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mardi 28 juin 2011

ASSISTANCE PSYCHOLOGIQUE


ASSISTANCE PSYCHOLOGIQUE

– J’étais doué pour la méchanceté.
– Asseyez-vous…
– Merci, Docteur.
– Qu’est-ce qui vous amène ?
– La frustration !
– Je vous écoute.
– Docteur, je suis frustré. J’aurais pu devenir un de ces salauds pur porc qui dirigent le monde. Un de ces fumiers que rien n’arrête et qui tueraient père et mère pour arriver. Oh oui, Docteur, j’aurais voulu être un de ces merveilleux enfoirés qui larguent sans scrupule les femmes les plus adorables, un de ces parfaits dégueulasses qui osent marcher sur les autres et que ça fait jouir !
J’aurais pu opprimer, exploiter, torturer, en toute bonne conscience, me vautrer cyniquement dans le pouvoir et le profit, filer un gros pourliche à un larbin dans un restau de luxe, faire expulser des familles nombreuses, ruiner des petits commerçants, vendre des armes à des enfants et des enfants à des maquereaux !
J’aurais pu mentir comme je respire, voler comme au coin d’un bois, me bâfrer de stock-options et de golden parchutes, être PDG des Finances ou Sinistre de l’Intérieur, peut-être même Président de la République ou inspecteur général…
Oui, j’aurais pu être un salaud. J’aurais dû.
Au lieu de ça, je suis gentil. Brave…
Je donne des ateliers d’écriture, je cultive mon jardin, je collabore à de petites revues propres sur elles, bref, je fais de la poésie.
Ce n’est pas entièrement de ma faute. J’ai des circonstances atténuantes. J’ai été bridé dans mon élan, brimé dans ma nature, châtré quoi !
J’aurais pu être moi-même. Malheureusement, j’ai été mal élevé.
On a tout fait, mes parents, mes proches, certains de mes profs même, pour me culpabiliser.
On m’a seriné que les méchants étaient toujours punis et les bons récompensés, sinon ici du moins dans une autre vie.
Et moi, bon couillon, je l’ai cru, contre toute évidence.
J’ai eu peur du gendarme, comme si le gendarme n’était pas au service des méchants, à la botte des salauds !
On m’a coupé les ailes, on m’a volé ma vocation.
Je ne suis qu’un requin apprivoisé, on m’a limé les dents, je peux aboyer mais pas mordre.
J’ai honte : je suis trop lâche pour être un salaud.
Je voudrais qu’on me donne une seconde chance ; je suis sûr que je peux y arriver.
J’ai déjà l’essentiel : j’ai la haine.
– Ça m’ennuie de vous décevoir, mais je crois que vous vous faites des illusions. Vous avez un profil de velléitaire, et les méchants ne sont jamais velléitaires. Je crois que vous devriez faire votre deuil, oui, faire votre deuil de la méchanceté. C’est douloureux, mais croyez-moi, c’est nécessaire.
Vous comprenez, l’habitude est prise. Vous n’êtes pas un prédateur, en tout cas vous ne l’êtes plus.
Et puis vous savez, il y a de grandes joies à être proie, à se laisser aller, il y a quelque chose de beau, de grandiose même dans le renoncement…
De toute façon, tôt ou tard il faut accepter le monde tel qu’il est, vous devez collaborer ! Collaborer au grand dessein qui nous dépasse tous, à cette grande mécanique de l’univers.
Pour qu’il puisse y avoir des bourreaux, ces bourreaux que vous admirez tant et dont vous auriez voulu faire partie, il faut qu’il y ait des victimes ; c’est un rôle magnifique, victime, et ainsi vous vous intégrez à cette superbe pièce, à cette sublime aventure humaine !
Et puis vous avez sûrement une femme, des enfants, vous pourrez toujours être méchant à la maison de temps en temps, ça fait du bien.
– Mais Docteur, mon idéal ?
– C’est vrai qu’il faut pouvoir incarner son idéal, vivre ses valeurs, que notre angoisse doit devenir une vocation, mais vous savez, vous tapez haut : la méchanceté, ça n’est pas donné à tout le monde…
C’est le privilège des élites ; et aujourd’hui, avec la mondialisation, la concurrence est féroce, particulièrement en matière de méchanceté, le marché est saturé !
On ne peut pas dire que vous ayez véritablement échoué, simplement, vous n’avez pas été tout à fait à la hauteur, et le mieux dans ces cas-là, c’est de prendre un peu de recul, de laisser courir, de s’en remettre à l’ordre du monde, même si ça fait désordre, mon cher monsieur… Monsieur ? C’est quoi, votre nom, déjà ?
– Je m’appelle Cahaut, Docteur…
– Cahaut, vraiment ? C’est intéressant… L’ordre du monde, vous voyez ce que je veux dire ?
– Très bien, Docteur.

Le patient se lève, prend sur le bureau Louis XVI la pendule Napoléon III en bronze et l’écrase sur la gueule du psy. Il met dans la main inerte du praticien le prix assez coquet de la consultation, et tout en piétinant sans trop de précautions débris de cervelle et morceaux de crâne dit avec une jubilation non feinte :
– Merci Docteur, vous m’avez guéri. Tout compte fait, je préfère faire votre deuil que le mien.

© Sagault 2005

vendredi 10 juin 2011

BERNADETTE 3 : LE CERISIER DE VERZUOLO

BERNADETTE 3 : LE CERISIER DE VERZUOLO
ou
Les miracles ordinaires
La descente de croix

Samedi 9 avril
Je suis retourné à Saluzzo. J’ai repris le petit chemin creux qui du Morsetto descend le flanc de la colline jusqu’à la partie la plus haute et la plus ancienne du vieux village de Verzuolo, que ses habitants appellent depuis toujours la Villa. J’ai regardé de plus près la petite chapelle ronde un peu décrépite qu’il caresse au passage, et dont l’intérieur laisse entrevoir les restes écaillés d’une fresque naïve. J’ai remonté sur quelques mètres le lit d’un ruisseau à sec, avant de battre en retraite devant moustiques et toiles d’araignées. Un peu plus loin, j’ai pour la première fois entrevu à travers les frondaisons un imposant château moyenâgeux puissamment planté sur le piton escarpé qui surplombe le village.
Intrigué, j’ai poussé plus loin que la dernière fois. Passé le petit pont sur le torrent, j’ai découvert une vieille maison presque aussi délabrée qu’attirante, qui a déclenché l’habituelle sécrétion salivaire associée au charme mystérieux des demeures d’autrefois, ce passé qui survit au présent et nous relie à nous-mêmes autant qu’à ceux qui nous ont précédés.
Autre chose m’attendait, que j’avais pressenti, que j’attendais depuis toujours.
À droite de la route étroite s’élève le plus ancien campanile du Piémont, une tour carrée du XIIe au toit pointu recouvert à la bourguignonne de tuiles vernissées. L’église San Filippo e Giacomo, flanquée d’une ravissante chapelle renaissante, est superbe de simplicité et de justesse. Devant sa façade décorée de très belles fresques gothiques en partie effacées – une magnifique Descente de croix, un Saint Christophe géant d’une étonnante modernité –, une placette herbeuse s’achève sur un mur de soutènement retenant la colline. L’endroit est bucolique à souhait, comme une Arcadie décalquée d’une gravure 18e qui aurait soudain pris couleur et vie.
Au-dessus du mur, s’élève un cerisier dont les branches gorgées de fleurs se détachent sur le bleu ardent du ciel matinal, pur comme presque jamais en Piémont.
Éblouissement de ce cerisier en fleur, qui me frappe d’autant plus que ma vue semble se brouiller, de petites étincelles blanches font vibrer l’air. Je m’assieds sur les marches de la chapelle pour contempler cette scène où je ne me sens plus seulement spectateur, mais acteur de la beauté de la vie en cours. Un vent léger caresse les branches du cerisier, et fait tomber en volutes capricieuses la neige fantasque des pétales blancs, la vue tremble et pétille sous ce doux feu d’artifice de lucioles impalpables, et de ce jeu paisible de la vie et de la mort enlacés émane une miraculeuse sérénité, l’équilibre parfait d’une harmonie fugitive pleinement acceptée.
Je vis ce moment comme un de ces instants rares et fugitifs où c’est la vie tout entière qui semble trembler de joie, et célébrer au dehors comme au dedans, à l’unisson, la création.
Apparaît alors dans toute son horreur le mensonge sacrilège de la créativité, l’horreur du recours à la mode, l’insondable stupidité de l’originalité voulue.
Comment partager ces éclairs, qui naissent d’une communion aussi fortuite qu’essentielle et inévitable entre un individu et le monde, entre son microcosme personnel et le macrocosme où il baigne, dont il est issu et que soudain il redécouvre, retrouvant pour un instant qui semble éternel la source de vie qui si souvent s’égare en terre ? Comment partager cette résurgence ?

Dimanche 10 avril
Le vieil ébéniste n’était pas là. Je suis retourné voir à l’improviste le cerisier et son antique église paroissiale. Le charme a d’abord paru évanoui. Je n’étais même pas déçu, tant c’est dans l’ordre des choses. Mais je suis resté, n’attendant rien, juste histoire d’être là.
Et sous une autre forme le charme est soudain réapparu. Sur le bleu assoupi du ciel de midi, il se détachait, et sa ramure constellée de vert frais et de blanc mousseux m’était à nouveau un résumé de l’univers, un concentré de beauté en vie, amplifié par la mélodie multiple des oiseaux et la basse discontinue des abeilles.
Tout à coup le cerisier de Verzuolo donnait de nouveau sens à ma vie, pour un instant lui conférait la perfection qui nous désespère et peut seule nous combler, et la descente capricieuse des pétales de neige continuait de répandre dans sa chute joyeuse les promesses d’une renaissance fructueuse, d’une sorte inattendue de résurrection.
Ainsi prenait sens le cadavre déjà pourrissant de Bernadette, car le cerisier, symbole de l’univers en cours, me rappelait avec un tact dont la nature n’est pas toujours prodigue combien il est juste et nécessaire qu’après nous être nourris du monde nous lui soyons pâture à notre tour.
La paix intense de ce lieu comme béni par ma ferveur un peu naïve n’a pas été troublée par le bruit miraculeux, délicieusement inattendu, d’une lourde clef tournant dans une vieille serrure, et d’une porte s’ouvrant en grinçant sur ses gonds.
Une jeune femme est apparue sous le cerisier, en qui j’ai discerné aussitôt une sorte de sainte, peut-être même vierge, prête à intercéder en ma faveur pour me permettre d’entrer dans cette vieille église dont un panneau à l’entrée de la cour annonçait triomphalement les trésors cachés, objets de ma mystique convoitise…
Je l’ai hélée, lui ai demandé si on pouvait voir l’église.
No ! a-t-elle répondu, et c’était la plus claire et la plus déterminée des fins de non-recevoir.
J’ai dit : Peccato ! et je devais, pour une fois, avoir l’air aussi navré que je l’étais, car elle a repris : Solo cinque minute, sono in fretta.
Nous avons passé un petit quart d’heure, cette restauratrice et moi, à parcourir l’église et à deviser des fresques gothiques superbes qu’elle abrite, d’une simplicité raffinée, avec à chaque scène un ou deux de ces visages gothiques dont le marquisat de Saluces à son apogée s’était comme fait une spécialité, des visages si purs et si délicats que je me dis toujours en les voyant que ce sont les plus belles images de femmes possibles, et que Botticelli a dû les connaître et s’en inspirer.
C’était le même esprit courtois, dans une version plus simple et plus naïve, qu’exalte le splendide cycle chevaleresque de la grande salle du Castello della Manta tout proche.
On y trouve aussi de raffinées fresques grotesques, comme dans le grand salon dudit château, et de très beaux autels Renaissance dont l’exubérance décorative, loin de choquer, semble incarner symboliquement le somptueux jaillissement végétal si frappant dans les admirables collines d’alentour.
Cette ouverture inopinée était une sorte de miracle, mais si naturel, si spontané qu’il n’avait rien d’étonnant, comblant à la perfection, au juste moment, al momento giusto aurait dit mon ami Renzulli, un vide qui devait l’être.
À mon départ, le cerisier, les oiseaux et les abeilles parlaient encore de la vie, de la mort, de Bernadette et de cette sorte d’éternité qu’est la continuité de l’univers.
Nous l’oublions trop souvent : de peur et de joie indissolublement mêlées, la vraie vie tremble.

Six semaines après, je suis revenu faire des photos, non pour recréer le miracle, mais pour témoigner qu’il avait eu lieu, et ne demandait qu’à renaître le jour venu.

mardi 7 juin 2011

LA VÉRITÉ SUR L’AFFAIRE DSK : MES SOURCES


Voici donc la photo de l’ensemble du plafond gothique où figure la légende de DSK. Plafond que j’ai découvert par la grâce de l’un de ces petits événements qui nous font douter de l’existence réelle de ce que nous nous obstinons contre toute évidence à appeler hasard.
Jugez-en. Je fréquente depuis des années la délicieuse petite ville piémontaise où se trouve ledit plafond, dont j’ignorais l’existence jusqu’à ma dernière visite, quelques jours après l’arrestation du patron du FMI. Et pour cause, le palazzo communale dans la grande salle de laquelle il se trouve était fermé au public depuis des décennies.
En en admirant une fois de plus la superbe façade, j’ai réalisé que la porte était ouverte. Le palazzo venait d’être (très mal) restauré, et bien qu’il ne fût pas ouvert à la visite, la gardienne des lieux, sans doute émue par ma fervente curiosité, m’autorisa à emprunter les degrés d’un escalier monumental qui me conduisit tout droit au plafond en question. Intrigué par les saynètes quelque peu noyées dans l’ombre, j’en ai pris de nombreuses photographies.
De retour chez moi, un examen plus attentif m’a permis de constater que l’affaire DSK ne datait pas d’hier, et d’en démêler le redoutable écheveau au bénéfice des internautes assez avisés pour fréquenter le globe de l’homme moyen.
Mais devant pareille coïncidence, qui pourrait encore croire au hasard ? Enfoncé, le Da Vinci Code !

Afin d’éviter tout problème de droit à l’image, et pour augmenter le mystère planant autour de cette sulfureuse enquête, la partie de la photo où figurait une personne n’ayant aucun rapport avec mes investigations a été minutieusement floutée…

Le plafond du XVe siècle, Palazzo Communale