« Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. »
George Orwell

« Les mécontents sont des pauvres qui réfléchissent »
Talleyrand

« Les fêtes se multipliaient, d’ailleurs – symptôme du mal, présage du pire. Ne pariez jamais sur le bonheur d’un couple qui sort tous les soirs ! »
Gilbert Cesbron, Ce siècle appelle au secours, page 100, J’ai Lu n° 365

Il est clair que nous sommes déjà morts. Comment peindre, comment écrire, quand on a conscience d’être un naufragé sur un radeau bourré de spectateurs médusés, qui le regardent prendre l’eau de toute part sans même tenter d’écoper ?
Nous sommes paralysés comme par un tazer, figés dans un délire schizophrénique qui serait incompréhensible s’il n’était le seul moyen pour nous de continuer à vivre. Si nous acceptions de voir enfin la réalité en face, il ne nous resterait qu’à nous suicider consciemment, pour mettre fin plus vite et plus proprement au suicide collectif en cours.
Ceci dit, comme nous tous, je vais continuer à vivre, et même tâcher de danser encore un peu sur le volcan…
Voici donc quelques-uns des derniers entrechats de votre ours mal léché préféré !
En parlant d’entrechats, pour ceux que cela intéresserait, je signale que mon petit conte"La marmotte qui ne voulait pas siffler", mon best-seller, paru en 2000 aux éditions de l’Envol, vient d’être réédité par les remarquables Éditions PAROLE dont il inaugure la collection "Pourquoi ?"
Question plus actuelle que jamais, non ?

ANTIPASTO (en guise d’)
MOURIR À VENISE, ÉLOGE DE LA RICHESSE
En vingt ans, plus encore que son charme, Venise a perdu beaucoup de son mystère. Des restaurations étaient nécessaires, souvent vitales même. Mais restructurations et « réhabilitations » auraient pu et dû être menées avec délicatesse. Trop souvent, il n’en a rien été, le massacre absolument barbare de la Casa Frollo, la plus belle et la plus charmante « pensione » de Venise, en est un terrible témoignage. Et ce n’est pas le sort réservé au rez-de-chaussée du Palazzetto Zane, rebaptisé Bru-Zane, qui me rassurera, même si Madame Bru a sauvé les plafonds du piano nobile et porte par ailleurs, une fois n’est pas coutume, un vrai projet, beau et intelligent, qui a déjà donné lieu à de remarquables réalisations.
Je n’ai rien contre les riches, tant qu’ils se tiennent à leur place, ce que savent généralement faire ceux qui le sont depuis assez longtemps. Mais le fait est que ces deux dernières décennies l’argent a pourri Venise de la pire des manières, par son procédé le plus habituel, quand il ne peut pas faire tout bêtement table rase et place nette.
L’argent s’est donc contenté de nettoyer Venise – jusqu’à l’os. La Sérénissime, après Paris, devient ainsi peu à peu une coquille inhabitée, ses murs blanchis comme à la chaux n’enferment plus, trop souvent, que le vide bien propre, bien hygiénique, que par la grâce de leur pouvoir financier les nouveaux super riches peuvent installer autour d’eux, à l’image de leur vacuité intérieure, tonneau des Danaïdes que leur quête désespérée d’argent ne parvient jamais à remplir : de l’argent, il leur en faut toujours plus, puisqu’à proprement parler ils n’existent qu’à travers ce qu’ils croient posséder, et dont ils sont en fait possédés.
La richesse fige, la richesse embaume, le riche d’aujourd’hui est un mort vivant qui n’a de cesse de tuer la vie qui l’entoure, qui lui rappelle à tout instant qu’à force de n’être que ce qu’il a, il n’est plus.

ABSTRACTION
Avant de nous détruire, l’abstraction nous aura faits rois. Mais du néant seulement.

AGRESSEUR
Un agresseur n’a jamais de force que celle que nous renonçons à lui disputer.

ANCÊTRES
On n’échappe pas si facilement à ses ancêtres. Et encore moins en les rejetant sans discernement, ce qui est le plus sûr moyen de tomber dans les travers qu’on leur reproche – inversés. J’ai connu ainsi des rejetons de la plus vieille et plus authentique noblesse qui, dans leur refus de garder quoi que ce soit de leur culture et de leur patrimoine, dans leur ignorance volontaire de leurs racines, affichaient en définitive haut et fort leur héritage, ayant gardé en partage le même esprit rigide, un peu borné, bêtement têtu, les mêmes principes presque fanatiques qui avaient conduit leurs ancêtres à la guillotine et les conduisaient eux-mêmes au plus surprenant terrorisme intellectuel.

ANTHROPOCENTRISME
L’anthropocentrisme est le péché originel du catholicisme, le ver dans le fruit d’une religion qui fait de l’homme la mesure de toute chose, Dieu compris, ce qui est tout de même un comble…
Voir ci-dessous ANTHROPOMORPHISME

ANTHROPOMORPHISME
Étrange manie que la nôtre, de tout juger à notre aune, et de nous proclamer seuls conscients…
Conscients, peut-être, mais pas du monde, de nous-mêmes seulement, autant dire de rien. Que nous ayons pu être assez bêtes pour créer nos dieux à notre image suffirait à justifier la disparition de l’espèce, telle que nous semblons la programmer, en un trop tardif accès d’inconsciente lucidité.
Voir ci-dessus ANTHROPOMORPHISME

ANTICIPATION
Les choses ne se passent jamais comme nous les avions imaginées. Et plus nous les imaginons à l’avance, moins elles répondent à notre attente. C’est ainsi que beaucoup de rêves, réalisés, deviennent des cauchemars…

AQUARELLE
En aquarelle, il ne s’agit pas à mes yeux de chercher la lumière des couleurs, mais de découvrir les couleurs de la lumière. Je veux dire que ce qui compte dans une aquarelle, ce n’est pas la couleur, mais ce que la lumière en fait, tout comme dans un vitrail.

ART
Ce qu’il y a de plus utile au monde est l’art, parce qu’il ne sert à rien.

ART
En matière d’art, les choses intéressantes ne m’intéressent pas. J’attends bien davantage de l’art. S’il s’agit seulement d’exercer l’intelligence, de susciter la curiosité, l’art ne fait pas le poids face à des disciplines dont c’est clairement l’objet, alors que ce n’est pas le sien. Pour commencer, je veux qu’au lieu de tenter stupidement de le mettre à son service, l’intelligence se mette au sien. L’art n’est pas une question de compréhension, mais une question d’amour. Je suis constamment tenté de dire que plus on comprend l’art, moins on le vit.
Voir COMMENTAIRE et IDÉE

ART CONCEPTUEL
L’art conceptuel consiste essentiellement à mettre l’intellect au service de la bêtise. En cela, il est bien de son époque, où règnent publicité et communication, qui ont exactement la même visée : obtenir avec le moins d’effort possible le plus possible d’argent, de pouvoir et de célébrité. Le processus de crétinisation est partout à l’œuvre, comme l’a prouvé la récente campagne présidentielle. Et l’art conceptuel, qui se croyait révolutionnaire, n’en aura été que l’arrière-garde.

ATOMISATION
Vu, le même soir, un documentaire consternant sur Rembrandt, où l’on voit s’agiter des « experts » autour de détails matériels sans aucun intérêt et de stériles « problèmes » d’attribution sans rien apprendre sur le peintre et sa peinture, et un épisode de la série anglaise Sherlock, modernisation clinquante et particulièrement artificielle et superficielle du héros de Conan Doyle, toute en effets vains et coquetteries ridicules, avec cette grossièreté et cette vulgarité raffinées qui sont toujours et partout la marque de la préciosité.
Penser que l’apparence est essence relève de la plus épaisse bêtise, et ces deux objets télévisuels témoignaient de celle de notre époque et de sa propension à se livrer avec le sérieux le plus pédantesque à des jeux aussi puérils qu’inutilement compliqués. Notre goût du détail, notre passion pour l’analyse, notre rationalisme « scientifique » nous font perdre toute capacité de synthèse, nous condamnent à l’artifice le plus desséchant. Atomisés, nous n’avons plus ni centre ni énergie, et me vient à l’esprit ce vers typiquement baroque du Père Le Moyne, brillant et vain poète jésuite de la Contre-Réforme : nous sommes devenus « les grands éclats d’un grand miroir cassé. »
Intellectualisme : ce qui est fait avec la tête, sans tripes, sans ressenti, sans vécu. Nous avons perdu le sens de l’essentiel, et nous nous raccrochons à nos techniques.
La technique ne peut remplacer l’art, dont elle n’est qu’un des outils, et qu’elle n’atteint jamais à elle toute seule : la technique ne donne pas vie. Utilisée pour elle-même, une technique est vacuité, et engendre l’ennui – au sens ancien de ce terme, bien plus fort que son sens actuel.

AUTRUCHE (L’homme, cette)
Le propre de l’homme, ce n’est pas le rire. Pas seulement, en tout cas. Le propre de l’homme, ce qu’aucun autre animal ne saurait imiter, c’est sa capacité à faire l’autruche. Ne pas voir les choses en face, fermer les yeux sur ce qui lui déplaît, s’obstiner dans l’erreur, voilà le vrai propre de l’homme.

AVOCATS
Écoutant plastronner un certain Dupont-Moretti, avocat de son état, il me vient des envies de jouer au procureur. Ils me fatiguent, à la fin, ces marchands de soupe langagière, avec leur perpétuelle mauvaise foi, leurs arrangements avec la vérité, leur tendance à justifier ce qui ne peut l’être.
Défendre le voleur, pourquoi pas ? Défendre le vol, non. Défendre le corrompu, oui, la corruption, non. Trop souvent depuis quelque temps j’entends des avocats se draper dans leur dignité pour défendre l’indéfendable, faire preuve d’une malhonnêteté intellectuelle inacceptable, jusqu’à s’affranchir de l’éthique la plus élémentaire. À force d’arguments spécieux, d’arguties juridiques, les avocats finissent par vider de son sens la notion de justice, par ailleurs plus que malmenée par l’inconcevable servilité d’une partie de la magistrature, notamment du ministère public.

BANQUES
Qu’en dire, sinon qu’il est grand temps d’enfin les faire sauter. Le changement, c’est maintenant : faites sauter la banque !
Voir SAUVETAGE

BIEN-PENSANCE
La bien-pensance, c’est choisir de ne pas dire ce qui semble indécent, même si c’est vrai. La bien-pensance est donc indécente par nature, puisque le bien-pensant est prêt à mentir pour ne pas avoir à rougir. Les choses qu’on ne peut pas « décemment » dire, sont en général celles qui vont contre les mœurs en usage, ou mettent en question les idées reçues, particulièrement si celles-ci sont contestables et plus ou moins perçues comme telles sans qu’on veuille le reconnaître.

BONHEUR
Être con n’est pas une bonne manière d’être heureux. La plupart d’entre nous pourtant s’en contentent. Pour ceux qui auraient le choix, c’est impardonnable.

CANDEUR
Cynique candeur de Roselyne Bachelot, avouant sans ciller qu’en 2002 Jospin avait eu raison de dire que Chirac était déjà « fatigué » (comprenez franchement diminué) et que son équipe avait été très soulagée que Jospin ne soit pas au second tour, ce qui permettait d’éviter un débat que Chirac pouvait commodément refuser à Le Pen, mais pas au socialiste, débat qu’il aurait été incapable d’assumer !
Naturellement, les jours suivants, personne n’a relevé cet incroyable aveu : les politiques ont soutenu un homme qui n’avait plus tous ses moyens et se trouvait de fait incapable de gouverner, comme l’a d’ailleurs montré son pitoyable quinquennat. Et quand Jospin a dit la vérité, tout le monde lui est tombé dessus, et cette franchise insupportable l’a desservi auprès des électeurs !

CHANGEMENT
Faire durer ou jeter ? Autrefois, on tentait de pérenniser autant que possible, voyez les dynasties. Aujourd’hui on anticipe le changement. Tout change, mais pourquoi changer plus vite que nécessaire ? Pour nous obliger à nous adapter, ce qui permet d’une part d’occuper sans cesse les gens, de les mettre sous pression et d’autre part de faire du profit. Ce qui est obsolète doit être remplacé, il n’y a pas d’alternative. Et d’autant moins que pour mieux « maximiser » le profit, l’obsolescence est désormais programmée.
L’idéologie du changement est plus mortifère que le choix de la stagnation, voyez marécages et lagunes : le changement naturel est une gestation au ralenti, une évolution nécessaire, au rythme voulu, un rythme organique et non stupidement volontaire. C’est dans la stagnation apparente que se prépare le surgissement de la vie.
Le changement systématique, c’est un autre nom de l’entropie. C’est au sens exact du terme une conduite suicidaire. Tout changement non nécessaire, imposé de l’extérieur de façon arbitraire, est une atteinte au fonctionnement vital naturel, et entame un processus qui finit par détruire son équilibre. La vie n’est jamais immobile, mais elle ne bouge jamais sans raison.
Vouloir anticiper le changement, tenter de s’adapter d’avance, c’est remplacer la nécessité par le fantasme, comme nous le prouve depuis cent cinquante ans la publicité.
Le seul changement qui vaille est celui qu’on n’a pas décidé. Mais accueilli, car le vrai changement ne s’invente pas, il s’impose.

COMMENTAIRE
Avec l’art contemporain, même le mieux venu, on est trop souvent dans le commentaire, dans la référence, la redondance. Des choses ingénieuses, amusantes, parfois même touchantes. Mais presque jamais on ne touche à l’essentiel. On reste dans le ludique à l’exclusion du sacré, il faut montrer très sérieusement qu’on ne se prend pas au sérieux, qu’on n’est pas dupe, dupe vraiment de rien. Toute une créativité très volontairement, très consciemment puérile (ah, le si commode – parce qu’inexistant – génie des enfants !) s’exerce, folâtre, badine avec des finesses d’éléphant de mer, empesée, laborieuse, poussive souvent.
D’ailleurs, on n’avoue jamais qu’on joue, on n’ose pas parler d’œuvre, mot quasiment tabou tant il rappelle un passé dont on s’imagine pouvoir faire table rase. On évoque humblement un travail, qu’il est d’autant plus nécessaire de nommer que le produit présenté évoque moins ce terme valorisant, que nos modernes Trissotins semblent prendre au sens étymologique d’instrument de torture, pensant sans doute aux tourments qu’ils infligent à leur public. L’artiste contemporain travaille en effet, mais du chapeau. Tout est finalement trop conscient, trop voulu, trop pensé, trop calculé. Rien de plus intellectuel que la recherche de l’effet. En ce sens, les artistes actuels sont très proches des précieux, et tout aussi ridicules. Enivrés par des rituels et des codes qui sélectionnent les happy few admis à leur fête de l’esprit, ils tournent en rond dans un manège hétéroclite, où miroirs et paillettes multiplient à l’infini leur errance narcissique.
On ne lit plus Mademoiselle de Scudéry, qu’on ne lisait d’ailleurs guère à son époque en dehors des salons des frondeurs. Des pans entiers de l’art contemporain sont voués au même néant par un identique excès d’intellectualité. Même plein d’esprit, l’esprit n’est jamais que lettre morte au regard de la vie. Se contenter de penser, le plus sûr moyen d’être superficiel.
J’en reviens toujours à l’essentielle différence de nature entre créativité et création : la première se joue avec la tête, la seconde naît du corps et de l’âme réunis.
Voir ART et IDÉE

« COMPLOTISME »
Je ne crois pas qu’il soit besoin d’être complotiste pour penser que les fameuses dettes souveraines ont été, sinon totalement organisées, du moins largement amplifiées et utilisées pour les besoins de l’oligarchie politico-financière et de ses clientèles. Car l’endettement excessif des états aurait très bien pu être évité. D’une part, rien n’obligeait les gouvernements à faire tant de cadeaux fiscaux aux entreprises et aux riches, d’autre part, ce sont les états eux-mêmes qui ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis en donnant aux banques privées le rôle de prêteur en dernier ressort qui appartenait de droit à leurs banques centrales, puis en volant au secours desdites banques privées au moment où celles-ci étaient acculées à la banqueroute par le système spéculatif insensé qu’elles ont mis en place.
La dette a donc été créée artificiellement, augmentée artificiellement, et elle est maintenant utilisée par l’oligarchie politico-financière pour asseoir définitivement son pouvoir sur les peuples en achevant de vider de leur sens des régimes démocratiques déjà largement caducs.
Broyés entre les mâchoires du piège que constitue en dernière analyse cette crise providentielle, qui permet aux hommes de Goldman-Sachs d’arriver au pouvoir sans la moindre légitimité, et au couple franco allemand de formater l’Europe au gré des intérêts des banques, les peuples, assommés entre chômage et consommation, entre misère et télévision, voient revenir l’esclavage.
Il y a donc bien quelque part une sorte de complot contre l’humanité et la nature, de la part des hommes de pouvoir et de profit, dont l’avidité ne pouvait se satisfaire d’une souveraineté limitée et qui sont prêts à tout pour parvenir à leurs fins, quitte à provoquer la nôtre à tous.
Non sans accuser une fois de plus les peuples d’être coupables de ce dont ils sont victimes…
Voir CUISINE

CONSCIENCE
Que la conscience d’être, et d’être soi, puisse disparaître, voilà qui nous semble forcément inconcevable. Comment envisager que la présence puisse laisser place à l’absence ?

CONCEPTUELS
Des petits branleurs qui tripotent des idées sans avoir le courage de leur faire l’amour, voilà les conceptuels. D’où leur stérilité.

CONFIANCE
Il est un peu puéril d’exiger des autres une confiance qu’on n’est pas prêt à leur donner. C’est dire combien toute notre vie nous restons enfants.

CONNAISSANCE
Plus je vais, plus j’ai le sentiment qu’il n’est de véritable connaissance que dans une œuvre d’art. L’art seul confère une certitude. Je veux dire tangible, contrairement à la foi, invérifiable, qui ne peut donc rassurer que qui croit en elle.

COQUILLE VIDE
Notre civilisation excelle à créer des coquilles vides. Elle n’aime rien tant que prendre un être vivant (maison, forêt, palais, humains mâles ou femelles) le vider de sa chair, lui ôter son âme, le nettoyer à fond, polir son squelette, puis y couler du béton, y injecter du métal et du plastique, lui donner un nom bien ronflant et le mettre d’une manière ou d’une autre sur le marché. Un peu plus tard, quand ça se sera bien vendu ou si ça ne se vend pas assez, on revendra à un autre riche barbare, qui réhabilitera de nouveau la coquille vide.

CRITIQUE (esprit)
N’en déplaise aux ravis de la crèche et autres thinkeurs positifs, pas d’amour digne de ce nom sans esprit critique. Beaumarchais l’avait déjà dit, et mieux dit, mais sa magnifique sentence est depuis longtemps quotidiennement déshonorée à la une de ce torchon ignoble qu’est devenu Le Figaro…

CUISINE
En tous domaines, politique, économique, financier, mais aussi artistique, la même cuisine frelatée est mise en œuvre par les gâte-sauce néo-libéraux, la même robotisation conceptuelle, la même réification, la même abstraction : c’est la vie qu’on est en train d’abstraire de nous, c’est notre âme qu’on nous arrache – quand nous ne nous l’arrachons pas nous-mêmes, complices de notre propre mutilation.
Voir COMPLOTISME

DÉCLINER
La plupart des créateurs ont une idée dans leur vie. Après, ils déclinent.

DÉGOÛTANTS (vieux)
Peut-être parce que je prends de l’âge, l’obsession sexuelle des vieux ou des vieillissants ne me paraît nullement anormale, mais au contraire parfaitement compréhensible. À mesure qu’on sent venir la mort, le désir de retourner à la matrice, le désir de rentrer dans la femme pour s’y mettre à l’abri de la fin prochaine et recommencer à zéro au moment où l’on sait qu’on ne sera bientôt plus rien, l’envie de retrouver la jeune chair, tout cela ne peut qu’augmenter, à moins qu’on ait perdu tout appétit de vivre. L’obsession sexuelle du vieillard peut être désagréable voire odieuse à celles qui en sont l’objet, et elle est incontestablement ridicule ; en elle-même, elle a quelque chose de touchant, et elle est en tout cas d’une parfaite logique, je dirais presque légitime.

DISCUTER
Contrairement à ce que croit notre époque, que son tropisme mercantile rend chaque jour plus incurablement stupide, les gens qui ont quelque chose à dire ne perdent pas leur temps à discuter. Ils le disent. Croit-on que Proust ou Pessoa, Monet ou Van Gogh aient mis longtemps à se rendre compte que leur nécessité intérieure n’avait pas lieu d’être discutée, mais mise en œuvre ?

DSK
Il aura réussi ce prodige d’être l’homme de la duperie inconsciente. Mais le cruel destin des escrocs n’est-il pas d’être plus dupes encore d’eux-mêmes que leurs victimes ?

DURBAN
Il ne s’y passe jamais rien. La conférence sur l’environnement l’a confirmé.

ÉCOUTE
Le meilleur moyen de se faire entendre, c’est de commencer par écouter.

ENGIN
Une des preuves les plus frappantes de l’actuelle confusion entre l’être et le paraître réside dans l’étrange besoin qu’éprouvent tant d’hommes aujourd’hui d’allonger et de grossir leur engin à mesure que diminuent le nombre et la qualité de leurs spermatozoïdes. Il est étonnant de voir confondre contre toute évidence la puissance séminale et l’outil qui sert à la transmettre. Pour être un étalon, la taille compte moins que le contenu.
La même remarque s’applique bien sûr à ces trop nombreuses femmes qui augmentent leur poitrine à l’aide d’implants en matière plastique, comme si l’apparence de la chair pouvait remplacer la chair. Cette abjecte soumission, cet esclavage consenti envers l’apparence (qu’il faudrait plus que jamais ici orthographier appas rances), est sans doute la plus grave maladie de notre époque.

EXIGENCE
Plus j’aime les gens, plus j’ai tendance à être trop exigeant envers eux, comme si j’investissais tellement en eux qu’il me fallait ensuite attendre un retour à la hauteur de mon investissement. Même si j’essaie de ne pas montrer cette exigence, mes partenaires la sentent, et cette demande implicite ne favorise ni notre relation ni notre épanouissement mutuel. Il n’est pas facile d’accepter que l’autre ne soit pas plus que nous à la hauteur de l’idéal que nous poursuivons, parce qu’il devient alors le trop fidèle miroir de notre impuissance.

FAVORITISME
J’écoute un dirigeant de Sciences-Po Paris, dans un bel élan de pseudo humanisme et d’authentique apologie du favoritisme, expliquer sur France-Inter qu’on « n’embauche pas des copies mais des êtres humains », pour justifier la priorité désormais accordée par cet Institut aux dossiers scolaires et aux entretiens, bref à tout ce sur quoi on peut coopter en toute subjectivité les gens qui ont le bon profil, qui nous plaisent en un mot (« il faut qu’ils nous séduisent, qu’ils conviennent au jury » ajoute-t-il), plutôt que ceux qui sont compétents et capables notamment d’écrire leur langue, crime capital en Sarkozie, où nul n’est censé être meilleur que le Mot Narque. À mettre en rapport avec le fait hautement significatif que ledit directeur et les autres hauts cadres de Sciences-Po se sont benoîtement accordés des salaires infiniment supérieurs à celui d’un président d’université, et ce grâce à des procédures totalement opaques, avec des bonus énormes distribués sans aucun justificatif, au gré des préférences d’une « commission des rémunérations » où émargent notamment Pébereau et Schweitzer. La subjectivité comme règle managériale, c’est le droit d’exercer en toute bonne conscience le favoritisme tous azimuts propre aux « élites » corrompues qui saignent actuellement les peuples.
« Car tel est mon bon plaisir », voilà à quoi aboutissent très vite les « évaluations » et autres « entretiens » destinés à développer et maintenir la corruption institutionnalisée.

FEU
Ambivalence du feu. Haïssable ou adorable, d’un instant à l’autre. Image de la vie, où d’in instant à l’autre tout réchauffe ou brûle.

FOI (mauvaise)
J’ai toujours été sidéré et scandalisé par la malhonnêteté, pas seulement intellectuelle, de la plupart des catholiques. J’ai fini par en comprendre la raison, qui est une déraison.
La bonne foi est aussi incompatible avec la foi que l’huile avec l’eau. Le catholique préférera toujours ce qu’il croit à ce qui est. C’est pourquoi il a si peu de difficulté à faire en sorte que sa main gauche ignore ce que fait sa main droite. La réalité résiste à son dogme ? Il la nie, au besoin la torture, et pour en finir la brûle.
Ce qu’il est reste si désespérément différent de ce qu’il veut être qu’il n’a d’autre ressource pour survivre que de se renier à chaque chant du coq. Pourvu qu’il se repente, Dieu lui pardonnera.
Ce qu’oublie le catholique, c’est que sa mauvaise foi lui interdit tout repentir et qu’il est donc le combustible idéal pour cet Enfer qu’il s’est inventé en espérant le destiner aux autres.

FOULES
J’étais rue Soufflot le jour où Mitterrand est allé porter des roses au Panthéon. Nous étions pleins d’un bonheur vide, nous avions un instant levé l’ancre et lâché nos chaînes.
La foule engendre le mensonge aussi naturellement que l’eau se donne à la pente. La foule communie dans le mensonge, et plus il est gros, plus cette eucharistie ressuscite en elle d’énergie, plus elle se sent le sel de la terre et veut déferler sur le monde, pour apporter aux malheureux individus qu’elle n’a pas encore absorbés le réconfort de l’idiotie partagée.
On se sent fort quand on est en foule, et c’est pourquoi toutes les foules sont en instance de lâcheté. C’est aussi pourquoi la foule, si exaltante sur l’instant, retombe comme un soufflé dès que chacun s’en sépare.

GÂCHIS
La capacité de nuisance des riches est à la hauteur du bien qu’ils pourraient faire.

GOUJATERIE
D’un centre d’appel importun, cette question :
– Vous avez une mutuelle ?
– Oui, je suis à la MGEN.
– D’accord, au revoir.
Et de raccrocher aussi sec.
Pas de meilleure pub pour la MGEN. Et impossible de dénoncer plus clairement la répugnante arnaque que constituent les pseudo mutuelles des salopards de l’assurance privée…

HAINE
Je nous hais, et non pas je vous hais, comme je le pense parfois par facilité.

HOMME DE POUVOIR
Tout homme de pouvoir a vocation, s’il ne l’est pas d’entrée, à devenir un parfait crétin, tant il est obnubilé par sa volonté de puissance. L’homme de pouvoir qui a réussi croit être maître de lui et des autres, alors qu’il est l’esclave taillable et corvéable à merci de son inconscient.

HOMMES DE POUVOIR
Le comportement des hommes de pouvoir d’aujourd’hui est souvent à tel point inadmissible et incompréhensible qu’il m’arrive de me demander si, comme dans certains livres (« Marionnettes humaines » de Heinlein, entre autres) ou certains films, ils ne seraient pas des aliens, des envahisseurs venus d’ailleurs, et donc inhumains parce que tout simplement non humains…
On ne peut par exemple comprendre l’incroyable stupidité de Christine Lagarde, son inconscience et sa muflerie, que si l’on accepte de supposer qu’elle vient d’une autre planète. Si elle avait quoi que ce soit d’humain, les criminelles âneries qui lui échappent à tout propos l’auraient depuis longtemps fait crever de honte.
À dire vrai, on a de plus en plus l’impression que la plupart de nos gouvernants appartiennent à une autre espèce que la nôtre, et ont décidé de tout faire pour exterminer ou réduire en esclavage les espèces inférieures qui grouillent indûment sur une planète dont la maîtrise et la jouissance reviennent de droit à l’espèce supérieure dont ils sont les plus notables spécimens.
Qu’il soit un alien ou non, qu’il appartienne à l’espèce humaine ou fasse seulement semblant, Hollande a bien compris que se revendiquer normal et humain lui conférerait la stature d’un être exceptionnel, d’un véritable homme d’état.
La normalité est devenue si rare qu’elle peut à juste titre passer pour anormale, dans un monde où les idées et comportements les plus anormaux sont devenus la norme…

IDÉE
En art, on n’aboutit à rien tant qu’on n’a pas tué l’idée en lui donnant vie. Dépasser l’idée en l’incarnant, c’est ce qui sépare l’intellectuel de l’artiste.
L’idée n’est jamais qu’un point de départ, et c’est pourquoi les conceptuels ne sont artistes que de nom, confondant le départ avec l’arrivée. Pas de création sans pensée, mais penser n’est pas créer. Encore faut-il que la pensée prenne corps, devienne matière animée. Pas d’art sans truchement, nul artiste qui ne soit un intellectruelle…
L’alchimie qui donne chair et sang à l’idée et fait naître l’œuvre d’art ne peut s’opérer qu’à l’aide de ce catalyseur que faute de mieux j’appelle l’âme.
D’où que l’art de marché ne soit jamais qu’une hideuse caricature de l’art.
Voir ART et COMMENTAIRE

INÉGALITÉS
Plus les inégalités augmentent, plus elles sont injustifiables, plus les riches, pour se donner bonne conscience tout en donnant mauvaise conscience aux pauvres, ont besoin de proclamer urbi et orbi que si les pauvres sont pauvres, c’est de leur faute, et que s’ils s’appauvrissent encore, c’est bien fait pour eux, puisqu’il est si simple de gagner de l’argent, comme ils le prouvent en s’enrichissant toujours davantage.
L’infâme Wauquiez a largement donné dans ce discours particulièrement répugnant, mais je crois que le pompon revient ex æquo à Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy, dont le cynisme affiche une telle inconscience qu’il relève en dernière analyse d’une véritable stupidité.

IRRESPONSABILITÉ
La « valeur » peut-être la plus importante que partagent le nazisme historique et son avatar néo-libéral, c’est leur prétention à la plus totale immunité : libéral ou non, un nazi n’est jamais responsable des actes qu’il commet, quelque délictueux, quelque horribles qu’ils puissent être. Son idéologie légitime jusqu’aux pires crimes : c’est pour votre bien qu’on vous tue, c’est de votre faute si l’on vous opprime. Et si le sort ayant tourné l’on instruit son procès, il s’indigne : on lui fait un mauvais procès, puisqu’il n’a fait qu’obéir aux ordres.
D’où leur si commode devise : « Il n’y a pas d’alternative », qui les dégage à l’avance de toute responsabilité et justifie les crimes les plus odieux.
Ainsi se conjuguent comme toujours la plus extrême lâcheté et la plus cynique cruauté.

JEU (de société)
Une des tendances les plus en vogue de l’art contemporain installe l’art dans le domaine du jeu. L’art serait ludique. Mais il y a jeu et jeu, et bien souvent les créations contemporaines tournent au jeu de société, et deviennent aussi arbitraires et ennuyeuses que les pires de ces passe-temps assommants. Leurs promoteurs ont beau les baptiser artistiques, ces démarches sont artistiquement mort-nées. C’est que leur véritable but est de faire partie des gagnants de ce méprisable Monopoly qu’est devenu le marché de l’art.

LEÇONS
Je n’ai aucune envie de donner des leçons à autrui, parce que je n’en prends de personne.

LIBERTÉ
Je n’aurais peut-être jamais osé peindre sans la liberté qu’ont donné aux créateurs les révolutions artistiques successives ; elles ont ouvert de nouvelles voies, permis l’éclosion de nouveaux talents, considérablement élargi l’éventail des possibles. Revers de la médaille, cette liberté « totale » a aussi attiré escrocs et imbéciles, tout heureux de pouvoir s’arroger le statut d’artistes sans avoir à acquérir les moyens techniques nécessaires à la création, ni même à créer d’œuvre d’art digne de ce nom. Devenue une commode tarte à la crème, la liberté a permis de tout justifier, particulièrement l’injustifiable, de tout mettre sur le même plan, du « travail » le plus paresseux et le plus prétentieux aux créations les plus admirables.

MAFIA
Bien sûr que la Mafia est délirante, mais elle n’est que le comble du libéralisme, son apothéose. La Mafia, c’est la cerise sur l’immangeable gâteau du libéralisme triomphant, la preuve par neuf de ses contradictions suicidaires et de sa dérisoire folie furieuse. Nous sommes tous des mafieux, dès que nous nous laissons aller à nous-mêmes. Savoir se tenir, tout est là. Voyez Bush, Berlusconi, Sarkozy…

MÉMOIRE
À l’Épicerie Littéraire de Châteauroux-les-Alpes, une écrivaine lit des extraits de son recueil à paraître, sobrement intitulé Trac. Trac ou pas, elle ne manque pas d’air, quand lors des propos à bâtons rompus qui suivent cette lecture, elle évoque la mémoire de Proust à propos des petits textes, assez anodins dans l’ensemble quoique « charmants » façon Delerm père et fils, dont elle nous offre la primeur. Mon ami Yves en remet une couche : « Avec l’humour en plus ! »
Je me retiens de dire : « Et le génie en moins… », qui pourtant s’imposerait. Quand on aime bien les gens, on commet parfois de ces petites lâchetés.
Au fait, de l’humour, quiconque a tant soit peu lu Proust sait qu’il en regorgeait.

MILIEU (juste)
Méfions-nous du juste milieu.
Lu sur le blog de Jean-François Kahn, dans Marianne :
« Les choix qui s’imposent ne se situent quasiment jamais au milieu.
Entre deux erreurs, le milieu ne peut être qu’une synthèse d’erreur. Le milieu, entre deux sens interdits, est un non-sens.
Entre le résistant et le SS, entre le stalinien et l’anti-stalinien, entre le pouvoir personnel et la République, entre l’oppression et la libération, la vérité ne s’ancre pas au milieu. Jamais. (...) Il arrive, il arrive souvent, qu’elle se situe, cette vérité, autre part, en avant ; que la solution soit réinventée, qu’une autre alternative soit à imaginer et à élaborer. »

MONDE
Regardé le « travail » de Dominique Angel au musée de Gap. M’en reste l’impression qu’il tente, vainement, de péter plus haut que son cul, comme quiconque n’est pas à l’écoute du monde mais seulement de son ego. On ne devient un monde que quand on ne s’écoute plus soi-même, mais le monde en soi.

MONTAGNE
Le problème, avec la montagne telle que nous la voyons d’habitude, de mauvaise habitude, mais les mauvaises habitudes ont toujours des raisons d’être, c’est qu’elle arrête le regard et ferme l’horizon. Or la peinture, qui ouvre sur l’infini, veut de l’espace et aime à respirer toutes fenêtres ouvertes.

MOTIVATION
Ce qu’il y a de bien dans le monde actuel, c’est qu’il n’est pas difficile de comprendre les motivations de la plupart des gens. Il suffit de tout analyser par rapport à l’argent. C’est devenu la seule chose qui compte aux yeux de l’immense majorité d’entre nous. Quels que soient les arguments développés, les attitudes adoptées, grattez un peu côté pognon, vous allez voir sortir du puits la vérité profonde de notre époque. Ça a le mérite de simplifier les rapports humains en les réduisant à la notion de quantité, imparablement objective, et en évacuant le toujours incommode problème de la qualité, ce concept si redoutablement subjectif.

MUR (on va dans le)
On va dans le mur. Erreur. Nous sommes déjà dans le mur. Depuis un bon moment.
Quand ils ont vu l’obstacle, au lieu de freiner, les conducteurs du train ont accéléré. Pensant sans doute que le mur n’était qu’un mauvais moment à passer. Mais le mur n’a pas de fin, c’est un mur plein. À mesure que nous nous y enfonçons, tout autour de nous et en nous vole en éclats, nous sommes littéralement en train d’exploser et d’imploser.
En pleine surchauffe, la chaudière de la locomotive a crevé, la vapeur qui faisait avancer la machine s’échappe par tous les trous et se perd après avoir tout brûlé autour d’elle. Les conducteurs, dont l’aveuglement a fini par céder devant les faits, ont reflué vers l’arrière du train, essayant de se protéger en mettant entre eux et la catastrophe qu’ils ont provoquée la foule des passagers et tous les wagons, sauf le dernier, qu’ils se sont réservé.
Ils étudient la possibilité d’abandonner le train à son triste sort en sautant en marche, parce qu’ils n’ont pas encore compris qu’ils en sont eux aussi prisonniers.
Voir NATIONS

MUSIQUE
Même réel, indiscutable, le progrès est toujours à double tranchant. Nous avons vu depuis une cinquantaine d’années une belle progression dans la qualité technique des musiciens, et en musicologie. Grande maîtrise, grande virtuosité, grand savoir. Mais du coup, la froideur d’une perfection quasi mécanique, trop intellectuelle en tout cas, a quelque peu desséché l’interprétation. La forme prend un peu le pas sur le fond, on cherche plus la gloire de la difficulté vaincue que l’humilité de l’expression de la nécessité intérieure. Il y a perte d’âme, parce que l’appris l’emporte sur le ressenti, la technique sur le vécu. L’intériorité ne se conquiert pas dans les études ou les concours, mais au fil de l’aventure personnelle d’une vie au service de son art.

MUTATION
Les hommes de pouvoir ont fait leur temps. L’humanité doit évoluer. Il est temps que l’esprit de compétition fasse place à l’esprit de perfection. Le paraître doit laisser la place à l’être, la jactance à la compétence. Il ne s’agit plus d’avoir mais d’être.
Ce n’est pas qu’une question d’éthique, un idéal à atteindre, c’est pour l’humanité tout entière une question de survie.
Le problème n’est pas de savoir si l’homme peut ou non changer, le problème est que si nous ne changeons pas, nous allons disparaître. Si l’espèce humaine n’évolue pas d’urgence vers une meilleure compréhension de soi et du monde, elle s’éteindra d’une façon ou d’une autre très rapidement.
Une mutation radicale s’impose.
Nous le savons, et ne voulons pas le savoir. Voici ce que j’écrivais il y a près de trente ans, quand j’étais encore optimiste, à l’entrée MUTATION :
Je m’étonne toujours que nous n’ayons pas une conscience plus claire du fait évident qu’une mutation, je ne dis pas des sociétés humaines, je dis de l’espèce humaine, et de chaque individu de l’espèce, est non seulement nécessaire, mais inévitable, entamée, et irréversible.
Elle aboutira ou non. Mais son échec serait la fin de l’humanité, par incapacité d’adaptation.
Je ne pense pas que les mutations interviennent par hasard. La nécessité fait que des potentialités s’actualisent ou se développent.
La nécessité, et aussi le désir, car les deux sont liés.
Nous sous-estimons toujours l’importance et la pertinence du désir parce qu’il n’est pas rationnel. Mais s’il est si important et pertinent, c’est parce qu’il n’est pas rationnel, mais vital. La raison est apparue bien plus tard que la vie et elle n’est qu’un effort conceptuel assez primaire, destiné à nous permettre une approche de la vie qui soit à la portée de notre intellect encore sous-développé.
La vie n’a aucun besoin de raison, mais rien ne naît sans désir préalable. Quand on n’a plus envie de changer, on meurt. La mort, c’est tout bêtement l’extinction du désir. Comme disait un vieillard à qui on demandait ce qu’il désirait : Je désirerais avoir un désir…
Nous sommes menacés de mort par extinction du désir.
Ce qui rend nos idéologies – y compris la pseudo-libérale – caduques, c’est que le monde a changé et qu’elles font semblant de l’ignorer.
Car, et c’est hallucinant, au fond, nous nous plaisons comme nous sommes…
Nous n’avons pas envie de changer. Nous avons juste envie de ne pas mourir ; et de retrouver, ou de multiplier, le désir.
La raison en est simple : l’espèce humaine a toujours vécu dans un espace ouvert. Ce n’est plus le cas.
Un monde ouvert, pour moi, c’est un monde où l’on peut agir sans que le milieu réagisse forcément en retour. Un monde où il y a de la place.
Un monde ouvert, c’est un monde à découvrir, et c’est un monde que je peux exploiter sans en voir les limites : si je décime une population, une autre la remplacera ; si j’ai rendue stérile une terre, je brûle un autre bout de forêt.
Il y a de la place, donc mes actes ne me reviennent pas sous forme de conséquences bonnes ou mauvaises à assumer.
Le monde ouvert ne connaît pas encore le boomerang. Nous le connaissons depuis peu – depuis que notre monde est fermé –, mais nous ne savons pas encore jouer avec, ce qui fait que nous le prenons régulièrement dans la gueule, et de plus en plus fort à mesure que nous le lançons plus loin.
Dans notre ancien monde ouvert, l’entropie n’a pas d’importance, puisqu’elle ne se voit pas : le chaos n’est pas gênant, puisqu’il s’installe ailleurs…
Et le malheur ne se voit pas, parce qu’on peut le déplacer : la colonisation de l’Afrique et la conquête de l’Ouest sont caractéristiques des derniers temps d’un monde ouvert.
En somme, le monde ouvert, c’est l’inconscience.
Pourquoi partager quand le riche trouve toujours de nouvelles proies à appauvrir ? Dans le monde ouvert, ce sont les autres qui sont responsables.
Mais notre monde s’est fermé. Brutalement. Et nous ne voulons pas le voir.
A force de le découvrir et de l’exploiter, nous en avons atteint les limites. Cela a des conséquences très simples, très évidentes, et tout à fait imparables.
Dans un monde fermé, les interactions sont totales ; tout acte que je pose me reviendra sous forme de réaction.
Cela implique par exemple que le capitalisme sauvage y devient totalement destructeur et suicidaire, et que la plus-value ne peut plus être le seul critère d’une vente réussie.
À la limite, le monde fermé sonne peut-être le glas du profit : dans ce monde-là, si tu voles l’autre, c’est déjà toi que tu voles !
C’est très clair dans les rapports entre les pays développés et les pays sous-développés. Nous nous enrichissons à leurs dépens. Mais comme ils sont nos clients, s’ils sont trop pauvres, nous voilà coincés : leur pauvreté nous appauvrit.
Et nous allons devoir leur prêter de quoi nous acheter. Aucun individu sensé ne gérerait ainsi ses affaires.
Grâce au monde fermé, ce sont les vraies lois du commerce qui se dégagent peu à peu : s’enrichir, c’est enrichir le client.
Une vente forcée est une mauvaise vente dès lors que dans le monde fermé nous avons besoin de tous nos clients.
Mécontenter un client quand cent font la queue, pourquoi pas ?
Quand on n’en a que dix, la vente doit être un vrai échange, avec partage équitable du gâteau entre le vendeur et l’acheteur.
Le monde fermé est en définitive le monde des prises de conscience. Le monde réel, en fait.
Le monde ouvert, celui de l’aventure échevelée, de l’entropie triomphante et des héros négatifs, n’est depuis longtemps qu’un rêve que nous faisons payer aux autres et dont les réveils sont tragiques : le Grand Reich de mille ans qui devait subjuguer l’espace et le temps – c’était le comble du monde ouvert, obtenu en condamnant au monde fermé le plus radical, la mort, tous les gêneurs… –, la révolution prolétarienne qui devait assurer le paradis sur terre en supprimant les interactions – autre comble du monde « ouvert » ! – ont été des illusions perverses, des voies de garage dérisoires.
La mutation que nous sommes en train d’esquisser en tant qu’espèce humaine est double.
Nous allons nous adapter à un monde fermé, ce qui suppose de substituer à l’esprit de conquête l’esprit de partage, et pour l’individu d’apprendre à vouloir être soi-même, et non plus que les autres.
Nous allons trouver grâce à ce que Watzlawick appelle un changement de niveau, et que la première mutation entraînera presque automatiquement, de nouveaux champs pour le désir, de nouveaux mondes ouverts, situés à un autre niveau de conscience : la recherche de soi est une des directions qui s’ouvrent devant nous et que le monde ancien, le monde « ouvert », occultait soigneusement ; l’expansion dans un monde ouvert, c’est une fuite de l’approfondissement de soi : l’être n’étant pas infini, plus je prends de place, m’étends, m’étale, moins je suis profond…
En somme, ce que nous pouvons explorer, c’est l’ouverture intérieure.
Après tout, l’abondance est d’abord un état intérieur.
Autre nouveau monde, infini celui-là, et auquel nous ne nous sommes pas encore réellement ouverts, l’espace ; ne disons pas la Conquête, c’est se limiter d’avance, et se condamner, mais la Quête de l’espace.
C’est la compréhension et la gestion des interactions qui constituent biologiquement chacun de nous, et qui relient microcosme et macrocosme : nous ne savons presque rien, ni de nous-mêmes, ni de nos rapports entre nous, ni de notre écosystème et de la place que nous y tenons, encore moins de celle que nous pourrions y tenir.
Nous devrons aussi tomber les masques et ne plus jouer un rôle, mais remplir nos rôles !
Assumer nos différentes possibilités-personnalités que nous cachions, mutilions, socialisions, manipulions sous un seul masque figé et inexpressif.
En fait, le monde « ouvert » fonctionnait comme un monde fermé, centré sur la logique et le rationnel. Ce monde physique s’est refermé, au moins provisoirement, et tout un autre monde s’ouvre devant nous : celui de l’intuition, de l’imagination, de la recherche et de la création.
Le monde de la production a ses limites : la quantité ne peut augmenter à l’infini.
Le monde de la création a ses contraintes, mais il n’a pas de limites.
La qualité n’atteint jamais la perfection, mais peut toujours s’en rapprocher davantage.
L’humanité va devoir muter et passer de la quantité à la qualité.
Elle va muter, ou mourir. Pourvu que nous ne soyons pas des dinosaures !
Longtemps, la quantité a été notre moteur.
Elles est devenue, dans son élan et par la force d’inertie redoublée qu’elle engendre naturellement, l’instrument de notre destruction.

MYTHIFICATION, MYSTIFICATION
Ce qui me déplaît dans le fait que les hommes sont sensibles à la renommée, c’est qu’elle les amène à privilégier l’illusion sur la réalité.
La réputation est toujours fausse, et prouve bien qu’il peut y avoir de la fumée sans feu, ou pour mieux dire, qu’un feu peut ne plus donner ni chaleur ni lumière tout en continuant à fumer. La création d’une égrégore est un travail qui trompe aussi bien son créateur que ceux qui se laissent prendre à ce douteux artifice, souvent au point de participer activement au lancement de la mystification.
« L’image », dont la communication nous rebat les oreilles et qu’elle tente par tous les moyens de nous imposer comme la seule réalité à prendre en compte, se crée à partir d’une réalité manipulée consciemment ou non, qu’elle finit par masquer, par dénaturer.
La mythification est souvent efficace, mais toujours en fin de compte malsaine, parce qu’elle finit inévitablement par nous mettre en guerre avec le réel qu’elle déforme à nos yeux égarés.
Sarah Bernhardt, Pétain, de Gaulle : leur image leur a survécu bien après leur mort, y compris quand ils étaient encore de ce monde…

NATIONS
On nous dit souvent que les états-nations, c’est dépassé. Or c’est exactement le contraire qui est en train de se passer : la mondialisation, c’est terminé. Menée de façon aussi anarchique que violente par de prétendues élites irresponsables et corrompues, elle ne pouvait qu’échouer. Le concept même n’est pas seulement irréaliste, il était stupide dès lors que la mondialisation se faisait uniquement sur des bases économiques puis financières, c’est à dire en terme de consommation galopante, d’avidité et de rapacité.
Nous sommes dans le mur, comme le prouvent l’impuissance de l’ONU, les échecs répétés des protocoles de Kyoto et autres Durban, et l’effondrement du système financier global orchestré par les sinistres abrutis du FMI et de la prétendue Banque Mondiale.
Ce que nous voyons, c’est une atomisation progressive qui ne laisse debout que des états-nations gigantesques ou minuscules, tous menacés, les uns d’explosion du fait de leur gigantisme, les autres d’implosion à cause de leur ingérable petitesse.
Ceux qui ne sont pas en cours de décadence sont engagés dans une folle course au développement dont l’excès même annonce le retournement prochain.
La mondialisation était une utopie, elle est désormais un leurre, qui permet aux financiers de tenter d’échapper à la catastrophe dont leurs spéculations insensées sont responsables en opposant entre eux les peuples de plus en plus réduits à l’esclavage.
Le retour des nationalismes n’est que la réaction à la confiscation du pouvoir par l’oligarchie financière ultralibérale à l’aide du cheval de Troie que constitue le régime « démocratique » à la sauce libérale, régime qui entre clientélisme et populisme a permis de détruire peu à peu non seulement le sens de l’état, mais l’état lui-même.
Victoire à la Pyrrhus, car le système, fondé sur la cavalerie généralisée, meurt de son hégémonie même, qui ne lui laisse plus rien à parasiter.
Je ne sais pas si les Aztèques ont prédit la fin du monde pour 2012, mais une chose est à mes yeux certaine : nous vivons la fin d’un monde, et nous n’avons pas de monde de remplacement.
Voir MUR (on va dans le)

NUMÉRISATION
La numérisation systématique en cours depuis une trentaine d’années, par le triomphe qu’elle assure à l’abstraction sur la réalité concrète, entraîne automatiquement un appauvrissement progressif de notre vie à mesure qu’il l’enrichit. La statistique a beau quantifier le monde, l’essentiel toujours lui échappe car les nombres ne donnent jamais qu’une image virtuelle de la réalité. Les nombres n’existent pas. Ils ne représentent que des quantités, et nous conduisent à ignorer la qualité, qui seule donne sens à la vie.

OPTIMISTE
Seule définition possible de l’optimiste contemporain : un con qui s’ignore.

PARODIE
S’auto parodier est une des façons les plus astucieuses de se prendre au sérieux.
À condition de le faire exprès…

PAUVRETÉ
Ce n’est pas par hasard que c’est en Campanie et en Irlande, deux des pays les plus pauvres du monde, que s’est développé l’amour fou de l’argent.

PAYSAGE
Il est des évidences qu’il faut sans cesse réaffirmer, parce que nous passons notre temps à les oublier. Le paysage n’est pas un décor, le paysage, c’est ce dans quoi nous sommes. Nous en faisons partie, et il fait partie de nous. C’est ça, l’écologie, ni plus ni moins.

PÈRE
On est toujours plus ou moins l’héritier de son père. Se révolter contre son père, c’est hériter deux fois de lui.

PENSÉE POSITIVE
De quoi nous plaignons-nous ?
Nous sommes heureux, nos photos, nos films, nos enregistrements en témoignent.
Miracle du progrès : je peux à tout instant vérifier que je vis grâce aux souvenirs que, Petit Poucet du monde moderne, je laisse derrière moi comme autant de pierres blanches.
Confirmer mon bonheur, m’en administrer à chaque instant la preuve, et aux autres.
Mieux, grâce à notre admirable technologie, de l’intérieur de nos maisons calfeutrées, nous allons pouvoir assister, comme si nous y étions, aux catastrophes qu’avec son aide nous avons déclenchées…
Nous ne resterons pas impuissants devant le déchaînement des éléments : nous allons pouvoir filmer, en 3D, enregistrer en haute fidélité, éruptions, secousses sismiques, tornades et cyclones, inondations et tsunamis, explosions de centrales nucléaires !
Vivre, et revivre, à volonté, ces épisodes si intenses, ces sensations si fortes, ces émotions si bouleversantes !
Nous allons pouvoir vivre notre mort en direct !
Se voir mourir en direct…
Pas de doute, on n’arrête pas le progrès.

PEUR
Ce n’est pas d’avoir peur qui est grave, c’est d’avoir peur de se l’avouer. Un peu de peur n’a jamais fait de mal à personne. Le vrai courage ne consiste évidemment pas à ignorer la peur, mais à regarder ses peurs en face pour tenter de les dépasser : nous succombons à nos peurs parce que nous avons peur d’avoir peur.

PHOTO
La photo saisit un instant présent, un état. La peinture reconstitue un passé, ressuscite un mouvement. L’une fige, l’autre fait revivre. La première capture une vue, la seconde crée une vision.
On peut tricher en photo, pas en peinture. La peinture se donne pour ce qu’elle est. Elle ne pose pas à l’objectivité. Même hyper réaliste, même purement abstraite, elle décline irrésistiblement l’identité du peintre à travers son regard.

POLICIER (ÉTAT)
Passé trois jours en Italie, pas vu un policier, pas vu un carabinier. Je passe le col de Larche. Cinq cent mètres après la frontière, une fourgonnette de gendarmes fait le guet, planquée au-dessus de la route…

POLITIQUE
Comme tout discours, mon discours, y compris quand je parle d’art, est politique. La différence avec tant d’autres discours, c’est qu’il l’est consciemment et ouvertement, au lieu de l’être sans le savoir ou en s’en cachant. C’est donc un discours militant.
Mais que nous le voulions ou non, fût-ce par omission, tous nos discours sont politiques. Il serait temps que nous en prenions conscience, et que nous acceptions pleinement la responsabilité de notre parole, qui est un acte au même titre que tous nos autres actes.
Nous pensons politique, nous respirons politique, nous vivons politiquement, à chaque instant de notre vie. Ne pas (vouloir) s’en rendre compte, c’est tricher avec soi-même et avec les autres, c’est tricher avec la vie.

PROSTITUTION (« choisie »)
Sur France-Inter, "Le téléphone sonne" donne la parole à une jeune femme qui se veut très sûre d’elle et se présente comme prostituée par choix. Si je comprends bien son discours, elle est digne parce qu’elle a choisi d’être indigne. Personne ne l’a obligée à se vendre, donc elle garde sa dignité. Je me vends comme objet, mais je reste un sujet, puisque c’est moi qui décide d’être un objet. Combien de temps tiendra-t-elle dans cette belle logique ? La seule prostituée dont je pourrais dire que c’est une pute, c’est celle qui a choisi de l’être.

QUESTIONNER
La plupart des artistes contemporains qui disent « questionner » ceci ou cela ne questionnent rien du tout. Ils font semblant. En d’autres termes, ils se branlent et appellent ça faire l’amour. Les artistes qui questionnent vraiment ne se donnent pas la peine de le dire : leurs œuvres parlent pour eux. Koestler, Orwell, Saviano, pour ne prendre que ces trois-là, voilà des questionneurs, des vrais. Mais aussi Baudelaire, Rimbaud, Proust, Monet, Munch, et tant d’autres. Ceux-là remettent en question notre paresse, notre incuriosité, notre lâcheté.
Quant aux questionneurs de salon, je les mettrais bien à la question, histoire de vérifier si, comme le suggèrent leurs « œuvres », ils n’ont rien dans le ventre.

RAISONNABLE (être)
Être raisonnable, c’est seulement prendre soin de soi, ce qui implique de prendre soin d’autrui.

RESPECT
J’ai adoré voir Sarkozy s’indigner : « On n’a pas respecté ma fonction… »
Le respect, petit Nicolas, ça se mérite, comme je le disais en 1969, à mes collègues de salle des profs du lycée Van der Meersch de Roubaix, qui se plaignaient en chœur sur l’air bien connu « Le respect s’perd ».
Ce n’est pas le président de la République qui n’a pas été respecté. C’est l’individu Sarkozy qui a été à juste titre méprisé parce qu’il ne respectait ni sa fonction, ni ceux au service desquels il était censé l’exercer. Ce faisant, au bout du compte, Nicolas Sarkozy ne se respectait pas lui-même.
En s’indignant que le miroir lui ait renvoyé l’ignoble et trop fidèle image du pauvre type qu’il est, Nicolas Sarkozy inverse les données du problème, comme il l’a toujours fait en tous domaines, pour mieux se décharger de toute responsabilité. Si je suis moche, c’est la faute au miroir ! Si les riches sont plus riches et les pauvres plus pauvres, c’est la faute à la crise.
Telle est la sempiternelle rengaine du salaud intégral si bien identifié par Roberto Saviano dans son terrifiant Gomorra en la personne de l’immonde et génial inventeur de la Kalachnikov.

RHÉTORIQUE
« C’est de la rhétorique ! »
Quand ils ont dit ça, ils ont tout dit, les rhéteurs de la pensée unique élitiste. Ils ont en effet depuis quelque temps, sur la base de lectures philosophiques un peu bien rapides et mal assimilées, une fâcheuse tendance à faire un usage rhétorique du mot rhétorique pour dévaluer sans autre analyse le discours de leurs adversaires.
Nous faisons tous de la rhétorique sans le savoir, si par rhétorique l’on entend l’art de formuler sa pensée de façon convaincante en ne se limitant pas à la froide logique du discours rationnel, ce qui est d’entrée irrationnel, puisque nous sommes tout sauf des êtres rationnels. La réalité ne se laisse jamais totalement prendre dans la cage un peu raide et grossière du rationalisme, et les raisonnements abstraits ne convainquent que la petite frange de castrats intellectuels qui ont oublié qu’ils ont un corps et des sentiments, bref qu’avant d’être des machines à penser ils sont des animaux et des êtres vivants.
Il n’y a vraiment rhétorique au sens péjoratif du terme que quand le discours devient artificiel à force d’être orné, c’est à dire quand les figures de style, au lieu de naître spontanément, deviennent des trucs destinés à manipuler le discours et à dissimuler l’impuissance de la réflexion. Traiter de rhétorique, comme le fait l’inculte Dominique Reynié, tout discours qui s’adresse à l’être entier et non à son seul intellect, c’est faire de la rhétorique, et de la pire, la rhétorique des rhéteurs !
N’en déplaise aux penseurs approximatifs du petit monde médiatique et à leur dérisoire vernis de culture, la rhétorique est l’art du bien dire, et le fait qu’ils utilisent ce terme de façon rhétorique ne condamne qu’eux.
Quand on veut faire joujou avec la rhétorique et la dialectique, il n’est pas inutile de commencer par lire un peu Platon, qui n’a jamais été plus actuel…

SAGESSE
Quand nous laissons les autres faire ce qu’ils veulent, ils finissent presque toujours par faire ce que nous voulons.

SAINT-EXUPÉRY
Tenté d’en lire un peu davantage. Rien à faire. Le problème avec Saint-Exupéry, c’est qu’il est sans doute l’écrivain le plus dépourvu d’humour que la Terre ait jamais porté.

SALAUDS
On reconnaît les vrais salauds à ce qu’ils déguisent toujours sous les oripeaux du bien le mal qu’ils préméditent. C’est pourquoi il est inutile d’écouter ce que disent les hommes ; suffit de regarder ce qu’ils font.

SAUVETAGE
Les sauvetages successifs des banques par les états me font penser à ces généreux altruistes qui volent au secours d’imprudents en train de se noyer, lesquels s’accrochent à eux, reprennent des forces et du courage et se sauvent vers le rivage, laissant leur sauveteur épuisé couler à pic. Et si le malheureux par miracle survit, ils lui font un procès et lui réclament des dommages et intérêts, parce que pour leur sortir la tête de l’eau l’incivil leur a tiré les cheveux…
Sauver les banques était de toute évidence la dernière des conneries et le pire des crimes. Cette aberration n’a qu’une cause possible : la collusion entre banquiers et politiques. C’était leur donner d’avance un blanc-seing, reconnaître leur inviolabilité, et les dispenser de rendre des comptes, ce qui est pourtant la vocation même de tout établissement bancaire.
Sauver les banques, c’était nier les principes mêmes du libéralisme, et avouer que les dés sont pipés. C’était le point culminant du processus de déresponsbilisation par lequel les élites au pouvoir s’exonèrent des conséquences de leurs agissements, et font payer aux peuples le prix de leurs erreurs.
Les crétins absolus à la Philippe Dessertine ont au moins une utilité : leur nullité, leur incompétence et leur malhonnêteté font apparaître avec une clarté aveuglante les réalités mêmes qu’ils tentent d’occulter. Leur bêtise nous aide à réfléchir, leur méchanceté à nous révolter.
Voir BANQUES

SOULAGEMENT
Personne n’a semblé remarquer combien est caractéristique de l’hypocrisie de notre ex-président son attitude face aux harkis dont il était allé solliciter les votes. Le message peut être ainsi résumé : « Oui, nous vous avons abandonné, nous vous avons fait du tort, pardon, mais pas question de vous dédommager. »
En d’autres termes, nous vous demandons de nous pardonner gratuitement, car nous n’avons aucunement l’intention de nous repentir au point de réparer, ne serait-ce qu’un peu, le mal que nous vous avons fait. Avouer notre faute, oui, les mots ne coûtent rien ; mais en assumer les conséquences concrètement, vraiment trop cher.
Tout Sarkozy est dans cette permanente contradiction entre le dire et le faire, qui relève de la même perversité manipulatoire que Watzlawick a nommé injonction paradoxale et dont l’exemple type est le commandement : « Soyez spontané ! ». Là est toute l’ignominie de la conception libérale-nazie du monde : il s’agit de nous tuer pour nous apprendre à vivre, et c’est pour notre bien qu’ils nous font du mal…

STYLISATION
Pour être pleinement réussie, la stylisation, ne doit pas jouer le raffinement contre le réalisme. Styliser, c’est marier idéalisme et réalisme ; il ne s’agit pas de simplifier la réalité, mais de l’épurer sans la désincarner, d’inscrire l’universel dans le particulier.

TAROTS
D’après mon expérience, les tarots ne parlent pas du futur, mais de l’éternel présent.

TROGNES
Corrompue jusqu’à l’os, la droite actuelle, qui comprend à vrai dire un certain nombre de prétendus hommes de gauche façon Collomb ou DSK, aligne, comme autant de têtes à claques dignes d’un jeu de massacre, une invraisemblable collection de trognes dignes de Balzac et de Daumier.
Les regarder, c’est voir s’étaler sans la moindre pudeur, sans la moindre réserve, ce que le genre humain peut faire de mieux en matière d’appétits ignobles, de ruses minables, de violence cauteleuse, d’hypocrisie, d’arrogance et de lâcheté.
De quelles inconcevables fausses couches ont bien pu surgir ces mufles immondes, engendrés par l’infernale copulation du pouvoir et du profit ?

VALEUR(S)
Que d’acceptions souvent inacceptables pour ce mot fourre-tout où se mélangent contre nature la Morale et la Bourse !
Restons-en au sens cornélien, sens du 17ème siècle, et n’accordons de valeur qu’à ce qui « vaut » vraiment le coup, à savoir tout ce qui ne vaut rien aux yeux des a-valeurs…
En parlant d’a-valeurs, sur France-Inter l’autre jour, encensée par l’imbuvable Hélène Jouan, une certaine Virginie je ne sais quoi, financière en capital-risque et autres juteuses saloperies, dégueulait la bouillie lyophilisée qui tient lieu d’idéologie aux zombies de l’économisme triomphant : « Marre d’être montrés du doigt quand on gagne l’argent qu’on mérite, les meilleurs doivent être surpayés ou ils iront ailleurs, il faut lutter contre le pessimisme, et retrouver la foi dans l’avenir… »
Nous, c’est de l’invraisemblable tissu de conneries mensongères qu’ils veulent nous faire avaler depuis une cinquantaine d’années que nous en avons marre !
Qu’un homme soit assez stupide pour soutenir ces théories mortifères, passe encore, on sait ce que valent les hommes, mais dans la bouche d’une femme, c’est la vie se reniant elle-même.

VOLAPÜK
Ancêtre de l’espéranto, remis au goût du jour en 1962 par Charles de Gaulle, orateur d’un autre niveau que les NS, FH, DSK, NKM et autres JMA…