien n’est plus invisible aujourd’hui que ce qui devrait sauter aux yeux.

ÉVOLUTION
Autrefois, le « grand » écrivain disait : « Je médite. » Aujourd’hui, il annonce : « Je m’édite. »
Je l’aimais quand même mieux avant.

FASCISME
Le fascisme ordinaire, au quotidien. À petites doses, quasi homéopathiques ; on s’habitue peu à peu, on se mithridatise, le poison semble ne plus faire d’effet ; c’est que dans nos veines il a remplacé le sang et nous est devenu consubstantiel.

FAUSSE MONNAIE
La vraie valeur de la fausse monnaie, c’est qu’elle n’est pas seulement sans valeur ; elle dévalue la vraie.
Nous vivons dans un monde de fausse monnaie universelle où discours et gesticulations tiennent lieu de convictions et d’actes. Tant de mensonges font que nous n’osons plus croire à rien. Nous avons tort. Malgré l’omniprésence arrogante et l’apparente omnipotence des faux-monnayeurs, nous pouvons à tout instant éprouver la force et la justesse des vraies valeurs à l’aune de notre conscience personnelle.

FIERTÉ
Ce qui me sidère chez les hommes politiques actuels, c’est leur totale absence de fierté, leur radicale incapacité à faire preuve de la moindre dignité. Pris la main dans le sac, ils se livrent à d’incroyables contorsions pour tenter d’échapper à leurs responsabilités. Noyer le poisson semble être leur idée fixe, comme si l’oubli des fautes était une sorte d’absolution. Peu leur importe d’être innocentés, leur suffira de retrouver une « crédibilité », ce sésame des adorateurs de l’apparence, qui permet de briguer des sièges, d’obtenir des postes et de s’acheter des montres.
Il serait temps de les remettre à l’heure juste.

FILLE
Si j’avais été une fille, c’aurait été un garçon manqué, j’espère. Les garçons manqués que j’ai connus étaient pour moi les plus réussies des filles, et valaient beaucoup mieux que les garçons, qui malgré tous leurs efforts n’arrivent jamais à être des filles manquées.

FOI
Méfions-nous de la foi. Tant qu’elle est fraîche, elle peut nous nourrir. Mais elle se conserve mal, et une foi rance tourne très vite à la mauvaise foi. À tant vouloir croire, le convaincu lasse jusqu’à lui-même, accouchant pour finir d’un con vaincu.

FOOTBALL
L’identité nationale, elle se trouve aujourd’hui dans le football. Le sport professionnel est la mère de tous les vices, et le football est bien la fille aînée de l’église sectaire du sport spectacle. Le geste contre la geste, la triche contre le fair-play, le fric contre la vie.
Elle est belle, notre identité nationale !
La main de Dieu, se félicite L’Équipe. Le foot, décidément, ce n’est pas le pied.

FRANC-MAÇONNERIE
Il y a quelque drôlerie à voir la franc-maçonnerie, qui n’est au bout du compte qu’une maffia au petit pied, se parer indécemment des plumes du paon en tentant de faire croire à travers des rituels ridicules et surannés qu’elle s’intéresse à l’essentiel des choses humaines. Comme si la philosophie résidait dans le tablier, l’équerre et autres âneries fétichistes pour adolescents attardés. Un franc-maçon aujourd’hui, c’est un jobard ou un hypocrite.

GÉNÉROSITÉ
La générosité n’est le plus souvent que le meilleur moyen de ne rien devoir à personne. Elle procure bonne conscience, va chez certains jusqu’à l’ostentation, et demeure l’instrument de pouvoir préféré de ceux qui par nature ou par état ne peuvent sacrifier ouvertement à leur soif de puissance.
C’est dire combien nous avons tort de ne pas la pratiquer davantage.

GÉNÉROSITÉ
Ce n’est pas par hasard que les pauvres sont à peu près toujours plus généreux que les riches. La générosité ne leur coûte guère : rien n’est plus facile à partager que rien. Si tu veux savoir s’il est réellement généreux, rends le pauvre riche…
Quant au riche, fais-en un pauvre, son coffre-fort vide te sera désormais grand ouvert.

GRÈVE
Le comble de l’individualisme : faire grève tout seul.
Ça m’est arrivé plus d’une fois.
À cause de l’individualisme ultra-majoritaire de mes collègues.

GRÈVE
Pour le crétin individualiste hédoniste contemporain, la grève, ce n’est pas seulement ringard, c’est obscène : qui espère devenir people ne va tout de même pas se mêler au peuple !

GROUPE (thérapie de)
Je me demande si le principal intérêt de la thérapie de groupe ne réside pas dans le fait qu’après l’avoir pratiquée quelque temps on n’est plus étonné de rien. On a tant vu les faiblesses et les vilenies des autres, leurs faiblesses et leurs mensonges, qu’on se pardonne ses propres errements, et d’autant plus qu’eux-mêmes nous les pardonnent. Car ces autres, on les découvre tout aussi démunis que nous, tout aussi fragiles et souffrants, et finalement pleins de bonne volonté. Il en faut pour persévérer dans un travail où il est très rapidement impossible de tricher : si le groupe est toujours prêt à nous soutenir, aucun de nos masques ne résiste à sa perspicacité, et il ne laisse rien passer de nos contradictions, de nos lâchetés, de nos saletés. Mais sans jamais juger : un groupe digne de ce nom ne juge pas, il constate.
La thérapie de groupe nous permet de comprendre et de ressentir dans notre chair ce que notre stupide ego tente constamment d’oublier, à savoir que nous sommes tous sur le même bateau.
En nous soulageant au moins partiellement de notre culpabilité, en nous redonnant conscience de notre véritable identité, en nous rappelant que nous sommes comme les autres et pourtant nous-mêmes, elle recrée les conditions d’une nouvelle solidarité.

HAINE
La haine, c’est l’histoire d’une insupportable déception, d’une torturante frustration. On ne hait vraiment que ce qu’on aurait voulu pouvoir aimer.
Voir AIMER

HARA-KIRI
Je n’ai pas connu Reiser, et je le regrette.
C’était à mes yeux avec Gébé le seul génie de la bande. De génie, les autres, bourrés de talent, étaient singulièrement dépourvus, à l’exception peut-être de Willem, qui bien aidé par son envergure et son français approximatif planait majestueusement au-dessus de la mêlée.
Berroyer arborait déjà cette timidité fanfaronne et ironique qui ne l’a pas quitté, et dont il s’est fait une marque de fabrique un peu trop ostensible, Wolinski affichait la modeste suffisance du manipulateur cynique qu’il a toujours vainement rêvé d’être, Cavanna assumait avec panache et une inoxydable mauvaise foi son rôle de grande gueule au grand cœur, Gourio et Vuillemin justifiaient leurs tronches de faux frères masturbateurs de dortoir en jouant les cafards potaches et en léchant goulûment le cul toujours plus ou moins à l’air du professeur Choron, lequel posait laborieusement à l’affranchi en s’attaquant aux plus faibles des spectateurs de passage pour des « plaisanteries » plus stupides encore que cruelles, tout en surjouant son horripilant personnage de brute avinée mâtinée de gorille en rut occupé à se frapper la poitrine dans une jungle imaginaire et déserte, provoquant le vide histoire de faire croire qu’il n’a peur de rien…
En fait Choron avait peur de tout, et surtout de ne pas être à sa hauteur, prisonnier qu’il était d’un costume qu’il savait trop grand pour lui.
Sa femme Odile cachait si bien son chagrin qu’elle a fini par en mourir.
Seul Gébé était lui-même.
Je respectais Willem pour son formidable talent, j’aimais Gébé non seulement pour son génie, mais parce qu’il était vrai.

HEAUTONTIMOROUMENOS
À partir du moment où, sachant combien nos congénères sont manipulables, tu te laisses aller à les manipuler, tu entres dans la spirale du dégoût – des autres mais surtout de toi.
Car tu sais bien qu’en méprisant autrui au point d’en faire ta chose, tu t’es interdit à toi-même de le rencontrer autrement qu’à la surface, dans sa laideur, qui n’est que le miroir de la tienne.
C’est que toute manipulation est une forme perverse de masturbation.
Le manipulateur, ce tricheur suicidaire, se manipule en fin de compte bien plus impitoyablement encore que ceux qu’il manipule, parce qu’il n’a pas conscience d’être devenu l’heautontimoroumenos, le bourreau de soi-même.
Voir MANIPULATION

ICÔNES
L’emploi de plus en plus fréquent de ce mot pour désigner, de façon aussi métaphorique qu’impropre, stars et vedettes n’a rien d’innocent. Il révèle, dans un contexte porteur, pour parler comme les imbéciles, qu’un des penchants les plus dangereux de l’humanité et les plus révélateurs de sa bêtise crasse, a le vent en poupe : le besoin irrépressible d’adorer quelque chose ou quelqu’un, de préférence parfaitement indigne d’adoration, voire franchement méprisable.
Les récentes apothéoses d’un excellent joueur de tennis enclin à la grosse tête et d’un chanteur passablement taré en ont fourni deux exemples consternants, qui rappellent par leur démesure et leur ridicule les funestes excès où se sont complu les Romains de la décadence, idolâtrant leurs gladiateurs et se divinisant à qui mieux mieux.
« Federermania », « Jacksonmania » : l’emploi, complaisant ou non, du mot « mania » avoue clairement de quelle pandémie autrement dangereuse que les grippes aviaires ou porcines nous sommes les victimes plus ou moins consentantes. Puisqu’il n’existe pas encore de vaccin contre les icônes, commençons par les prendre en grippe.
Car la maladie peut être mortelle, et l’a souvent été dans le passé.
On est toujours l’esclave de ce qu’on adore, et c’est pourquoi je n’adore personne – pas même moi, contrairement à beaucoup de contemporains. L’actuel et triomphant retour de l’esclavage comme mode de gestion du peuple souverain devrait nous faire réfléchir : faire des « people » des icônes, les déifier en somme, n’est pas seulement très exactement sacrilège, mais nous ramène une fois de plus, une fois de trop, aux mises en scène totalitaires et à leur volonté avouée de créer une race de surhommes, de solenniser l’existence, de figer les masses en un seul bloc d’assentiment béat et d’adoration inconditionnelle.
Après tout, les hommes ont probablement inventé Dieu pour mieux s’adorer eux-mêmes. Ils l’ont fait à leur image, ce qui leur permet de prétendre qu’il les a fait à la sienne.
Plus je suis proche de Dieu, plus sa gloire rejaillit sur moi, s’est d’abord dit Lucifer. Avant de conclure : Mais c’est peut-être de moi que lui vient sa lumière…
La « peoplisation », comme presque toute mythification, est avant tout une mystification. L’iconification est une manipulation. Cherche à qui le crime profite…
Nos icônes divinisées feraient bien d’y réfléchir : il arrive aux peuples de devenir diaboliques…
Quant à moi, les pauvres icônes actuelles ne me donnent qu’une envie : devenir iconoclaste.

IMMOBILISME
C’est vrai, nous avons besoin de temps en temps qu’une jeunesse aussi stupide qu’orgueilleuse nous secoue les puces et nous botte le cul ; nous resterions assis dessus, car la sagesse est de se laisser vivre.
Mais sachons aussi, sans les lui couper, rogner les ailes à cette jeunesse plus inculte qu’oublieuse : il n’est bon ni de courir, ni de marcher au pas, que ce soit celui du chasseur ou de l’oie. On n’avance jamais mieux qu’en flânant.
Le vrai progrès, ce serait de prendre son temps, et de ne reconnaître que les urgences qui le méritent – presque aucune.

IMPACTER
Un certain Lombard, ça rime avec connard, PDG de France Télécom : « Je ne voulais pas rentrer dans un système où la communication pouvait impacter le moral d’un certain nombre de personnes qui sont par nature fragiles (…) Il faut marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide ».
Quelques mois auparavant, le même élégant personnage déclarait à ses employés dans le langage châtié qui le caractérise, et qui dit tout de son insondable vulgarité d’âme,en même temps que de son ignorance crasse des accords les plus élémentaires :
« (…) les populations qui sont pas à Paris, qui pensent que la pêche aux moules est merveilleux, c’est fini ! »
Il y a des gros culs qui auraient bien besoin d’être un peu impactés…

IMPACTER (bis)
Au passage, l’emploi de ce verbe signe à lui seul l’appartenance à l’internationale de la connerie néo-libérale. Il n’est donc pas étonnant qu’on le retrouve constamment dans la bouche de nos gouvernants et autres « experts » de la sortie de crise permanente et de l’enfumage généralisé.

IMPUISSANCE
Notre impuissance à aider quelqu’un nous conduit tout naturellement à le rejeter. Question de survie.

INCONSCIENCE
Les hommes de pouvoir, ces idéalistes manipulateurs, croient toujours que leur tête mène leur barque, alors que c’est leur cul qui les gouverne. Ce n’est pas en calculant tout qu’on échappe à ses pulsions, c’est au contraire le meilleur moyen de les mettre au pouvoir.

INCULTURE
L’inculture est le plus souvent une ignorance volontaire. Ne pouvant tout savoir, nous choisissons de ne rien savoir. Il est vrai qu’il est utile de savoir oublier, et qu’une vraie culture est sélective et hiérarchisée. Encore faut-il avoir quelque chose à oublier.

INCULTURE
En matière de création, le manque d’humilité est toujours une preuve d’inculture.

INDICE
Moins la plupart des gens aiment ton travail, plus il t’est permis de penser que tu es sur la bonne voie.

INDIVIDUALISME
Réaction partiellement saine des êtres humains confrontés à la mondialisation-massification. Comment ne pas devenir individualiste quand on n’est plus considéré que comme un numéro matricule indifférencié ? Tout tend à nous uniformiser, d’où cette quête désespérée, à la fois pathétique et grotesque, odieuse et touchante, des egos en mal d’individualité – d’individuation. Le tuning en est la preuve achevée : personnaliser une voiture de série…
Les individus de série que nous sommes devenus, comme nos maîtres tentent de nous aider à les personnaliser !

INDULGENCE
Je ne ressens d’indulgence envers les cons que les rares fois où je me rends compte que je le suis probablement autant qu’eux.

INNOCENCE
On est innocent tant qu’on ne sait pas qu’on ne l’est pas. Nous ne sommes jamais innocents que par ignorance.
Une amie très chère a été innocente tant qu’elle ne savait pas qu’elle ne l’était pas. Maintenant qu’elle a dû renoncer à se croire totalement innocente, elle est sans cesse obligée de se reconstruire une innocence nouvelle sur les ruines de la précédente. Même elle n’y croit plus.

JOIE
La joie n’est pas dans le résultat, mais dans le travail qui y conduit. Peu d’entre nous sentent encore cette évidence, tant le règne de l’argent déforme non seulement notre jugement mais notre capacité à vivre.

JUGE ET PARTIE
Que le caractère de Sarkozy puisse le rendre par moments parfaitement stupide, son attitude dans l’affaire Clearstream en a donné une preuve magistrale. Comme tous les êtres mentalement difformes, il est bourré de complexes, ce qui lui rend insupportable toute humiliation, même imaginaire, toute agression, même fictive. Aucune objectivité ne peut forcer le cercle d’une subjectivité aussi foncièrement autiste, ce qui fait de ce caractériel le président le plus dangereux qui soit. Rendons hommage à la lucidité du peuple français qui a su faire un choix particulièrement opportun dans une période qui est probablement la plus dangereuse jamais vécue par l’humanité.
Nul mieux que Nicolas Sarkozy ne pouvait nous conduire au désastre.

LÈCHE-CULS
Pourquoi les cireurs de pompes cirent-ils si amoureusement les pompes de leurs maîtres ? Tant qu’à prendre des coups de pied au cul, autant que ça ne laisse pas de traces.

LIBÉRALISME
Le libéralisme, ça consiste à chanter les bienfaisantes vertus de la concurrence tout en la mettant à mort pour pouvoir jouir tranquillement des délicieux méfaits du monopole. Le libéral exalte la concurrence comme le boa enlace sa proie : pour mieux l’étrangler.

LONGÉVITÉ
Et si notre insolente longévité était due au parahydroxybenzoate de méthyle ? Pas étonnant que nous ne vieillissions plus : avec tous les conservateurs que nous ingurgitons consciemment ou non, nous serons sans doute bientôt immortels, momifiés vivants.

LUMIÈRES
Nous avons besoin d’une nouvelle philosophie des Lumières. L’idéologie rationaliste des Lumières est non seulement dépassée, mais inadéquate. Liée à l’état des sciences de son époque, elle fonde sa réflexion sur un rationalisme matérialiste trop primaire pour fonctionner encore à l’heure où les sciences du vivant commencent à entrevoir la complexité de l’univers.
Le rationalisme est devenu irrationnel, il n’est plus qu’une idéologie dont les fondements théoriques n’en finissent plus de s’écrouler.
Le rationalisme des lumières est aujourd’hui un obscurantisme. Les lumières froides du XVIIIe ne produisent plus que des fanatiques aussi dévots qu’opportunistes, de ces pharisiens de la religion rationaliste dont Philippe Val est en quelque sorte le dérisoire archétype.
Dans l’ombre de ces ayatollahs de la tolérance obligatoire se profile comme autrefois le couperet luisant de la guillotine.
Je n’ai aucune envie de vivre à l’ombre des lumières autoritaires du grand inquisiteur tout débordant d’incorruptible vertu qui a si proprement exécuté Siné avant même que ses maîtres aient eu besoin de le siffler.
Face aux dinosaures intéressés du rationalisme sectaire nous devons d’urgence inventer une nouvelle rationalité. Voir SCIENCE

MAJORITÉ
Une majorité d’imbéciles a toujours tort. Ce qui revient à dire que, les imbéciles étant toujours majoritaires dans toute majorité, une majorité quelle qu’elle soit a toujours tort. S’il arrive qu’une majorité ait raison, c’est parce qu’elle se trompe.

MASOCHISME
Ce n’est pas seulement par masochisme que nous aimons davantage les êtres qui nous posent problème que ceux qui nous reposent. Les premiers nous éveillent, les seconds nous endorment.

MAXIME
Le grand intérêt d’une maxime réussie, c’est de rendre inutile une discussion en en donnant d’entrée la conclusion. C’est par paresse que je tente de fignoler assez mes maximes pour qu’elles m’évitent d’avoir à argumenter avec autrui – et au besoin avec moi-même.
Une maxime digne de ce nom contient sa discussion tout entière, permettant de poursuivre sans tarder l’avancée de la réflexion. C’est une façon de régler son compte à une question pour passer à la suite. Quand j’ai compris, rien ne m’irrite comme l’obligation d’y revenir.

MÉCÉNAT
Il faut bien l’avouer, les nouveaux riches font de piètres mécènes. J’ai le plus profond mépris pour « l’entrepreneur » François Pinault, escroc des plus vulgaires, répugnant prototype du chevalier d’industrie contemporain. On aurait pu espérer qu’il fasse du moins bon usage d’une fortune aussi mal gagnée que possible. Comme disait de Gaulle : « Hélas ! Hélaas ! Hélaaas ! »
Le mécène Pinault donne une fois de plus la preuve qu’il ne suffit pas de gagner de l’argent pour pouvoir s’acheter une culture, ou avoir un minimum de goût. Non content d’occuper au pire sens du terme la Dogana di Mare, il y expose avec toute la fierté du gogo parvenu une assez ahurissante collection d’ineffables daubes.
Il fallait le voir, l’autre jour, s’extasier sur une énorme toile : « De loin, on croit que c’est une photo, disait-il, mais voyez, ce n’est pas une photo, c’est une peinture ! » Et de s’en rapprocher et d’y mettre la main comme pour s’assurer en la grattant que l’imitation est parfaite.
Il faut avouer qu’une carrière de mécène est bien remplie, quand elle a pu aider un « créateur » à peindre un tableau qu’on prend pour une photo – très mauvaise au demeurant.
Mais j’ai tort de brocarder ce bourgeois gentilhomme au petit pied. Car ce redoutable patron liquidateur a un cœur, et si ce n’est pas avec lui qu’il licencie et met au chômage, c’est avec lui qu’il achète. C’est du moins ce qu’il disait, parlant de coups de cœur et peut-être même d’âme, tandis que de sa bouche aux lèvres minces et serrées sourdait une voix coupante, et que ses yeux glacés comme deux huîtres surgelées prenaient les brillances luminescentes des diodes de calculatrices électroniques. C’était un monstre froid qui parlait d’émotion, un mort qui nous parlait d’amour.
Quand les mécènes étranglent l’art sur l’autel du marché, Venise devient une nécropole à touriste friqués, et la vie congelée scelle l’enterrement de première classe d’une civilisation moribonde.

MÉCHANCETÉ
Je ne crois pas que nous soyons foncièrement méchants. Mais que nous le devenons chaque fois que, consciemment ou non, nous le jugeons nécessaire. Trop souvent, à la vérité, car la peur n’est pas seulement notre plus mauvaise conseillère : elle est notre mauvais ange.
Derrière toute méchanceté se profile le museau camard de la peur, cette tueuse à petit feu.

MEILLEURS (les)
Juppé, cette invraisemblable baderne, reprenait il y a quelque temps, à propos des salaires extravagants de certains patrons, l’argument particulièrement éculé et stupide selon lequel, si on limite leur rémunération, « les meilleurs s’en iront ailleurs ».
Outre que c’est loin d’être toujours le cas, l’auteur de l’inénarrable Tentation de Venise pourrait-il expliquer en quoi les plus avides seraient forcément les meilleurs ? Il est permis de penser que les meilleurs dirigeants seraient sans doute les plus désintéressés, ceux qui font passer l’intérêt de l’entreprise avant le leur, ceux qui accepteraient de gagner moins pour aider à sauver des emplois, ceux qui sauraient motiver leurs employés en partageant équitablement des bénéfices qu’ils ne sont pas les seuls à créer…
Mais allez faire comprendre la valeur du désintéressement à un ancien premier ministre qui ne craignait pas de se faire loger par l’état dans des conditions qui relevaient au minimum de la plus sordide grivèlerie !
Tout comme le nazisme, le néo-libéralisme a tellement déformé les consciences qu’il fait admettre comme évidentes et démontrées des idées par lui reçues qui n’ont en fait aucun fondement théorique, sont dépourvues du moindre bon sens et ne correspondent en aucune manière à la réalité vécue : les plus avides sont généralement les plus mauvais, voyez Tapie, voyez Bouton ! Et les « meilleurs » sont souvent les pires, voyez Bolloré, Bouygues, Dassault, Pinault, Sellière : pour mieux se servir, ils n’hésitent jamais à desservir leurs salariés et au besoin leur entreprise, et toujours la société, aux crochets de laquelle ils vivent systématiquement.
Conception maffieuse de l’existence, qui prédomine dans le néo-libéralisme tout comme elle prédominait dans le national-socialisme ou le communisme stalinien.
Il n’y a aucun mérite à exercer le pouvoir. C’est une charge, non un état, encore moins un sacerdoce qui mériterait récompense. On devrait payer pour exercer le pouvoir…

MINORITAIRES
Par esprit de contradiction sûrement, par esprit de chevalerie peut-être, j’ai toujours préféré les minorités aux majorités. Les marginaux m’intéressent davantage que les intégrés, j’aime les esprits libres, ceux qui pour suivre leur chemin, pour vivre leur nécessité intérieure, refusent de se soumettre, dédaignent de « s’adapter ».
Ils auront moins de succès que les habiles, mais ils peuvent à tout instant se regarder en face et se reconnaître.
Il est parfois beau de s’incliner devant la nécessité ; plus beau encore, n’obéir qu’à sa nécessité intérieure. Quoi qu’il en coûte : les majorités ne le sont jamais assez et n’ont de cesse d’absorber ou de détruire ces minorités insolentes dont la seule existence menace leur hégémonie.
La démocratie est viciée à la base par cette évidence si volontiers occultée que toute majorité se veut unanimité.

MISÈRE
L’affaire, à la fois dérisoire, grotesque et gravissime, de la réécriture de l’histoire et de la démolition du mur de Berlin par le minuscule mythomane qui nous gouverne, dit tout non seulement de son répugnant cynisme, mais de son incroyable pauvreté intellectuelle.
Le moment est venu de ressortir cette remarque en passant écrite avant la consécration de la carrière politique de l’ex-Ministre de l’Intérieur :
« ADULATION
Il faut être singulièrement dépourvu de vie intérieure pour mettre toute son énergie à devenir un homme public. Vouloir plaire aux foules tout en les manipulant, quel étrange choix de vie ! Fondé sur la communication, le pouvoir d’un Sarkozy sacrifie la réalité du pouvoir à ses apparences – c’est ici le cas de dire à ses appâts rances ! –, et conduit à tous les désastres qu’engendre le mensonge.
Adulé par les imbéciles, Sarkozy sera tôt ou tard honni par les mêmes. Être adulé n’a rien de rassurant, car ceux qui adulent ont beaucoup à demander à celui qu’ils adulent et tout spécialement ce qu’il ne pourra pas leur donner…
Quiconque adule est en manque d’un essentiel, et demandeur d’une satisfaction que lui seul pourrait se donner. Quiconque se laisse aduler est également en manque et se satisfait d’une apparence qui le décevra tôt ou tard.
L’adulation est un marché de dupes où l’adulateur et l’adulé ont tout à perdre, l’un demandant l’impossible et l’autre le promettant.
La communication, ce n’est pas la politique rêvée, c’est la politique du rêve organisé. »
Cette photo ridicule et antidatée, vraiment, mauvaise pioche, Monsieur le futur ex-Président !

MUTISME
Je me demande souvent en nous écoutant : « Quand on n’a rien à dire, pourquoi le dire ? »

NAUFRAGEUSES
Je pense à ces femmes vers lesquelles nous nous précipitons avec le même soulagement naïf que ces vaisseaux d’autrefois qui venaient se fracasser sur les récifs mêmes qu’ils pensaient éviter grâce à des feux qui n’avaient été allumés que pour provoquer leur naufrage.
En cette période de pudibonderie conformiste politiquement correcte, il est malheureusement nécessaire que je précise cette évidence que la même phrase peut être formulée au masculin – même si j’ai perdu davantage de plumes avec les naufrageuses qu’avec leurs congénères du sexe prétendu fort.

NOMBRILISME
Je me sais égocentrique et me sens parfois coupable de nombrilisme. Mais cette culpabilité ne me pèse pas trop : c’est mon égocentrisme qui me permet de comprendre quelque chose aux autres et de les accepter au moins un peu comme ils sont, puisque l’expérience me prouve que je ne vaux pas mieux qu’eux.
Je suis la seule conscience à laquelle j’ai accès, la seule existence que je puisse vivre. L’observer et en rendre compte m’a toujours semblé un devoir.
Pour les japonais, regarder son nombril, c’est se souvenir qu’on est né d’autrui.

OBAMA
Obama me décevrait si j’avais mis le moindre espoir en lui. Mais je n’attendais de lui que la disparition de Bush, et une alternance qui écarte, ne serait-ce qu’un temps, les pires voyous de l’ultralibéralisme. Il n’était dès le départ que trop évident qu’on ne tirerait rien de plus de ce politicien trop habile pour être totalement honnête, et trop pragmatique pour tenter de mettre fin à la folie meurtrière de la mondialisation financière.
Quant à sauver la planète, cet habile démagogue sait bien qu’il se perdrait à passer des bonnes paroles aux actes vertueux.

OUBLI
Il est aussi important de savoir oublier que de savoir se souvenir.
Mais la réciproque est vraie, contrairement à ce que semblent croire beaucoup de mes contemporains, confondant esprit d’enfance et puérilité.
Ce n’est pas en changeant sans cesse de partenaire qu’on se refait une virginité, mais en redécouvrant ce qu’on connaît déjà.

OUVERTURE
Je ne suis fermé à rien, mais je ne suis pas ouvert à tout.

PANDORE (boîte de)
Avec Internet, nous avons créé cet improbable artefact : l’intimité virtuelle. Internet est un fourre-tout qui héberge entre autres l’égrégore de notre inconscient collectif. Qui n’y est pas seulement immergé, mais s’y développe selon un rythme constamment accéléré qui n’a plus rien à voir avec notre réalité physiologique – et tend donc à la remplacer.
La proximité fallacieuse et l’anonymat trompeur sont les deux mamelles de la géniale toile d’araignée où nous nous engluons chaque jour davantage. Elles nous permettent de faire ce que faute de place nous ne pouvons plus faire dans la réalité physique : nous lâcher. Il n’y a jamais eu aussi peu de distance entre la recherche et la découverte, entre le désir et son objet. Internet, baguette magique universelle, réalise nos fantasmes, et pas seulement celui de la toute-puissance. Il nous ouvre sur cette merveille : l’espace narcissique infini.
Nous pouvons désormais, nous retournant comme des gants, exposer notre minuscule intimité à la face forcément éblouie de l’univers. Qu’il s’agisse d’une illusion et que notre chance de briller réellement soit aussi réduite que nos chances de gagner au loto ne change rien à l’affaire : le privé désormais se confond avec le public, et c’est ce qu’ont parfaitement compris et exploité les plus avisés des hommes et femmes de pouvoir. Nous pouvons désormais nous communiquer tout entiers.
Nous voici donc entrés dans l’ère du commun niquer, qui me semble devoir évoluer tout naturellement et à la vitesse d’un suppositoire vers le commun niqué.
La confusion créée et entretenue par Internet entre le domaine privé et le domaine public, entre la réalité et le fantasme, entre le vouloir et le pouvoir n’a pas que des aspects pernicieux, elle ouvre tout un domaine d’expérimentation, mais elle est propice à des dérives nous menant toujours plus loin dans cet enfermement qu’est notre goût pour l’abstraction.
Quand Pandore a ouvert sa fameuse boîte, ce qu’il a découvert, c’est qu’à force d’être pleine, elle était vide.
À force de nous aider à sortir de notre coquille, Internet nous vide de nous-mêmes.
Nous ne sommes déjà plus que des simulacres, de fantomatiques projections de nous-mêmes.

PARADIS
Le paradis terrestre, il n’en reste que des lambeaux qu’il faut sans cesse recréer, puisque les hommes s’acharnent à les détruire. Pelleteuse, tronçonneuse, marteau-piqueur, bulldozer, béton : la haine de la vie en action. Forcer, toujours forcer ; en guerre contre le monde, contre soi-même, en guerre toujours ! Il faut relire le camarade Ronsard :« Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras ! »
Au printemps, quand ils ont réparé la digue, les massacreurs s’en sont donné à cœur joie. Les acacias décapités, les sureaux déchiquetés, ce goût féroce de la castration, du nivellement, couper, arracher tout ce qui dépasse. Les hommes en veulent aux arbres de si bien bander, d’être toujours debout… Insolence de ces arbres qui ne débandent jamais, et ne s’en vantent même pas ! Même mort, l’arbre bande encore. Même sec, l’arbre est encore plein de feu.
La déforestation, ce n’est finalement que la jalousie de l’impuissant.
Sous une autre forme au besoin, les arbres reviendront quand nous ne serons plus là…
Et pendant ce temps-là Jacques Julliard, cet insupportable vieux con, membre ô combien déclinant de l’archi-rance gauche caviar, dénonce avec une emphase aussi ridicule qu’odieuse un improbable « écolo-fascisme » et prône ce dérisoire oxymore, une écologie rationaliste !

PARADOXE
Je suis toujours un peu étonné de voir tant de parents se sacrifier pour que leurs enfants, obsédés par leur « réussite », deviennent de parfaits égoïstes. J’en conclus que les plus sacrifiés ne sont peut-être pas ceux qu’on pense, et que beaucoup de ces trop généreux parents se servent de leurs enfants en vue d’obtenir par procuration une réussite qui compense tant soit peu leur propre échec.
C’est sans doute pourquoi « l’ingratitude » de certains enfants ressemble si fort à un tardif accès de lucidité…

PARFAIRE
Parfaire, c’est finir, mais bien. En achevant. Nous ne faisons jamais assez attention à l’étymologie. La perfection, c’est ce qui est si bien fini que c’en est devenu infini.

PEINTURE INTÉRIEURE
Aller vers la peinture intérieure : mettre au monde le tableau intérieur que nous portons en nous – que nous peignons depuis toujours et pour toujours au fond de nous. La plupart du temps sans le savoir ni le voir.

PENSÉE POSITIVE
Se voir meilleur qu’on n’est, c’est la pire façon de ne pas s’accepter tel qu’on est. Si nous voulons devenir meilleurs, commençons par reconnaître ce qu’il y a de mauvais en nous. Je me demande toujours quelles tares, peurs paniques tente de dissimuler une excessive confiance en soi. Y compris quand je me laisse aller à mon optimisme naturel me concernant !

PÉREMPTION
Un des exemples les plus ahurissants de la confusion mentale gravissime qui embrume actuellement les cerveaux désaffectés de mes compatriotes concerne les poursuites correctionnelles qui atteignent enfin l’un des pires escrocs politiques d’une époque pourtant foisonnante en malandrins sans foi ni loi.
Chirac, puisqu’il s’agit de ce parrain retraité aussi dépourvu de sens moral que de vision politique (sauf à appeler politique les tripatouillages minables, les magouilles sordides et les ignobles coups tordus dont il s’était fait une spécialité), Chirac, donc, ne devrait pas rendre de comptes à la justice, sous prétexte que les affaires concernées sont trop anciennes.
D’une part, lesdites affaires ne ressortent si tardivement que du fait qu’une loi est venue fort à propos éviter au président de l’époque toute mise en cause pendant toute la durée de son mandat ; il faut donc un sacré culot pour venir dire que l’affaire est trop ancienne quand une loi providentielle a permis de suspendre les poursuites pendant des années !
Et puis qu’est-ce que c’est que cette façon d’instrumentaliser le temps qui passe pour en faire une gomme à effacer les méfaits ?
En somme, le passage du temps effacerait les fautes, si bien qu’il suffirait de faire traîner suffisamment les choses pour échapper aux conséquences de ses actes. On parle ici, non de fautes vénielles accidentelles, mais de délits répétés et planifiés en toute connaissance de cause, délits mettant en cause non seulement les valeurs républicaines mais la notion même de démocratie.
Car Jacques Chirac n’est pas seulement un politicien marron, il s’est constamment et joyeusement assis sur les principes qui figurent en tête de la constitution d’une république qu’il a déshonorée par sa seule présence à sa tête. Il n’est que normal qu’il ait à répondre d’au moins une partie de ses fautes, la partie émergée de l’iceberg…
On marche un peu beaucoup sur la tête, ces temps-ci, au beau pays de France ! Il y aurait donc une date de péremption pour les crimes de sang-froid, mais une rétention de sûreté pour les crimes pulsionnels. J’avoue mal comprendre la subtilité casuistique des raisonnements de beaucoup de mes contemporains, dont ils semblent très fiers, et qui me paraissent singulièrement pervers et destructeurs de tout contrat social. Je renifle sous ces indulgences suspectes une assez répugnante odeur de pourriture morale, et la sordide complicité d’une société à la dérive dont beaucoup des membres ont perdu non seulement tout sens moral mais encore la plus élémentaire pudeur.

PERFECTION (esprit de)
« L’esprit de perfection », tel est le beau titre du petit livre de Georges Roditi que j’ai toujours envie d’offrir à celles de mes connaissances qui semblent croire que la réussite d’une vie se mesure à l’avoir plus qu’à l’être, et au pouvoir qu’on a exercé plutôt qu’à ce qu’on a tenté de créer.
Georges Roditi était l’homme d’un seul livre, qu’il remaniait inlassablement au fil des rééditions et à la lumière des conversations qu’il avait avec quelques-uns de ses lecteurs, pour le rendre toujours plus limpide et plus pur. Son message était beaucoup trop clair pour être entendu par une époque avide de confusion. Il est plus actuel que jamais, car si les vérités simples ne sont pas bonnes à dire aux yeux des élites, c’est parce qu’elles font apparaître dans la lumière crue de l’évidence le mensonge que dissimulent les commodes complexités dont elles se gargarisent pour tenir les citoyens à l’écart non seulement du pouvoir politique, mais du pouvoir sur soi-même qui est la visée de toute conscience digne de ce nom.

PERPLEXITÉ
Tiens, pour une fois, j’ai envie d’être drôle.
Problème : le monde est devenu si triste que je ne sais plus comment on fait.

PETIT GARÇON
J’ai beau savoir que je vieillis, me le dire et en avertir autrui, qui n’a guère besoin de moi pour s’en douter, je me perçois encore et toujours comme le petit garçon que je n’ai jamais cessé d’être. Nous sommes sans doute si convaincus de la permanence de notre conscience que nous ne pouvons nous envisager et nous percevoir que comme étant nous-même du début à la fin, et donc jamais comme un vieillard, mais comme un homme pour toujours très jeune.

PEUR
Ils ont raison, les salauds, de n’avoir pas peur des imbéciles ; c’est qu’on reconnaît les imbéciles à ce qu’ils n’ont peur des salauds qu’après coup. Précoce, la peur les aiderait à se défendre, tardive elle les paralyse.

PLACEMENT
Entretenir son désespoir, c’est à peu près aussi risqué que de placer en bourse de l’argent dont on n’a pas besoin. Il faut jouir de beaucoup de liberté pour avoir celle de se désespérer.

POLÉMIQUE
On dirait que le mot « polémique » est devenu un gros mot. Polémiquer serait une faute de goût, une preuve de mauvaise éducation, un déni d’intelligence.
La polémique serait inefficace, stérile, contre-productive.
Je n’en crois rien. Refuser la polémique, c’est avouer qu’on n’ose plus se battre pour ce en quoi on croit, c’est admettre qu’on manque de conviction. Ce refus de débattre à fond est très représentatif d’une époque où plutôt que de dire les choses en face on préfère tricher et manipuler.
La bourgeoisie a toujours tenté de faire croire à ceux qu’elle opprime que sortir des clous de la correction, du raisonnement, de la démonstration serait un crime.
La bourgeoisie a peur de la polémique, qui en dévoilant son hypocrisie et sa violence feutrée l’oblige à sortir du bois. Toutes les élites condamnent la polémique, quitte à la pratiquer sous des formes insidieuses et perverses. La polémique déplaît parce qu’elle lève les masques.
On déteste la violence verbale ouverte, tout en s’accommodant très bien du harcèlement moral et en conduisant les « faibles » au suicide et les enfants à l’avion. Tortueux et hypocrites, les intellectuels contemporains suscitent légitimement le dégoût.
Nous vivons dans un régime dont la violence est inouïe, et il faudrait ne pas polémiquer avec lui ? Notre époque ne fait semblant de refuser la violence que pour mieux assouvir sa cruauté. Elle est d’autant plus lâche que sa sensiblerie affichée cache une cruauté qui va jusqu’au sadisme.
Le rôle de la polémique, c’est d’arracher les masques, d’écarter par une saine colère les rideaux de fumée.
Il n’est pas bon que les êtres humains se veuillent meilleurs qu’ils ne sont.

POTACHES
La plupart des potaches se réfugient dans la légèreté lourdingue qui caractérise les adolescents attardés parce qu’ils n’osent pas se prendre aussi au sérieux qu’ils le voudraient, ne serait-ce que parce que cela les obligerait à mettre leurs actes en rapports avec leurs idées.
Le potachisme est presque toujours une fuite en arrière, en vue de s’épargner une révolte qui pourrait s’avérer coûteuse et qui ébranlerait de toute façon le confort intellectuel auquel il contribue.
Reste qu’assumé à fond le potachisme peut prendre une dimension carnavalesque et bouffonne joyeusement décapante et finalement nécessaire. Un certain Dejaeger en a donné de bien beaux exemples dans son jouissif « Lexique d’anthropoclastie ».

PRÉCISION
Elle est capitale, la précision du langage, et pas seulement en droit. L’impropriété mène au chaos. C’est ainsi que les grands patrons actuels confondent depuis quelques décennies capitaine d’industrie et chevalier d’industrie – deux expressions qui ne sont nullement synonymes…

PRENDRE
Qu’on dise qu’un homme prend une femme quand il la pénètre m’a toujours surpris comme une idée incongrue, un fantasme assez puéril ou une franche incompréhension du rapport sexuel. Prendre, c’est se donner ; être prise, c’est recevoir. Il me semble avoir compris très tôt qu’en amour, prendre, c’est être pris, être prise c’est prendre. Si je prends c’est pour mieux me donner ; si elle se donne, c’est pour mieux recevoir.

PROJECTION
En matière de racisme, comme pour à peu près tout, c’est très souvent celui qui le dit qui y est. Nous avons tous une étonnante propension à reprocher à autrui des défauts dont nous nous accommodons très bien pour notre compte, parce que nous savons parfaitement nous les déguiser.

PSYCHANALYSE
Je n’ai rien contre la psychanalyse, mais la présenter comme une science, alors qu’elle n’en aucune des caractéristiques, constitue un abus de langage aussi manifeste que scandaleux, et une tromperie sur la marchandise de nature à affaiblir sa position bien plus qu’à la renforcer.
Plus généralement, il convient de rappeler en toute occasion qu’au même titre que la dénomination usurpée de « sciences économiques », l’expression « sciences humaines » constitue un redoutable oxymore…

PUNITION
Refuser toute punition est absurde. Accepter l’idée qu’il puisse y avoir punition c’est reconnaître que l’on est responsable de ses actes et qu’il est légitime qu’ils entraînent des conséquences. Un tort commis appelle réparation. Une punition doit être intelligente, sous peine de devenir une brimade ; on n’est plus alors dans la rétribution par la justice, mais dans un rapport de forces imposé par un pouvoir.
Si quels que soient tes actes tu peux échapper à leurs conséquences, il n’y a aucune raison que tu ne fasses pas n’importe quoi. Il est impossible d’éduquer qui que ce soit sans donner des repères précis en matière de responsabilité. Dans tous les domaines et quel que soit le niveau social, l’impunité rend impossible la vie en société.

RADOTAGE
D’aucuns diront que je me répète, que je tourne en rond. Ils auront raison. Je tourne en rond autour de certaines idées capitales, de certaines valeurs essentielles, de certains principes fondateurs, pour tenter de mieux les cerner, et de les rappeler à notre stupéfiante indifférence, à notre désastreuse passivité devant leur destruction progressive par les hommes de pouvoir et de profit.

RECULER
Les débrouillards reculent pour mieux sauter. Les prudents, plus sages, reculent pour mieux ne pas sauter.

REGARD
Ce qui pour moi compte en peinture, c’est ce que j’appellerai faute de mieux la qualité du regard. Les peintres que j’aime, Carpaccio, Bellini, Botticelli, Vermeer, Friedrich, Turner, Van Gogh, ont en commun une extraordinaire qualité de regard.

REPÈRES (perte de)
On ne peut qu’être épaté par l’infernal toupet des VIPs actuels. Naïvement, à chaque nouvelle escalade, on se dit : « Ça y est, le comble est atteint, impossible d’aller plus loin… »
Et chaque fois on se trompe.
Il est des signes qui ne trompent pas. Tout indique que les « élites » cooptées actuelles ont définitivement perdu les pédales. Grisées par le pouvoir, droguées par le fric, encouragées par l’impunité, elles se croient affranchies de tout devoir moral alors qu’elles ont simplement perdu tout repère en même temps que toute dignité.
À la fois irresponsables et criminelles, elles s’étonnent d’un pourrissement sociétal dont elles sont la cause et la conséquence, et qu’elles ne cessent d’encourager par l’exemple.
On n’en finirait pas de citer les dérapages consternants qui montrent l’incroyable inconscience et l’ahurissante stupidité des people – à un tel degré d’insanité on n’ose croire que le cynisme soit tout à fait conscient.
Parachutes dorés et retraites chapeaux, Didier Lombard et la mode du suicide et la pêche aux moules, Frédéric Mitterand et le tourisme sexuel, Polanski et le deux poids deux mesures, Martin Hirsch et l’idée de payer les élèves qui daignent faire acte de présence, l’imposition des indemnités pour accident du travail et le bouclier fiscal. Perte du sens moral, perte de la langue, la décomposition s’opère aussi vite que le réchauffement : nous vivons l’apocalypse d’une civilisation.
Le commun dénominateur est bien évidemment le règne du fric, l’argent roi.
Voir CORRUPTION

RESPECT
Le problème, ce n’est pas que « les gens ne respectent plus rien », c’est qu’ils ne se respectent plus. Logique : la plupart d’entre nous exigent un respect qu’ils refusent de se donner la peine de mériter.

RÊVE
Mes obsessions, comme de juste, me poursuivent jusque dans mes rêves, où elles se frayent parfois d’assez réjouissants chemins : c’est ainsi que l’autre jour, à l’aube, ma petite sœur par deux fois me présentait des « œuvres d’art » qui lui plaisaient, qu’elles trouvaient intéressantes. À mes yeux, elles étaient habiles mais inhabitées ; les deux fois, je faisais donc la moue et disais : « Non, ça ne m’intéresse pas beaucoup », ce qui avait naturellement le don de l’agacer…
La seconde fois, il s’agissait d’un buvard sur lequel une feuille de papier ivoire était reproduite une trentaine de fois, réduite à la taille d’un très petit timbre-poste, créant ainsi une sorte de damier dont les cases ne se toucheraient pas. Parfaitement lisse au départ, cette feuille minuscule était un peu plus froissée à chaque fois, tout en gardant à peu près sa forme rectangulaire.
Manifestement, le créateur, l’artiste, avait voulu évoquer par ce symbole aussi subtil que puissant le passage irréversible du temps et donner un foudroyant résumé, non seulement de la condition humaine, mais du destin universel.
Faut-il que je sois béotien pour avoir trouvé que ce chef-d’œuvre n’était qu’une triste daube !
Ma seule excuse est que c’était en rêve, et chacun sait que l’inconscient manque totalement de discernement en matière de symbolique…

RÊVEUR
J’ai toujours été un grand rêveur. Par exemple, je voudrais que tout le monde m’aime, et tout le temps, alors que je n’aime pas tout le monde, tant s’en faut, et personne en permanence. C’est dire combien je reste humain, et indécrottablement humain moyen.

RÉVOLTE (préventive)
Si j’étais absolument sûr d’être capable de résister à une autorité illégitime, je serais moins prompt à me révolter.
Mais je ne sais que trop combien notre détermination à tous est fragile…

RONIS
Je n’aime pas les stars et n’ai aucune envie de les rencontrer. Ça tombe bien : Ronis n’en était pas une. S’il y a une vie après la vie, j’espère avoir un jour la chance de le rencontrer, ne serait-ce que cinq minutes. C’est un des rares êtres dont je pourrais dire qu’il m’a rendu meilleur.
Depuis toujours ses photos m’épatent et m’enchantent : Ronis, c’est la simplicité dans la perfection, la perfection atteinte à travers la simplicité. Une sorte de Vermeer de la photo, un des très rares photographes qui soit réellement un artiste.
Ronis ne fait pas dans l’effet, mais ses photos sont toujours d’une incroyable justesse.
Je suis heureux qu’on n’ait pas attendu sa mort pour commencer à lui rendre justice.

RUPTURE
Rupture, la tentative de régression tous azimuts qui constitue la seule logique guidant les choix politiques de Sarkozy ? Marche arrière toute, oui ! Et si rupture il y a, c’est avec les principes et les progrès qui donnaient un sens, si précaire soit-il, à la république française et à ses tentatives pour établir un régime démocratique.

SACRIFICES
Le bonheur ne se conquiert pas à coup de sacrifices, que ce soit en se sacrifiant ou en sacrifiant autrui. L’effort et le don de soi ne sont pas des sacrifices, mais des plaisirs suffisamment égoïstes pour porter de vrais fruits. Les sacrifices ne donnent jamais que des fruits secs, aussi amers pour eux qui les font que pour ceux qui en profitent.

SCIENCE
Les tenants de la science mécaniste qui pensent que la technologie peut constituer la solution au problème que pose à l’humanité le fait que son développement a atteint une sorte de masse critique sont de véritables dangers publics. Tout en encourageant notre tendance à la bonne conscience, ils favorisent notre propension à jouer les autruches. La fuite en avant scientifique, comme le prouvent les « progrès » des deux cents dernières années, pose au moins autant de problèmes qu’elle n’en résout.
D’une façon générale, la philosophie des lumières, philosophie de citadins ayant peu à peu perdu tout contact avec la réalité du biocosme, est éminemment dangereuse par son goût immodéré pour ce que j’appellerais le volontarisme abstrait. Les lumières, ce n’est pas le règne de la raison, mais la dictature du rationalisme, c’est la naissance de l’idéologie triomphante et de l’anthropocentrisme délirant. Le début de beaucoup de belles et bonnes choses certes, mais aussi le commencement de l’horreur systématique. Rien de plus rigoureusement rationnel que la solution finale…
Les Lumières, un début ? Oui, le début de la fin. Les Lumières ont tué l’humanisme, ravagé la planète et rendu l’humanité schizophrène.
Ce qui reste de la philosophie des lumières aujourd’hui, c’est la venimeuse connerie d’un Philippe Val, la stupide arrogance d’un Claude Allègre, ou le mépris écœurant d’un Didier Lombard.
Voir LUMIÈRES

SOPHISTICATION
Lisant, ou plutôt essayant de lire, Albert Cohen, je constate que, quand elle ne se hisse pas au niveau d’un Proust ou d’un Pessoa, la sophistication est presque toujours profondément ennuyeuse. C’est que la plupart des êtres sophistiqués sont avant tout des gens qui s’ennuient, et que pour s’ennuyer dans l’existence qui nous est offerte, il faut être essentiellement superficiel. D’où ces laborieuses tentatives de légèreté, d’où ces interminables bavardages qui tentent assez vainement de dissimuler un dérisoire vide existentiel.
Même en littérature, les séducteurs manquent d’amour, et ça se lit.
Si nous voulons réellement être à la fête, allons au fait.
Voir COHEN (Albert)

SOPHISTICATION
Dans un registre différent, le dernier film de Tarantino me laisse sur un singulier malaise. Brillant et intelligent (ça ne va pas toujours ensemble, heureusement…) durant près de deux heures, il tourne au grand-guignol dans la dernière demi-heure. Il y a quelque chose de malsain dans cette fiction qui s’exhibe comme telle et finit par prendre si lourdement les choses à la légère que non seulement on n’y croit plus, mais on n’a plus envie d’y croire.
C’est que le cinéaste semble encore plus manipulateur que son réjouissant bourreau, et seulement pour le « fun », ce qui à la longue n’est franchement pas drôle.
Tarantino a beaucoup de talent, mais à quoi sert-il ? Voilà un film qui ajoute à l’universelle confusion des valeurs. Le jeu n’est pas la vie, et la guerre n’est pas une partie de poker. La dérision ambiguë de ce film très bien ficelé me gêne en ce qu’elle exprime parfaitement la vacuité du regard que notre époque porte non seulement sur elle-même mais sur celles qui l’ont précédée.
Ce qui me fait peur, c’est que les clichés complaisants qui nourrissent "Inglorious basterds" me semblent relever de la redoutable mode actuelle qui consiste à envisager l’histoire comme un réservoir où puiser pour colorier le storytelling dominant. Car, n’en déplaise aux exégètes cathos décoincés de Télérama, il pue sérieusement, le rapport à l’histoire de cette BD trash qui sous prétexte de condamner la guerre et ses horreurs renvoie pratiquement dos à dos tous les protagonistes…
Comme si tout vider de son sens était devenu le seul moyen de rendre un sens à cette vie de fous que nous nous acharnons à mener.
Voir SUPPLÉMENT (d’âme)

STORYTELLING
J’aime raconter des histoires, mais je n’aime pas qu’on me raconte des histoires.

STYLE (figures de)
Utilisées trop consciemment, les figures de style se réduisent à elles-mêmes, c’est à dire à l’effet qu’elles produisent, indépendamment de ce qu’elles pourraient signifier. Devenues systématiques, elles ne font plus image, et leur usage mécanique leur fait perdre la force que l’émotion qui les produit pouvait engendrer.
Dans tous les arts, le truc n’est pas seulement une facilité, mais une tricherie.

SUPPLÉMENT (d’âme)
Un art qui ne s’intéresse qu’à la forme ou à l’idée engendre vite l’ennui. Livrées à elles-mêmes, ni la forme ni l’idée n’apportent jamais ce supplément d’âme qui confère à l’art son mystère et constitue selon moi sa véritable raison d’être. Je n’ai rien contre les recherches formelles, mais si exigeantes soient-elles, elles ne suffisent pas pour atteindre la transcendance. Quand l’intelligence ne débouche pas sur l’émotion, elle n’est qu’une habile masturbation : laquelle, même réussie, ne donne qu’une bien pauvre idée de l’orgasme. Ersatz, fausse monnaie !
Voir ART CONTEMPORAIN et TARANTINO

SURVIVANCE
Ce soir, la lune croissante, à demi pleine, s’auréolait d’une mince écharpe de nuages où jouaient les couleurs irisées d’un halo à peine visible.
Impossible de ne pas revoir aussitôt « Le Halo », ce grand tableau de mon arrière-grand-père Adrien Demont. La similitude est frappante, le peintre a juste éclairé le paysage un peu plus que ne le fait en réalité la lune.
Et je dis tout à coup à ce ciel que la peinture me rend plus proche et plus familier sans en diminuer l’immensité, et où flotte, au moins pour moi, le souvenir de mon ancêtre : « Je ne sais pas si tu es ou si tu n’es plus, mais tu es, et cela m’aide à être à mon tour. »

SYSTÈME (esprit de)
Rien de plus bête que l’optimisme systématique !
Si : le pessimisme systématique.
Cioran semble parfois n’être venu au monde que pour en témoigner.

TAPPEL
Il est des réputations injustifiées. On dit la justice conservatrice. Elle n’est pourtant pas fermée à l’innovation, même la plus audacieuse, si j’en juge par ce que j’entends dire à une envoyée spéciale de France 2, Stéphanie je ne sais qui, à propos de l’affaire Polanski : « Ses avocats pourraient faire tappel ». De mon temps, on pouvait seulement faire appel. Il est bon que comme toute chose les langues évoluent ; mais je ne trouverais pas mauvais que les journalistes missent en pratique cette vieille recommandation parentale qui revenait comme une rengaine chaque fois que nous abusions de la parole : « Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler. »
Si la charmante Stéphanie veut que je lui pardonne cet écart de langage, qu’elle se garde de faire tappel à mon indulgence !

TÉMOIGNER
On ne peut témoigner que de ce qu’on est, pas de ce qu’on voudrait être, et encore moins de ce que les autres voudraient qu’on soit. C’est pourquoi il y a tant de faux témoins.

TESTS
Il serait grand temps d’instituer pour les candidats à des fonctions électives des tests de QI et de santé mentale, ainsi qu’une épreuve de français obligatoire. On éviterait ainsi de voir parader dans les allées du pouvoir d’incroyables badernes, les Estrosi, les Lefebvre, et tant d’autres.

THÉÂTRE
Ce n’est pas pour le cinéma qu’on fait autour que j’ai aimé le théâtre, mais parce que vrai ou faux, tout s’y montre à nu. Toute la mythification qui l’entoure ne sert qu’à faire oublier ce terrible et exaltant moment de vérité qui jaillit du vrai théâtre. Ce qui fait peur dans le théâtre, ce n’est pas qu’il soit illusion, c’est que, réussie, cette illusion devient un instant plus vraie que la réalité.

TITIS (gros)
Elle arborait une superbe paire de ces seins majestueux qui inspirent le respect – et l’envie d’en manquer. Tant, si souvent, ils nous manquent.

VALSE HÉSITATION
J’ai parfois de parfaites envies de suicide. Mais en même temps, c’est trop beau, je ne veux rien louper. En Ubaye, presque tous les matins, le monde a l’air de renaître. Ce n’est donc jamais le moment de s’en aller.

VERT
Je me suis toujours demandé pourquoi le théâtre a horreur du vert, couleur que j’aime autant que toutes les autres. Est-ce parce que le vert rappelle forcément la nature et que la nature n’a pas sa place au théâtre, qui est tout artifice ?

VIEILLIR
Je n’ai aucune envie d’entrer en compétition avec le jeune homme que j’étais il y a quarante ans. Bien vieillir, c’est savoir qu’on a tout à perdre à vouloir rester le même et beaucoup à gagner à se voir comme on est.

VIEUX CON
Ce qui peut sauver les vieux cons, c’est de garder leurs idées de jeunes cons. Ça compense la panse.

VIOLENCE
Ivan Levaï a beau jouer à l’humaniste, il reste à mes yeux un bel exemple de la violence feutrée des bourgeoisies élitistes et de leurs hérauts, toujours prompts à se réclamer de valeurs qu’ils se gardent bien de pratiquer, et à dénoncer ceux qui ne les pratiquent pas comme il leur convient, c’est à dire à leur service exclusif.
Il y a chez ce journaliste un peu blet un côté benoîtement ignoble qui me rappelle irrésistiblement l’onctueuse férocité des pharisiens si justement dénoncée par un certain Jésus…
Le plus effrayant chez ces élites qui n’en sont pas, c’est leur tranquille bonne conscience, cette espèce de certitude que le bon droit est toujours de leur côté – ce qui n’est que normal, puisqu’à leurs yeux le droit se confond automatiquement avec leurs intérêts privés.
Noyer le poisson avec bonhomie, c’est à quoi s’entend Ivan Levaï.

VIOLEUR
J’ai toujours eu bien trop d’amour-propre pour violer qui que ce soit. Rien de plus humiliant que de forcer la main à quelqu’un.

VOLONTARISME
Le pessimisme méthodique me paraît valoir bien mieux que l’optimisme volontariste, ne serait-ce que parce que pour résoudre les problèmes que nous rencontrons, la première chose à faire consiste à en prendre conscience et à ne pas les nier ni les minimiser.
La pensée positive est un de ces doux euphémismes dont notre civilisation portée aux vapeurs s’est fait une spécialité ; ce que les optimistes décorent de ce nom flatteur, c’est notre incoercible propension à jouer les autruches dès que la réalité ne comble pas nos vœux les plus irrationnels.
Dénoncer les pessimistes et refuser de prendre en compte leurs analyses comme l’ont fait tant de bonnes âmes au nom d’un volontarisme obtus, c’est en fin de compte prendre le parti des maffieux de tout poil en aidant les peuples à s’aveugler, et c’est accélérer la catastrophe en cours tout en contribuant à empêcher de l’atténuer autant que faire se peut.
Admettre enfin que nous sommes en plein désastre serait notre seule chance de limiter un peu les dégâts et d’essayer de nous en sortir, étant bien entendu que l’issue ne dépend plus réellement de nous, mais de notre biosphère, qui a repris la main et fera le nécessaire pour retrouver un équilibre que nous avons réussi à lui faire perdre, et que nous sommes incapables de lui rendre.
Grâce notamment à notre volontarisme et à notre inoxydable optimisme, nos contradictions sont devenues insolubles. Nous sommes désormais trop nombreux et avons trop de pouvoir pour que la mise en œuvre permanente de contradictions toujours plus schizophréniques ne soit pas obligatoirement autodestructrice.
Ce qui me rend pessimiste, c’est précisément le fait que j’ai des enfants, que je les aime et que malgré nos cris d’alarme pourtant fondés, on nos a accusé depuis trente ans de jouer les Cassandre, oubliant que si les troyens avaient écouté cette visionnaire, ils auraient sauvé leur cité.
Un optimiste dépourvu de lucidité, ce n’est jamais qu’un imbécile. Au jour d’aujourd’hui, il faut manquer singulièrement de lucidité pour être optimiste.

VULGARITÉ (comble de la)
Rien n’est plus proche de la vulgarité que le raffinement. Suffit qu’il devienne excessif. C’est sa pente naturelle.