DES SEINS ANIMÉS !
Par Alain Sagault, mardi 5 mars 2013 à 17:46 :: LE GLOBE DE L’HOMME MOYEN ::#651
Assez des seins inanimés, ces prothèses dont l’excès même confesse l’inanité.
Hommes et femmes, tous ensemble, rejoignons la cause des seins animés !
- Vive les Femen ! Elles ne trichent pas, elles !
LA PLASTIQUE DU PLASTIQUE
Rembourser les prothèses mammaires, encore une de ces brillantes idées de la compassion universelle dévoyée. Sauf lorsqu’il s’agit de réparer autant que possible les dégâts créés par des interventions chirurgicales nécessaires, je suis contre, parce que je n’ai pas envie d’être tout contre.
Mais aussi parce que ce n’est pas en trichant avec sa réalité qu’on améliore son image de soi.
Rembourser une démarche qui indique une névrose sans la soigner, c’est encourager le mensonge à soi-même et à autrui, pire, le légitimer. Pire encore, c’est faire croire que les minables stratagèmes de la chirurgie plastique peuvent réussir à tromper sur la marchandise, donc, plus que pire, avouer que l’on tient le corps pour une marchandise qu’il s’agit de vendre.
Croire que l’apparence peut changer l’essence, c’est une ânerie et un mensonge de publicitaire, c’est se vendre au marketing. Cette illusion vieille comme le monde ne résiste pas à l’expérience : quand tombe la gaine et se répandent les chairs, s’effondre la confiance. Quand la paume s’arrondit sur du plastique, quand elle caresse du botox, on n’est plus seulement dans le mensonge de l’un, mais dans la déception de l’autre, et la supercherie révèle crûment le manque d’estime de soi qu’elle voulait cacher, comme le mépris pour autrui qu’elle implique.
Illusoire prise de pouvoir sur son propre destin : d’un coup de bistouri magique, on n’est plus ce qu’on est, on est ce qu’on se fait – mais on sacrifie du même coup la réalité au fantasme, et l’être au mieux-être…
Et pour finir, l’on devient ce que l’on croit qu’autrui veut que l’on soit, comme ces actrices ravissantes qui se défigurent pour rejoindre l’image à la mode, et y perdent l’essentiel de ce qui faisait leur charme personnel.
Ce n’est pas la chair en elle-même, matière inanimée, qui compte, mais l’énergie qu’elle dégage, la chaleur qu’elle rayonne, la vie qu’elle recèle.
Toucher un sein inanimé, qu’on le veuille ou non, c’est toucher la mort. Et que vaut la raideur contrainte d’un sourire botoxé ?
Non, décidément, je n’aime pas les momies vivantes.
Il n’y a évidemment aucune raison valable pour que la société prenne en charge des interventions de chirurgie esthétique sauf dans des cas aussi sérieux que le bec-de-lièvre par exemple.
Il n’est donc pas anodin que les pouvoirs publics puissent envisager le remboursement de la chirurgie plastique à visée purement « esthétique ». Il est dans la logique du libéral-nazisme d’encourager la chosification de l’être humain, sa réduction à une matière éminemment plastique, interchangeable à volonté.
Ainsi déresponsabilisé et désidentifié, l’individu peut être pris en charge, modelé, formaté, « adapté » ; que dis-je, il s’adapte de lui-même au modèle « proposé » (imposé, en vérité par l’opinion consensuelle manipulée) se normalise et trouve son « bonheur » à n’être plus lui-même, mais une sorte de clone. Le véritable assistanat, il est là, et pervers, puisqu’il s’agit de promouvoir la tricherie systématique qui est la base même de toutes les politiques de pouvoir et de profit !
Ce qui nous amène au si dangereux concept de « Think positive » qui n’est qu’une version anoblie et adoucie des dogmes libéraux. On est avec cette idéologie dans la pensée magique, autrement dit dans la communication. Pratiquée sur soi-même comme une forme d’auto persuasion, à la façon du Dr Coué, la pensée positive relève du choix de l’individu ; imposée par la société comme un mode de vie quasi obligatoire, comme un onzième commandement, elle se fait pure manipulation des esprits.
Restons nous-mêmes : chères, très chères compagnes, la vie est déjà bien assez dure ; aidez-nous à vous connaître et à vous aimer pour ce que vous êtes ! Donnez-nous notre sein quotidien, non le sein en général, non le sein « idéal », mais votre sein, celui dont la forme et la consistance nous parlent de vous seules, et non le postiche de poupée gonflable mondialisée qui vient s’interposer, air-bag importun, entre deux êtres vivants qui ne demandent qu’un voluptueux corps à corps…
P.-S.
Dans la foulée, peut-être serait-il utile de retirer au sympathique Stéphane Hessel les deux prothèses que les chirurgiens esthétiques de l’information lui ont greffé à son insu de son plein gré, et dont l’énormité déforme bien maladroitement et malhonnêtement sa svelte silhouette d’honnête homme ?
Quels que soient par ailleurs ses mérites, et contrairement à ce que racontent des médias avides de mythification et prompts à la mystification, le sémillant auteur d’Indignez-vous ! n’a jamais appartenu au Conseil National de la Résistance ni participé le moins du monde à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Et n’en déplaise à L’Équipe, non, Stéphane Hessel n’a gagné ni le Tour de France ni Roland-Garros.
Voir à ce sujet l’article de Claude Moisy, journaliste, ancien PDG de l’AFP dans Le Monde : L’auteur d’"Indignez-vous !" victime d’une fabrication
Commentaires
Voici le commentaire de mon amie Anny Rivat :
Le sein ! Cette extension qui attire à la fois les lèvres du bébé et le regard de l’homme, l’interface entre les générations et les deux sexes, un pivot, que dis-je un pic ! le sein, fétiche hautement symbolique de la fonction maternelle et hautement plébiscité comme élément de séduction. La société manipule l’image et les femmes manipulent leur corps.
Que dépasse l’organe comme moyen de ramener sur soi l’intérêt-amour, celui des autres et surtout celui de soi ! La femme y perd tout, dans ce plus de matière, elle décentre sa féminité, réduit sa vraie puissance sexuée en abandonnant dans ce marché de dupes l’idée de la globalité de sa nature.
Si les prothèses fuient, il y atteinte et l’on crie au scandale médical mais la fuite est déjà à la pose, aveu de la désagrégation avérée de la représentation autant de son corps que de l’amour qui l’a baigné.
La norme est la prothèse réelle, déjà offerte par la société et la prothèse, le tribu payé à la société rejetante qui ne supporte pas, en son sein, tant de différence.
Les hommes (souvent) opèrent les femmes qui arrivent à se plaire, à se convaincre du gain et peuvent s’engouffrer dans cette réparation en colmatant avec le silicone la béance intrinsèque.
Le commerce fait pâte de toutes formes et à vouloir des formes, les femmes alimentent, nourrissent les propositions plastiques. Le corps est une nouvelle scène, en portant sur soi ses transformations on évite les transformations intérieures, on les relègue dans des contenants interchangeables qui font autre ou plusieurs, dans un choix sans limite. Les grosseurs de bonnets aujourd’hui rivalisent, comme d’autres gros bonnets se disputent le pouvoir.
Il faut souffrir pour être belle ? Torture consentie avec des seins trop lourds ? Oui ! Mais surtout trop lourds de la peine dissimulée.
À lire Anny, je me rends compte que je n’aurais pas dû écrire seulement assistanat, mais assassinat…
Je ne suis pas du tout convaincu de l’intérêt de ce long papier, prétexte cependant à des rappels utiles.
Les Femen ont certes du courage, mais leur provocation me paraît donner trop de place au spectaculaire, au détriment sans doute du bien fondé de leurs interventions. Difficile c’est vrai de parvenir à se faire entendre sans tomber dans la démesure si chère au racolage médiatique. D’un côté les Femen, dont on parle, de l’autre la désespérance au travail de quelques-uns qui vont jusqu’à se suicider, et ne sont qu’un banal fait divers soigneusement occulté.
Avec son accord, je publie ce commentaire reçu avant-hier de Pierre Sagot :
Bien dit, et j’en remets :
"Mais aussi parce que ce n’est pas en trichant avec sa réalité qu’on améliore son image de soi."
Certes, pourtant les malheureuses tricheuses nous pointent si j’ose dire vers leur façon de définir leur réalité, en l’occurrence la déléguant au paraître et à l’opinion d’autrui. N’est-ce pas cela qui leur cause un souci extrême de leur apparence physique ? Il faut donc lier ce comportement aux pressions sociales apprises notamment en cours de scolarité, et aussi bien sûr au cours de l’assaut médiatique des produits de consommation.
Ne trichons pas avec la réalité (tsk, tsk), mais reconnaissons tout de même que la réalité triche avec nous à pleins pots.
S’il en est ainsi, ce n’est pas l’opération qu’il faut rembourser, c’est le conseil psychologique qui devrait absolument la précéder, sans parler de l’importance de développer chez les étudiants un esprit alerte aux dangers de la culture qui les assome.
"Encore une de ces brillantes idées de la compassion universelle dévoyée"
Comme la modestie est une vertu publique, alors que l’humilité est privée, la compassion ces jours-ci est devenue plutôt une question d’affichage. Tartuffe se recycle au mieux. Nous voici pourvus d’un outil coercif pour clore le bec des protestataires et laisser rouler non seulement les profits, mais aussi l’ordre social optimal à ces derniers. Il n’y a plus qu’à lancer une société à but non lucratif pour faciliter le financement des réparations de nibards flétris. On s’organise.
« Je ne suis pas du tout convaincu de l’intérêt de ce long papier, prétexte cependant à des rappels utiles. »
Merci, cher Jean, de m’amener à préciser un peu ma pensée, quitte à rallonger un peu la sauce…
Si j’ai trouvé intéressant de me pencher sur ce sujet, c’est que la chirurgie esthétique est un des fers de lance de la normalisation néo-libérale et de la mise en conformité de nos existences avec le modèle de production-consommation galopante, idéal absurde qu’elle nous impose par tous les moyens, et qui nous « occupe » à tous les sens du terme, tout en étant la cause du désastre mondial en cours. Ce n’est pas par hasard que nous avons pour ministre du Budget un chirurgien de base passé à l’esthétique pour raisons financières…
Pour ce qui regarde les Femen, j’ai trouvé la photo amusante et sympathique, et tout à fait congruente à mon propos. J’apprécie par ailleurs chez ces jeunes femmes leur refus de devenir des objets dans le système de consommation universelle mondialisé que Brighelli définit à juste titre comme pornographique, dans la mesure où il marchandise l’ensemble du vivant à commencer par nous-mêmes.
D’un autre côté, même si je comprends ce qui les y a amenés, je suis un peu sceptique devant leur recours à des provocations spectaculaires à l’occasion desquelles elles rentrent dans le système médiatique qu’elles dénoncent. Se soumettre à l’exigence de visibilité actuelle les met en contradiction avec elles-mêmes, puisqu’elles deviennent objets de ce spectacle contre lequel elles luttent, cautionnant ainsi la dictature de l’apparence. Mais comment faire autrement aujourd’hui ? La question ne me paraît pas sans intérêt, et encore moins tenter d’y répondre.
Soit dit au passage, pour la lecture de ce qui se passe actuellement, les analyses de Guy Debord sont autrement cohérentes, précises et profondes que les coquetteries pseudo-philosopho-psychologo-sociologiques de Michel Serres, prophète, pardon « postphète », des événements déjà en cours et faux prophète d’une parousie par internet que seule la panique actuelle des classes moyennes supérieures et leur besoin concomitant de se raccrocher à la moindre idée pouvant encourager à l’optimisme peut faire passer pour crédible. Moins préservées, les classes populaires ne nourrissent pas les mêmes illusions.
Par ailleurs, à mes yeux, la volonté de tout contrôler, d’exercer un pouvoir sur soi-même et sur la nature (qui comme le rappelait Denis Cheisssoux hier ne nous environne pas, mais dont nous faisons partie, nuance de taille : le terme « environnement » relève d’un anthropocentrisme aussi prétentieux qu’absurde) trouve son expression la plus potentiellement perverse dans la chirurgie esthétique telle qu’elle est de plus en plus pratiquée. Être soi-même ne consiste pas à se sculpter à force de volontarisme, mais à croître « en âge, en sagesse et en grâce », pour citer le camarade saint Luc, qui ne dit pas que des conneries, tant s’en faut.
Au moment où on nous vend du cheval pour du bœuf et de la droite modérée pour de la gauche authentique, ce n’est pas un mince sujet que le refus de cette tricherie que constitue l’artifice permanent et universel. Tricher n’est pas jouer.
Vouloir être soi-même plutôt que chercher à se conformer à un idéal pour « se distinguer » d’autrui, c’est un choix de vie bien différent.
Last but by no means not least : les seins en eux-mêmes me semblent tout à fait dignes d’intérêt, à toutes sortes de points de vue, et ce n’est pas Ramon Gomez de la Serna qui me contredirait, lui qui, après tant d’autres, leur consacra un ouvrage des plus stimulants, judicieusement autant que lapidairement intitulé « Seins ».
Pour moi, en dépit de mon âge quasi canonique, les seins ne me semblent pas encore indignes d’intérêt, et j’espère ne jamais tomber dans une indifférence à leur égard qui ferait de moi un ingrat fieffé, nourri que j’ai été au sein maternel.
Toucher au sein, c’est toucher à la nature, toucher à la vie, à ce qui nous fait croître, à ce qui nous nourrit, nous rassure, nous protège. Ce n’est pas sans intérêt… et c’est un euphémisme !
Comme l’ont prouvé à ma grande surprise les commentaires inhabituellement rapides et nombreux qui ont salué cette chronique pectorale !