Et si on écrivait tout haut ce que beaucoup disent tout bas – et commencent à crier très fort ?
Ce que beaucoup d’entre nous ressentent, c’est qu’une logique infernale s’est mise en place, soutenue par la petite minorité qu’elle arrange, parce qu’elle est la source de son pouvoir, de ses profits et de ses privilèges.
Cette logique est celle du profit comme valeur unique et flambeau de l’humanité ; et à tous ceux d’entre nous qui n’ont pas besoin d’avoir toujours plus pour se sentir vivre, elle apparaît, dans toute sa tristesse et son infinie pauvreté, pour ce qu’elle est : stupide et criminelle.
Les problèmes actuels des français ne sont en rien différents des problèmes des autres européens, ni des américains ; et ils se rapprochent de plus en plus de ceux des peuples du tiers-monde : comment vivre et pour quoi ?
La logique du profit est un cancer en cours de généralisation. En bon cancer, elle est criminelle (comme toute production parasite, elle entraîne toujours plus de souffrance et de mort), et elle est stupide (la réussite de la tumeur signe son inéluctable échec : elle meurt avec l’organisme qu’elle tue).
Chacun de nous, sauf semble-t-il nos élus et les dirigeants de nos sociétés, nos « responsables » en somme, sent bien qu’il n’est plus question aujourd’hui de gagner de l’argent pour vivre, mais de vivre pour gagner de l’argent, et qu’à ce jeu de dupes, même les « gagnants » perdent leur temps et leur vie.
Chacun de nous sait bien que les problèmes actuels ne viennent pas des services publics et de leur manque de rentabilité, mais de la recherche effrénée d’un profit personnel dont on veut faire payer le coût toujours croissant à la collectivité : le TGV par exemple ne sert réellement qu’à une infime minorité dont la majorité a tout simplement financé la boulimie de vitesse et paye au prix fort les miettes [1] ; de même, on peut penser que les coûts sociaux du chômage et des problèmes de santé physique et mentale engendrés par une recherche de la productivité aussi aveugle qu’inhumaine sont les vrais responsables du désastre actuel.
À force de mettre le facteur humain entre parenthèses, nos « décideurs » ont perdu tout contact avec la réalité la plus essentielle : la vie n’est pas dans les Bourses ni dans les marchés, elle est en chacun de nous.
Il n’est que temps de reprendre conscience de la très concrète nécessité d’un équilibre et d’une séparation des pouvoirs entre les affaires publiques et les affaires privées, ce qui implique – et c’est le sens profond du mouvement actuel – la radicale remise en cause d’une économie de profit qui fait que l’accroissement des gains d’une minorité implique des pertes toujours plus grandes pour la majorité.
Il y a là en effet une véritable rupture du contrat social et une scandaleuse appropriation du pouvoir et des richesses nationales par des « élites » aussi avides qu’irresponsables, et que leur impunité rend chaque jour plus arrogantes et plus bornées.
L’impopularité du président de la République et de son premier ministre n’ont pas d’autre source.
Et de fait, il faut une belle dose de cynisme ou d’inconscience pour s’étonner que les électeurs qu’on avait promis de raser gratis n’aient pas vraiment envie de se laisser tondre…
Nous sommes en vérité très nombreux à en avoir assez que des irresponsables fassent appel à notre sens de la responsabilité, que des coupables veuillent nous culpabiliser, que des profiteurs exigent de nous des sacrifices qui leur éviteraient d’en faire, que des magouilleurs assurés de l’impunité nous menacent des foudres de la loi et que des drogués du boulot, du fric et du pouvoir veuillent nous forcer à partager leur névrose et nous empêcher de vivre, d’aimer et de créer.
Irresponsables et coupables, ceux qui ont engrangé les profits n’ont aucun droit à nous demander d’assumer les pertes ; et il est à cet égard particulièrement choquant qu’une assemblée dont beaucoup des membres ont été, sont ou seront poursuivis par la justice pour avoir en somme trahi la confiance de leurs électeurs et les principes de la république, vote une augmentation considérable de ses indemnités parlementaires au moment même où elle exige de nous des sacrifices « inévitables » – pas pour tout le monde, apparemment ! –.
C’est la somme de ces « petits détails » qui en révélant la véritable nature des hommes de pouvoir entraîne le discrédit dont ils ont ensuite l’infernal culot de se plaindre, oubliant seulement qu’on n’obtient jamais que le respect qu’on mérite…
Il est donc urgent de rappeler que ce n’est pas la méfiance des citoyens qui mine la démocratie, mais l’indignité des gouvernants.
Tordons le cou dans la foulée à trois autres idées reçues non moins irrecevables :
1) Le renversement des rôles : contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire, ce ne sont pas les travailleurs qui défendent des pouvoirs, des profits ou des privilèges, mais les hommes de pouvoir, de profits et de privilèges qui tentent de pérenniser et d’accroître leurs acquis ! Voir Juppé s’attaquer aux tricheurs du RMI serait comique si ce n’était pas d’abord écoeurant.
Entre un RMIste qui tente de survivre et un Suard qui détourne des milliards « en toute légalité », il y a la même différence qu’entre un gamin qui chaparde des pommes et un caïd de la drogue.
2) « Il n’y a pas d’autre solution » : c’est le sempiternel refrain de l’homme de pouvoir à bout d’arguments. Ne pouvant plus invoquer la morale ou la justice, il brandit l’épouvantail de la « nécessité ». Grossier mensonge : il y a toujours d’autres solutions ! Sinon, 89 n’aurait jamais eu lieu ; l’explosion est précisément venue du refus obstiné d’« élites » corrompues d’admettre qu’il y avait d’autres solutions, à la fois nouvelles et meilleures.
En fait, ce que veut dire le tenant du libéralisme, et en ce sens il a bien raison, c’est que la seule solution pour faire du profit, c’est de le faire sur le dos des autres : privatisons les gains, rendons les pertes publiques, et il nous sera facile de prouver qu’il n’y a que le privé qui marche ! Les actionnaires d’Eurotunnel ne manqueront pas de confirmer cette lumineuse démonstration…
3) « Tout le monde fait pareil » : autre rengaine puérile et paresseuse, dont Rabelais a fait justice en son temps. Les moutons de Panurge montrent assez le danger du conformisme et des effets de mode. L’ultra-libéralisme ambiant est suicidaire, et rien ne nous oblige à le suivre. Ce serait même l’honneur de la France de renoncer à cette voie de garage de l’humanité pour être encore la première à ouvrir une nouvelle voie, plus humaine, plus juste, plus vivable – comme elle l’a fait il y a deux siècles. Un vrai changement est nécessaire, vital, inéluctable – non une lâche résignation à une provisoire loi du plus fort. Prenons-y garde : refuser d’initier une évolution humaniste, c’est tenter de forcer à une adaptation contre nature, et à terme faire le lit d’une nouvelle révolution ; les retours de bâton sont d’autant plus violents qu’ils ont été retenus…
Un tel retour au bon sens, qui est tout le contraire d’une régression, implique évidemment que les prédateurs – ces dinosaures de l’évolution humaine – cèdent la place à de vrais responsables, à des êtres humains dignes de ce nom : des hommes et des femmes au service de la communauté, et qui trouvent leur épanouissement à partager la vie et non à la confisquer.
Il n’en manque pas. Partout, ils sont déjà à l’oeuvre.
Bon an, mal an, Noël approche. Que nous croyions ou non en une Providence, nous sommes sûrement très nombreux à pouvoir faire nôtre ce vœu, et à vouloir qu’il ne reste pas pieux : Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté !


[1Un prix d’autant plus élevé que par le jeu des notes de frais nous leur payons deux fois leurs déplacements « indispensables » à ces hommes pressés qui nous pressurent…