LA DICTATURE DU VIOL, UN MODE DE VIE MORTEL



Si ce titre vous surprend, je vous propose de commencer par écouter LA FABRIQUE DES PANDÉMIES, entretien particulièrement instructif avec Marie-Monique Robin, auteure de Sacrée Croissance et de Le Monde selon Monsanto, et de lire cet autre entretien avec Matthieu Amiech par Amélie Poinsot (Mediapart), COVID 19 : VERS UNE SOCIÉTÉ-MACHINE, fort instructif lui aussi. Ils me semblent pouvoir aider à percevoir le phénomène que je tente de mettre en lumière dans le texte qui suit.

LA FABRIQUE DES PANDÉMIES

COVID 19 : VERS UNE SOCIÉTÉ-MACHINE



Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice. Montesquieu

La lutte de l’homme contre le pouvoir, c’est la lutte de la mémoire contre l’oubli. Kundera


J’ai failli renoncer à écrire ce texte. L’évidence dont il découle m’était si intuitivement présente qu’il me semblait presque impossible de la démontrer…
Mais comment renoncer à tenter de lui donner forme à peu près cohérente à un moment où le sujet qu’il aborde est arrivé à une telle urgence qu’il nous place face à une tragédie à laquelle il n’est pas d’autre issue qu’une mutation radicale de notre comportement ?
Des morts très proches autour de moi ces derniers mois, qu’il n’a été possible d’accompagner un minimum qu’en créant un véritable rapport de force, m’ont convaincu de l’urgence de revenir à l’humain, de redevenir humain. Et cela passe par l’élucidation du mode de fonctionnement principal de notre rapport au monde.
Il est indispensable que soit dressé une bonne fois pour toutes le constat d’un mode de vie dans lequel nous sommes tous à la fois actifs et passifs, violés et violeurs. Car sans cette douloureuse prise de conscience les mutations nécessaires à la survie de l’espèce humaine seront impossibles. L’accès à une morale écologique concrète, qui pourrait seule soustraire l’humanité à son autodestruction en cours, devra forcément se fonder sur l’identification précise de ce qui est plus que jamais notre conduite fondamentale, notre mode de vie principal et quasi unique, le viol universel généralisé.
Il nous faut désormais lutter contre notre pouvoir sous peine de succomber sous son excès.

Que signifie ce mot, VIOL ?
À l’entrée Viol, le dictionnaire de Robert renvoie au verbe Violer, indiquant clairement par là que le viol relève du domaine de l’action. Comment définit-il le verbe Violer ?

« Violer
Du latin violare.
1° Agir contre, porter atteinte à ce qu’on doit respecter, faire violence à… Violer les lois, la constitution. Voir Contrevenir, déroger (à), désobéir, enfreindre, transgresser. Violer les droits les plus sacrés. Profaner. Blesser, braver, manquer (à), passer (par-dessus). Violer sa foi.
Abandonner. Violer ses promesses. Parjurer (se). Trahir.
2° Agir de force sur quelque chose ou quelqu’un, de manière à enfreindre le respect qui lui est dû. Souiller.
Antonymes : Consacrer, garder, obéir, observer, respecter. »

1 LE VIOL, UN CONCEPT PERTINENT ?

1.1 C’est sur ces définitions du verbe violer que je me fonde pour définir notre époque comme celle du triomphe de la dictature d’un mode de vie que résumerait très proprement le mot VIOL.
C’est en novembre 2013 que ce mot s’est imposé à ma réflexion. J’ai donc mis 7 ans à tourner autour de cette intuition avant de tenter de lui donner forme écrite. Inscrire cette hypothèse dans un développement « rationnel » s’avérait tout sauf évident, tant notre « civilisation » a su parer de faux-semblants hypocrites ses véritables motivations…
Deux ans plus tard, Paul Verhoeven tournait « ELLE ». Ce n’est pas par hasard que ce cinéaste très lucide quant à la situation réelle de l’humanité d’aujourd’hui a donné ce film glaçant sur le viol et ses ambiguïtés. Deux ans encore, et après la gouvernance hypocrite du faux mou François Hollande, l’élection programmée à la présidence de notre pays d’un jeune banquier d’affaires décomplexé échappé d’un algorithme digne d’une mixture d’Animal Farm et de 1984 (on ne pourra pas dire qu’Orwell ne nous avait pas prévenus !) confortait ma petite hypothèse concernant ce que je souhaitais appeler le viol généralisé.
Tout comme la pratique du pouvoir de l’actuel président de la République, ce film redoutable m’est apparu comme une superbe métaphore de notre « civilisation », aujourd’hui devenue, plus que jamais auparavant, une usine à viol tous azimuts.

1.2 L’intérêt d’utiliser le concept véhiculé par le terme « viol », trop souvent réduit à son acception sexuelle, qui en est la forme la plus évidente et la plus odieuse, me semble être qu’il permet de relier tout un ensemble de faits apparemment sans rapport entre eux à une même décision initiale, celle prise consciemment ou non, tout au long de l’histoire humaine, par une trop importante partie des membres de notre espèce, à commencer par les hommes et femmes de pouvoir au grand complet, de ne tenir compte que de leurs propres besoins, « quoi qu’il en coûte » à autrui, vécu non comme un partenaire ou un compagnon, mais comme un adversaire à soumettre et exploiter. Violer, c’est dénier à autrui son être de sujet pour le réduire à l’état d’objet, autrui désignant évidemment ici toute forme de vie animée ou non avec laquelle l’on entre en interaction.

1.3 Aborder notre problème de civilisation à la lumière du viol permet aussi de faire apparaître que nous ne sommes pas seulement passifs, mais que d’une manière ou d’une autre nous participons activement à ce jeu macabre qu’est le viol généralisé. Nous sommes certes violés, mais nous sommes aussi violeurs, ce qui signifie d’une part que nous devons prendre en compte notre part de responsabilité, si minime soit-elle, d’autre part que nous pouvons donc « faire quelque chose », et, assumer ainsi notre responsabilité en agissant à notre niveau, individuellement et collectivement.

1.4 Mais pourquoi parler de viol généralisé ? Parce qu’à mon sens le mot viol peut aujourd’hui à bon droit s’appliquer à la plupart de nos activités, et caractériser la majeure partie de nos interactions avec le monde où nous vivons.
Et parce que le viol nous concerne tous, en tant que violés comme en tant que violeurs.


2 THÉORIE ET PRATIQUE DU VIOL GÉNÉRALISÉ

2.1 LE VIOL, UNE PHILOSOPHIE
Comme l’avaient très bien vu, éprouvé et formulé les peuples amérindiens, nous sommes une « civilisation » placée tout entière sous le signe du viol.
Un viol jamais reconnu, puisque perpétré au nom de la Raison et de la Civilisation.
L’approche « rationnelle » du monde véhiculée par l’Occident depuis 250 ans est déjà en elle-même un viol puisqu’elle refuse toute valeur à l’irrationnel, qui est pourtant le fondement même de notre présence au monde. Sous prétexte que la qualité relèverait de la subjectivité et que seule l’approche quantitative permettrait l’objectivité, une science matérialiste obsédée par ce qu’elle croit être l’efficacité a castré de toute sensibilité une pensée rationnelle qu’elle avait déjà mutilée par la grâce douteuse de la statistique et de la numérisation, la folle généralisation des algorithmes venant parachever la stérilisation de l’intuition, de l’imagination, de la sensibilité.
En ce sens, les approches dérivées du cartésianisme et de la très courte, assez pauvre et donc tyrannique philosophie des Lumières relèvent d’un obscurantisme « progressiste » dont les conséquences catastrophiques apparaissent de plus en plus pleinement à mesure que s’étend, dans sa composante technologique radicale au nom aberrant, le transhumanisme, la dictature de la religion rationaliste mécaniste, la plus barbare et la plus intolérante de toutes les religions.
J’émets l’hypothèse que le viol est au fondement même de la « civilisation » libérale et de ses avatars, y compris le prétendu « communisme », qui n’est que le revers de la même fausse monnaie. Principe fondateur occulte de notre prétendue civilisation, ce mode d’action qu’est le viol explique le développement proprement barbare d’une humanité irresponsable, lié au détournement pervers du rationalisme originel, réduit à sa composante matérialiste mécaniste et instrumentalisé pour devenir la justification d’une conception impérialiste du monde, dont la schizophrénie anti-naturelle mène à la destruction de notre espèce et d’une bonne partie de la biosphère planétaire.
C’est pourquoi je propose de le désigner sous le nom de viol généralisé ou universel.

2.2 UN RATIONALISME IRRATIONNEL
En effet, l’approche « rationnelle » technologique improprement nommée progrès se résume en définitive à un viol systématique et permanent de la nature, considérée comme « imparfaite », et qu’il serait indispensable de « refaire » selon notre approche anthropocentrique, afin « d’améliorer » l’existant. Remodeler le vivant, nous recréer nous-mêmes, nous réinventer, en somme.
Ainsi boursouflée, la raison « rationaliste » s’avère le comble de l’irrationnel, ne serait-ce que parce qu’elle ne cesse de violer ses propres principes en excluant la prise en compte d’un irrationnel pourtant omniprésent. Quand la conscience nie l’inconscient, elle s’abandonne à son pouvoir, d’autant plus tyrannique qu’occulté.
L’idéologie du progrès infini débouche ainsi sur d’insolubles contradictions, dont la pire est peut-être le fait que la magnifique réduction de la mortalité infantile finit par être la cause d’un problème démographique catastrophique impliquant à court terme une sévère limitation des naissances…
Nous sommes allés beaucoup trop loin et beaucoup trop vite, à la fois dans l’espace et dans le temps, par la grâce de cette étrange mégalomanie qui fait que l’espèce humaine croit que tout lui est dû, et qu’elle peut fonctionner seule contre la nature en violant toutes les règles qui régissent le fonctionnement même de la vie.
Le progrès technologique a entraîné une erreur capitale, un crime contre la nature et l’humanité, un péché mortel (le terme trouve ici sa vraie signification). Il nous a fait croire que le progrès est quelque chose de simple et inévitable et qu’il advient naturellement au fil de nos découvertes. Il nous a donné le pouvoir, mais non la maîtrise du pouvoir, sans laquelle il n’est de pouvoir qu’impuissant ou destructeur.
Parce qu’elle est l’instrument privilégié du viol, la technologie n’est pas la solution, elle est le problème. Comme d’autres civilisations en déclin avant elle, la nôtre se livre donc à une véritable orgie de viols, due sans doute en partie à sa rage devant son incapacité à conjurer les conséquences de son développement démentiel. Le viol est toujours la manifestation d’une impuissance…
Impuissance renforcée par la violence aveugle qui caractérise le violeur, et fausse radicalement sa vision du monde : sa méconnaissance obstinée des besoins de l’autre aboutissant par ricochet à une méconnaissance suicidaire de ses propres besoins réels.
De sorte que le viol se retourne tôt ou tard contre le violeur, parce qu’il ne résout rien : le viol est une négation de la réalité. Prendre l’autre contre son gré, c’est ne rien recevoir, tel est pris qui croyait prendre, dit la sagesse populaire. Prisonnier volontaire de son viol, le violeur voit son viol refermer sur lui la cage de sa solitude qu’il avait cru pouvoir ouvrir en niant le libre arbitre de l’autre. En violant l’autre, il s’est violé lui-même. L’absence d’échange renvoie le profiteur au vide qu’il espérait remplir, et qu’il tentera en vain de combler par toujours davantage de profit. C’est la triste histoire de tous les apprentis dictateurs, domestiques ou politiques : se satisfaire sans satisfaire autrui vous rend insatisfait à vie. Plus je viole, plus je dois violer…

2.3 LE TRANSHUMANISME : CHANGER LA NATURE, PAS LE MODÈLE
Ainsi des néo-libéraux actuels, qui sont tout sauf réalistes, tout sauf rationnels. Leur modèle ne marche pas, il n’a jamais marché, et il est désormais patent qu’il est suicidaire. Pour remédier à ce désastre, ils veulent changer la nature, alors que c’est le modèle qu’il faut changer.
D’où cette pure folie technologique amoureuse d’une science dévoyée qu’est le « transhumanisme ». Pour cette démarche typiquement luciférienne, il s’agit de détruire l’équilibre naturel afin de le transcender par la multiplication à l’infini des artifices, au moment même où, emportés par le changement climatique et la ruine de la biodiversité, nous rejouons collectivement la chute d’Icare.
La réalité fait obstacle à notre rêve « rationnel », révoltons-nous contre elle, et au besoin détruisons-la pour faire aboutir notre rêve, quitte à en faire un cauchemar.
La panique qui me semble s’être emparée de l’inconscient collectif de notre espèce ne vient-elle pas précisément de la conscience diffuse qu’elle a prise de cette folie furieuse du libéral-nazisme et de son horizon transhumaniste de guerre totale au Vivant dont nous sommes une infime partie, dont nous sommes nés et dont nous dépendons ?

2.4 LE VIOL, NOTRE MODE DE VIE
Qu’est-ce en dernière analyse que le viol, sinon l’exercice d’une liberté individuelle ou collective poussée à son paroxysme, c’est à dire, jusqu’à rendre autrui prisonnier de cette prétendue liberté, qui n’est jamais que celle du renard dans le poulailler ? Liberté prisonnière d’elle-même, car tellement ivre d’elle-même qu’elle ne peut plus que détruire. Et le renard devenu fou, ayant égorgé tout le poulailler, s’en ira sans même emporter une proie…
En principe la liberté de chacun s’arrête où commence celle d’autrui. À elle seule, la notion libérale de profit contredit formellement l’idée de liberté, puisque le profit ne s’obtient jamais qu’aux dépens de cela, objet ou sujet, dont on tire profit. Il en va évidemment de même pour le collectivisme, qui viole l’individu au profit d’une communauté fantasmée.
Ainsi entendu, il est clair que le viol est de loin notre mode d’action et notre mode de vie le plus répandu, conformément à la loi du marché et à la suprématie désormais bien établie de l’économie financière sur la morale, la politique, l’intérêt général et les individus.
Aussi est-il essentiel de dénoncer sans relâche le viol systématique du politique par l’économique, qui est peut-être le principal, car il entraîne tous les autres, instituant le règne implacable de l’argent contre l’âme et de la communication (entendez la publicité et la propagande) contre l’échange.

2.5 VIOLÉS
Dans un monde où règne sans partage la finance, tout est naturellement sous le signe du viol. On peut discerner partout sa pratique systématique, la liste serait trop longue et touche absolument tous les domaines de l’activité humaine, chacun peut donc la compléter à l’envi.
Ces viols, j’en citerai quelques-uns, volontairement pêle-mêle, afin d’illustrer l’universalité de cette pratique sous toutes les formes qu’elle peut prendre.
Viol, le contournement scélérat du référendum de 2005, viol, le vote utile lié à la mise en avant depuis Mitterand du RN ex-FN, viol, le compteur Linky, viol, la 5G, viol, le stockage des déchets radioactifs à Bure. Viols, les particules fines du diesel, les nano-particules, les OGM ; viol majeur, le nucléaire civil et militaire, viols réitérés et impunis, les violences policières, et viol effarant leur négation. Violeurs, les gouvernements, les entreprises sans foi ni loi, les fraudeurs du fisc à la Cahuzac, violeurs, pas seulement voleurs, les énarques pantouflards et rétro-pantouflards, violeurs et pas seulement voleurs les innombrables responsables barbotant allègrement dans d’incroyables conflits d’intérêt (une des pires formes de viol).
Viol, l’expansion démographique d’une humanité pléthorique, viol, le saccage insensé de la nature, viols irréparables, la sixième extinction des espèces et le réchauffement climatique, viol enfin ce que les chercheurs nomment désormais l’Anthropocène ou le Capitalocène.
Le problème, c’est qu’en dernière analyse, c’est lui-même que le violeur (ou la violeuse) viole à travers autrui. Et c’est ce que notre hôtesse Gaïa commence à nous apprendre en réagissant naturellement aux si brillants stimuli que nous lui imposons.

2.6 VIOLEURS
Sidérés, nous regardons nos violeurs nous pénétrer et jouir de nous…
Et pour n’être pas en reste, histoire de ne pas être seuls à souffrir, et parce qu’en somme tout le monde le fait, de bien des manières ouvertes ou dissimulées, conscientes ou inconscientes, à notre tour, nous violons de notre mieux, éparpillant nos ordures sur les plages, jetant partout nos cigarettes, semant à tout vent les crottes de nos chiens, bref, pratiquant comme un jeu joyeux et réconfortant toutes ces petites saloperies qu’on appelle des incivilités. Pour être mesquin, le viol n’en est pas moins réparateur. En rabaissant l’autre ou mieux en le niant, le violeur monte dans sa propre estime, et Dieu sait qu’il en a besoin.
Fraternité et bonne conscience à conforter aidant, le petit violeur devient indulgent envers le grand violeur, tolérant la grande corruption dans l’espoir que son accord tacite vaudra absolution pour ses propres menus viols de gagne-petit.
En politique, un antifascisme de façade est censé dédouaner de l’acceptation plus ou moins intéressée de ce viol qu’est l’exploitation de l’homme par l’économie et la finance libérales-nazies. Comme cet antifascisme à géométrie variable ne peut donner complètement le change à ses pratiquants, il s’accompagne d’une sourde culpabilité, et se fait histrionique et agressif, tout particulièrement envers les antifascistes authentiques qui ont su reconnaître les nouveaux masques de la bête immonde. D’où, lors des deux dernières élections présidentielles, comme lors de la campagne du référendum européen de 2005, d’une violence incroyable envers les partisans du NON, la condamnation du vote blanc et de l’abstention par les tenants du vote utile, avec une virulence presque incroyable et quasi… fasciste !
Le même phénomène est à l’œuvre dans l’assimilation des lanceurs d’alerte à des complotistes en un amalgame aussi commode et simpliste qu’hypocrite. Comme toujours, les comploteurs sont les premiers à dénoncer comme complotistes ceux qui voient clair dans leur jeu…
La machine à corrompre tournant de plus en plus vite, les viols sont devenus répétitifs, toujours plus nombreux et plus graves, objets d’une addiction sans cesse croissante de la part des gouvernants de la planète.
En France, violer la loi, violer la Constitution est devenu un sport à la mode que pratique avec volupté la majorité de la classe politique, gouvernement en tête, un sport dans lequel excellent désormais les institutions même chargées de l’empêcher, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, réunis dans la même effarante dérive oligarchique. La Loi elle-même se met hors-la loi pour mieux renier la démocratie…
En ce sens, on peut à bon droit considérer que le parcours d’Emmanuel Macron, de sa campagne à sa présidence, aura été la consécration du viol comme mode d’exercice privilégié de la politique, un chef-d’œuvre de tartuferie associant la pire brutalité à la plus cynique hypocrisie. C’est sur quoi débouche immanquablement tout système oligarchique parvenu à maturité. Ayant perdu toute légitimité à force de se croire naturellement légitime, l’oligarchie se montre d’autant plus sous son vrai visage que le viol du consentement citoyen est dès lors son seul moyen de rester au pouvoir.

2.7 LÉGITIMATION DU VIOL : S’ADAPTER OU DISPARAÎTRE
Ces viols acceptés, presque légitimés, annoncent l’arrivée de la deuxième phase du libéral-nazisme : le lever des masques, qui se traduit entre autres par l’imposition mondiale du masque, en une pirouette d’un cynisme magnifiquement décomplexé. Impudence totale de ceux qui violent désormais ouvertement toute éthique, et piétinent les droits de l’homme : « Il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien ». Quelle loi pourrait-elle résister à un tel constat ? Quelle démocratie pourrait-elle survivre à une telle brutalité ?
Dans notre monde globalisé, le viol est le propre de l’homme, tous genres confondus.
Tout est prétexte à viol, et en ce sens l’art contemporain de marché est bien l’avant-garde d’un mouvement libéral qui fait du viol, rebaptisé transgression ou provocation, la seule mesure de la qualité, escamotée au profit de la quantité. On ne peut pas violer la qualité (l’esprit), le désir ne s’achète pas, le violeur se rabat donc sur la quantité (la matière), et c’est en cela que le viol est toujours une perte pour le violeur lui-même, qui doit se contenter d’un ersatz, et de l’insatisfaction qui tôt ou tard en résulte.
Sous la forme de la consommation galopante comme de l’asservissement au travail, le viol universel est notre mode de vie. Consciemment ou non, nous jouons bon gré mal gré notre rôle de consommateur, violé et violeur !
Mais ne nous plaignons pas, nous avons le choix : nous pouvons décider d’entrer dans la jouissive compétition qui permet de séparer les violés « qui sont en capacité » (ah, la langue de bois de l’oligarchie néo-libérale, encore plus subtile que celle du nazisme !) de devenir violeurs, et ceux qui ont vocation à n’être que violés.
Ainsi le viol nous devient-il peu à peu consubstantiel.
Quiconque prétend s’y soustraire est inadapté, et sera tenu pour a-normal et traité comme tel. « Tu ne veux pas réussir, ne sois donc rien ».
Manquer de résilience est un crime majeur. Concept dangereusement imprécis, comme tant de métaphores abusives, la résilience, dans le lexique libéral-nazi, en est logiquement venue à désigner l’automutilation consentie de l’être humain passant du statut de sujet autonome à celui d’objet aliéné, comme l’a démontré Orwell dans 1984. Elle finit par désigner cette sorte de capacité d’adaptation qui détermine l’employabilité du travailleur. Être résilient, ce sera par exemple adopter d’enthousiasme le masque inutile et dangereux, et reconnaître la nécessité impérieuse d’accepter un confinement destructeur, mieux de le vouloir.
C’est qu’il s’agit de rejoindre la majorité soumise et d’adhérer sans réserve au consensus forcé dicté par les pouvoirs, en fournissant ainsi la preuve de notre altruisme et de notre dévouement à nos « frères » humains, afin d’obtenir le passeport de « citoyenneté » qui entérine notre servitude volontaire.
Comme le mot résilience, le terme consensus doit être traduit, et il suffit d’en réaménager les syllabes pour retrouver son vrai sens oligarchique…
L’adaptabilité tant vantée aujourd’hui est de fait un des pires pièges tendus à la personne humaine, à qui elle fait sournoisement oublier peu à peu ses valeurs et abandonner ses principes.

2.8 LE VIOL, UNE CONDUITE INSTITUTIONNALISÉE ET INTÉRIORISÉE
Au viol mondialisé et désormais institutionnalisé répond donc la castration universelle. Il y aurait lieu de s’étendre sur la fortune actuelle d’une censure ouverte ou déguisée, et sur la promotion officielle de la délation, d’ailleurs nullement nécessaire tant celle-ci s’épanouit dans le climat délétère créé par le viol généralisé. Il est malheureusement grand temps de lire ou de relire La psychologie de masse du fascisme, si bien analysée par Wilhelm Reich qui y mettait en lumière les méfaits de l’impuissance orgastique entretenue par nos sociétés, impuissance qui par compensation mène à l’addiction à ce que j’appelle les 3 P : Pouvoir, Profit, Paraître, la Trinité perverse dévotement adorée par des élites criminelles accrochées à leurs drogues jusqu’à l’overdose.
De la même censure entraînant la même castration relève le viol culturel entretenu depuis un demi-siècle par le terrorisme du ministère de la Culture, porteur d’un impérialisme aboutissant à la sacralisation d’un art officiel académique, bourgeois et spéculatif présenté, comble de tartuferie, comme ouvert, original, transgressif, voire révolutionnaire.
Cette intériorisation et institutionnalisation de la pratique du viol se rencontre également dans l’attitude contemporaine envers la langue, traitée comme un objet à modeler à volonté, de la façon la plus arbitraire et sans la moindre précaution. Le viol permanent de la langue par les SMS et le développement forcé (comme on force artificiellement un légume ou un animal) de l’écriture inclusive ont déjà des conséquences majeures sur la structure même de notre langue, constamment traumatisée par ses locuteurs, y compris par ceux d’entre eux censés la défendre…
L’usage du viol est si bien ancré en nous que l’on peut constater tout au long de l’histoire combien les minorités opprimées semblent avoir trop souvent pour but, plus encore que d’être reconnues et acceptées, d’opprimer à leur tour les majorités forcément déviantes, devenant à terme des majorités oppressives. L’histoire abonde de ces inversions de polarité par lesquelles des minorités parviennent à changer de statut tout en maintenant un désastreux statu-quo, les rôles ayant été seulement échangés. Pas de meilleur violeur que le violé, voilà le genre de vérité dérangeante que les idéologues fanatiques se garderont toujours de prendre en compte, à nos risques et périls.
« Cachez cette vérité que je ne saurais voir ! » dira toujours l’hypocrite. Molière avait su reconnaître en Tartuffe le grand maître du viol. Car l’hypocrite est le violeur par excellence, qui s’attaque à la plus fragile et plus essentielle colonne de notre réalité, la vérité, qu’il viole d’autant plus qu’il prétend la défendre.
Nous sommes donc désormais coincés entre notre addiction au viol et le backlash des conséquences du viol généralisé d’une planète dont les écosystèmes à leur tour nous violent, en une escalade que nous avons déclenchée et nourrie mais sur laquelle nous n’avons plus aucune prise, tant les lois de la thermodynamique régulent imparablement notre monde physique. Face à cette catastrophe par nous provoquée, nous continuons à nous violer nous-mêmes, en violant notre regard pour l’empêcher de voir ce qu’il voit.
Le pouvoir peut d’autant plus nous imposer le viol que celui-ci est devenu notre loi éthique inconsciente. D’où que nous l’acceptions si aisément, comme un état de fait, « c’est la nature des choses, n’est-ce pas ? »
Ainsi s’installe et prospère la prétendue « loi de la jungle », cette loi du plus fort chère aux nazis, prétexte à tous les abus et à tous les crimes…

2.9 APOTHÉOSE DU VIOL : LA GUERRE CIVILE MONDIALISÉE
Sous couleur d’une loi de la jungle « naturelle », la pratique systématique du viol culmine à l’évidence dans la guerre civile mondiale à nouveau menée depuis une cinquantaine d’années par les riches contre les pauvres, par les oligarques contre les peuples.
« Il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien » a pu dire Emmanuel Macron sans être aussitôt destitué. Confirmant ainsi la célèbre déclaration, guère moins cynique, de Warren Buffett, pendant un temps l’homme le plus riche du monde, proclamant sur CNN en 2005  : «  Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner.  »
Reste à en tirer toutes les conséquences selon l’infernale logique qui guide la vision du monde de nos maîtres, et de ce point de vue le Covid tombe à pic, virus permettant de détruire tout ce qui s’opposait à la dictature numérique et sanitaire des richissimes : ceux qui réussissent, les fameux « premiers de cordée », ne doivent pas être entravés dans leur essor, il convient donc si nécessaire de couper sans états d’âme la corde qui soutient les assistés, de suturer le cordon ombilical qui leur permet une survie précaire et de fait artificielle.
Ceux qui ne sont rien doivent être réduits à néant. Appelé à la servitude ou à la disparition, le matériel humain inférieur est d’ores et déjà réduit à l’essentiel, donc privé de ce dont il n’a pas besoin pour être employable, l’essence même de la vraie vie, l’âme dans toutes se manifestations, exercices et potentialités.
On est là au cœur même de la pensée de pouvoir nazie. Il y a la race des seigneurs, dont le premier devoir est de se faire autant que de nécessité race des saigneurs, afin de permettre l’avénement d’un Règne de mille ans.
Aboutissement naturel inévitable de cette apothéose du viol : détruisant toute cohérence et annihilant le contrat social, le viol universel débouche sur la corruption et le chaos, pour le plus grand profit à court terme d’une infime minorité de brillants imbéciles incapables de comprendre que leur habileté même les condamne à long terme au même titre que les peuples qu’ils veulent asservir tout en s’en séparant de leur mieux.
Ainsi leur plus belle réussite elle-même se retourne-t-elle contre eux : l’admirable succès de leur communication, qui a permis l’acceptation par un peuple hypnotisé et abêti d’une servitude non seulement volontaire mais désirée, a pour conséquence ultime l’aggravation irrésistible du désastre engendré par la consommation.
Violeurs et violés se rejoignent ainsi dans la même célébration suicidaire de la consumation, terme littéraire ainsi défini par le dictionnaire : Action de détruire quelque chose, progressivement ou complètement, comme par le feu.


3 NOUS TOUS, POURRIS

3.1 LA CORRUPTION, UN CANCER GÉNÉRALISÉ
Un des effets les plus visibles et les plus graves du viol universel, c’est l’emballement de la corruption, cancer généralisé dont les métastases se répandent irrésistiblement, aussi bien dans les institutions que chez les individus. Ainsi le poison s’est-il peu à peu institutionnalisé et intériorisé à la faveur de la généralisation du viol. L’invraisemblable saga de ce voyou mafieux qu’est Sarkozy est exemplaire de ce double pourrissement.
Mais nous aurions tort de nous contenter de dire que les politiciens sont tous pourris.
Certes, peu ou prou, ne serait-ce que par leur acceptation du système et leur complicité avec son fonctionnement pervers, la plupart de nos politiciens sont en effet pourris.
Mais pour être précis, nous devrions dire : nous sommes tous pourris.
Comme eux, nous acceptons le système et nous rendons complices de son fonctionnement pervers. Et il est presque impossible d’échapper à cette déchéance systémique.
Nous sommes appelés à être pourris, et bientôt nous y serons obligés. Nous nous sommes laissé embarquer dans une société où seul compte le profit. Quand l’argent devient roi, quand plus aucune règle morale n’entrave la recherche du profit érigée en loi, la pourriture se généralise.
Il est aujourd’hui presque impossible d’être réellement honnête, puisqu’il s’agit constamment d’optimiser nos gains, d’être le plus rentable possible ; en conséquence plus aucun contrat n’engage réellement les contractants, tout contrat peut constamment être remis en cause. Que dit d’autre Dominique Seux, chantre illuminé du « Tous pourris, Dieu reconnaîtra les siens ! », quand il nous demande de mettre sans cesse en concurrence nos fournisseurs d’accès par exemple, mais aussi l’ensemble des contrats que nous passons avec autrui. « Faites jouer la concurrence, nous susurre-t-il, vous pouvez changer de contrat avec un simple coup de fil. »
Plus de parole donnée, plus de respect des engagements, au final, plus d’engagement du tout. Seule compte la recherche de l’intérêt personnel immédiat, sans aucun souci de l’intérêt d’autrui, supposé se défendre de son côté, and may the best win !
Tout engagement a vocation à être violé, et sera de plus en plus conçu pour ce faire, afin de pouvoir en rechercher un plus avantageux. Le chiffon de papier mondialisé…
La parole donnée n’est plus qu’une peau de chagrin : « Je m’engage aujourd’hui, mais ça ne m’engage à rien. »
C’est ainsi qu’on en vient à conclure des traités internationaux où les intérêts privés priment sur l’intérêt général et peuvent impunément l’emporter sur lui. Ils sont expressément conçus pour permettre que soient légalement violés le bon sens et la morale en même temps que l’intérêt général et les biens communs : l’État, par principe dépositaire de l’intérêt général et censé le défendre, devra constamment rendre compte de ses décisions sur la seule base du respect de la recherche du profit privé.
Comment dans une démarche aussi folle les politiciens ne seraient-ils pas tous pourris ? Tout les y invite, presque tout les y force ! Parmi tant d’autres exemples, la saga du magnat de presse Murdoch montre combien la corruption est inhérente au capitalisme dans sa phase finale « néo-libérale ».
Rien ne pouvant plus être inscrit dans la durée, le court terme devient obligatoire et verrouille toute possibilité de progrès véritable au profit d’une fuite en avant permanente.
Le changement permanent des lois fait partie de la même insécurité programmée, on en arrive désormais à cet oxymore effarant qu’est l’état d’urgence permanent ! Théoriquement tout provisoire, le voici constamment renouvelé et renforcé, devenu projection symbolique de cette « urgence » qui constitue le seul horizon de l’humanité actuelle, un horizon mondial immense mais confiné à l’instant présent et à ses conséquences éventuelles… sur les prochaines 24 heures !

3.2 UNE SERVITUDE VOLONTAIRE :
RÉSILIENCE, ADAPTABILITÉ, EMPLOYABILITÉ
Rien ne dure, cessons donc d’essayer de faire durer, accélérons, changeons de nous-mêmes avant d’être rattrapés par le changement naturel. Adaptons-nous sans cesse, soyons résilients, plus on est fou plus on rit ! Un des viols les plus destructeurs, celui du temps humain et de ses rythmes…
Au nom du profit, tout peut être à tout instant remis en question. Telle est désormais la seule loi pérenne, et pour le coup présentée comme intangible : il n’y a pas d’alternative au règne de l’argent et notre seule liberté consiste à tenter d’en gagner à tout prix, quitte à le payer bien plus cher qu’il ne vaut…
Échanger sa vie et sa joie de vivre contre un petit bout de la queue du Veau d’or, étrange pacte faustien où il n’y a rien à gagner et tout à perdre !
Refus de fixer des règles qui durent, pour s’adapter à l’urgence d’une évolution prétendument irrésistible. Il faut une fluidité toujours plus grande, mettre sans cesse plus d’huile dans les rouages, ce qui aboutit à ce patinage généralisé qui caractérise notre époque tout occupée à tourner sur place en une véritable danse de derviche. Diminuer les charges, flexibiliser le travail, changer sans cesse de métier, l’homme, variable d’ajustement, voit sa place se restreindre, son droit à l’existence contesté, il faut qu’il se fasse le plus petit possible, l’idéal serait qu’il disparaisse, rien de plus fluide que l’absence. En attendant de l’éliminer, commencer par le normaliser, le formater, lui ôter toute possibilité d’entraver le bon fonctionnement de la machine à cash, d’être le grain de sable qui minimise le rendement.
Les décisions concernant nos vies deviennent donc complètement unilatérales, ni l’individu ni le groupe ni le peuple n’ont plus voix au chapitre qu’à condition de se soumettre aux exigences du profit : voter oui aux référendums, voter utile et non selon son intime conviction, etc. L’intérêt des profiteurs au pouvoir s’impose d’une manière ou d’une autre, par la carotte ou le bâton, à l’intérêt général.
Plus rien n’entrave le libre jeu des rapports de force, ce qui est la définition même du nazisme, telle qu’elle ressort notamment des récentes et remarquables analyses de Johann Chapoutot.
C’est vrai dans tous les domaines, et à tous les niveaux de la société : n’imposer aucune limite à l’appât du gain, c’est légitimer et légaliser le viol, mieux, c’est le rendre non seulement légal, mais obligatoire. Voyez par exemple le domaine de l’environnement : toute règle de bons sens tendant à sauver ce qui pourrait encore l’être n’est solennellement édictée que pour pouvoir être violée tôt ou tard. Et plutôt tôt que tard, comme l’a si bien prouvé une fois encore notre Tartuffe présidentiel en promettant de reprendre les propositions de la convention citoyenne sur l’écologie avant de se parjurer avec le parfait cynisme qui est sa marque de fabrique et qui l’apparente à un peu ragoûtant mélange de Trump et de Poutine.

3.3 LA CORRUPTION, UN DEVOIR CIVIQUE AU PAYS DU DIEU PROFIT
L’intérêt général n’est plus évoqué que pour être violé par des intérêts particuliers. D’où par exemple les fameux partenariats public-privé, d’où la concession des autoroutes, d’où les privatisations systématiques et le saccage organisé des services publics.
Les tiques remplacent l’éthique, le parasitisme devient un mode de vie, tel est le credo ultime des oligarques contemporains. Rien d’étonnant à cela, tout homme de pouvoir est homme de viol, et fier de l’être.
Car la corruption est elle-même, par nature, une violence. Comme son nom l’indique, la corruption fait pourrir le tissu social pour n’en laisser subsister que les apparences. Elle détruit radicalement toute possibilité de relations humaines saines et dignes de ce nom.
Violence feutrée mais violence, et qui engendre toujours plus de violence. Roberto Scarpinato, dernier survivant des admirables procureurs anti-mafia, a bien montré dans son livre Le retour du Prince qu’il n’y a pas de corruption sans violence. La corruption, c’est le retour à la loi de la jungle, c’est le développement de la mafia, et un engrenage qui à travers la violence généralisée mène à la dictature. La finance actuelle, totalement corrompue, qui nous manipule et nous gouverne contre l’intérêt général, relève des mêmes principes pervers si bien incarnés par le nazisme, et il n’y a aucune raison de lutter moins contre elle que contre des formes de totalitarisme plus anciennes et d’ailleurs abandonnées par l’oligarchie, qui les utilise seulement comme repoussoir. Si la « modernité » du libéral-nazisme a pu un temps lui redonner une virginité aux yeux des naïfs, le quinquennat de Macron après ceux de Sarkozy et de Hollande a surabondamment montré la profondeur de la corruption institutionnalisée, et les masques ont fini de tomber avec l’incroyable mascarade du Covid.
La démesure forcenée du viol généralisé s’illustre dans l’effondrement écologique et économique, dans les effarantes dérives du transhumanisme, dans le retour de la féodalité à travers la très réelle servitude qu’entraîne notre addiction aux nouvelles technologies et l’incroyable montée des inégalités.
La règle d’or de la corruption, non pas servir mais se servir, n’est plus seulement appliquée en catimini, elle s’impose ouvertement, elle devient précepte moral. Dès lors, les politiciens sont fondés à se croire honnêtes, puisqu’ils suivent la nouvelle loi d’airain du profit, loi qui justifie d’avance le viol de toutes les autres lois et le refus des valeurs humanistes.
Être pourri a d’abord été une nécessité, c’est maintenant un devoir et grâce à Sarkozy, Fillon, Le Pen et leurs émules actuellement au pouvoir, ce sera bientôt un honneur.
Emmanuel Todd l’avait bien vu, disant : « Pour moi, voter Macron, c’est l’acceptation de la servitude. Le vote utile est un rituel de soumission. Le vrai risque, c’est Macron. »
Cette inversion des valeurs qui fait de l’honnêteté une exception ringarde et normalise la filouterie, transformant notre société en un gigantesque carnaval des escrocs, commence à lasser l’opinion, dans la mesure où elle ne concerne que les puissants et leurs valets. Les peuples acceptent moins le laxisme envers la grande corruption quand la petite à laquelle ils se livrent est sévèrement réprimée…

3.4 DE L’ÉVALUATION À LA DÉLATION, LA GUERRE CIVILE GÉNÉRALISÉE
Évaluer la valeur de l’être humain à sa capacité à être utilisé comme « ressource », à son « employabilité » et à sa « profitabilité » est évidemment un non-sens, même sur le plan économique. La manie actuelle de l’évaluation, comme celle du salaire « au mérite » est tout sauf innocente. Fondée sur une approche quantitative de la performance, elle tend à formater les individus tout en créant entre eux une concurrence malsaine et contreproductive.
Donner par exemple une note aux gîtes, aux hôtels, aux restaurants, c’est mettre le doigt dans un engrenage bien huilé et d’autant plus dangereux qu’il semble à première vue légitime. Dès qu’on réfléchit à ce qu’implique ce jugement systématique et aux conséquences qu’entraîne sa généralisation, on réalise que c’est un piège particulièrement pervers qui est en train de se refermer sur le consommateur devenu con sommateur : tentant de généraliser ses critères propres, il oublie qu’il est désormais constamment évalué à l’aune des critères d’autrui. Plus tu considères que le client est roi, et exiges donc des prestations idéales de tes fournisseurs, plus dans ton rôle de fournisseur tu vas devoir te soumettre aux exigences des tes clients-rois. Pris dans l’obligation parfaitement stupide de juger de tout et d’être jugé sur tout, chacun de nous est encouragé à développer peu à peu une âme de flic et de délateur.
Ainsi se parachève la mise en concurrence de tous avec tous, si utile au pouvoir en place, puisqu’elle permet d’éviter de voir que la vraie guerre, c’est la guerre civile des riches contre les pauvres…
La guerre des sans-âme contre les sans-dents où les pouvoirs hypocrites nomment évolutions ou progrès les involutions et régressions qu’ils imposent afin de masquer autant que possible les viols qu’ils commettent pour augmenter et perpétuer sans fin leur pouvoir.
Une guerre dans laquelle chacun de nous prend chaque jour parti. En le sachant ou sans le savoir – ou sans vouloir le savoir.


Dans le même ordre d’idées, on peut lire entre autres :

La politique de l’oxymore, Bernard Méheust, Poche

La stratégie du choc, Naomi Klein, Actes Sud

Dire Non ne suffit plus, Naomi Klein, Actes Sud

Itinéraire de l’égarement. Du rôle de la science dans l’absurdité contemporaine, Olivier Rey, Le Seuil, 2003