20 octobre 2023, 4h30, nuit noire
Je n’oublie pas la Shoah.
Quoi qu’il arrive, je ne l’oublierai jamais.
Je l’ai découverte tout jeune, et le choc terrifiant de cette incompréhensible et impardonnable monstruosité a failli me rendre fou. Ce jour-là, j’ai perdu d’un seul coup toute confiance en l’humanité – et en moi, par conséquent.
Depuis, je crois que nous sommes tous coupables d’être humains – c’est à dire inhumains.
Je peux comprendre que le peuple juif, principale victime de l’horreur innommable du nazisme, ait cherché par tous les moyens, y compris le terrorisme, à retrouver un pays et la sécurité que donne la puissance économique et militaire.
Puisque la force règle la conduite humaine au point de lui permettre de s’affranchir de toute humanité, comme nous l’avons constaté à nos dépens, servons-nous de la force pour obtenir ce que nous ne pourrons jamais obtenir autrement. Tels ont été le raisonnement et la pratique des Israéliens, et le succès a dépassé leurs espérances.
Mais l’usage de la force comme solution à tous les problèmes nous en rend esclaves et la retourne inévitablement contre nous. Car la force ignore la justice et par là même appelle à la résistance ceux qu’elle contraint injustement.
C’est ainsi que les victimes deviennent à leur tour bourreaux. Et que leurs victimes aspirent à le devenir à leur tour.
La loi du talion a un grave inconvénient. Non seulement elle se répète indéfiniment, chaque camp l’appliquant à son tour à l’autre camp avec le sentiment d’être dans son droit et la satisfaction d’avoir fait à l’ennemi autant de mal que celui-ci lui en avait fait, mais elle tend à l’escalade. Œil pour œil, dent pour dent ne suffit pas longtemps, la vraie logique du talion, c’est pour un œil, les deux yeux, pour une dent, toute la mâchoire. Et que le meilleur gagne !
La « logique » du talion amène inévitablement à la logique de la terreur, que partagent dès lors les victimes devenues bourreaux et leurs victimes converties au terrorisme.
L’humanité ne retrouvera une chance de vivre en paix qu’en sortant de l’engrenage « naturel » par lequel un groupe opprimé trouve dans sa tentative de survie la force que donne la solidarité du désespoir, combat et vainc l’oppresseur, puis devient à son tour oppresseur, avant de succomber à la révolte de ceux qu’il opprime.
Il fait encore nuit. Je suis vidé, effondré. Je revois les photos du livre qui m’a dévoilé Auschwitz, je revois les mots qui ont tué chez moi la foi en l’homme, et 70 ans après, des sanglots me secouent à nouveau. On n’en finira donc jamais ?
Ce qui rend fous les êtres humains qui voudraient le rester, c’est notre impuissance à comprendre que la loi du plus fort est un terrible aveu de faiblesse et un suicide programmé.
Seuls l’échange et le partage sont féconds.
Il est temps pour l’humanité d’accepter d’être faible et d’apprendre à pleurer ensemble.
La vraie force, c’est de décider d’écouter l’autre et de s’écouter soi-même.
Que veut-il dire, et moi, que veut dire ce que je dis ?