ACTES
Si tu laisses de côté le discours de camouflage pour ne t’occuper que des actes du gouvernement actuel, tu t’aperçois vite qu’ils vont tous dans la même direction : l’installation progressive, sans tambours ni trompettes, sans bottes ni pas de l’oie, d’une dictature oligarchique néo-libérale qui dans les faits sinon dans les mots exalte les mêmes valeurs et aboutit aux mêmes résultats que les dictatures fascistes, si on définit ces dernières comme la prise en main de l’appareil d’état et sa mise au service d’une clique mafieuse décidée à soumettre les masses, quitte à les entraîner dans le mur, pour satisfaire leur mégalomanie, leur avidité, leur frénésie de pouvoir et de profit.
Comme avec les nazis, le rideau de fumée des principes, d’autant plus solennellement affirmés qu’ils sont en même temps allègrement violés, et le recours permanent au discours de la « légitimité démocratique » au moment même où elle est de plus en plus systématiquement et ouvertement contournée, sont là pour « autoriser » le citoyen moyen à se laisser aller à sa paresse et à sa lâcheté, pour le désorienter, le dégoûter et le mener à rejoindre le troupeau dans la passivité léthargique de ces proies qui espèrent échapper au pire en se faisant toutes petites et immobiles, en une mort prématurée censée leur éviter la destruction qui les guette.
J’écrivais ceci il y a trois mois. L’abstention aux deux tours des régionales et les réactions du gouvernement et de ses séides me semblent confirmer ce diagnostic « pessimiste ». Ce que mettent aussi sous une lumière crue ces élections, c’est la différence entre ce que j’appellerai charitablement la petite intelligence de l’actuel président, cette intelligence égotique, autiste, calculatrice et manipulatrice, tout entière tournée vers le court terme et prête à toutes les compromissions, et la véritable intelligence, désintéressée et visionnaire, qui embrasse le passé et le futur pour créer du présent, œuvrant non pour une clique de prédateurs et une clientèle de nantis, mais en vue du bien commun.
En ce sens, la comparaison avec un Obama est terrible pour ce politicien à la petite semaine qu’a toujours été et sera toujours Sarkozy.
Entre un homme politique digne de ce nom et le sarkozhistrion, il y a toute la différence entre un gamin mal élevé et un adulte responsable.
Voir INFÂMES et SORDIDE

ADAPTABILITÉ
L’adaptabilité, voilà la solution ! clament en chœur les adeptes de l’assez stupide et faussement original concept de résilience. Mais l’adaptabilité est aussi le problème. Notre drame, c’est que nous nous faisons à tout.
L’adaptabilité que nous vante le libéralisme, qui y trouve son compte, n’est le plus souvent qu’une forme élaborée de lâcheté. Il est bon d’être omnivore, pas forcément d’accepter de manger de la merde. Et si le chêne peut être foudroyé, le roseau ne montera jamais bien haut.

AMBITION
Je n’ai jamais cherché le profit ni le pouvoir, ni même la « réussite ». Chaque fois que je m’en suis approché d’un peu trop près, j’ai vite reculé, de peur de m’y brûler ou de m’y aveugler.
Non que j’eusse peur de l’argent, du pouvoir ou du succès ; c’est de moi que j’avais peur, conscient que j’étais du risque de me perdre et mon âme avec moi dans le marigot des ambitions, toujours d’autant plus déçues qu’elles ont été accomplies. Rester soi-même m’a toujours paru plus important que réussir.
Je n’ai jamais été sûr d’être assez fort pour résister à mon propre pouvoir, assez honnête pour n’être pas acheté par mon argent, assez modeste pour ne pas faire de ma réussite un échec.
Et puis, je ne sais que trop que quand on a atteint son sommet il ne reste plus qu’à redescendre.

AQUARELLES
La plupart des aquarelles que j’ai vues restent prisonnières de l’aquarelle…
Turner a pourtant donné l’exemple de ce que l’aquarelle ne prend sa vraie force qu’à condition de s’émanciper d’elle et de la traiter pour ce qu’elle est : une peinture à part entière.

AUTODÉNIGREMENT
Dans « Esprit critique » sur France-Inter, un journaliste dit ce matin de Franz-Olivier Giesbert qu’il est très bon dans l’autodénigrement. Pas étonnant : le sujet s’y prête.

CADEAUX
Les cadeaux peuvent à l’occasion entretenir l’amitié. Jamais en tenir lieu. Tel est pourtant le rôle que nous leur assignons très souvent. Quitte à nous étonner – hypocrisie de l’inconscient ! – de l’ingratitude de ceux dont nous voulions acheter l’affection au moindre prix, et qui se contentent en toute logique de nous rendre la monnaie de singe de notre pièce…

CAPACITÉS
L’on ne fait jamais que ce qu’on peut, mais on peut toujours bien plus que ce qu’on croit pouvoir.

CHANGEMENT
Contrairement à ce que croient les mordus du progrès, on peut être aussi prisonnier du changement qu’on peut l’être du conservatisme. Le changement est une drogue dure, et ceux qui y sont accros, en bons drogués, ne sont guère regardants sur la qualité de la daube, pardon, de la dope qu’on leur refile…

CIORAN
Je n’avais rien lu de Cioran. Grâce à un vrai ami, je veux dire quelqu’un qui me prête Cioran au lieu de m’en parler, j’aborde aujourd’hui ce rivage désolé. Pour m’apercevoir qu’à certains égards je faisais du Cioran sans le savoir, en moins systématique j’espère.
Cioran tape comme un sourd et, à force, souvent dans le mille. Mais à taper en tous sens, il finit aussi par taper à côté, et à force de vouloir enfoncer le même clou en vient à se taper sur les doigts.
Il semble faire partie de ces masochistes qui s’acharnent à passer à côté de l’essentiel sous prétexte qu’ils ne peuvent pas le vivre en permanence.
Beaucoup d’entre nous fonctionnent ainsi : si je ne peux pas tout avoir, je ne veux rien.
Au bout du compte, Cioran ne pardonne rien à la vie parce qu’il ne supporte pas de n’être pas Dieu. En cela, il est bien moins original qu’il ne le croit…
Voir ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

CLASSE
Si l’on veut savoir ce que signifie le mot classe, il faut lire Chamfort, Laclos, Musset, Gautier, Nerval. Chez eux et quelques autres, le français est une langue souple comme un fouet, avec toute l’élégance de cette précieuse fausse désinvolture par laquelle un auteur fait partager à son lecteur le fruit de son travail sans lui imposer l’effort qui l’a engendré.
Leur aisance de ton souveraine donne à tout ce qu’ils écrivent un caractère de distinction naturelle que nous avons tout à fait perdu, occupés que nous sommes à tenter de convaincre au lieu de suggérer.

COMPÉTENCE
Pas besoin d’être très intelligent pour savoir comment fonctionnent les imbéciles. Suffit de redescendre à leur niveau. Nous en sommes tous capables, et souvent même sans le faire exprès…

CONFINS
Mon travail, particulièrement quand je peins, mais aussi en tous domaines et depuis toujours, consiste à tenter d’explorer la limite entre fini et infini, à aller toujours plus loin vers les confins.
Voir CONTINUITÉ

CONFUSION
L’art contemporain est aussi triste que la chair contemporaine. Ce n’est pas par hasard que l’une des grandes prêtresses du discours de l’art de marché, tout comme elle confond créativité et création, réflexion et communication, critique et publicité, cherche dans le sexe un remède à l’absence d’amour, et n’oublie surtout pas de mettre en scène cette pitoyable quête pour lui faire rendre tout le profit qu’on peut espérer d’un « scandale », si anodin et conformiste soit-il.
Le sexe façon Catherine Millet, c’est comme l’art façon ArtPress : très prétentieux, très con, très chiant, comme chaque fois que la mécanique l’emporte sur la vie.
Courir après tout ce qui peut s’échanger ou mieux encore se vendre, telle est la pauvre recette d’une société de consommation qui fait tout pour oublier de regarder en face cet essentiel qui la terrorise : à chaque instant, il est temps de vivre.

CONSÉQUENCE
À partir du moment où c’est l’économie qui prime, quel que soit le système politique la corruption s’installe.

CONTINUITÉ
Quand j’y regarde de près, ce qui me saute aux yeux, c’est que dans tout ce que j’ai tenté de faire, j’ai cherché à incarner l’universel dans le particulier, à découvrir l’infini à travers le fini.
L’écriture, le théâtre, l’improvisation, la peinture, dans chaque domaine j’ai poursuivi la même quête, mené la même démarche.
Qui conduit d’elle-même à toujours plus de dépouillement : mon éloge de la fadeur ne s’arrête pas à la peinture, mais se retrouve dans l’évolution des Remarques en passant vers la maxime lapidaire.
Essayer de faire plus avec moins, c’est peut-être le meilleur moyen de découvrir l’infini dans le fini.
Voir CONFINS

CRÉER
Nous sommes tous pareils en fin de compte : si tu ne crées pas, tu crèves. Créer ou crever, notre seul dilemme. Par voie de conséquence, peu importe ce que tu crées, l’acte compte plus que l’objet et même que le résultat.

CROTTES
Le problème ne se limitant pas à la Vallée de l’Ubaye, comme j’ai pu de nouveau le constater à Venise tout récemment, et comme je vais sûrement m’en apercevoir à Paris prochainement, je reproduis ici le texte que j’ai commis sur ce sujet pour notre revue locale :
« Il n’y a pas qu’en ville. Le long des chemins de la digue, très fréquentés par de nombreux piétons, les crottes fleurissent toute l’année en aussi grand nombre que les pissenlits au printemps, et le promeneur peut admirer la perspective d’une route où elles sont disposées avec une élégante régularité à peu près tous les trois mètres, ce qui donne à tout bipède tant soit peu distrait ou inapte au slalom une très honnête chance d’y mettre les pieds – ou pire.
Ce n’est évidemment pas la faute des hommes et des femmes, dont personne de sensé ne peut attendre qu’ils se comportent de façon responsable, mais de leurs propriétaires, les chiens, qui trop souvent manquent du savoir-vivre le plus élémentaire et adoptent, quand ils promènent leurs chouchous, un comportement d’un égoïsme inadmissible.
Il serait grand temps que les chiens se décidassent à éduquer leurs animaux de compagnie, de sorte que ceux-ci cessent de laisser traîner un peu partout leurs excréments. Les chiens doivent prendre conscience que laisser ainsi divaguer leurs amis humains porte gravement atteinte à leur image de marque. Il est clair que les êtres humains comptent parmi les animaux les plus frustes et les moins susceptibles d’un comportement décent ; raison de plus pour que leurs maîtres chiens réalisent qu’il leur appartient de les dresser, au besoin avec toute la sévérité nécessaire, afin de les rendre, sinon un peu plus dignes de respect, du moins un peu moins nuisibles à la communauté.
Il serait infiniment regrettable que devant l’impossibilité d’éliminer du paysage les déjections humaines les autorités compétentes se voient contraintes d’envisager l’éradication de ces charmants compagnons de nos solitudes canines. Car que deviendraient les chiens, qu’ils y songent, sans l’amitié de leurs un peu pénibles, un peu égoïstes et obtus, mais ô combien fidèles compagnons à deux pattes ?
Si les chiens souhaitent que leurs serviteurs humains soient acceptés de tous, l’incivilité révoltante que constitue le fait de les laisser déféquer partout doit cesser. C’est une question de bon sens autant que de principe. La gent canine s’est donné pour but il y a des millénaires de civiliser autant que possible l’espèce humaine. Tâche certes difficile, presque impossible, diront les mauvaises langues, mais d’autant plus exaltante que presque tout reste à faire !
À l’exemple de nos frères les chiens de traîneau, n’hésitons plus à nous atteler à cette entreprise prométhéenne et à dire une fois pour toutes merde aux crottes ! »

CUISINE
Une des qualités d’une bonne cuisine chinoise, vietnamienne ou thaïe, c’est d’être vibratoire. Sa saveur ne cesse de s’estomper pour se recomposer, irisée comme un arc-en-ciel ; j’en avais pris conscience il y a près de vingt ans en regardant flotter, à travers le rideau de chaleur ondulant du réchaud à catalyse, le gros caractère chinois doré en relief sous l’aquarium du restaurant où je déjeunais souvent à l’époque à Digne.
La cuisine polychrome du patron, presque un ami, qui m’accueillait toujours d’un nasillard et ironiquement respectueux : « Bonjour, Professeur ! » accompagné de la demie courbette syndicale chère aux orientaux dans leurs rapports avec les barbares occidentaux, me permettait, contrairement aux steack-frites surgelés des bars et brasseries enfumés, de reprendre mes cours l’après-midi sans m’endormir en chaire, et même avec une certaine alacrité…

CUISINES
J’ai toujours préféré les cuisines raffinées qui ont l’air simple aux cuisines ostensiblement compliquées qui n’ont en fait que l’apparence du raffinement et toute la vulgarité de l’excès. De ce point de vue, la cuisine d’Al Colombo, le restaurant vénitien de mon ami Alessandro Stanziani, est l’une des meilleures que je connaisse.

CYNISME
Beaucoup de cyniques ne le sont que par idéalisme déçu. Ils ne demanderaient qu’à croire, mais leur enthousiasme a été trop souvent douché pour qu’ils ne cherchent pas à se prémunir contre le désespoir par une ironie désenchantée dont la cruauté les blesse autant qu’elle les soulage.

DÉCLINER
Je déteste décliner : on décline un procédé, vraie façon de sceller le déclin de l’intelligence. Je préfère explorer un phénomène, seule façon de le comprendre, puis de l’aimer, et de se rendre compte pour finir qu’on ne l’a pas épuisé, qu’on ne l’épuisera jamais, et que là réside la joie de créer.

DÉPRIME
Nous ne sommes pas nés pour être déprimés. La déprime est une création humaine, de toutes la plus inhumaine, le triomphe de l’esprit de mort sur l’esprit de vie.

ÉCHELLE (changement d’)
Nous ne voulons pas le voir. Dommage : il explique à peu près tout. Mais parce qu’il est on ne peut plus réel, si nous ne changeons radicalement de regard il nous demeure incompréhensible.

ÉLITE
Une élite digne de ce nom ne se prendrait pas pour une élite, et ne chercherait pas à prolonger son pouvoir, mais à le partager. Une élite qui se présente comme une élite n’en est déjà plus une, à supposer qu’elle l’ait jamais été.

EMBARRAS
J’entends souvent dire, comme si c’était un privilège : « Tu n’as que l’embarras du choix ». Mais de tous les embarras, le plus embarrassant est bien l’embarras du choix, et d’autant plus que c’est en effet un privilège…

ÉPUISEMENT
C’est la sensation que je ressens quand j’entends ce brave Stéphane Paoli écorcher lui aussi une langue pour laquelle il a plus de respect que d’affinités : « On n’a pas fini d’épuiser la question… » conclut-il son émission de ce samedi. Hélas non !

ÉQUILIBRE
Il faut des Cioran pour nous aider à ne pas aller trop loin. Mais il n’en faut pas trop, on n’irait pas loin.
Voir CIORAN, FOI, INDIVIDUALISME, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

FASCINATION
Je n’en ressens aucun plus forte que celle qui me subjugue quand je me trouve au milieu d’une de ces lagunes qui ont l’air mortes et dont les eaux plates grouillent d’une vie d’autant plus ardente qu’elle demeure invisible sous leur surface miroitante.

FAUSSE MONNAIE
La question qui se pose une fois de plus après ces régionales et que je ne cesse de me poser depuis qu’il est entré en politique comme un renard entre dans un poulailler, est toute simple : Comment Nicolas Sarkozy a-t-il pu vendre à tant de citoyens supposés adultes son plomb pour de l’or ?
Un plomb particulièrement vil, qui plus est, et particulièrement mal déguisé. Faut-il que la peur soit ancrée parmi nous pour que tant de moutons crient au berger quand des loups, la gueule enfarinée, leur proposent benoîtement de les croquer tout crus !
Si seulement ce lamentable épisode pouvait réveiller nos concitoyens (je finis par me demander comment je dois écrire ce mot…) et leur apprendre une fois pour toutes que la verroterie ne passe pour du diamant qu’auprès des imbéciles, je me consolerais d’avoir dû endurer ce sommet d’indécente stupidité humaine et politique qu’aura été le ridicule et désastreux « règne » de notre ô combien minuscule président.
Mais si j’en juge par le passé, les faux-monnayeurs ont encore de beaux jours devant eux.

FOI
Il ne pouvait vivre sans une foi. Refusant de croire en la vie, Cioran a mis son espoir dans le néant, qui l’a comblé en retour.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

GÉNIE
Il va de soi que les gens qui n’en ont aucun sont les premiers à dire que le génie n’existe pas.

GÉNIES
Impression persistante que nous sommes passés de l’ère des grands génies à celle des « p’tits génies ». Nous vivons le triomphe de l’astuce sur l’intelligence. Le monde est-il vraiment trop complexe pour pouvoir être embrassé tout entier ? Je n’en suis pas si sûr, je crois plutôt que nous avons appris à ne plus le voir que de près. Noyés dans l’infini des détails, nous n’avons plus le recul nécessaire pour percevoir l’infini.

GOUJAT
Trichet, prototype du goujat bien élevé, qui crache avec élégance dans la soupe des autres.
C’est à vrai dire la spécialité des banquiers, ces artistes de la goujaterie enrobée, must du savoir-vivre mondain.

GROTESQUE
À bien y regarder, la caractéristique première de ceux que j’appelle les hommes de pouvoir, c’est le ridicule : plus ils l’aiment, plus ils sont grotesques. Aucun n’y échappe : Mussolini, Hitler, Bush, Berlusconi, Sarkozy : odieux, certes, infâmes, souvent, mais avant tout parfaitement ridicules.
Non seulement le ridicule ne tue pas, mais il mène au pouvoir.
Le ridicule ne tue pas, mais les ridicules finissent souvent par tuer. Plus elle est dérisoire, plus la mégalomanie, dans son implacable volonté d’être prise au sérieux, tend à rejoindre l’horreur.

HISTOIRE (de France)
Sarkozy y aura sa place, mais pas celle qu’il aurait voulu. Il y restera non seulement comme l’un des plus odieux et nuisibles politiciens que notre pays ait eu le masochisme de s’infliger, mais encore comme le plus ridicule de tous les hommes de pouvoir qui y ont exercé leur sinistre activité.
La compétition est pourtant féroce, mais il emporte la palme : jamais personne n’a autant cherché à péter plus haut que son cul. Il est vrai que dans son cas ce n’était pas la mer à boire.

IMPÔT
Jean Klépal m’envoie cette citation extraite de « L’ancien régime et la révolution » d’Alexis de Tocqueville (Livre II, ch. X, p. 1013, col. Bouquins, Robert Laffont) :
« Du moment où l’impôt avait pour objet, non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l’épargner au riche et d’en charger le pauvre (...) De là vint cette prodigieuse et malfaisante fécondité de l’esprit financier ... »
C’est particulièrement triste à dire, puisque cela implique que l’humanité ne tire jamais les leçons de ses erreurs, mais nous devrions enfin nous souvenir que si le monde change, les mêmes causes continuent à produire les mêmes effets…

INDIVIDUALISME
Cioran paie le prix d’un individualisme si forcené que pour son malheur il finit par se suffire à lui-même. Or Cioran est exigeant : se suffire à lui-même ne lui suffit pas. De sorte que s’il touche le prix douteux qu’offre la renommée à toutes les entreprises extrêmes, qu’elles soient utiles ou néfastes, vertueuses ou criminelles, il en reçoit aussi l’équivoque récompense : exister sans vivre n’est guère plus passionnant que vivre sans exister.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

INFÂMES
Comment ne pas mépriser les hommes politiques d’aujourd’hui quand on vient d’écouter Copé enfiler des insanités pendant toute une émission ? Infâme, sa façon de s’indigner que Proglio « soit jeté aux piranhas » ! Qu’ont à craindre des piranhas les requins ? Et Copé de se démasquer en déclarant dans la foulée qu’il faut créer des systèmes « pour éviter les pires abus ». Les abus normaux, ça passera toujours, mais les pires, c’est trop voyant…
Ces gens-là, qui nous agressent avec la dernière violence, ce sont eux qui se sentent agressés quand nous tentons de nous défendre contre leurs attaques !
Voyez les ignobles discours de l’actuel premier ministre entre les deux tours des régionales, et ses effarantes tentatives de récupération. Cet homme-là trompe son monde. Il y a quelque chose d’inquiétant dans l’allure policée de garçon coiffeur endimanché qui sert de masque à son incroyable violence et à son inoxydable mépris pour tout ce qui n’est pas de son monde : j’ai toujours détesté la gomina, elle donne aux chevelures trop domestiquées de sinistres reflets de bottes vernies.
Voir ACTES et SORDIDE

INFIRMIÈRE
Pas de malade plus difficile que l’infirmière. Elle a dû subir tant de malades tyranniques, endurer tant de corvées ; l’heure de la revanche a sonné, c’est enfin son tour de réclamer, d’exiger, de régner depuis son lit de majesté sur le temps, les activités, les pensées d’autrui. Tous les abus lui paraissent normaux, elle en a tant supporté…
Si par chance celui qui la soigne est en même temps son conjoint et si ses activités lui avaient donné une certaine indépendance vis-à-vis d’elle, l’infirmière grabataire tient son triomphe : l’ancienne otage soumise aux caprices des patients comme à ceux de l’administration peut enfin exercer le métier dont son inconscient rêvait depuis toujours, celui du bon geôlier, aux jouissances duquel certains malades plus faibles ou compatissants lui avaient permis de goûter.
Et comme elle connaît son métier, le soignant débutant va bénéficier d’une attention de tous les instants ; sa maîtresse vérifiera avec soin qu’il exerce son nouveau métier presque aussi bien qu’elle le faisait elle-même. C’est dire que rien ne sera jamais comme il faut ni quand il faut, et que de légitimes remontrances ponctueront l’apprentissage jamais terminé du petit nouveau, le bleu étant même souvent soumis à un bizutage en règle, culminant dans le fatidique coup de pied de l’âne qui couronnera de nombreuses journées harassantes passées à tenter de satisfaire le Moloch en jupons :
« Tu ne t’occupes pas de moi… »
Mais on finira par tout pardonner à l’infirmière parce qu’on n’oublie pas qu’elle est passée par le même enfer avant nous, et plus d’une fois, et qu’elle a toujours su y garder le sourire, tout comme son humour a survécu à la maladie qui n’en finit pas de la tuer.

INGRATITUDE
Même quand nous faisons profession de détester l’ingratitude, nous nous en servons constamment. Pas de vie possible sans un minimum d’ingratitude.

INGRES
En tant que peintre, je ne l’apprécie guère. Sa peinture ne vit que par le dessin, si tant est que ce soit vivre pour une peinture de ne tenir que par le dessin. C’est un choix très volontaire de sa part, et qui correspond pleinement à sa personnalité un peu étriquée, très ordonnée, très rangée – jusque dans ses dérangements. Car Ingres ne se contente pas de dessiner, il cerne son dessin, le soumet à la dictature du trait, un empire glacé qu’il porte à la perfection ; ses toiles ont la netteté implacable et un peu vaine des désordres policés, et au fond policiers, de Sade, cette noirceur lumineuse, cet aveuglant soleil blanc si caractéristique du dix-huitième siècle finissant, et que seul Laclos a su porter jusqu’au chef-d’œuvre.
Cette lucidité glaciale, Ingres la prolonge et l’embourgeoise sans lui retirer tout son venin mais en la figeant et l’édulcorant, à la mesure des personnages dont il livre le portrait avec une probité qui n’exclut pas l’acuité d’un regard sans illusion ni véritable indulgence, un des rares regards de peintre qui frôle cette arlésienne qu’est par bonheur « l’objectivité ».

JEU
Il me semble constater une différence entre ma génération de sexagénaires et les trentenaires actuels. Leur travail, s’il ne les ennuie pas forcément, jamais ne les emballe. S’ils ne s’y éclatent pas, du moins le font-ils bien. Par devoir, dirait-on, histoire de gagner à peu près leur vie.
Mais l’argent qui leur plaît, l’argent qui les excite, ce n’est pas celui qu’ils gagnent par leurs efforts, mais celui qu’ils gagnent par hasard, grâce à la chance. Comme une façon de s’assurer que le destin peut venir à leur secours. Ainsi jouent-ils à toutes sortes de jeux, du loto aux courses en passant par le poker.
Comme s’il ne s’agissait plus pour eux de mériter l’argent qu’on gagne, mais de gagner l’argent qu’on n’a pas mérité.
Comment le leur reprocher ? Ces jeunes ont tiré la leçon du casino financier mondialisé : l’argent qui tombe du ciel a désormais plus de valeur que celui qu’il a fallu aller chercher à force de travail.
L’argent n’étant plus symbole d’autre chose que de lui-même, peu importe la façon de le gagner, toutes les formes de perversion et de corruption n’ont plus besoin d’autre justification que leur rentabilité.
Tout devient un jeu – un jeu d’argent.
Mais à ce jeu-là, au bout du compte, il n’y a que des perdants.

JUBILATION
Cioran éprouve une jubilation si contagieuse à se vautrer dans le malheur universel que j’en vient par instants à avoir envie d’échanger mon humble bonheur quotidien, bête petit bonheur de vivre, contre le grandiose désespoir qu’il s’est construit envers et contre tout – et même contre l’évidence. Ça a de la gueule, un mensonge aussi acharné.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, INDIVIDUALISME, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

LOIS
Faire des lois, rien de plus facile. Les faire respecter, toute autre histoire. Faut-il encore qu’elles soient respectables, et plus on en fait moins il y a de chance qu’elles le soient, ne serait-ce que parce qu’entasser les lois est le plus sûr moyen de les rendre méprisables : quand bien même elles seraient bonnes, leur quantité excessive à elle seule fera douter de leur qualité. De même, légiférer à la hâte conduit à créer des lois si mal pensées et rédigées qu’elles s’avèrent bien vite inapplicables.
Dès lors que le citoyen ne peut plus connaître ou comprendre la loi, celle-ci perd toute légitimité à ses yeux. Demeure la seule loi qui plaise aux puissants, la prétendue loi de la jungle, la trop réelle loi du plus fort.
Tel est sans doute le but profond, conscient ou non, de la boulimie législatrice des récents gouvernements, celui de l’Europe compris, qui se servent des oripeaux de la démocratie pour mieux installer leur pouvoir arbitraire. Démonétisée par le nombre et la hâte, la loi n’a plus force de loi, et cède la place au bon plaisir des oligarchies en place.
C’est ainsi que désormais quand le peuple vote mal, c’est à dire tente de faire entendre sa voix et respecter ses choix, on le fait revoter jusqu’à ce qu’il rentre dans le droit chemin, celui du troupeau qu’on mène à l’abattoir.

MALHEUR
Ce qui rend la lecture de Cioran si jouissive par instants, ce n’est pas seulement qu’il est à l’évidence plus malheureux que le plus malheureux d’entre nous, ce qui en soi serait déjà consolant, c’est qu’il l’est de façon si excessive, si manifestement artificielle qu’il nous pousse sans le vouloir à ne pas davantage croire à notre malheur que nous ne pouvons croire au sien.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

MANQUE
Dès que nous nous quittons, elle me manque, disait cet amoureux transi ; mais là où elle me manque le plus, c’est quand nous sommes ensemble…

MODE
La mode en dit toujours long sur notre façon de voir le monde. Le complet-cravate sinistre va comme un gant à la rigidité cadavérique du capitalisme. Les vêtements noirs et les croquenots de clergyman défroqué collent parfaitement avec la « sinistritude » branchée des clercs de l’académisme intellectuel et artistique, portant fièrement le deuil de l’intelligence et de la création. Très logiquement, face à ces modes mortifères, le peuple a adopté la mode caca. Il n’est que trop vrai que nous sommes dans la merde. De là à jouer les gribouilles en nous coulant dans le bronze…
Mais le raisonnement du subconscient collectif est bien là : puisque qu’on nous traite comme des merdes, habillons-nous en étrons ambulants !
Et la mode de décliner toutes les variétés de marron, toutes les nuances de couleur caca, créant une collection de sacs de patates informes et marronnasses, si ignoblement laids que leurs porteurs, dans un accès d’inconsciente lucidité, rabattent sur leurs yeux les cagoules qui achèvent de les fondre dans l’anonymat de l’universel égout mondialisé.
C’est ainsi que sur les pistes de ski on voit aujourd’hui slalomer des étrons…
Voir VÊTEMENTS

MONSTRUOSITÉ
J’adore les libéraux : quiconque les attaque, et même si c’est pour se défendre de leurs propres agressions, est un monstre, digne par là même d’être puni de façon monstrueuse.
Le 11 septembre était une horreur. Cela justifiait-il Guantanamo ?
Le 11 septembre est une horreur. Dresde, Hiroshima et Nagasaki aussi.
La Shoah, c’est l’horreur absolue. Le gazage systématique est le comble de l’horreur. Cela fait-il du napalm, des mines anti-personnel et des obus à l’uranium appauvri des armes propres ?
Quand j’étais enfant, on me rappelait assez souvent l’histoire de la paille et de la poutre, qui pour être archi usée n’en reste pas moins d’actualité.
Dès que je considère l’autre comme un monstre en oubliant de me regarder moi-même, je commence à lui ressembler comme un frère, et lui donne tout lieu de voir en moi le même monstre que je vois en lui.
Terroriste ? J’ai bien peur que ce soit toujours aussi « çui qui l’dit qui y est ».


NIHILISME
Le nihilisme se contredit à l’instant même où il proclame que rien n’existe. Rien, ce n’est pas rien, n’en déplaise aux observateurs superficiels.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

NOSTALGIE
Contrairement aux apparences, nostalgie et curiosité sont à mon sens essentiellement liées. L’envie qui me saisissait, enfant, devant une image de livre où l’on voyait un caneton s’enfoncer entre les épis dorés d’un champ de blé mûr dans une sorte de tunnel obscur, d’entrer dans l’image et d’emboîter le pas au curieux pour découvrir avec lui l’inconnu, l’au-delà, c’était peut-être aussi le désir profond, incessamment sous-jacent, de retrouver l’entrée de la matrice et d’y retourner. Notre aspiration au macrocosme, notre désir d’infini me semblent relever en même temps du désir éperdu de retrouver le mystérieux microcosme où nous avons vécu neuf mois en symbiose avec l’univers, dans un déploiement d’énergie vitale qui touchait à l’infini, passant des deux cellules originelles à l’incroyable complexité et à l’essentielle unicité de la personne à naître, passagers actifs d’une incroyable aventure que nous avons tous connue sans jamais pouvoir la partager.
Nous ne cessons de l’oublier pour notre malheur : en nous, le fini et l’infini se touchent.

OGM
À propos de ces chimères que sont à tous les sens du terme les OGM, citons ce proverbe africain particulièrement adéquat : « Le mensonge donne des fleurs, mais jamais de fruits ».

PARADOXE
En un paradoxe qui comme presque toujours n’est qu’apparent, le malheur de Cioran a quelque chose de roboratif, et son nihilisme est assez réconfortant. C’est qu’il est tellement outré, qu’il relève si manifestement d’une pose, d’un choix quasiment prophylactique, que par contraste ce malheur abouti en devient réjouissant à force de perfection simulée. Cioran a réussi ce tour de force de réconcilier le principe de l’homéopathie et la pratique de l’allopathie : comme la première il utilise le poison pour guérir, mais à dose massive comme la seconde…
Et ça marche, pour son lecteur du moins. Pour lui aussi, semble-t-il, puisque ce fanatique du suicide a différé le retour au néant qu’il ne cessait d’appeler de ses vœux jusqu’à l’âge de quatre-vingt quatre ans. C’est dire à quel point il était malheureux !
Pas de doute, Cioran avait le désespoir solide.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

PENSÉE POSITIVE
Se voir meilleur qu’on n’est, c’est la pire façon de ne pas s’accepter tel qu’on est. Si nous voulons devenir meilleurs, commençons par reconnaître ce qu’il y a de mauvais en nous. Je me demande toujours quelles tares inavouables quelles peurs paniques tente de dissimuler une excessive confiance en soi. Y compris quand je me laisse aller à mon optimisme naturel me concernant !

PEOPLE
Beaucoup de « people » ne sont finalement que des poupées gonflables dans lesquelles souffle constamment « l’esprit » de l’époque. Le personnage chez eux n’a fait qu’une bouchée de la personne. D’où leur succès auprès d’un certain type de fans que rien n’attire autant que le vide qu’ils pourront remplir de leurs fantasmes.

PÉRISSABLE
J’étais en train de discuter, en rêve, avec une amie. C’était sur un sujet capital à mes yeux, et je développais mes habituels demi-paradoxes, histoire d’essayer d’éclairer nos faibles lanternes. Dans le feu de la discussion, je me sentais devenir peu à peu vraiment intelligent, et je me disais, voyant ma réflexion s’approfondir à mesure que je tentais de répondre aux objections qu’on lui opposait : « Il faudrait que je note ça tout de suite pour les Remarques en passant ! Ce serait dommage que je le perde comme trop souvent… »
Et j’essayais de me souvenir de l’essentiel. La discussion à peine finie, je me suis précipité sur un carnet pour commencer à noter. J’écrivais tout en continuant à réfléchir, et j’étais ravi de réussir pour une fois à sauver l’une des manifestations de mon impérissable génie !
Mais c’était en rêve, et quand je me suis réveillé, j’avais tout oublié de ce que j’étais encore en train d’écrire.
Heureusement, car si je m’en étais souvenu, c’aurait été pour me rendre compte que je n’étais pas plus génial endormi qu’éveillé…

PLAISIR
« Tout plaisir cesse d’être plaisir à partir du moment où l’accoutumance s’installe. »
Tel est le genre de sentences apparemment évidentes dont Maître Tsuda parsemait ses conférences et ses livres. Une telle phrase peut sembler banale à quiconque n’a pas travaillé avec lui à l’École de la respiration, parce qu’il n’en verra que le sens immédiat et non les implications concrètes pour notre comportement. Tsuda avait le génie pour faire sentir l’infinie complexité des choses les plus simples et percevoir la vacuité des complications intellectuelles dont est si friande la civilisation occidentale décadente.

POUVOIR
La plupart d’entre nous sont à la recherche de je ne sais quel pouvoir. Nous n’avons besoin d’aucun pouvoir pour être là. Être là nous donne tout le pouvoir nécessaire.
Ce que nous appelons pouvoir nous rend esclaves d’autrui : quand nous avons du pouvoir sur quelqu’un, nous dépendons de lui pour notre satisfaction.

PRÉSENT
Qu’elle est petite, étroite, mesquine, l’existence de ceux qui ne cherchent leur présent que dans la synchronie ! Vivre au présent ne peut se faire que dans la diachronie, en intégrant la durée à l’espace.
Être présent au présent, ce n’est possible qu’en présence du passé.
Notre dimension historique, tant personnelle que collective, que nous négligeons stupidement parce que la culture demande un effort, elle nous conditionne d’autant plus que nous affectons de l’ignorer.
On n’est soi-même qu’en compagnie, non seulement de son passé à soi, mais de celui des autres, que nous ne pouvons pas ne pas partager, parce que nous sommes faits de lui.
Notre prochain, ce ne sont pas seulement ceux d’à côté, ce sont ceux d’avant, dont l’influence sur nos consciences et nos vies, pour être moins visible, n’en est que plus décisive.
Le seul moyen d’oublier le passé est de le connaître assez pour n’avoir plus besoin de s’en souvenir.

PROFESSEUR NIMBUS
Tout petit bébé, ma famille m’avait surnommé Professeur Nimbus, car comme ce personnage de comics célèbre à l’époque, j’avais un cheveu qui se dressait droit sur la tête avant de prendre assez exactement la forme d’un point d’interrogation, signe tangible de l’insatiable curiosité dont j’ai toujours été affligé.
Depuis que j’ai passé la soixantaine, et que ma défaillante crinière a été remplacée par un léger duvet digne d’un nourrisson encore au sein, le cheveu du Professeur Nimbus a reparu plus droit et plus fier que jamais, rebelle indomptable qui ne se pose même plus de questions, et se dresse triomphalement au sommet de mon crâne dégarni, pointant son triomphal point d’exclamation vers l’infini du cosmos comme un vaisseau spatial en partance.
D’autres se dressent à ses côtés, mais il les dépasse tous, affirmant avec un aplomb inaltérable que quoi qu’il arrive et malgré l’usure du temps, je serai comme nous tous resté fondamentalement le même toute ma vie, usque ad mortem, comme disait avec componction Monsieur Dumas, mon prof de latin de sixième.

PROGÉNITURE
Un pays qui a adulé un Johnny Halliday pendant cinquante ans se devait de porter un Nicolas Sarkozy à sa tête, puisqu’il l’avait dès longtemps perdue. La vulgarité engendrant la vulgarité, Sarko est le fils très peu spirituel du très inculte Johnny.

PRUDENCE
Pour réconcilier optimisme et lucidité, une voie étroite : croire, mais sans illusion. Acrobatique…

QUESTIONNEMENT
Le questionnement si à la mode dans les milieux de l’art risque de ne pas passer de mode de sitôt. Il permet en effet au questionneur de s’épargner la peine d’avoir à trouver les réponses, et même celle de les chercher, puisqu’en posant lui-même la question il transfère habilement la responsabilité de la réponse sur le public, lequel est d’autant plus désorienté que la plupart du temps il ne s’était pas posé la question.
Ce tour de passe-passe a autorisé des générations d’escrocs à se prétendre artistes sans l’être et à « créer » sans produire d’œuvres, ce qui achève de les rendre invulnérables, puisqu’il n’y a pas matière à critiquer.

RADARS
Rien de plus scélérat que l’institution des radars, répression machinale dont les instruments sont à la fois juge et partie, et cas type de détournement de la loi pour servir des intérêts particuliers.

RAFFINEMENT
Poussé à l’extrême, le raffinement est le pire ennemi de la subtilité. Que ce soit en art ou en cuisine, pour exalter l’essence, il faut savoir dépasser les détails. Fondamentalement grossière du fait de son goût immodéré de l’avoir aux dépens de l’être, l’époque actuelle en fournit en tous domaines d’innombrables et désolants exemples.
Contre sa gloutonne avidité, cultiver le vide devient un acte de survie.

RECONQUÊTE
Un certain Grumbach, architecte de son état et lourd d’une compétence dont il semble au moins aussi persuadé que ses interlocuteurs, pérore sur France-Inter ce matin. Et comme, tout architecte qu’il soit, il manie sa langue à la truelle, le voilà qui déclare avec une impavidité qui force le respect – tant certains sommets d’ignorance feraient passer l’Everest pour un monticule… – qu’il faudra mieux utiliser « l’espace reconquéris ».
On lui suggérera charitablement de commencer par reconquérir sa langue, qui visiblement lui échappe. Si je devais faire construire, j’aurais quelque inquiétude à confier mon projet à quelqu’un qui ne sait pas même construire les verbes de sa langue natale.
Stéphane Paoli, qui est la bonté même, histoire de mettre le cancre à l’aise et de détourner le juste courroux de l’auditeur ainsi bousculé dans ses fondements, pousse la bienveillance jusqu’à commettre une de ces doubles interrogations qui sont le pont-aux-ânes de qui veut trop bien faire et parler sa langue mieux qu’il ne la connaît : « Est-ce que la solution n’est-elle pas de… ? » brame-t-il avec son habituel enthousiasme.
Comme la lecture des journaux, l’écoute de la radio devient chaque jour davantage un chemin de croix pour qui parle encore français. Les élites qui nous « informent » ne gagneraient-elles pas à lutter contre leur propre analphabétisme ?

RESPECT
Il peut arriver que le seul moyen de respecter quelqu’un soit de le contraindre. Certains viols sont plus respectueux qu’une tiède et confortable abstention.

RESPONSABILITÉ
Contrairement à beaucoup d’artistes, qui se déchargent sur autrui de toutes les viles besognes, j’ai toujours voulu assumer mon indépendance, non par altruisme, mais parce que je répugne à faire porter ma croix aux autres, sachant que comme moi ils portent déjà la leur. Je leur devrais trop, et ne suis pas tout à fait assez égoïste pour ignorer ce que je leur devrais.

RÉUSSITE
Les gens qui réussissent dans notre société actuelle, je me demande toujours ce qu’ils ont accepté de perdre pour « gagner ».

RÊVE
Mes obsessions, comme de juste, me poursuivent jusque dans mes rêves, où elles se frayent parfois d’assez réjouissants chemins : c’est ainsi que l’autre jour, à l’aube, ma petite sœur par deux fois me présentait des « œuvres d’art » qui lui plaisaient, qu’elles trouvaient intéressantes. À mes yeux, elles étaient habiles mais inhabitées ; les deux fois, je faisais donc la moue et disais : « Non, ça ne m’intéresse pas beaucoup », ce qui avait naturellement le don de l’agacer…
La seconde fois, il s’agissait d’un buvard sur lequel une feuille de papier ivoire était reproduite une trentaine de fois, réduite à la taille d’un très petit timbre-poste, créant ainsi une sorte de damier dont les cases ne se toucheraient pas. Parfaitement lisse au départ, cette feuille minuscule était un peu plus froissée à chaque fois, tout en gardant à peu près sa forme rectangulaire.
Manifestement, le créateur, l’artiste, avait voulu évoquer par ce symbole aussi subtil que puissant le passage irréversible du temps et donner un foudroyant résumé, non seulement de la condition humaine, mais du destin universel.
Faut-il que je sois béotien pour avoir trouvé que ce chef-d’œuvre n’était qu’une triste daube !
Ma seule excuse est que c’était en rêve, et chacun sait que l’inconscient manque totalement de discernement en matière de symbolique…

SÉGUIN (Philippe)
Le président de la Cour des Comptes était un des très rares élus pour lesquels j’aie pu éprouver du respect et une certaine sympathie. Séguin était un politique, pas un politicien. Séguin était tout bêtement ce que devrait être tout homme politique, avant tout un homme, et qui n’a garde de l’oublier.

SENS (bon)
Tout, absolument tout, est une question de bon sens. À tous les sens du terme. Les différents sens du mot sens font véritablement sens. Non, je ne suis pas en train de jouer avec les mots, mais d’énoncer l’idée fondamentale de tout fonctionnement vital adéquat. Idée que notre extraordinaire capacité d’abstraction nous a fait totalement perdre de vue…
Le bon sens est à l’adaptabilité ce que l’intuition est à l’esprit de système.

SÉPULCRES BLANCHIS
J’admire l’aisance avec laquelle tant de bonnes âmes supportent les minarets chez les autres…
Quelle belle indignation humaniste chez tous les pharisiens de la gauche caviar ! Il y a des burqas qui se perdent.

SORDIDE
Sans doute l’adjectif qui identifie le mieux un certain type d’homme politique, dont François Fillon, ou les deux Xavier, Bertrand et Darcos donnent de confondants exemples. Leur discours politique, toujours empreint d’un mélange d’hypocrisie jésuitique et de haine recuite sous-jacente, tout en se présentant sous le masque de la morale et des valeurs, vise systématiquement en dessous de la ceinture.
Le plus frappant chez ces politiciens manipulateurs, ces aboyeurs de meeting, c’est leur nullité intellectuelle ; poussée à ce point, la mauvaise foi finit par corroder et annihiler tout autant l’intelligence de qui use de ces moyens minables que celle de ceux qui s’y laissent prendre.
La campagne des régionales, menée par une droite qui n’a jamais cessé d’être la plus bête du monde, en a donné des exemples qui seraient à mourir de rire s’il ne mettaient une fois de plus en lumière la nocivité du système communicationnel qui a depuis un demi-siècle peu à peu phagocyté tant le discours que l’action politique, et la gravité de la confiscation du pouvoir par des « élites » d’autant moins légitimes qu’elles ne sont pas seulement avides de pouvoir, de profit et de paraître, mais encore d’une incroyable et suicidaire stupidité.
Voir ACTES et INFÂMES

STÉRILITÉ
Ce qui rend pour moi assez stérile la pensée de Cioran, c’est son impuissance volontaire à accepter son impuissance pour la rendre créatrice. Vivre sa vie, ce n’est rien de plus, et rien de moins, que rendre l’impuissance créatrice. Le désespoir est une facilité – et un cruel manque d’élégance.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, VOLONTARISME

TEMPS
Ce qui m’importe, ce n’est pas le temps retrouvé, mais le temps suspendu. Il ne s’agit pas de repartir dans le passé, mais de le remettre au présent. Non que je veuille arrêter le temps, encore moins le tuer. Ce qui me passionne dans Proust, ce n’est pas qu’il se souvienne, c’est qu’il redonne au présent toute sa dimension, qu’il lui rend toute sa chair en réincarnant le passé. Notre présent ne vaut que ce que vaut notre passé, et le temps est au fond immobile, si nous sommes pleinement nous-mêmes, présent et passé réunis.
Quand nous croyons échapper au passé pour mieux vivre au présent, nous tentons, d’ailleurs vainement, de mutiler notre expérience, qui n’en continuera pas moins de mettre en forme un présent qui nous échappera d’autant plus que nous nous présenterons à lui « allégés » de tous nos anciens présents. On ne peut vivre le présent qu’en entier.

THÉÂTRE
Venise, la nuit a tout le charme des théâtres vides, cette douce et déchirante nostalgie si bien mise en scène par Tchékhov. C’est quand le public est parti que les vieux théâtres se réveillent ; tout plein de leur passé, leur vide s’anime et nous l’emplissons de nos souvenirs et de nos rêves.

TIRER (se)
Tout bien pesé, se tirer tout court vaut mieux que se tirer une balle.
Il est des fuites plus courageuses que le suicide, parce qu’elles laissent place à l’avenir au lieu de le détruire.

TOUCHE-À-TOUT
Pas plus qu’un Vinci ne se dispersait en exerçant une curiosité active dans toutes sortes de disciplines, je ne me disperse en pratiquant toutes sortes d’écritures et de peintures, en allant de l’enseignement au théâtre et de la thérapie à l’improvisation. Non que je prétende le moins du monde me comparer à ce génie ! Mais si minuscule que soit ma petite personne, elle relève des mêmes lois. Il s’agit toujours d’une recherche personnelle unitaire qui s’incarne sous différente formes et utilise tous les matériaux à sa portée en vue d’atteindre un seul et même but : l’approche de l’universel à travers le particulier, la communion entre l’esprit et la matière, la rencontre de l’individu et du monde, l’harmonie au moins fugitive du microcosme et du macrocosme, du fini et de l’infini.
But inaccessible, mais sur le chemin duquel il y a de belles aventures à vivre, de belles rencontres à faire, de beaux rêves à réaliser.
Ce que j’oserai appeler la dispersion concentrée permet à nombre d’esprits curieux de se rapprocher du macrocosme en percevant les convergences et les divergences des différents microcosmes. Les vrais touche-à-tout ne le sont que pour de leur mieux toucher le Tout.
Un touche-à-tout, c’est quelqu’un qui pressent l’unité de la création et voudrait l’étreindre tout entière.
Qui trop embrasse mal étreint, dit le proverbe. Mais qui n’embrasse qu’à sa mesure n’étreindra jamais que son propre vide.

VÊTEMENTS
Il y a beaucoup à apprendre de nos vêtements. Les modes vestimentaires reflètent nos seulement l’image que nous voulons donner de nous, mais aussi l’orientation de nos énergies, et les valeurs authentiques ou frelatées que nous souhaitons promouvoir. Liés à notre corps, nos vêtements ne se contentent pas seulement de le présenter et littéralement de le mettre en forme, ils fonctionnent avec lui, l’aident ou l’entravent dans ses mouvements. Non seulement ils nous modèlent, mais ils nous conditionnent. Nous le savons et en usons plus ou moins consciemment, mais nous perdons souvent de vue leur véritable impact sur nous et sur autrui et négligeons les informations qu’ils apportent. Plus perspicace comme toujours, notre inconscient en tient compte à notre insu.
J’y pense en changeant de pantalon, quittant un pantalon classique pour un autre plus récent et plus à la mode, qui déplace ma taille vers le bas d’au moins sept ou huit centimètres. Ce changement n’a rien d’anodin, et me perturbe tout entier. Car la hauteur de la ceinture engendre et illustre un fonctionnement moteur et énergétique tout à fait différent, un autre maintien, une autre attitude et une autre façon de bouger. Là où nous mettons notre ceinture, là est l’endroit où nous situons notre centre énergétique, là s’ancre la façon dont nous voulons nous inscrire dans la vie.
Il n’est pas du tout indifférent que la ceinture soit à la hauteur du nombril ou qu’elle repose sur le bas des hanches, ou se laisse tomber jusqu’aux fesses.
Ainsi s’expriment des façons de gérer l’énergie, et à travers elles des attitudes devant la vie.
Il y aurait beaucoup à glaner d’une étude un peu exhaustive de nos comportements vestimentaires. Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es…
Voir MODE

VOLONTARISME
Ce qui ôte beaucoup de sa force à la pensée de Cioran, c’est son volontarisme. Cioran veut absolument être malheureux, et tente de justifier son choix du nihilisme en le fondant philosophiquement. Il y a chez lui un côté Gribouille, il se jette à l’eau pour n’être pas mouillé. On est déjà moins malheureux quand on a choisi de l’être…
C’est bien beau, cela fait un joli petit contre-système, mais le parti pris est si évident qu’il lasse. On comprend vite où il veut en venir, et on y finit par y être avant lui. Et si le lecteur peut trouver amusant d’attendre l’auteur, ce n’est pas dans ce but qu’il se donne la peine de lire.
C’est comme au football ou au tennis : très vite le contre-pied systématique ne trompe plus personne.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ

ZEMMOUR
La première fois que je l’ai vu, il m’a fait penser à Goebbels. On peut dire qu’il ne fait rien pour me détromper.