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samedi 26 juin 2010

CLOWNS TRISTES ? TRISTES BOUFFONS !

Jean-Luc Hees et son exécuteur des basses œuvres Philippe Val, ces parangons de vertu outragée, ont décidé de nous priver des fausses notes insupportables aux gens de goût de leur espèce que sont les chroniques de Stéphane Guillon et Didier Porte.
D’abord, c’est évident, dans la tranche horaire politique, il faut être sérieux. Et puis, qu’est-ce que c’est que cette idée de vouloir être drôle sur le dos de gens qui ne le sont pas ?
Car, et c’est bien là que le bât blesse ces deux ânes devenus solennels à force de manger dans la main des hommes de pouvoir que sont Hees et Val, Guillon et Porte sont souvent drôles, et sur des sujets qui ne le sont pas, et dont leur drôlerie fait apparaître sous une lumière crue le côté sinistrement scandaleux.
Or, même avec un nez de clown sur la tronche, Hees et Val ne seraient pas drôles. Les cons ne le sont jamais, fût-ce involontairement. Et quand ils se doublent de fieffés hypocrites, ils deviennent franchement répugnants.
À vrai dire, répugnant, Val, qui s’est battu les flancs pendant trente ans pour essayer d’être drôle sans jamais y arriver, l’a toujours été. J’ai eu le déplaisir de voir il y a longtemps le spectacle qu’il a commis pendant de longues années avec Font. C’était, comme on dit dans notre métier, à chier. Stupide, puéril, scatologique, obscène, bref, tout sauf drôle.
On comprend que ce sinistre bouffon soit désespérément jaloux de deux humoristes qui jouissent d’un talent dont il est cruellement dépourvu. Le seul véritable exploit de Val aura été de réunir en sa minuscule personne l’odieux et les ridicules de trois des plus imbuvables et risibles personnages de Molière : Tartuffe, Trissotin et le Bourgeois gentilhomme.
Bien entendu, les « arguments » avancés par les deux compères pour justifier cette vilenie relèvent, comme il se doit en Sarkozie, voyez l’affaire Bettencourt-Woerth, de la plus parfaite hypocrisie et n’ont donc pas à être discutés. Ce n’est pas en se déshonorant que ces deux petits chefs retrouveront leur honneur prétendument souillé par les « insultes » de nos humoristes.
En fait, et sans doute en prévision de l’échéance de 2012, Hees et Val veulent nous priver des quelques bouffées d’oxygène qu’apportaient le regard critique et l’humour vachard de nos deux bouffons dans la matinale faussement délurée et gravement compassée inanimée par le désolant Demorand, ce faux brave à nez de carton – poule mouillée sous masque de capitan, encore un qui voudrait bien être drôle, et mordant, mais se contente de faire semblant, en homme qui sait naviguer, et a compris que le paraître est moins risqué que l’être.
Hees et Val, en bons valets des élites autoproclamées qui savent faire le bien du peuple sans lui demander son avis, ont raison d’éliminer Guillon et Porte. Dans le doucereux sirop matinal distillé par les spécialistes du prêt-à-penser unique, ces deux-là faisaient tache. Non seulement ils étaient drôles, mais leurs chroniques étaient les seuls vrais moments politiques entre 7 h et 9 h, les seuls instants décapants où la langue de bois consensuelle volait provisoirement en éclats.
Alors qu’approche la fin d’un quinquennat qui a donné au monde entier bien d’autres sujets d’indignation que les écarts verbaux de deux humoristes refusant de courber l’échine devant le pouvoir absolu de la communication, il était urgent de mettre un terme à cette insupportable liberté d’expression.
Si Hees et Val ne trouvent pas drôle que je traite d’immondes pharisiens les deux cafards qui se sont chargés de faire ce sale boulot, qu’ils me fassent donc un procès.
Je veux bien admettre que je suis médisant envers eux, mais une chose est sûre, je ne les calomnie pas.
Il n’y a pas de honte à porter un nez rouge. Mais en France aujourd’hui, ils sont nombreux ceux qui devraient avoir honte de ne pas rougir.

PS : Si Jean-Luc Hees veut savoir ce qu’est l’honneur, qu’il semble confondre avec la susceptibilité de son ego hypertrophié, qu’il écoute donc la chronique de François Morel d’hier. Elle n’est pas drôle, et pour cause, mais elle a tout ce qui fait tant défaut à notre duo d’honorables cagots : du courage, du cœur, et de la dignité.
Et pour ce qui est de l’honneur, pardon, de la Légion d’honneur du ministre du Travail ex-ministre du Budget, ne comptez pas sur moi pour donner tous les titres qu’il mérite à l’honnête, l’incorruptible Eric Woerth : comme Guillon et Porte, je me ferais virer de France-Inter…
Que par ailleurs, en auditeur cohérent, je quitte en même temps qu’eux, puisqu’eux seuls et Mermet m’y avaient ramené !

PS 2 :
Il n’y a pas qu’à France-Inter que les libertés sont menacées. Suite à l’interdiction pour le moins surprenante d’un pot proposé sur FaceBook par un paisible commerçant de Barcelonnette, l’ami Gouron, photographe citoyen de son état, a lancé cet appel :

LA PELLE DU 18 JUIN
En souvenir de l’ami que nous avons perdu sur FB (Uniquement sur FB), je vous invite tous à
NE PAS venir boire le pot de l’amitié, SURTOUT PAS sur la Place Manuel à Barcelonnette ce jour là,
car je risquerais alors, tout comme notre ami perdu, un procès, une amende, voir une bonne petite garde à vue...
En souvenir de ce jour, je vous invite à prendre votre pelle, si possible à neige,
et dans le recueillement creuser symboliquement et silencieusement pour ne pas nuire à l’ordre public,
un trou dans lequel vous jetterez ce nouveau petit morceau de liberté que l’on nous enlève.

Vive la France libre !

jeudi 24 juin 2010

ET SI ON VOLAIT UN PEU PLUS HAUT ? ou LA PELLE DU 18 JUIN

L’acacia en fleurs

Extrait du blog INTERSTICES-LE MONOLECTE

Le chaos, c’est la vie !

Ils sont tellement domestiqués que le jour où leur chaîne virtuelle se distend, ils n’arrivent même pas à faire un pas de côté, ils ne pensent même pas à explorer cette parcelle de liberté inattendue tombée du ciel, ils ne parviennent qu’à maudire leur sort, à chercher des lampistes sur lesquels défouler leur angoisse et ne rêvent que du sempiternel retour à la normale.
Eux, ce sont les maîtres du monde, les élites du système, concentrés à jouer à saute-mouton d’un continent à l’autre, drapés de leur propre importance, convaincus que sans eux, le monde, leur monde en fait, s’écroulerait dans la minute. Eux, ce sont les naufragés du ciel, éparpillés dans tous les aéroports du monde, les sens paralysés par les derniers couinements de l’Iphone ou du Blackberry, coupé de sa base d’alimentation habituelle.
Eux, c’est l’élite internationale et cosmopolite de ceux qui font le monde tel qu’il est et qui martèlent sans cesse qu’il n’est pas possible d’en changer. Parce que c’est le seul monde qu’ils connaissent, parce qu’ils n’ont aucune imagination, ni aucun sens du réel. Eux, c’est Daniel Mermet qui les décrit, goguenard, amusé, coincé à Tokyo dans un terminal aéroportuaire en train de se transformer en jungle de Calais par la grâce d’un lointain, très lointain volcan islandais.

En quelques heures, tout le système s’est grippé. En quelques heures, il a bien fallu s’adapter à un monde sans avions et brusquement, il est apparu que nombreux étaient ceux qui pouvaient s’en passer. Comme les ministres européens qui découvrent subitement les joies de la téléconférence avant de probablement se mettre à préférer le train. À l’heure où le réchauffement climatique est une préoccupation internationale, où l’on explique à longueur de temps aux citoyens que le choc pétrolier va engendrer le chaos, ceux qui nous gouvernent n’ont de cesse de se réunir, de se retrouver, de se croiser, de se renifler, empruntant sans cesse le moyen de transport le plus polluant du monde, contraints, disent-ils, par la nécessité de leur charge, par le fait qu’ils sont irremplaçables, partout, tout le temps. Jusqu’à ce que les faits, têtus, viennent les contredire.

Parce que vu du sol, un monde sans avions, c’est plutôt sympathique, vu de nos pieds de rampants assignés à résidence par des contingences économiques soi-disant indépassables, le souffle du volcan balaie bien des automatismes, bien des renoncements, et éclaire un horizon sans traces. Pour la grande majorité d’entre nous, la paralysie de l’espace aérien, c’est le chef de service qui va rester bloqué quelques jours de plus (le pauvre !) dans le cadre de ses vacances paradisiaques, c’est le patron en exil prolongé, ce sont les obsèques désertées d’un dirigeant contestable déjà victime du ciel, ce sont des clandestins qu’il n’est plus si urgent d’expulser.
Pour la grande majorité d’entre nous, les cloportes dont le champ des pérégrinations est soigneusement délimité par le triangle étroit des trajets domicile-travail-courses, un monde sans avions c’est un monde dans lequel nous tournons nos regards vers le ciel et où nous plongeons avec délices nos yeux dans le bleu intense et silencieux, un bleu à s’en noyer les rétines, un bleu infini, le bleu au-dessus de la matrice habituellement tracée par leurs innombrables trajectoires indifférentes.

Le grain de sable dans la machine
En fait, comme chaque fois que la machine se grippe, comme chaque fois que la chape de plomb qui nous courbe l’échine se fendille, c’est une brusque profusion, une explosion de petite humanité radieuse qui pousse par les interstices du système comme l’herbe folle envahit les fissures de béton. Le grain de sable ou le nuage de cendre nous rappelle à chaque fois que l’édifice sous lequel s’est construit notre asservissement à un monde qui nous utilise, nous broie et nous jette après usage, que cet édifice est branlant et que ses fondations sont nos habitudes. Chaque fois que l’ordre totalitaire des choses est bousculé, presque immédiatement, ses vides béants sont comblés par la somme des pratiques, des valeurs et des comportements dont on nous dit pourtant qu’ils sont d’un autre temps, démodés, obsolètes.

Je me souviens avec délice du chaos des grandes grèves de 95, quand, subitement, il avait fallu faire autrement, quand, brusquement, ce n’était plus ma montre qui me dictait ma vie. De la nécessité de la patience. Du besoin de communiquer, de partager, de s’entraider. Je me souviens des conversations profondes et intimes démarrées sous un abribus abandonné de tous, entre Opéra et Le Louvre, des covoiturages sauvages et souriants, de cette “galère” commune qui a rempli les rues, les couloirs, les paliers, qui a rendu le sourire à beaucoup, qui nous a restitué un précieux temps de vie que nous concédons habituellement et à vil prix à des tâches sans intérêt et sans gloire.

Je me souviens d’une grande panne de courant dans mon enfance, où, subitement, toutes les boîtes à cons se sont tues, où tous les prophètes du monde qui tombe ont eu le sifflet coupé, où, d’un seul coup, les gens se sont retrouvés sans rien d’autre à faire que de se rencontrer. Quelques heures sans le sempiternel refrain de la peur et du chacun pour sa gueule et déjà, le voisin n’était plus l’ennemi, déjà, il y avait tant d’autres choses à faire que de rester le cul dans son fauteuil à regarder des inconnus vivre à notre place. C’était merveilleusement étrange, ce monde qui, à force de ne plus fonctionner, se mettait subitement à vivre. La rue n’était plus l’espace des trajectoires solitaires et pressées, le lieu des rencontres inquiétantes, des bruits agressifs, c’était redevenu l’artère qui nourrit, l’endroit où tout se passe, où les vieux tirent une chaise sur le trottoir, où la palabre s’installe, où chacun dégaine un saucisson, un bout de pain, quelques poèmes, des blagues salaces, des récits grandioses, des particules de bonheur hors du temps qui nous lamine habituellement.

Plus près de nous, il y a eu Klaus, le visiteur venu du large, son sillage catastrophique dans lequel ont immédiatement germé les graines de l’entraide et de la solidarité.

À chaque fois, pourtant, ils nous prédisent qu’il n’y a point de salut hors de leurs prisons mentales dans lesquelles nous croupissons par la force de l’habitude, la peur de l’inconnu ou juste un immense manque d’imagination.
À chaque fois, pourtant, la multitude des petites gens, des gens de rien, des gens de peu, prouve qu’au contraire, la vie est belle dans les failles du système, qu’il n’y a pas d’effondrement brusque de la civilisation quand leur étreinte se fait moins forte, que sous la contrainte des événements, nous savons, collectivement, inventer du vivre-ensemble, du vivre-bien, du vivre-mieux.
Et même si, à chaque fois, ils finissent par nous convaincre de rentrer dans le rang, petit à petit, les fissures s’agrandissent, les failles se creusent, l’édifice se fragilise et à travers les interstices, nous pouvons déjà deviner que non seulement un autre monde est possible, mais qu’il est déjà là !

D’un autre blog, le 19 avril 2010
Des avions cloués au sol, la bonne affaire !

Un petit volcan qui se réveille et c’est une grande partie de l’espace aérien européen qui reste fermé plusieurs jours (LeMonde du 18-19 avril). Pour nous, cela serait une bonne nouvelle si c’était volontaire et durable : l’avion est l’ennemi de la planète et des humains. Nous trouvons démesuré le fait de partir en vacances au loin, à Tahiti, en Tunisie ou ailleurs. Nous trouvons ridicule de la part des ressortissants européens de prendre l’avion pour aller dans un autre pays européen que le sien. A plus forte raison si on utilise les lignes aériennes internes à son pays. Les avions doivent rester définitivement cloués au sol.
Ce qui rend les voyages si faciles, les rend inutiles. Parce que l’individu moderne aime la virginité, s’il y reste un lieu vierge, il s’y porte aussitôt pour le violer ; et la démocratie exige que les masses en fassent autant. L’avion fait de Papeete un autre Nice et de la dune du Pyla un désert très peuplé ; les temps sont proches où, si l’on veut fuir les machines et les foules, il vaudra mieux passer ses vacances à Manhattan ou dans la Ruhr. Aujourd’hui sites et monuments sont plus menacés par l’administration des masses que par les ravages du temps. Comme le goût de la nature se répand dans la mesure où celle-ci disparaît, des masses de plus en plus grandes s’accumulent sur des espaces de plus en plus restreints. Et il devient nécessaire de défendre la nature contre l’industrie touristique.
Il fallait des années pour connaître les détours d’un torrent, désormais manuels et guides permettront au premier venu de jouir du fruit que toute une vie de passion permettait juste de cueillir ; mais il est probable que ce jour-là ce fruit disparaîtra. La nature se transforme en industrie lourde dont l’avion est le sinistre messager. Les peuples, leurs mœurs et leurs vertus sont anéantis par le tourisme par avion plus sûrement encore que par l’implantation d’un combinat sidérurgique.

NB : Rédigé avec l’aide de Bernard Charbonneau, Le jardin de Babylone, 1967)

vendredi 11 juin 2010

(DÉ)MOBILISATION GÉNÉRALE

MINISTRE ? SINISTRE !
Luc Chatel n’est pas seulement ministre de l’Éducation nationale, il est porte-parole du gouvernement, autrement dit titulaire de l’inexistant, mais d’autant plus présent, Ministère à l’Éducation du peuple et à la Propagande.
Je n’exagère pas. Dans le torrent d’eau tiède ronronnante émis sur France-Inter le 7 juin par l’organe doucereux de ce communicant chevronné, j’ai vu soudain luire cette incroyable perle de manipulation sordide, à propos de la « faute de goût » commise par Rama Yade en évoquant les dépenses d’hôtel excessives de l’équipe de France de football en Afrique du sud : « Ce qui est important aujourd’hui, c’est que tous les français soient mobilisés autour de leur équipe. »
Fermez le ban et lâchez les chiens…
Chaque mot de cette insupportable sentence compte, et leur ensemble dit tout de l’idéologie aussi ignoble que surannée qui « anime » la plupart des gouvernants et hommes de pouvoir et d’argent actuels.
Je ne sais pas comment je fais, certains matins, pour ne pas vomir mon petit déjeuner sur ma radio.

À ceux de mes lecteurs qui se gendarmeraient que je me déclare insoumis et déserteur face à la mobilisation-manipulation générale à visée démobilisatrice proclamée par des gouvernants indignes, je ne saurais trop conseiller la lecture du remarquable article dont je joins le lien :

LA COUPE DU MONDE, UNE ALIÉNATION PLANÉTAIRE


Et que les futurs retraités ne viennent pas se plaindre plus tard de vivre un troisième âge sans le sou ou de devoir travailler jusqu’à cent ans : quand leur sort futur se jouait, ils étaient assis bien sagement devant leur télé à téter des canettes et regarder jouer à la baballe des millionnaires aussi demeurés qu’eux…

samedi 5 juin 2010

UN FRANÇAIS EXEMPLAIRE

LANGUE (mauvaise)
Le français (c’est de notre langue que je parle, non de ceux qui la parlent, ou plutôt trop souvent l’écorchent), la langue française donc, est bien malade. Pierre Nora émettait ce judicieux diagnostic sur France-Inter ce matin, remarquant que plus personne, même parmi les intellectuels de haute volée qui comme chacun sait peuplent nos assemblées et nos médias, ne semble capable de respecter les règles d’accord les plus élémentaires. Quant à l’accord du participe passé, il n’y faut plus songer, la plupart de ceux que les pédants appellent des locuteurs le remplaçant en cas de doute (et doute il y a désormais dans presque tous les cas !) par un infinitif commodément invariable.
Il est certain, me disais-je in petto en l’écoutant, que le français présente tous les symptômes de la maladie d’Alzheimer. Notre langue a perdu conscience, elle s’oublie à tout instant comme une vieille incontinente – à moins que ce ne soit nous…
Non seulement j’approuve cette courageuse sortie de Pierre Nora, mais j’avoue mon admiration presque envieuse pour l’abnégation dont il a fait preuve en illustrant aussitôt par l’exemple cette décadence frôlant le gâtisme, enchaînant en ces termes : « (…) cet espèce de délitement profond de la langue, à laquelle participent même nos élites (…) »
Je cite de mémoire, mais pas de doute, il s’agit bien d’un superbe échantillon de faute d’accord impardonnable, suffisamment atroce pour faire reculer d’horreur jusqu’au plus déterminé des massacreurs de notre syntaxe, prenant soudain conscience du caractère iconoclaste de sa désinvolture langagière.
Il y a un vrai mérite, pour un fervent amoureux du français le mieux châtié, à commettre volontairement une faute si grossière, dont les esprits superficiels risquent de croire que loin d’être voulue, elle témoigne de ce que le juge lui-même tombe dans les errements qu’il condamne par ailleurs avec une si contagieuse fureur sacrée…
Ce disant, un frisson court mon échine : se pourrait-il que cette faute à faire dresser les cheveux sur la tête, l’éminent Nora ne l’ait pas commise exprès ?
Un français aussi exemplaire devenu incapable de parler un français exemplaire ?
Maladie auto-immune ? Notre langue s’autodévore, semble en voie d’implosion. Un tel délitement, affaissement, n’est ni anodin ni innocent. Il accompagne et accélère la destruction et l’effacement d’une culture, c’est toute une histoire devenue muette, et que ses héritiers littéralement n’entendent plus.
Que les langues évoluent, c’est inévitable et parfois souhaitable. Qu’elles se suicident, c’est une catastrophe.
Notre langue est décidément bien malade, si même ses grands-prêtres en lui rendant hommage la conchient.

samedi 22 mai 2010

LES ROSES ONT DES ÉPINES

Roses épineuses

vendredi 23 avril 2010

LA POLITIQUE, UN RÉALISME ILLUSOIRE : POUR UN RETOUR DE LA MORALE

LA POLITIQUE, UN RÉALISME ILLUSOIRE : POUR UN RETOUR DE LA MORALE


REPARTIR DE ZÉRO : RETOUR À LA CASE DÉPART
L’état des lieux proposé par Jean Klépal rappelle utilement un certain nombre de réalités, à commencer par l’incapacité récurrente de la pensée dite de gauche à s’incarner dans le pouvoir autrement qu’en se diluant ou se dénaturant, pour finir par se trahir ainsi que ses soutiens, soit en pratiquant plus ou moins honteusement une politique de droite, soit en devenant carrément une dictature d’extrême-droite.
C’est peut-être pourquoi, tout en approuvant très largement ce texte, je me sens quelque peu décalé par rapport à lui.
Pour moi, ce n’est plus une question de gauche ou de droite. Il faut repartir de zéro. Nous avons complètement perdu de vue les principes fondamentaux qui légitiment l’existence des sociétés humaines. Bref, il est grand temps de relire Montesquieu et Rousseau, L’Esprit des lois et Le Contrat social !
Depuis trop longtemps, nos sociétés, et particulièrement les sociétés occidentales, alors qu’elles devraient avoir pour visée l’intérêt général, fonctionnent en ne tenant réellement compte que des seuls intérêts particuliers, dont l’exacerbation démente détruit inéluctablement toute possibilité de coexistence harmonieuse entre les individus.

LES LUTTES POLITIQUES SONT-ELLES L’ALPHA ET L’OMÉGA DE LA VIE EN SOCIÉTÉ ?
Au fond, je n’ai pas grand-chose à faire avec la politique au sens où on l’entend actuellement. Gauche, droite, cette distinction ne me paraît plus opératoire, à supposer qu’elle l’ait jamais été, ce dont je doute.
Je récuse la vision du monde des « intellectuels de gauche » telle qu’elle s’est incarnée jusqu’à l’absurde dans la très imprudente et dangereuse démarche sartrienne, à la fois abstraite et manichéenne (ça va merveilleusement de pair) ; il y a du grotesque et de l’odieux dans la commode, fantasmatique et inopérante distinction entre gauche et droite véhiculée par la bonne conscience de gauche. Je me sens beaucoup plus proche de militants du réel (et réellement engagés) comme Koestler ou Orwell, pour qui le problème n’est pas une question de gauche ou de droite, les deux se rejoignant et se confondant à leurs yeux dans le même appétit de pouvoir.
C’est bien le problème du pouvoir qu’il faut régler et ce problème-là ne peut l’être que sur un plan moral, conformément à une éthique. Et sûrement pas en référence à un étiquetage trop souvent opportuniste, qui ne garantit en rien l’authenticité ni la fraîcheur du produit qu’il tente de promouvoir.
J’ai pour ma part déduit de mes nombreuses et parfois cuisantes expériences militantes que la solution n’est jamais dans l’action politique traditionnelle, ni même dans les rapports de force, qui n’ont de vraie valeur que ponctuelle et ne résolvent pas les problèmes de fond ; elle est à mes yeux dans l’action de chaque individu par rapport aux valeurs qu’il reconnaît, et pour la réalisation desquelles il milite dans sa propre vie en compagnie de ceux de ses concitoyens qui les partagent.
J’ai trop vu les enfers engendrés par les meilleures intentions idéologiques du monde pour ne pas m’intéresser d’abord aux actes et à leur signification morale plutôt qu’aux idéologies, aussi séduisantes et apparemment fondées soient-elles.
Étant donné la variété (et parfois la légitimité !) des opinions et des comportements, une société, pour fonctionner, c’est à dire pour que le contrat social engendre un véritable consensus, ne doit pas tant reposer sur des compromis politiques que sur des fondements moraux. Comment vivre ensemble si l’on ne commence pas par s’entendre sur les quelques principes moraux qui permettent de fonder une vie en société digne de ce nom ?
« Valeurs partagées » : je n’entends par là rien de « politique », mais un ensemble de choix moraux qui s’imposent à tous dès lors qu’une communauté humaine se forme autour d’un contrat social, quelles que soient les opinions politiques de chacun.
Ce consensus n’existe plus actuellement, comme le prouvent chaque jour davantage les réactions de plus en plus divergentes engendrées par les innombrables scandales récents : du tourisme sexuel au népotisme, de la corruption mafieuse à la triche footeuse, les règles les plus élémentaires de la morale ordinaire sont ouvertement bafouées, ou pire, violées au moment même où le violeur, la main sur le cœur, déclare son indéfectible respect envers elles…
Si bien que c’est l’opinion publique, cette girouette, qui, en vertu des mouvements désordonnés et incohérents de ses émotions, décrète au jour le jour les limites de l’acceptable, en vertu d’un rapport de force majoritaire prétendument dégagé par des sondages orientés et manipulés.
Une véritable guerre civile est ainsi en train de s’installer entre les zélateurs individualistes du cynisme tous azimuts et de la « loi de la jungle », esclaves dévoués du pouvoir et de l’argent, et les citoyens encore conscients de leur appartenance à une civilisation fondée sur des valeurs trop importantes pour être abandonnées sous prétexte qu’elles ne s’incarnent jamais parfaitement dans une réalité plus complexe que nos idéaux.

LA MORALE, UN SENS COMMUN
Ma vision du monde n’a jamais été fondée sur des rapports de force, mais sur des lois, sur des règles de fonctionnement. Ces lois, je les considère comme naturelles parce que leur application entraîne des effets positifs et que leur transgression déchaîne des forces incontrôlables et destructrices. Elles relèvent donc tout bêtement de ce qu’il est convenu d’appeler le bon sens, n’en déplaise aux élites qui affectent de mépriser ce terme, trop populaire pour ne pas leur paraître populiste.
Le bon sens, par exemple, refuse d’accepter la stupide et criminelle pétition de principe qui voudrait que les pulsions, passions et intérêts personnels puissent, comme par miracle, s’autoréguler. Purement idéologique, dépourvue du moindre fondement historique, la prétendue régulation par les marchés est le péché originel du libéralisme.
Car le libéralisme est un faux pragmatisme : nulle société ne peut se fonder sur une totale liberté accordée aux rapports de force, ne serait-ce que parce qu’une complète absence de régulation morale débouche automatiquement sur le règne corrupteur de l’argent, et s’achève en décadence et autodestruction, comme nous sommes en train de le vérifier une fois de plus – la fois de trop.
Aucune société ne peut perdurer en laissant à la loi du plus fort toute liberté de s’exercer. Tant que nous fonderons nos sociétés sur des rapports de force, y compris sur le rapport de force démocratique qui soumet une minorité à une majorité en vertu de la seule loi du nombre, aucune société ne pourra fonctionner de manière saine.

LA DÉMOCRATIE : QUALITÉ OU QUANTITÉ ?
Il y aurait beaucoup à dire sur cet étrange modèle démocratique qui donne la possibilité à une majorité d’imposer ses choix à une minorité. Là réside à mes yeux l’erreur cardinale du régime démocratique et l’origine de sa sempiternelle et si lassante perversion.
Selon moi, le rapport de force majoritaire aboutit inévitablement à l’oppression, puis à la dictature. D’une part, le processus majoritaire est très aisé à pervertir et à détourner, comme nous avons pu le constater constamment depuis 1958 ; d’autre part, il est vicié dans son principe même : moralement, la notion de pouvoir majoritaire est essentiellement bancale, et ne peut conférer aucune légitimité incontestable, puisqu’elle décale l’origine du pouvoir de la qualité vers la quantité et de la morale vers la loi du plus fort.
Or la seule société possible est celle où non seulement les intérêts de chacun sont autant que possible préservés, mais celle qui admet que des principes qualitatifs, c’est à dire des règles morales, des lois vitales, doivent l’emporter, non seulement sur les intérêt privés, mais sur les intérêts des majorités comme des minorités. La quantité n’est pas un critère de moralité et l’utiliser comme nous le faisons revient à faire rentrer par la fenêtre les rapports de force qu’on prétendait exclure du contrat social.
Il me semble que dans les sociétés animales, les rapports de force sont moins essentiels que la conception sociale qu’ils incarnent : la prétendue loi de la jungle, cette invention humaine, y est inconnue, parce qu’en transformant l’instinct de conservation naturel et légitime en un pervers désir d’augmentation elle programme son autodestruction.
Le rapport de force n’est pas un principe sur lequel fonder une société cohérente et durable. Une société doit être fondée sur des règles de vie en commun, selon des principes admirablement résumés par Orwell dans l’expression « common decency ».

LA SÉPARATION DES POUVOIRS, CONDITION DE LA DÉMOCRATIE
D’autre part, pour devenir et rester le ciment d’une société, la morale qui la fonde ne peut pas être laxiste, et c’est pourquoi l’existence d’un authentique pouvoir judiciaire est vitale pour toute société.
Non seulement la politique est bien obligée de s’encombrer d’un certain nombre de réalités contingentes, mais c’est son devoir d’en tenir compte ; celui de la justice est au contraire de réduire au maximum les contingences du vivant et l’extrême mutabilité qui en découle.
C’est pourquoi c’est au pouvoir judiciaire et non au législatif ou à l’exécutif d’assurer l’intégrité d’une constitution et à travers elle du contrat social dont elle énonce, légitime et en quelque sorte sanctifie les principes.
On retrouve là encore la notion de morale, et l’idée que les valeurs qui fondent la vie en société doivent avoir le pas sur les « nécessités » du moment, sous peine d’invalider, sinon dans les faits du moins dans les esprits, le contrat social.
De ce point de vue, la Cour Suprême des États-Unis, sans être parfaite, est de loin plus conforme à l’esprit démocratique et au bon sens qui veulent l’équilibre des pouvoirs que cette caricature bancale de conseil des sages qu’est ce que j’appelle le Conseil Inconstitutionnel de la république française.
La séparation des pouvoirs, avant d’être une règle de bon sens politique, est une loi éthique fondamentale, dont doivent impérativement, pour être légitimes et fonctionner convenablement, découler les institutions gouvernementales.
D’où la catastrophe que représente le mode de gouvernement instauré par la Cinquième République. En renversant l’équilibre des pouvoirs et en personnalisant outrageusement notre régime politique, l’actuelle Constitution a sapé les fondements mêmes de notre démocratie et ouvert la porte à la formation et à la « légitimation » d’une oligarchie quasiment héréditaire, en voie de reconstituer une féodalité associant clientélisme et népotisme.

PAS DE DÉMOCRATIE SANS MORALE, PAS DE MORALE SANS DÉMOCRATIE
Face au dévoiement de la politique et des politiciens, que pouvons-nous réellement exiger en tant que citoyens ? Pour commencer, comme un strict minimum, l’absence de tricherie, cette forme élémentaire d’honnêteté sans laquelle aucune confiance n’est possible et qui consiste à dire ce qu’on fait et à faire ce qu’on dit. Ce serait une vraie révolution, à un moment de l’histoire où on n’a jamais autant fait le contraire de ce qu’on dit, jamais autant pratiqué la langue de bois, jamais autant manipulé l’opinion.
La pierre de touche, c’est l’accord entre les paroles et les actes. On ne proclame réellement la morale qu’en la pratiquant. Contre l’irrésistible attrait de ce que j’appelle les trois P (profit, pouvoir, paraître), seuls la définition et le respect d’une éthique peuvent permettre de fédérer les individus autour d’un contrat social digne de ce nom.
C’est dire que je ne crois pas au matérialisme, dialectique ou non ! Le marxisme-léninisme, en s’affranchissant de la dimension morale, s’est enfermé dans la même cage que son ennemi apparemment mortel, le libéralisme.
Le matérialisme triomphant, tel qu’il s’incarne dans la société globalisée de consommation et d’extermination du vivant, représente la victoire de la mort sur la vie.
Pour fonder la cité, La Boétie, Montesquieu et Rousseau sont au moins aussi importants que Montaigne, Ricardo ou Marx !
La politique contemporaine n’est devenue si impuissante que parce qu’elle s’est voulue supérieure à la morale, et a prétendu exercer à sa place un pouvoir qui lui échappe par définition. Dès lors il était inévitable qu’affrontée aux intérêts particuliers la politique sacrifie la morale au pouvoir des plus forts, perdant par là toute légitimité.
Ainsi que toute efficacité à long terme : la morale est en fin de compte une question de bon sens, et c’est pourquoi elle déplaît tant aux « entrepreneurs » et autres « aventuriers ». Non seulement elle leur imposerait des limites, mais elle condamne d’avance leurs entreprises en faisant apparaître la futilité et la nocivité d’une vision fondée sur un individualisme forcené et une totale incapacité à envisager un autre avenir que le court terme le plus borné.
C’est ce que la plupart des citoyens ont, peut-être confusément, mais aussi très profondément, compris, d’où leur rejet d’une politique dévoyée et de politiciens corrompus, ou leur renoncement à tout engagement devant l’évidence de leur impuissance à obtenir que les principes les plus élémentaires du contrat social soient respectés. La relative acceptation actuelle de la prétendue loi de la jungle est ainsi due à une forme de contagion, de contamination, à un renoncement, à un dégoût : là encore, à travers l’abstention se révèle la disparition progressive du contrat social.
Dans la mesure où l’État n’est plus le fruit d’un consensus, mais l’aboutissement d’un processus de spoliation du peuple citoyen, les gouvernants actuels, produits de ce qu’Eduardo Galeano appelle si justement la démocrature, n’ont en fait plus aucune légitimité démocratique.

PREMIÈRE À GAUCHE : LA POLITIQUE AU SERVICE DE LA MORALE
Il est donc grand temps que nous repartions de zéro, en posant à nouveau clairement les principes qui nous animent et les conséquences qu’entraîne leur mise en œuvre. Aucune action dite de gauche n’a actuellement la moindre chance de réussir, parce qu’il n’y a plus de repères moraux crédibles pour la légitimer. On ne peut pas, comme par exemple DSK, servir l’économie financière globalisée tout en se réclamant d’une morale qui non seulement lui est totalement étrangère, mais qu’elle s’acharne à détruire parce qu’elle y voit le dernier obstacle à son hégémonie.
Quand elles perdent leur colonne vertébrale morale et ne reposent plus que sur leur chair politique, les sociétés finissent par s’effondrer d’elles-mêmes.
Les partis politiques aussi. Voyez le PS…
Quant à l’UMP, aucun risque de voir s’effondrer ce qui n’existe pas : ce n’est pas un parti politique, mais une simple machine électorale, l’exemple type du détournement à des fins d’accaparement du pouvoir des institutions censées assurer la vie de la démocratie.
En fin de compte, l’opposition entre la gauche et la droite n’est pas pour moi entre les partis qui se réclament de l’une ou de l’autre. Elle se résume à une formule toute simple : ou l’on tient pour la morale et ses difficultés, et l’on est de gauche, ou l’on préfère la loi de la jungle et son simplisme destructeur, et l’on est de droite. Ce n’est pas une question d’étiquette, ni d’appartenance, c’est un choix de vie.

jeudi 15 avril 2010

LA GAUCHE, UNE ILLUSION POÉTIQUE ?

LA GAUCHE, UNE ILLUSION POÉTIQUE ?

Quand vous êtes dans la merde jusqu’au cou, Il ne reste plus qu’à chanter.
(Samuel Beckett)


Banderoles, slogans et défilés comme des chanteries désespérées. Que reste-t-il d’autre ? De temps en temps un sursaut, une tentative pour y croire. Par exemple, le rejet d’un projet de traité constitutionnel ou une votation très populaire en faveur du maintien du statut public du service postal. On tente un plaisir collectif, on tente l’illusion d’un rassemblement autour d’une idée. On se donne des frissons. Don Quichotte mouline une impuissance dont il se repaît. Il scrute la plaine à la recherche de troupes amies, nombreuses et rassurantes, mais l’écho ne renvoie rien, le paysage ne bouge pas, l’armée de Blücher scelle des Waterloo à répétition.
L’évidence est insupportable, elle assène des coups assourdissants auxquels le boxeur sonné ne veut pas plus se rendre qu’il n’accepte de modifier les conditions de son entraînement. L’évidence est que la France est un pays frileux, égoïste et conservateur, solidement ancré à droite. Droite dure et cynique, soigneusement entretenue par une majorité de jocrisses nourris à l’individualisme et abreuvés d’hypocrisie, adeptes de la servitude volontaire, celle qui permet à la fois d’éviter de penser, de fuir comme la peste toute marque d’esprit critique et d’espérer récupérer des bénéfices personnels sans tenir aucun compte du voisin. La peur soigneusement entretenue par le pouvoir (crise financière, chômage, sécurité, pandémie, déficit prétendu de l’assurance maladie, tensions internationales) et la soumission dominent et pétrissent les esprits.
Rideau. Inutile de remonter sur le ring alors qu’aucune des données ne change. D’autant plus inutile que les soigneurs estampillés à gauche disputent entre eux au détriment de leurs poulains. Détenir l’oscar du meilleur soigneur potentiel importe seul. Toutes les arguties sont bonnes pour tenter de donner le change et se maintenir dans le marigôche en ne modifiant rien des pratiques habituelles.

Y eut-il jamais une gauche au pouvoir en France ?

Quelques exemples suffisent à dire la faiblesse des essais hasardeux qualifiables de gauche : la volonté de Robespierre d’instaurer une égalité politique et sociale, la très brève Commune de Paris, la parenthèse du Front Populaire, les premiers pas du premier septennat de François Mitterrand, autant de jalons à chaque fois rapidement battus en brèche par une asphyxie financière ou une sanglante reprise en main auxquelles le nouveau pouvoir balbutiant a toujours très vite été confronté (Thermidor, annonciateur du Consulat et de l’Empire ; répression des Versaillais). Oubliant qu’elle perdait son âme, la gauche a trop souvent accepté de composer avec ses détracteurs dans le fallacieux espoir de durer (refus d’intervention en Espagne en 1936 ; acceptation de la primauté de la finance au détriment de la politique dans la construction de l’Europe, traité de Maastricht). À chaque fois le pouvoir dit de gauche s’est alors transformé en un gouvernement centriste, dont la nature de l’hémisphère dominant, droit ou gauche, importait peu.

La IIIe République colonialiste, pas plus que le gouvernement Guy Mollet conduisant la guerre en Algérie, ou celui de Lionel Jospin accentuant la primauté du monde des affaires, notamment avec le traité de Nice, ne sauraient être assimilés à un vrai pouvoir de gauche. Par sa succession d’affaires financières douteuses, par ses manœuvres florentines, par l’entretien d’un mensonge permanent sur la situation du Président et la dissimulation de pans glauques de son passé, par sa morgue, l’épisode François Mitterrand a amorcé la mort lente de la gauche toute entière. Il a éradiqué toute croyance possible en un idéal politique.
Depuis la fin du 18e siècle la gauche véritable n’a gouverné qu’à de très brefs intervalles (moins de dix ans au total), savamment montés en épingle par la droite pour la déconsidérer. La France est un vieux pays de tradition droitière où la bourgeoisie au pouvoir depuis la révolution n’a de cesse de singer l’Ancien Régime pour tirer la couverture à soi, asseoir ses prébendes et assurer sa pérennité.

Il existe sans aucun doute une saga de gauche, entretenue par des contes légendaires établis à partir de grands noms de la littérature, au premier rang desquels Victor Hugo et Jules Vallès. Il ne s’agit là que d’une illusion poétique au charme romantique propre à entretenir le rêve et à faire considérer que tout progrès est nécessairement de gauche. Ce manichéisme masque les turpitudes auxquelles la gauche s’est livrée pendant des décennies en couvrant ou en s’accommodant de régimes plus que douteux (outre le stalinisme, les régimes corrompus des anciennes colonies offrent de pitoyables exemples), ainsi que celles qu’elle perpétue aujourd’hui en se soumettant à la loi de la vampirisation financière mondialisée et du marketing politique selon laquelle on vend désormais la politique et le politicien comme n’importe quelle gamme de produits dont on se contente de soigner les emballages à coups de techniques de communication.
Si les sagas ne véhiculent pas seulement du rêve, elles entretiennent une pensée. Mais aujourd’hui les têtes de gondole sont tellement allégées qu’on peut les garantir dénuées de toute pensée. Seule existe désormais une pseudo concurrence entre sous-marques d’une même chaîne télévisuelle de distribution régnant sur un marché monopolisé.

Cependant, des avancées et des progrès…

C’est indubitable, on doit à des gouvernements de gauche comme à la présence d’homme de gauche dans des gouvernements centristes, voire de droite, des avancées sociales et politiques majeures : suffrage universel (pour les hommes), enseignement primaire gratuit, laïc et obligatoire, congés payés, abolition de la peine de mort, protection sociale des plus démunis, pacte civil de solidarité (Pacs)… Mais on ne peut nier que d’autres ont été portées par la droite : vote des femmes, troisième semaine de congés payés, interruption volontaire de grossesse, contraception, divorce par consentement mutuel, majorité à 18 ans… On ne doit pas oublier non plus que le Conseil National de la Résistance, au sein duquel figuraient des représentants de la gauche et de la droite, a su élaborer un programme dont le régime gaulliste, qui dans un premier temps a fait place à des hommes de gauche, s’est fortement inspiré (assurances sociales, retraites par répartition, vote de femmes…).

1789, la IIIe République et le C.N.R. ont fondé et établi des principes de liberté, d’égalité, d’impartialité et de solidarité sur lesquels nous avons vécu jusqu’à présent. Ces principes sont actuellement en train de voler en éclats. Le tout sécuritaire s’oppose à la liberté, les discriminations sociales et ethniques enfreignent la notion d’égalité de même que celle d’impartialité, la solidarité est mise à mal par un capitalisme effréné. La régression et la confusion sont totales, nous retournons à grandes enjambées à des situations proches de celles qui ont généré 1789. Si l’histoire ne se répète pas, elle peut comporter des enseignements et permettre des analogies. L’éventualité d’une violence difficilement maîtrisable ou de sursauts libertaires (mai 68 en fut sans doute un, vite détourné et récupéré) n’est pas à exclure.
La gauche émiettée, ramollie, empêtrée dans le souvenir diffus de vieilles lunes, a perdu toutes références. Ses membres, pour la plupart issus des mêmes cercles que ceux de la droite, font de la politique un ensemble d’affaires propres à favoriser leur carrière personnelle. Les affaires sont les affaires… A partir du moment où on fait carrière en politique, on ne fait plus de la politique au service du plus grand nombre, on vit de la politique qui devient à l’évidence un business comme un autre. Ce qui change beaucoup la vision des choses. Les utopies sociales ou politiques ont cédé le pas au réalisme le plus terre à terre, inducteur de renoncements multiples.
Confrontés à cela, conscients d’être abandonnés par des syndicats réformistes qui ne craignent plus d’entériner l’incontournable violence patronale, des salariés gavés d’impuissance posent des actes de révolte face à un avenir bloqué : séquestrations, menaces de destruction d’équipements, revendication de magots illusoires et volatils pour solde de tout compte, suicides en chaîne.
Energie du désespoir.

Sans plus aucune référence solide du fait de la faillite généralisée des régimes dénommés socialistes, combattue, vaincue, compromise, dénuée de toute capacité de se projeter en avant, la pseudo gauche rejoint la droite dans son amoralité totale. Le personnel politique devient presque interchangeable, c’est ainsi que des hommes présumés de gauche président aux destinées d’organismes internationaux soucieux de commerce et de capitaux cosmopolites. Il ne reste plus que quelques nuances de détails pour différencier les uns des autres.
Au moment où la morale défaille il n’y a plus de place que pour les magouilles de la politique dans laquelle se dissout la notion de gauche. De ce point de vue se pose la question de savoir s’il y a compatibilité entre se situer à gauche et accéder au gouvernement.
La gauche est du côté de la pulsion de vie opposée au repli sur soi et au conservatisme frileux ; elle porte en germe permanent la contestation et la subversion, ce qui ne peut que la tenir à distance de l’exercice du pouvoir. Si un gouvernement de gauche parvient à exister peut-il dès lors être autre qu’éphémère ? La gauche aiguillon permanent certainement, indispensable ; une gauche de gouvernement, voilà un objectif sans doute irréaliste à moins que le gouvernement de gauche ne renie promptement ses valeurs de justice, d’équité, de primauté du travail sur le capital, de souci du travailleur par rapport à ses conditions de travail...
Il n’empêche cependant que nombreuses sont les idées, forts les principes issus de la gauche, qui ont cheminé et ensemencé la vie politique française depuis plus de deux siècles.

La République en danger

Aujourd’hui le clivage ne s’établit plus entre droite et gauche, mais nettement au niveau des principes moraux de la République qu’il est urgent de sauvegarder. L’omni présence caporaliste de l’Etat, favorisée par le pavlovisme d’une pseudo opposition rivée sur ses vieux démons et ses artefacts intellectuels, trouve le champ libre devant elle. Aucun projet porteur d’avenir n’existe plus. Pour la première fois peut-être dans l’histoire, l’avenir de nos enfants ne se dessine plus dans la confiance en un sentiment de progression possible, mais dans l’idée que les choses ne peuvent aller que se dégradant. Pour la première fois la perpétuation des conditions de vie sur la planète fait l’objet d’interrogations. La croissance de la violence induite et la crainte de toute divergence entraînent crispations et antagonismes, voire désir de restauration d’un ordre ancien. Flicage, autoritarisme, militarisation se présentent comme les seules réponses possibles aux interrogations d’une société prise à la gorge. La mise à sac des acquis par la classe politique et la finance s’opère avec une telle outrecuidance que la négation grossière et méprisante des principes fondamentaux entraîne l’indifférence apparente d’une grande partie de la population, tétanisée car saisie de tant d’impudence et rendue temporairement passive par l’absence de réaction porteuse clairement identifiable.
Tout se met sournoisement en place pour favoriser des affrontements violents.
Le crime contre l’esprit que représentent les mensonges, les coups tordus, le formatage des informations, l’accent mis sur les anecdotes et les faits divers, les contre vérités assénées à longueur d’antennes, la volonté d’appropriation clanique des rouages du pouvoir, nous conduisent droit à l’abîme de l’aventurisme d’une dictature ayant l’apparence formelle de la démocratie (grâce au rideau de fumée d’un système électoral soigneusement arrangé).
Eduardo Galeano, écrivain sud américain, nomme cet hybride la « démocrature ». La présidentialisation effrénée du régime en est l’actuelle préfiguration.
Des pensées nouvelles, des acteurs nouveaux, parviendront-ils à susciter et à organiser une résistance plurielle, « oecuménique », indispensable, comme ce fut parfois le cas aux pires moments de notre histoire contemporaine ?

Jean Klépal, oct.-nov. 2009

vendredi 26 mars 2010

REMARQUES EN PASSANT 22

ACTES
Si tu laisses de côté le discours de camouflage pour ne t’occuper que des actes du gouvernement actuel, tu t’aperçois vite qu’ils vont tous dans la même direction : l’installation progressive, sans tambours ni trompettes, sans bottes ni pas de l’oie, d’une dictature oligarchique néo-libérale qui dans les faits sinon dans les mots exalte les mêmes valeurs et aboutit aux mêmes résultats que les dictatures fascistes, si on définit ces dernières comme la prise en main de l’appareil d’état et sa mise au service d’une clique mafieuse décidée à soumettre les masses, quitte à les entraîner dans le mur, pour satisfaire leur mégalomanie, leur avidité, leur frénésie de pouvoir et de profit.
Comme avec les nazis, le rideau de fumée des principes, d’autant plus solennellement affirmés qu’ils sont en même temps allègrement violés, et le recours permanent au discours de la « légitimité démocratique » au moment même où elle est de plus en plus systématiquement et ouvertement contournée, sont là pour « autoriser » le citoyen moyen à se laisser aller à sa paresse et à sa lâcheté, pour le désorienter, le dégoûter et le mener à rejoindre le troupeau dans la passivité léthargique de ces proies qui espèrent échapper au pire en se faisant toutes petites et immobiles, en une mort prématurée censée leur éviter la destruction qui les guette.
J’écrivais ceci il y a trois mois. L’abstention aux deux tours des régionales et les réactions du gouvernement et de ses séides me semblent confirmer ce diagnostic « pessimiste ». Ce que mettent aussi sous une lumière crue ces élections, c’est la différence entre ce que j’appellerai charitablement la petite intelligence de l’actuel président, cette intelligence égotique, autiste, calculatrice et manipulatrice, tout entière tournée vers le court terme et prête à toutes les compromissions, et la véritable intelligence, désintéressée et visionnaire, qui embrasse le passé et le futur pour créer du présent, œuvrant non pour une clique de prédateurs et une clientèle de nantis, mais en vue du bien commun.
En ce sens, la comparaison avec un Obama est terrible pour ce politicien à la petite semaine qu’a toujours été et sera toujours Sarkozy.
Entre un homme politique digne de ce nom et le sarkozhistrion, il y a toute la différence entre un gamin mal élevé et un adulte responsable.
Voir INFÂMES et SORDIDE

ADAPTABILITÉ
L’adaptabilité, voilà la solution ! clament en chœur les adeptes de l’assez stupide et faussement original concept de résilience. Mais l’adaptabilité est aussi le problème. Notre drame, c’est que nous nous faisons à tout.
L’adaptabilité que nous vante le libéralisme, qui y trouve son compte, n’est le plus souvent qu’une forme élaborée de lâcheté. Il est bon d’être omnivore, pas forcément d’accepter de manger de la merde. Et si le chêne peut être foudroyé, le roseau ne montera jamais bien haut.

AMBITION
Je n’ai jamais cherché le profit ni le pouvoir, ni même la « réussite ». Chaque fois que je m’en suis approché d’un peu trop près, j’ai vite reculé, de peur de m’y brûler ou de m’y aveugler.
Non que j’eusse peur de l’argent, du pouvoir ou du succès ; c’est de moi que j’avais peur, conscient que j’étais du risque de me perdre et mon âme avec moi dans le marigot des ambitions, toujours d’autant plus déçues qu’elles ont été accomplies. Rester soi-même m’a toujours paru plus important que réussir.
Je n’ai jamais été sûr d’être assez fort pour résister à mon propre pouvoir, assez honnête pour n’être pas acheté par mon argent, assez modeste pour ne pas faire de ma réussite un échec.
Et puis, je ne sais que trop que quand on a atteint son sommet il ne reste plus qu’à redescendre.

AQUARELLES
La plupart des aquarelles que j’ai vues restent prisonnières de l’aquarelle…
Turner a pourtant donné l’exemple de ce que l’aquarelle ne prend sa vraie force qu’à condition de s’émanciper d’elle et de la traiter pour ce qu’elle est : une peinture à part entière.

AUTODÉNIGREMENT
Dans « Esprit critique » sur France-Inter, un journaliste dit ce matin de Franz-Olivier Giesbert qu’il est très bon dans l’autodénigrement. Pas étonnant : le sujet s’y prête.

CADEAUX
Les cadeaux peuvent à l’occasion entretenir l’amitié. Jamais en tenir lieu. Tel est pourtant le rôle que nous leur assignons très souvent. Quitte à nous étonner – hypocrisie de l’inconscient ! – de l’ingratitude de ceux dont nous voulions acheter l’affection au moindre prix, et qui se contentent en toute logique de nous rendre la monnaie de singe de notre pièce…

CAPACITÉS
L’on ne fait jamais que ce qu’on peut, mais on peut toujours bien plus que ce qu’on croit pouvoir.

CHANGEMENT
Contrairement à ce que croient les mordus du progrès, on peut être aussi prisonnier du changement qu’on peut l’être du conservatisme. Le changement est une drogue dure, et ceux qui y sont accros, en bons drogués, ne sont guère regardants sur la qualité de la daube, pardon, de la dope qu’on leur refile…

CIORAN
Je n’avais rien lu de Cioran. Grâce à un vrai ami, je veux dire quelqu’un qui me prête Cioran au lieu de m’en parler, j’aborde aujourd’hui ce rivage désolé. Pour m’apercevoir qu’à certains égards je faisais du Cioran sans le savoir, en moins systématique j’espère.
Cioran tape comme un sourd et, à force, souvent dans le mille. Mais à taper en tous sens, il finit aussi par taper à côté, et à force de vouloir enfoncer le même clou en vient à se taper sur les doigts.
Il semble faire partie de ces masochistes qui s’acharnent à passer à côté de l’essentiel sous prétexte qu’ils ne peuvent pas le vivre en permanence.
Beaucoup d’entre nous fonctionnent ainsi : si je ne peux pas tout avoir, je ne veux rien.
Au bout du compte, Cioran ne pardonne rien à la vie parce qu’il ne supporte pas de n’être pas Dieu. En cela, il est bien moins original qu’il ne le croit…
Voir ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

CLASSE
Si l’on veut savoir ce que signifie le mot classe, il faut lire Chamfort, Laclos, Musset, Gautier, Nerval. Chez eux et quelques autres, le français est une langue souple comme un fouet, avec toute l’élégance de cette précieuse fausse désinvolture par laquelle un auteur fait partager à son lecteur le fruit de son travail sans lui imposer l’effort qui l’a engendré.
Leur aisance de ton souveraine donne à tout ce qu’ils écrivent un caractère de distinction naturelle que nous avons tout à fait perdu, occupés que nous sommes à tenter de convaincre au lieu de suggérer.

COMPÉTENCE
Pas besoin d’être très intelligent pour savoir comment fonctionnent les imbéciles. Suffit de redescendre à leur niveau. Nous en sommes tous capables, et souvent même sans le faire exprès…

CONFINS
Mon travail, particulièrement quand je peins, mais aussi en tous domaines et depuis toujours, consiste à tenter d’explorer la limite entre fini et infini, à aller toujours plus loin vers les confins.
Voir CONTINUITÉ

CONFUSION
L’art contemporain est aussi triste que la chair contemporaine. Ce n’est pas par hasard que l’une des grandes prêtresses du discours de l’art de marché, tout comme elle confond créativité et création, réflexion et communication, critique et publicité, cherche dans le sexe un remède à l’absence d’amour, et n’oublie surtout pas de mettre en scène cette pitoyable quête pour lui faire rendre tout le profit qu’on peut espérer d’un « scandale », si anodin et conformiste soit-il.
Le sexe façon Catherine Millet, c’est comme l’art façon ArtPress : très prétentieux, très con, très chiant, comme chaque fois que la mécanique l’emporte sur la vie.
Courir après tout ce qui peut s’échanger ou mieux encore se vendre, telle est la pauvre recette d’une société de consommation qui fait tout pour oublier de regarder en face cet essentiel qui la terrorise : à chaque instant, il est temps de vivre.

CONSÉQUENCE
À partir du moment où c’est l’économie qui prime, quel que soit le système politique la corruption s’installe.

CONTINUITÉ
Quand j’y regarde de près, ce qui me saute aux yeux, c’est que dans tout ce que j’ai tenté de faire, j’ai cherché à incarner l’universel dans le particulier, à découvrir l’infini à travers le fini.
L’écriture, le théâtre, l’improvisation, la peinture, dans chaque domaine j’ai poursuivi la même quête, mené la même démarche.
Qui conduit d’elle-même à toujours plus de dépouillement : mon éloge de la fadeur ne s’arrête pas à la peinture, mais se retrouve dans l’évolution des Remarques en passant vers la maxime lapidaire.
Essayer de faire plus avec moins, c’est peut-être le meilleur moyen de découvrir l’infini dans le fini.
Voir CONFINS

CRÉER
Nous sommes tous pareils en fin de compte : si tu ne crées pas, tu crèves. Créer ou crever, notre seul dilemme. Par voie de conséquence, peu importe ce que tu crées, l’acte compte plus que l’objet et même que le résultat.

CROTTES
Le problème ne se limitant pas à la Vallée de l’Ubaye, comme j’ai pu de nouveau le constater à Venise tout récemment, et comme je vais sûrement m’en apercevoir à Paris prochainement, je reproduis ici le texte que j’ai commis sur ce sujet pour notre revue locale :
« Il n’y a pas qu’en ville. Le long des chemins de la digue, très fréquentés par de nombreux piétons, les crottes fleurissent toute l’année en aussi grand nombre que les pissenlits au printemps, et le promeneur peut admirer la perspective d’une route où elles sont disposées avec une élégante régularité à peu près tous les trois mètres, ce qui donne à tout bipède tant soit peu distrait ou inapte au slalom une très honnête chance d’y mettre les pieds – ou pire.
Ce n’est évidemment pas la faute des hommes et des femmes, dont personne de sensé ne peut attendre qu’ils se comportent de façon responsable, mais de leurs propriétaires, les chiens, qui trop souvent manquent du savoir-vivre le plus élémentaire et adoptent, quand ils promènent leurs chouchous, un comportement d’un égoïsme inadmissible.
Il serait grand temps que les chiens se décidassent à éduquer leurs animaux de compagnie, de sorte que ceux-ci cessent de laisser traîner un peu partout leurs excréments. Les chiens doivent prendre conscience que laisser ainsi divaguer leurs amis humains porte gravement atteinte à leur image de marque. Il est clair que les êtres humains comptent parmi les animaux les plus frustes et les moins susceptibles d’un comportement décent ; raison de plus pour que leurs maîtres chiens réalisent qu’il leur appartient de les dresser, au besoin avec toute la sévérité nécessaire, afin de les rendre, sinon un peu plus dignes de respect, du moins un peu moins nuisibles à la communauté.
Il serait infiniment regrettable que devant l’impossibilité d’éliminer du paysage les déjections humaines les autorités compétentes se voient contraintes d’envisager l’éradication de ces charmants compagnons de nos solitudes canines. Car que deviendraient les chiens, qu’ils y songent, sans l’amitié de leurs un peu pénibles, un peu égoïstes et obtus, mais ô combien fidèles compagnons à deux pattes ?
Si les chiens souhaitent que leurs serviteurs humains soient acceptés de tous, l’incivilité révoltante que constitue le fait de les laisser déféquer partout doit cesser. C’est une question de bon sens autant que de principe. La gent canine s’est donné pour but il y a des millénaires de civiliser autant que possible l’espèce humaine. Tâche certes difficile, presque impossible, diront les mauvaises langues, mais d’autant plus exaltante que presque tout reste à faire !
À l’exemple de nos frères les chiens de traîneau, n’hésitons plus à nous atteler à cette entreprise prométhéenne et à dire une fois pour toutes merde aux crottes ! »

CUISINE
Une des qualités d’une bonne cuisine chinoise, vietnamienne ou thaïe, c’est d’être vibratoire. Sa saveur ne cesse de s’estomper pour se recomposer, irisée comme un arc-en-ciel ; j’en avais pris conscience il y a près de vingt ans en regardant flotter, à travers le rideau de chaleur ondulant du réchaud à catalyse, le gros caractère chinois doré en relief sous l’aquarium du restaurant où je déjeunais souvent à l’époque à Digne.
La cuisine polychrome du patron, presque un ami, qui m’accueillait toujours d’un nasillard et ironiquement respectueux : « Bonjour, Professeur ! » accompagné de la demie courbette syndicale chère aux orientaux dans leurs rapports avec les barbares occidentaux, me permettait, contrairement aux steack-frites surgelés des bars et brasseries enfumés, de reprendre mes cours l’après-midi sans m’endormir en chaire, et même avec une certaine alacrité…

CUISINES
J’ai toujours préféré les cuisines raffinées qui ont l’air simple aux cuisines ostensiblement compliquées qui n’ont en fait que l’apparence du raffinement et toute la vulgarité de l’excès. De ce point de vue, la cuisine d’Al Colombo, le restaurant vénitien de mon ami Alessandro Stanziani, est l’une des meilleures que je connaisse.

CYNISME
Beaucoup de cyniques ne le sont que par idéalisme déçu. Ils ne demanderaient qu’à croire, mais leur enthousiasme a été trop souvent douché pour qu’ils ne cherchent pas à se prémunir contre le désespoir par une ironie désenchantée dont la cruauté les blesse autant qu’elle les soulage.

DÉCLINER
Je déteste décliner : on décline un procédé, vraie façon de sceller le déclin de l’intelligence. Je préfère explorer un phénomène, seule façon de le comprendre, puis de l’aimer, et de se rendre compte pour finir qu’on ne l’a pas épuisé, qu’on ne l’épuisera jamais, et que là réside la joie de créer.

DÉPRIME
Nous ne sommes pas nés pour être déprimés. La déprime est une création humaine, de toutes la plus inhumaine, le triomphe de l’esprit de mort sur l’esprit de vie.

ÉCHELLE (changement d’)
Nous ne voulons pas le voir. Dommage : il explique à peu près tout. Mais parce qu’il est on ne peut plus réel, si nous ne changeons radicalement de regard il nous demeure incompréhensible.

ÉLITE
Une élite digne de ce nom ne se prendrait pas pour une élite, et ne chercherait pas à prolonger son pouvoir, mais à le partager. Une élite qui se présente comme une élite n’en est déjà plus une, à supposer qu’elle l’ait jamais été.

EMBARRAS
J’entends souvent dire, comme si c’était un privilège : « Tu n’as que l’embarras du choix ». Mais de tous les embarras, le plus embarrassant est bien l’embarras du choix, et d’autant plus que c’est en effet un privilège…

ÉPUISEMENT
C’est la sensation que je ressens quand j’entends ce brave Stéphane Paoli écorcher lui aussi une langue pour laquelle il a plus de respect que d’affinités : « On n’a pas fini d’épuiser la question… » conclut-il son émission de ce samedi. Hélas non !

ÉQUILIBRE
Il faut des Cioran pour nous aider à ne pas aller trop loin. Mais il n’en faut pas trop, on n’irait pas loin.
Voir CIORAN, FOI, INDIVIDUALISME, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

FASCINATION
Je n’en ressens aucun plus forte que celle qui me subjugue quand je me trouve au milieu d’une de ces lagunes qui ont l’air mortes et dont les eaux plates grouillent d’une vie d’autant plus ardente qu’elle demeure invisible sous leur surface miroitante.

FAUSSE MONNAIE
La question qui se pose une fois de plus après ces régionales et que je ne cesse de me poser depuis qu’il est entré en politique comme un renard entre dans un poulailler, est toute simple : Comment Nicolas Sarkozy a-t-il pu vendre à tant de citoyens supposés adultes son plomb pour de l’or ?
Un plomb particulièrement vil, qui plus est, et particulièrement mal déguisé. Faut-il que la peur soit ancrée parmi nous pour que tant de moutons crient au berger quand des loups, la gueule enfarinée, leur proposent benoîtement de les croquer tout crus !
Si seulement ce lamentable épisode pouvait réveiller nos concitoyens (je finis par me demander comment je dois écrire ce mot…) et leur apprendre une fois pour toutes que la verroterie ne passe pour du diamant qu’auprès des imbéciles, je me consolerais d’avoir dû endurer ce sommet d’indécente stupidité humaine et politique qu’aura été le ridicule et désastreux « règne » de notre ô combien minuscule président.
Mais si j’en juge par le passé, les faux-monnayeurs ont encore de beaux jours devant eux.

FOI
Il ne pouvait vivre sans une foi. Refusant de croire en la vie, Cioran a mis son espoir dans le néant, qui l’a comblé en retour.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

GÉNIE
Il va de soi que les gens qui n’en ont aucun sont les premiers à dire que le génie n’existe pas.

GÉNIES
Impression persistante que nous sommes passés de l’ère des grands génies à celle des « p’tits génies ». Nous vivons le triomphe de l’astuce sur l’intelligence. Le monde est-il vraiment trop complexe pour pouvoir être embrassé tout entier ? Je n’en suis pas si sûr, je crois plutôt que nous avons appris à ne plus le voir que de près. Noyés dans l’infini des détails, nous n’avons plus le recul nécessaire pour percevoir l’infini.

GOUJAT
Trichet, prototype du goujat bien élevé, qui crache avec élégance dans la soupe des autres.
C’est à vrai dire la spécialité des banquiers, ces artistes de la goujaterie enrobée, must du savoir-vivre mondain.

GROTESQUE
À bien y regarder, la caractéristique première de ceux que j’appelle les hommes de pouvoir, c’est le ridicule : plus ils l’aiment, plus ils sont grotesques. Aucun n’y échappe : Mussolini, Hitler, Bush, Berlusconi, Sarkozy : odieux, certes, infâmes, souvent, mais avant tout parfaitement ridicules.
Non seulement le ridicule ne tue pas, mais il mène au pouvoir.
Le ridicule ne tue pas, mais les ridicules finissent souvent par tuer. Plus elle est dérisoire, plus la mégalomanie, dans son implacable volonté d’être prise au sérieux, tend à rejoindre l’horreur.

HISTOIRE (de France)
Sarkozy y aura sa place, mais pas celle qu’il aurait voulu. Il y restera non seulement comme l’un des plus odieux et nuisibles politiciens que notre pays ait eu le masochisme de s’infliger, mais encore comme le plus ridicule de tous les hommes de pouvoir qui y ont exercé leur sinistre activité.
La compétition est pourtant féroce, mais il emporte la palme : jamais personne n’a autant cherché à péter plus haut que son cul. Il est vrai que dans son cas ce n’était pas la mer à boire.

IMPÔT
Jean Klépal m’envoie cette citation extraite de « L’ancien régime et la révolution » d’Alexis de Tocqueville (Livre II, ch. X, p. 1013, col. Bouquins, Robert Laffont) :
« Du moment où l’impôt avait pour objet, non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre, on devait être amené à cette conséquence monstrueuse de l’épargner au riche et d’en charger le pauvre (...) De là vint cette prodigieuse et malfaisante fécondité de l’esprit financier ... »
C’est particulièrement triste à dire, puisque cela implique que l’humanité ne tire jamais les leçons de ses erreurs, mais nous devrions enfin nous souvenir que si le monde change, les mêmes causes continuent à produire les mêmes effets…

INDIVIDUALISME
Cioran paie le prix d’un individualisme si forcené que pour son malheur il finit par se suffire à lui-même. Or Cioran est exigeant : se suffire à lui-même ne lui suffit pas. De sorte que s’il touche le prix douteux qu’offre la renommée à toutes les entreprises extrêmes, qu’elles soient utiles ou néfastes, vertueuses ou criminelles, il en reçoit aussi l’équivoque récompense : exister sans vivre n’est guère plus passionnant que vivre sans exister.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ et VOLONTARISME

INFÂMES
Comment ne pas mépriser les hommes politiques d’aujourd’hui quand on vient d’écouter Copé enfiler des insanités pendant toute une émission ? Infâme, sa façon de s’indigner que Proglio « soit jeté aux piranhas » ! Qu’ont à craindre des piranhas les requins ? Et Copé de se démasquer en déclarant dans la foulée qu’il faut créer des systèmes « pour éviter les pires abus ». Les abus normaux, ça passera toujours, mais les pires, c’est trop voyant…
Ces gens-là, qui nous agressent avec la dernière violence, ce sont eux qui se sentent agressés quand nous tentons de nous défendre contre leurs attaques !
Voyez les ignobles discours de l’actuel premier ministre entre les deux tours des régionales, et ses effarantes tentatives de récupération. Cet homme-là trompe son monde. Il y a quelque chose d’inquiétant dans l’allure policée de garçon coiffeur endimanché qui sert de masque à son incroyable violence et à son inoxydable mépris pour tout ce qui n’est pas de son monde : j’ai toujours détesté la gomina, elle donne aux chevelures trop domestiquées de sinistres reflets de bottes vernies.
Voir ACTES et SORDIDE

INFIRMIÈRE
Pas de malade plus difficile que l’infirmière. Elle a dû subir tant de malades tyranniques, endurer tant de corvées ; l’heure de la revanche a sonné, c’est enfin son tour de réclamer, d’exiger, de régner depuis son lit de majesté sur le temps, les activités, les pensées d’autrui. Tous les abus lui paraissent normaux, elle en a tant supporté…
Si par chance celui qui la soigne est en même temps son conjoint et si ses activités lui avaient donné une certaine indépendance vis-à-vis d’elle, l’infirmière grabataire tient son triomphe : l’ancienne otage soumise aux caprices des patients comme à ceux de l’administration peut enfin exercer le métier dont son inconscient rêvait depuis toujours, celui du bon geôlier, aux jouissances duquel certains malades plus faibles ou compatissants lui avaient permis de goûter.
Et comme elle connaît son métier, le soignant débutant va bénéficier d’une attention de tous les instants ; sa maîtresse vérifiera avec soin qu’il exerce son nouveau métier presque aussi bien qu’elle le faisait elle-même. C’est dire que rien ne sera jamais comme il faut ni quand il faut, et que de légitimes remontrances ponctueront l’apprentissage jamais terminé du petit nouveau, le bleu étant même souvent soumis à un bizutage en règle, culminant dans le fatidique coup de pied de l’âne qui couronnera de nombreuses journées harassantes passées à tenter de satisfaire le Moloch en jupons :
« Tu ne t’occupes pas de moi… »
Mais on finira par tout pardonner à l’infirmière parce qu’on n’oublie pas qu’elle est passée par le même enfer avant nous, et plus d’une fois, et qu’elle a toujours su y garder le sourire, tout comme son humour a survécu à la maladie qui n’en finit pas de la tuer.

INGRATITUDE
Même quand nous faisons profession de détester l’ingratitude, nous nous en servons constamment. Pas de vie possible sans un minimum d’ingratitude.

INGRES
En tant que peintre, je ne l’apprécie guère. Sa peinture ne vit que par le dessin, si tant est que ce soit vivre pour une peinture de ne tenir que par le dessin. C’est un choix très volontaire de sa part, et qui correspond pleinement à sa personnalité un peu étriquée, très ordonnée, très rangée – jusque dans ses dérangements. Car Ingres ne se contente pas de dessiner, il cerne son dessin, le soumet à la dictature du trait, un empire glacé qu’il porte à la perfection ; ses toiles ont la netteté implacable et un peu vaine des désordres policés, et au fond policiers, de Sade, cette noirceur lumineuse, cet aveuglant soleil blanc si caractéristique du dix-huitième siècle finissant, et que seul Laclos a su porter jusqu’au chef-d’œuvre.
Cette lucidité glaciale, Ingres la prolonge et l’embourgeoise sans lui retirer tout son venin mais en la figeant et l’édulcorant, à la mesure des personnages dont il livre le portrait avec une probité qui n’exclut pas l’acuité d’un regard sans illusion ni véritable indulgence, un des rares regards de peintre qui frôle cette arlésienne qu’est par bonheur « l’objectivité ».

JEU
Il me semble constater une différence entre ma génération de sexagénaires et les trentenaires actuels. Leur travail, s’il ne les ennuie pas forcément, jamais ne les emballe. S’ils ne s’y éclatent pas, du moins le font-ils bien. Par devoir, dirait-on, histoire de gagner à peu près leur vie.
Mais l’argent qui leur plaît, l’argent qui les excite, ce n’est pas celui qu’ils gagnent par leurs efforts, mais celui qu’ils gagnent par hasard, grâce à la chance. Comme une façon de s’assurer que le destin peut venir à leur secours. Ainsi jouent-ils à toutes sortes de jeux, du loto aux courses en passant par le poker.
Comme s’il ne s’agissait plus pour eux de mériter l’argent qu’on gagne, mais de gagner l’argent qu’on n’a pas mérité.
Comment le leur reprocher ? Ces jeunes ont tiré la leçon du casino financier mondialisé : l’argent qui tombe du ciel a désormais plus de valeur que celui qu’il a fallu aller chercher à force de travail.
L’argent n’étant plus symbole d’autre chose que de lui-même, peu importe la façon de le gagner, toutes les formes de perversion et de corruption n’ont plus besoin d’autre justification que leur rentabilité.
Tout devient un jeu – un jeu d’argent.
Mais à ce jeu-là, au bout du compte, il n’y a que des perdants.

JUBILATION
Cioran éprouve une jubilation si contagieuse à se vautrer dans le malheur universel que j’en vient par instants à avoir envie d’échanger mon humble bonheur quotidien, bête petit bonheur de vivre, contre le grandiose désespoir qu’il s’est construit envers et contre tout – et même contre l’évidence. Ça a de la gueule, un mensonge aussi acharné.
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LOIS
Faire des lois, rien de plus facile. Les faire respecter, toute autre histoire. Faut-il encore qu’elles soient respectables, et plus on en fait moins il y a de chance qu’elles le soient, ne serait-ce que parce qu’entasser les lois est le plus sûr moyen de les rendre méprisables : quand bien même elles seraient bonnes, leur quantité excessive à elle seule fera douter de leur qualité. De même, légiférer à la hâte conduit à créer des lois si mal pensées et rédigées qu’elles s’avèrent bien vite inapplicables.
Dès lors que le citoyen ne peut plus connaître ou comprendre la loi, celle-ci perd toute légitimité à ses yeux. Demeure la seule loi qui plaise aux puissants, la prétendue loi de la jungle, la trop réelle loi du plus fort.
Tel est sans doute le but profond, conscient ou non, de la boulimie législatrice des récents gouvernements, celui de l’Europe compris, qui se servent des oripeaux de la démocratie pour mieux installer leur pouvoir arbitraire. Démonétisée par le nombre et la hâte, la loi n’a plus force de loi, et cède la place au bon plaisir des oligarchies en place.
C’est ainsi que désormais quand le peuple vote mal, c’est à dire tente de faire entendre sa voix et respecter ses choix, on le fait revoter jusqu’à ce qu’il rentre dans le droit chemin, celui du troupeau qu’on mène à l’abattoir.

MALHEUR
Ce qui rend la lecture de Cioran si jouissive par instants, ce n’est pas seulement qu’il est à l’évidence plus malheureux que le plus malheureux d’entre nous, ce qui en soi serait déjà consolant, c’est qu’il l’est de façon si excessive, si manifestement artificielle qu’il nous pousse sans le vouloir à ne pas davantage croire à notre malheur que nous ne pouvons croire au sien.
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MANQUE
Dès que nous nous quittons, elle me manque, disait cet amoureux transi ; mais là où elle me manque le plus, c’est quand nous sommes ensemble…

MODE
La mode en dit toujours long sur notre façon de voir le monde. Le complet-cravate sinistre va comme un gant à la rigidité cadavérique du capitalisme. Les vêtements noirs et les croquenots de clergyman défroqué collent parfaitement avec la « sinistritude » branchée des clercs de l’académisme intellectuel et artistique, portant fièrement le deuil de l’intelligence et de la création. Très logiquement, face à ces modes mortifères, le peuple a adopté la mode caca. Il n’est que trop vrai que nous sommes dans la merde. De là à jouer les gribouilles en nous coulant dans le bronze…
Mais le raisonnement du subconscient collectif est bien là : puisque qu’on nous traite comme des merdes, habillons-nous en étrons ambulants !
Et la mode de décliner toutes les variétés de marron, toutes les nuances de couleur caca, créant une collection de sacs de patates informes et marronnasses, si ignoblement laids que leurs porteurs, dans un accès d’inconsciente lucidité, rabattent sur leurs yeux les cagoules qui achèvent de les fondre dans l’anonymat de l’universel égout mondialisé.
C’est ainsi que sur les pistes de ski on voit aujourd’hui slalomer des étrons…
Voir VÊTEMENTS

MONSTRUOSITÉ
J’adore les libéraux : quiconque les attaque, et même si c’est pour se défendre de leurs propres agressions, est un monstre, digne par là même d’être puni de façon monstrueuse.
Le 11 septembre était une horreur. Cela justifiait-il Guantanamo ?
Le 11 septembre est une horreur. Dresde, Hiroshima et Nagasaki aussi.
La Shoah, c’est l’horreur absolue. Le gazage systématique est le comble de l’horreur. Cela fait-il du napalm, des mines anti-personnel et des obus à l’uranium appauvri des armes propres ?
Quand j’étais enfant, on me rappelait assez souvent l’histoire de la paille et de la poutre, qui pour être archi usée n’en reste pas moins d’actualité.
Dès que je considère l’autre comme un monstre en oubliant de me regarder moi-même, je commence à lui ressembler comme un frère, et lui donne tout lieu de voir en moi le même monstre que je vois en lui.
Terroriste ? J’ai bien peur que ce soit toujours aussi « çui qui l’dit qui y est ».


NIHILISME
Le nihilisme se contredit à l’instant même où il proclame que rien n’existe. Rien, ce n’est pas rien, n’en déplaise aux observateurs superficiels.
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NOSTALGIE
Contrairement aux apparences, nostalgie et curiosité sont à mon sens essentiellement liées. L’envie qui me saisissait, enfant, devant une image de livre où l’on voyait un caneton s’enfoncer entre les épis dorés d’un champ de blé mûr dans une sorte de tunnel obscur, d’entrer dans l’image et d’emboîter le pas au curieux pour découvrir avec lui l’inconnu, l’au-delà, c’était peut-être aussi le désir profond, incessamment sous-jacent, de retrouver l’entrée de la matrice et d’y retourner. Notre aspiration au macrocosme, notre désir d’infini me semblent relever en même temps du désir éperdu de retrouver le mystérieux microcosme où nous avons vécu neuf mois en symbiose avec l’univers, dans un déploiement d’énergie vitale qui touchait à l’infini, passant des deux cellules originelles à l’incroyable complexité et à l’essentielle unicité de la personne à naître, passagers actifs d’une incroyable aventure que nous avons tous connue sans jamais pouvoir la partager.
Nous ne cessons de l’oublier pour notre malheur : en nous, le fini et l’infini se touchent.

OGM
À propos de ces chimères que sont à tous les sens du terme les OGM, citons ce proverbe africain particulièrement adéquat : « Le mensonge donne des fleurs, mais jamais de fruits ».

PARADOXE
En un paradoxe qui comme presque toujours n’est qu’apparent, le malheur de Cioran a quelque chose de roboratif, et son nihilisme est assez réconfortant. C’est qu’il est tellement outré, qu’il relève si manifestement d’une pose, d’un choix quasiment prophylactique, que par contraste ce malheur abouti en devient réjouissant à force de perfection simulée. Cioran a réussi ce tour de force de réconcilier le principe de l’homéopathie et la pratique de l’allopathie : comme la première il utilise le poison pour guérir, mais à dose massive comme la seconde…
Et ça marche, pour son lecteur du moins. Pour lui aussi, semble-t-il, puisque ce fanatique du suicide a différé le retour au néant qu’il ne cessait d’appeler de ses vœux jusqu’à l’âge de quatre-vingt quatre ans. C’est dire à quel point il était malheureux !
Pas de doute, Cioran avait le désespoir solide.
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PENSÉE POSITIVE
Se voir meilleur qu’on n’est, c’est la pire façon de ne pas s’accepter tel qu’on est. Si nous voulons devenir meilleurs, commençons par reconnaître ce qu’il y a de mauvais en nous. Je me demande toujours quelles tares inavouables quelles peurs paniques tente de dissimuler une excessive confiance en soi. Y compris quand je me laisse aller à mon optimisme naturel me concernant !

PEOPLE
Beaucoup de « people » ne sont finalement que des poupées gonflables dans lesquelles souffle constamment « l’esprit » de l’époque. Le personnage chez eux n’a fait qu’une bouchée de la personne. D’où leur succès auprès d’un certain type de fans que rien n’attire autant que le vide qu’ils pourront remplir de leurs fantasmes.

PÉRISSABLE
J’étais en train de discuter, en rêve, avec une amie. C’était sur un sujet capital à mes yeux, et je développais mes habituels demi-paradoxes, histoire d’essayer d’éclairer nos faibles lanternes. Dans le feu de la discussion, je me sentais devenir peu à peu vraiment intelligent, et je me disais, voyant ma réflexion s’approfondir à mesure que je tentais de répondre aux objections qu’on lui opposait : « Il faudrait que je note ça tout de suite pour les Remarques en passant ! Ce serait dommage que je le perde comme trop souvent… »
Et j’essayais de me souvenir de l’essentiel. La discussion à peine finie, je me suis précipité sur un carnet pour commencer à noter. J’écrivais tout en continuant à réfléchir, et j’étais ravi de réussir pour une fois à sauver l’une des manifestations de mon impérissable génie !
Mais c’était en rêve, et quand je me suis réveillé, j’avais tout oublié de ce que j’étais encore en train d’écrire.
Heureusement, car si je m’en étais souvenu, c’aurait été pour me rendre compte que je n’étais pas plus génial endormi qu’éveillé…

PLAISIR
« Tout plaisir cesse d’être plaisir à partir du moment où l’accoutumance s’installe. »
Tel est le genre de sentences apparemment évidentes dont Maître Tsuda parsemait ses conférences et ses livres. Une telle phrase peut sembler banale à quiconque n’a pas travaillé avec lui à l’École de la respiration, parce qu’il n’en verra que le sens immédiat et non les implications concrètes pour notre comportement. Tsuda avait le génie pour faire sentir l’infinie complexité des choses les plus simples et percevoir la vacuité des complications intellectuelles dont est si friande la civilisation occidentale décadente.

POUVOIR
La plupart d’entre nous sont à la recherche de je ne sais quel pouvoir. Nous n’avons besoin d’aucun pouvoir pour être là. Être là nous donne tout le pouvoir nécessaire.
Ce que nous appelons pouvoir nous rend esclaves d’autrui : quand nous avons du pouvoir sur quelqu’un, nous dépendons de lui pour notre satisfaction.

PRÉSENT
Qu’elle est petite, étroite, mesquine, l’existence de ceux qui ne cherchent leur présent que dans la synchronie ! Vivre au présent ne peut se faire que dans la diachronie, en intégrant la durée à l’espace.
Être présent au présent, ce n’est possible qu’en présence du passé.
Notre dimension historique, tant personnelle que collective, que nous négligeons stupidement parce que la culture demande un effort, elle nous conditionne d’autant plus que nous affectons de l’ignorer.
On n’est soi-même qu’en compagnie, non seulement de son passé à soi, mais de celui des autres, que nous ne pouvons pas ne pas partager, parce que nous sommes faits de lui.
Notre prochain, ce ne sont pas seulement ceux d’à côté, ce sont ceux d’avant, dont l’influence sur nos consciences et nos vies, pour être moins visible, n’en est que plus décisive.
Le seul moyen d’oublier le passé est de le connaître assez pour n’avoir plus besoin de s’en souvenir.

PROFESSEUR NIMBUS
Tout petit bébé, ma famille m’avait surnommé Professeur Nimbus, car comme ce personnage de comics célèbre à l’époque, j’avais un cheveu qui se dressait droit sur la tête avant de prendre assez exactement la forme d’un point d’interrogation, signe tangible de l’insatiable curiosité dont j’ai toujours été affligé.
Depuis que j’ai passé la soixantaine, et que ma défaillante crinière a été remplacée par un léger duvet digne d’un nourrisson encore au sein, le cheveu du Professeur Nimbus a reparu plus droit et plus fier que jamais, rebelle indomptable qui ne se pose même plus de questions, et se dresse triomphalement au sommet de mon crâne dégarni, pointant son triomphal point d’exclamation vers l’infini du cosmos comme un vaisseau spatial en partance.
D’autres se dressent à ses côtés, mais il les dépasse tous, affirmant avec un aplomb inaltérable que quoi qu’il arrive et malgré l’usure du temps, je serai comme nous tous resté fondamentalement le même toute ma vie, usque ad mortem, comme disait avec componction Monsieur Dumas, mon prof de latin de sixième.

PROGÉNITURE
Un pays qui a adulé un Johnny Halliday pendant cinquante ans se devait de porter un Nicolas Sarkozy à sa tête, puisqu’il l’avait dès longtemps perdue. La vulgarité engendrant la vulgarité, Sarko est le fils très peu spirituel du très inculte Johnny.

PRUDENCE
Pour réconcilier optimisme et lucidité, une voie étroite : croire, mais sans illusion. Acrobatique…

QUESTIONNEMENT
Le questionnement si à la mode dans les milieux de l’art risque de ne pas passer de mode de sitôt. Il permet en effet au questionneur de s’épargner la peine d’avoir à trouver les réponses, et même celle de les chercher, puisqu’en posant lui-même la question il transfère habilement la responsabilité de la réponse sur le public, lequel est d’autant plus désorienté que la plupart du temps il ne s’était pas posé la question.
Ce tour de passe-passe a autorisé des générations d’escrocs à se prétendre artistes sans l’être et à « créer » sans produire d’œuvres, ce qui achève de les rendre invulnérables, puisqu’il n’y a pas matière à critiquer.

RADARS
Rien de plus scélérat que l’institution des radars, répression machinale dont les instruments sont à la fois juge et partie, et cas type de détournement de la loi pour servir des intérêts particuliers.

RAFFINEMENT
Poussé à l’extrême, le raffinement est le pire ennemi de la subtilité. Que ce soit en art ou en cuisine, pour exalter l’essence, il faut savoir dépasser les détails. Fondamentalement grossière du fait de son goût immodéré de l’avoir aux dépens de l’être, l’époque actuelle en fournit en tous domaines d’innombrables et désolants exemples.
Contre sa gloutonne avidité, cultiver le vide devient un acte de survie.

RECONQUÊTE
Un certain Grumbach, architecte de son état et lourd d’une compétence dont il semble au moins aussi persuadé que ses interlocuteurs, pérore sur France-Inter ce matin. Et comme, tout architecte qu’il soit, il manie sa langue à la truelle, le voilà qui déclare avec une impavidité qui force le respect – tant certains sommets d’ignorance feraient passer l’Everest pour un monticule… – qu’il faudra mieux utiliser « l’espace reconquéris ».
On lui suggérera charitablement de commencer par reconquérir sa langue, qui visiblement lui échappe. Si je devais faire construire, j’aurais quelque inquiétude à confier mon projet à quelqu’un qui ne sait pas même construire les verbes de sa langue natale.
Stéphane Paoli, qui est la bonté même, histoire de mettre le cancre à l’aise et de détourner le juste courroux de l’auditeur ainsi bousculé dans ses fondements, pousse la bienveillance jusqu’à commettre une de ces doubles interrogations qui sont le pont-aux-ânes de qui veut trop bien faire et parler sa langue mieux qu’il ne la connaît : « Est-ce que la solution n’est-elle pas de… ? » brame-t-il avec son habituel enthousiasme.
Comme la lecture des journaux, l’écoute de la radio devient chaque jour davantage un chemin de croix pour qui parle encore français. Les élites qui nous « informent » ne gagneraient-elles pas à lutter contre leur propre analphabétisme ?

RESPECT
Il peut arriver que le seul moyen de respecter quelqu’un soit de le contraindre. Certains viols sont plus respectueux qu’une tiède et confortable abstention.

RESPONSABILITÉ
Contrairement à beaucoup d’artistes, qui se déchargent sur autrui de toutes les viles besognes, j’ai toujours voulu assumer mon indépendance, non par altruisme, mais parce que je répugne à faire porter ma croix aux autres, sachant que comme moi ils portent déjà la leur. Je leur devrais trop, et ne suis pas tout à fait assez égoïste pour ignorer ce que je leur devrais.

RÉUSSITE
Les gens qui réussissent dans notre société actuelle, je me demande toujours ce qu’ils ont accepté de perdre pour « gagner ».

RÊVE
Mes obsessions, comme de juste, me poursuivent jusque dans mes rêves, où elles se frayent parfois d’assez réjouissants chemins : c’est ainsi que l’autre jour, à l’aube, ma petite sœur par deux fois me présentait des « œuvres d’art » qui lui plaisaient, qu’elles trouvaient intéressantes. À mes yeux, elles étaient habiles mais inhabitées ; les deux fois, je faisais donc la moue et disais : « Non, ça ne m’intéresse pas beaucoup », ce qui avait naturellement le don de l’agacer…
La seconde fois, il s’agissait d’un buvard sur lequel une feuille de papier ivoire était reproduite une trentaine de fois, réduite à la taille d’un très petit timbre-poste, créant ainsi une sorte de damier dont les cases ne se toucheraient pas. Parfaitement lisse au départ, cette feuille minuscule était un peu plus froissée à chaque fois, tout en gardant à peu près sa forme rectangulaire.
Manifestement, le créateur, l’artiste, avait voulu évoquer par ce symbole aussi subtil que puissant le passage irréversible du temps et donner un foudroyant résumé, non seulement de la condition humaine, mais du destin universel.
Faut-il que je sois béotien pour avoir trouvé que ce chef-d’œuvre n’était qu’une triste daube !
Ma seule excuse est que c’était en rêve, et chacun sait que l’inconscient manque totalement de discernement en matière de symbolique…

SÉGUIN (Philippe)
Le président de la Cour des Comptes était un des très rares élus pour lesquels j’aie pu éprouver du respect et une certaine sympathie. Séguin était un politique, pas un politicien. Séguin était tout bêtement ce que devrait être tout homme politique, avant tout un homme, et qui n’a garde de l’oublier.

SENS (bon)
Tout, absolument tout, est une question de bon sens. À tous les sens du terme. Les différents sens du mot sens font véritablement sens. Non, je ne suis pas en train de jouer avec les mots, mais d’énoncer l’idée fondamentale de tout fonctionnement vital adéquat. Idée que notre extraordinaire capacité d’abstraction nous a fait totalement perdre de vue…
Le bon sens est à l’adaptabilité ce que l’intuition est à l’esprit de système.

SÉPULCRES BLANCHIS
J’admire l’aisance avec laquelle tant de bonnes âmes supportent les minarets chez les autres…
Quelle belle indignation humaniste chez tous les pharisiens de la gauche caviar ! Il y a des burqas qui se perdent.

SORDIDE
Sans doute l’adjectif qui identifie le mieux un certain type d’homme politique, dont François Fillon, ou les deux Xavier, Bertrand et Darcos donnent de confondants exemples. Leur discours politique, toujours empreint d’un mélange d’hypocrisie jésuitique et de haine recuite sous-jacente, tout en se présentant sous le masque de la morale et des valeurs, vise systématiquement en dessous de la ceinture.
Le plus frappant chez ces politiciens manipulateurs, ces aboyeurs de meeting, c’est leur nullité intellectuelle ; poussée à ce point, la mauvaise foi finit par corroder et annihiler tout autant l’intelligence de qui use de ces moyens minables que celle de ceux qui s’y laissent prendre.
La campagne des régionales, menée par une droite qui n’a jamais cessé d’être la plus bête du monde, en a donné des exemples qui seraient à mourir de rire s’il ne mettaient une fois de plus en lumière la nocivité du système communicationnel qui a depuis un demi-siècle peu à peu phagocyté tant le discours que l’action politique, et la gravité de la confiscation du pouvoir par des « élites » d’autant moins légitimes qu’elles ne sont pas seulement avides de pouvoir, de profit et de paraître, mais encore d’une incroyable et suicidaire stupidité.
Voir ACTES et INFÂMES

STÉRILITÉ
Ce qui rend pour moi assez stérile la pensée de Cioran, c’est son impuissance volontaire à accepter son impuissance pour la rendre créatrice. Vivre sa vie, ce n’est rien de plus, et rien de moins, que rendre l’impuissance créatrice. Le désespoir est une facilité – et un cruel manque d’élégance.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, VOLONTARISME

TEMPS
Ce qui m’importe, ce n’est pas le temps retrouvé, mais le temps suspendu. Il ne s’agit pas de repartir dans le passé, mais de le remettre au présent. Non que je veuille arrêter le temps, encore moins le tuer. Ce qui me passionne dans Proust, ce n’est pas qu’il se souvienne, c’est qu’il redonne au présent toute sa dimension, qu’il lui rend toute sa chair en réincarnant le passé. Notre présent ne vaut que ce que vaut notre passé, et le temps est au fond immobile, si nous sommes pleinement nous-mêmes, présent et passé réunis.
Quand nous croyons échapper au passé pour mieux vivre au présent, nous tentons, d’ailleurs vainement, de mutiler notre expérience, qui n’en continuera pas moins de mettre en forme un présent qui nous échappera d’autant plus que nous nous présenterons à lui « allégés » de tous nos anciens présents. On ne peut vivre le présent qu’en entier.

THÉÂTRE
Venise, la nuit a tout le charme des théâtres vides, cette douce et déchirante nostalgie si bien mise en scène par Tchékhov. C’est quand le public est parti que les vieux théâtres se réveillent ; tout plein de leur passé, leur vide s’anime et nous l’emplissons de nos souvenirs et de nos rêves.

TIRER (se)
Tout bien pesé, se tirer tout court vaut mieux que se tirer une balle.
Il est des fuites plus courageuses que le suicide, parce qu’elles laissent place à l’avenir au lieu de le détruire.

TOUCHE-À-TOUT
Pas plus qu’un Vinci ne se dispersait en exerçant une curiosité active dans toutes sortes de disciplines, je ne me disperse en pratiquant toutes sortes d’écritures et de peintures, en allant de l’enseignement au théâtre et de la thérapie à l’improvisation. Non que je prétende le moins du monde me comparer à ce génie ! Mais si minuscule que soit ma petite personne, elle relève des mêmes lois. Il s’agit toujours d’une recherche personnelle unitaire qui s’incarne sous différente formes et utilise tous les matériaux à sa portée en vue d’atteindre un seul et même but : l’approche de l’universel à travers le particulier, la communion entre l’esprit et la matière, la rencontre de l’individu et du monde, l’harmonie au moins fugitive du microcosme et du macrocosme, du fini et de l’infini.
But inaccessible, mais sur le chemin duquel il y a de belles aventures à vivre, de belles rencontres à faire, de beaux rêves à réaliser.
Ce que j’oserai appeler la dispersion concentrée permet à nombre d’esprits curieux de se rapprocher du macrocosme en percevant les convergences et les divergences des différents microcosmes. Les vrais touche-à-tout ne le sont que pour de leur mieux toucher le Tout.
Un touche-à-tout, c’est quelqu’un qui pressent l’unité de la création et voudrait l’étreindre tout entière.
Qui trop embrasse mal étreint, dit le proverbe. Mais qui n’embrasse qu’à sa mesure n’étreindra jamais que son propre vide.

VÊTEMENTS
Il y a beaucoup à apprendre de nos vêtements. Les modes vestimentaires reflètent nos seulement l’image que nous voulons donner de nous, mais aussi l’orientation de nos énergies, et les valeurs authentiques ou frelatées que nous souhaitons promouvoir. Liés à notre corps, nos vêtements ne se contentent pas seulement de le présenter et littéralement de le mettre en forme, ils fonctionnent avec lui, l’aident ou l’entravent dans ses mouvements. Non seulement ils nous modèlent, mais ils nous conditionnent. Nous le savons et en usons plus ou moins consciemment, mais nous perdons souvent de vue leur véritable impact sur nous et sur autrui et négligeons les informations qu’ils apportent. Plus perspicace comme toujours, notre inconscient en tient compte à notre insu.
J’y pense en changeant de pantalon, quittant un pantalon classique pour un autre plus récent et plus à la mode, qui déplace ma taille vers le bas d’au moins sept ou huit centimètres. Ce changement n’a rien d’anodin, et me perturbe tout entier. Car la hauteur de la ceinture engendre et illustre un fonctionnement moteur et énergétique tout à fait différent, un autre maintien, une autre attitude et une autre façon de bouger. Là où nous mettons notre ceinture, là est l’endroit où nous situons notre centre énergétique, là s’ancre la façon dont nous voulons nous inscrire dans la vie.
Il n’est pas du tout indifférent que la ceinture soit à la hauteur du nombril ou qu’elle repose sur le bas des hanches, ou se laisse tomber jusqu’aux fesses.
Ainsi s’expriment des façons de gérer l’énergie, et à travers elles des attitudes devant la vie.
Il y aurait beaucoup à glaner d’une étude un peu exhaustive de nos comportements vestimentaires. Dis-moi comment tu t’habilles, je te dirai qui tu es…
Voir MODE

VOLONTARISME
Ce qui ôte beaucoup de sa force à la pensée de Cioran, c’est son volontarisme. Cioran veut absolument être malheureux, et tente de justifier son choix du nihilisme en le fondant philosophiquement. Il y a chez lui un côté Gribouille, il se jette à l’eau pour n’être pas mouillé. On est déjà moins malheureux quand on a choisi de l’être…
C’est bien beau, cela fait un joli petit contre-système, mais le parti pris est si évident qu’il lasse. On comprend vite où il veut en venir, et on y finit par y être avant lui. Et si le lecteur peut trouver amusant d’attendre l’auteur, ce n’est pas dans ce but qu’il se donne la peine de lire.
C’est comme au football ou au tennis : très vite le contre-pied systématique ne trompe plus personne.
Voir CIORAN, ÉQUILIBRE, FOI, JUBILATION, MALHEUR, NIHILISME, PARADOXE, STÉRILITÉ

ZEMMOUR
La première fois que je l’ai vu, il m’a fait penser à Goebbels. On peut dire qu’il ne fait rien pour me détromper.

vendredi 19 mars 2010

ANIMALITÉ

ANIMALITÉ
J’ai éprouvé le besoin de répondre à un passage publié le 18 mars par Jean-François Kahn dans son blog, parce qu’il me semble entretenir plus ou moins involontairement une confusion particulièrement grave sur la nature de l’espèce humaine.
Jean-François Kahn écrit en effet ce qui suit :

« Sur l’animal en nous
En lisant certaines réactions suscitées par l’émission télévisée « Le jeu de la mort », je songeais au plaisir que prend le plus adorable des chats à jouer, en la torturant de facto, avec une souris qu’il a attrapée.
Bien sûr qu’il y a de l’animalité en nous tous. Aucune intelligence n’est en mesure – et heureusement d’une certaine façon – d’éradiquer le niveau des émotions et des instincts. Notre propre cerveau est le fruit de la synthèse de toutes ces composantes : à la fois résultat d’une évolution et histoire sans cesse réitérée de cette évolution. Il n’y a pas abolition, mais intégration, à leur propre dépassement, du cerveau reptilien (celui, par exemple, du crocodile) et celui de nos ancêtres primates. Exactement comme il n’y a jamais totale abolition du tribalisme, du féodalisme ou de l’esclavagisme, mais réintégration et recomposition à des stades supérieurs de l’évolution de notre société de ces différents moments de leurs évolutions antérieures.
En d’autres termes, ce qu’on appelle un progrès de civilisation correspond au progressif rééquilibrage correctif du naturel par le culturel, mais évidemment pas à la disparition du naturel.
Pourquoi toute forme d’exaltation collective ou de contrainte (par exemple, l’exaspération des antagonismes ethnico-tribaux dans les Balkans), ou toute emprise autoritaire, qui refoule le culturel au profit du naturel, tend à favoriser une réémergence de l’animalité en nous.
C’est un peu comme lorsqu’une tempête, emportant la couche de limons, fait réapparaître le soubassement granitique d’un sous-sol.
Mais, de même que l’animalité est un « toujours là », l’humanité aussi. Irréductible. Et si chaque être humain est sans doute capable à un moment donné du pire (même le philosophe Althusser a étranglé sa femme), tout être humain reste également toujours capable du meilleur. C’est-à-dire d’altruisme, de générosité, de dévouement, voire même de sacrifices et ça n’est pas contradictoire. »

J’ai posté en réponse le commentaire suivant :
Cher Jean-François Kahn, il a bon dos, l’animal ! L’instinct naît de la confrontation à la réalité concrète, ce qui lui donne des limites que ne rencontre pas la « raison », dont la tendance à l’abstraction ouvre toute grande la porte à la sauvagerie humaine. De celle-ci, les animaux sont par nature exempts, la capacité à abstraire ne venant pas inhiber leur instinct de conservation et libérer leur imagination. Pas de sadisme sans imagination !
Le sadisme étant la spécificité de la seule espèce animale qui puisse croire avoir échappé à son animalité, il n’y a par conséquent aucune commune mesure entre la « sauvagerie » animale et la monstrueuse barbarie humaine. C’est en perdant de vue notre animalité et la présence au monde réel qu’elle implique que nous devenons des monstres : numéroter des êtres humains, voilà la barbarie…
C’est en tant qu’êtres humains « déréalisés » que les juifs ont été massacrés, non par des sauvages livrés à leurs instincts, mais par des bureaucrates obéissants, et obéissant en tout premier lieu à la raison, tout particulièrement à la raison d’état !
Quand nous traitons des humains comme nous traitons les animaux dont nous nous nourrissons, ce n’est pas « l’horrible » instinct animal qui nous meut, c’est la raison « rationnelle » et son si merveilleusement humain souci d’efficacité et de rentabilité.
La financiarisation de l’économie est le dernier exemple, et peut-être le plus significatif et le plus « beau », de la folie d’une certaine raison qui n’appartient qu’à nous.
Nous avons beaucoup à réapprendre des animaux dits sauvages, et plus généralement de la nature, s’il en est encore temps.
C’est en redécouvrant notre statut d’animaux intelligents que nous nous donnerons une chance d’échapper à la dictature fanatique du rationalisme abstracteur en le remettant à la place de serviteur qu’il n’aurait jamais dû quitter.
Loin d’être notre malédiction, l’animalité est notre garde-fou.

mardi 23 février 2010

POÉSIE, QUAND TU NOUS TIENS !

Marseille, la Vieille Charité, novembre 2009.
J’accompagne des amis à une étrange soirée psychanalytico-poétique, manifestement réservée à une élite d’intellectuels tourmentés – notamment par le démon de midi. Ambiance solennelle. Quelques ecclésiastiques freudo-lacaniens de haut rang se sont réunis pour procéder à la canonisation d’un pauvre vieux poète anonyme qui manifestement n’en demande pas tant, et dont la modestie va jusqu’à bredouiller d’une voix inaudible quelques-uns de ses poèmes dont on perçoit seulement que selon la langue rituelle en vigueur ils interpellent le quotidien et convoquent la transcendance au secours de la vie la plus humble, dans un dénuement sensuel de haute volée.
Bref, on s’emmerde ferme. Les éloges pleuvent sur le pauvre héros de la fête comme les roses sur un cercueil qu’on descend dans sa fosse. Les grands prêtres, tout de noir vêtus, sans doute pour porter le deuil de leur poésie mort-née, font dans la révérence, le public, assez nombreux, observe un silence religieux, et fait assez vite des efforts inouïs pour ne pas bâiller ouvertement. C’est qu’une douce torpeur salue le ronron des dithyrambes successifs, aussi convenus que narcissiques, à l’exception du dernier, dont la relative simplicité et la réelle gentillesse font passer l’honorable banalité.
J’avais prévu le coup et me suis muni du meilleur des antidotes, le « Discours de la servitude volontaire » du camarade La Boétie, dont j’aurai le temps de lire une bonne moitié pendant cette soporifique grand-messe, sous les regards mi-courroucés mi-envieux d’un des organisateurs.
Et je me demande non sans effroi : Comment peut-on se prendre autant au sérieux ? Car on tutoie ce soir l’infini du pédantisme, le comble de l’ânerie élitiste, un himalaya d’ennui pseudo-poétique, Molière se tordrait de rire devant cette admirable invention de la poésie contemporaine : la préciosité dans l’austérité.
Ce qui achève de me terrifier, c’est quand à la fin de cette pesante cérémonie je lis l’affichette qui orne l’entrée de ce haut lieu de la culture marseillaise et qui est censée présenter l’exposition, d’ailleurs intéressante, consacrée à Pierre-Albert Biraud : Car il sût n’être jamais futuriste, dadaïste ou surréaliste, bien qu’il croisa tous ces mouvements (…) ».
Cerise sur le gâteau, jouissive perle d’inculture orthographique dans cette lamentable soirée, qui me confirme une fois de plus dans mon choix de quitter les grandes villes pour une campagne où on trouve encore, et pas seulement chez les intellectuels, des gens qui parlent français.
En contraste, la porte à peine franchie, la Vieille Charité découpe sous une nuit ennuagée de rose la fière élégance de son architecture aussi souple que savante, et qui m’évoque le temps d’un éblouissement crépusculaire la cour intérieure du Fontego dei Tedeschi à Venise. Beauté intemporelle de cette cour et de cette église-temple qui, tant elle paraît taillée pour l’éternité, semble consacrée à tous les dieux de tous les temps, ou mieux encore à ce rêve de perfection qui nous les a fait créer.
Non, la poésie n’est pas morte. Suffit de fermer les oreilles au vacarme de ces indécrottables béotiens que sont toujours les snobs et d’ouvrir les yeux sur l’infini, toujours à portée de main.
En une seconde l’horizon borné des salonnards alambiqués a fait place nette, balayé par le souffle du large, et j’embarque pour les étoiles sous la coupole arrondie comme un sein du beau vaisseau de pierre qui, fendant la houle des nuages, m’emmène voguer dans l’harmonie de l’univers où il taille sa route.
Et je me rends compte une fois de plus que ma vue un peu faible, pareille à la lumière des bougies, en tamisant les contours et adoucissant les contrastes, respecte le mystère des choses. Comme pour m’arracher à l’envoûtement, je chausse mes lunettes, et sous leur trop grande netteté, une partie du charme fascinant de l’endroit s’évanouit. Les lignes s’accusent, les ombres durcissent, la lumière tout à coup gelée fait exploser en mille arêtes aigues l’image vaporeuse que ma presbytie caressait.
Il n’est pas toujours bon d’y voir trop clair.

lundi 8 février 2010

IL FAUT VIVRE AVEC SON TEMPS


IL FAUT VIVRE AVEC SON TEMPS

Il est plein d’attentions depuis quelque temps.
Elle a apprécié qu’il lui propose d’arrêter de travailler, maintenant qu’il a obtenu un vrai CDD. Et elle est contente qu’il ait arrêté de fumer et de boire de l’alcool.
Comme elle s’en étonnait, il s’est exclamé avec sa bonne humeur habituelle :
– Il faut vivre avec son temps ! »
Ravie, elle n’a pu s’empêcher de répondre :
– Depuis le temps que je te le dis… » et devant son air marri s’est aussitôt excusée.
Autre changement, plus notable encore : il ne jure plus – ou se reprend aussitôt.
Et il la couvre de cadeaux, au point qu’elle s’est demandée s’il n’avait pas une maîtresse. Mais il n’a jamais été plus amoureux : après, il a même plusieurs fois parlé de faire un enfant.
– La pilule, au fond, c’est dépassé… » a-t-il conclu.
Lui qui ne s’intéressait pas du tout à ce qu’elle portait, voilà qu’il lui offre de la lingerie fine, des dessous coquins, un seroual transparent. Ce qui se fait de mieux ces derniers temps. De plus cher aussi.
– On me l’a changé… » soupire-t-elle, comblée.
C’est aujourd’hui sa fête. Elle n’ose croire qu’il pourrait s’en souvenir. Ce serait bien la première fois !
C’est pourtant bien lui qui sonne et qui entre, hilare, à demi caché par un gros paquet cadeau.
– Bonne fête, lumière de mes yeux ! psalmodie-t-il, lyrique.
Tandis qu’aux anges elle déchire fébrilement le papier il la couve d’un regard adorant et poursuit :
– C’est la dernière mode. C’est toi qui avais raison : il faut vivre avec son temps. »
Du paquet éventré, elle sort des deux mains et tend vers le ciel, toute brodée, une superbe burqa.


Vous pourrez retrouver ce texte et bien d’autres d’auteurs tout aussi peu fréquentables dans un des prochains numéros de La Belle-Mère Dure, la revue qui paraît quand elle est prête, http://lbmdure.canalblog.com/

jeudi 4 février 2010

DÉFORMATION CONTINUE

"Mon cher ami,
connaissant de longue date votre intérêt pour les problèmes éducatifs, je me permets d’appeler votre attention de jeune retraité sur le nouveau projet de formation des chefs d’établissement. Je pense que vous serez intéressé par cette première mouture, et que vous aurez à cœur de participer par vos remarques et suggestions, au sein de la commission ad hoc qui vient d’être créée et dont j’ai l’honneur d’assumer la présidence, au grand œuvre en cours, cette réforme de l’an saignement que nous appelons tous de nos vieux.
Bien cordialement à vous
(J’ai bien entendu supprimé la signature, mais respecté les fautes de mon correspondant, dues certainement à son emploi du temps de VIP)

FORMATION DES CHEFS D’ÉTABLISSEMENT

Gestion des ressources humaines dans les établissements publics d’enseignement (module obligatoire)

Niveau 1 (Mise à niveau) :
- Mise en phase du personnel dirigeant avec les objectifs : approche du management participatif et de l’évaluation individualisée. Éthique du nivellement.
- Techniques de communication : protocoles argumentatifs et storytelling.
- La langue de bois, ses usages, ses techniques, ses limites.

Niveau 2 (Perfectionnement, parfois dénommé par les étudiants : Carotte-Bâton)  :
- Élargissement des compétences du personnel : polyvalence et devoir citoyen.
- Notre clientèle et ses attentes : éloge de la consommation culturelle, nécessité d’une formation efficace orientée vers l’employabilité et accordée aux besoins des employeurs.
- Repérage des personnes ressources et fichage des individus à faible résilience en vue de les aider à s’adapter aux évolutions en cours.
- Identification des résistances et mise en place des stratégies appropriées à leur réduction :
a) Négociation : du bon usage de la théorie du rapport gagnant-gagnant.
b) Intimidation : l’éventail des sanctions et leur gradation.
c) Culpabilisation : les failles de l’image de soi chez les enseignants et leur exploitation. Prolégomènes à une culture du devoir adossée aux grands principes dont nous sommes tous les serviteurs.
d) Répression : La répression, une fin ou un moyen ? Création d’un rapport de force favorable : diviser pour régner. La délation, mode d’emploi.
e) Élimination : Du bon usage des mines anti-personnel et des munitions propres : pousser à la faute, une clef pour la gestion des ressources humaines indésirables.

Niveau 3 (Expert) :
- Médisance et calomnie dans la gestion rapprochée du personnel enseignant.
- Techniques du harcèlement : jusqu’où aller trop loin (en préparation).
- La diagonale du fou : la pratique systémique des injonctions paradoxales.

Nota bene :
Les étudiants pourront utilement consulter les documents fournis par la Direction des Ressources Humaines de France Télécom et s’appuyer d’une façon générale sur les pratiques des entreprises privatisées, tout en veillant à ne pas tomber dans de préjudiciables excès qui risqueraient d’impacter défavorablement le rapport de force entre la direction et les employés : on évitera par exemple de communiquer sur la nécessité de « marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide ».

Remarque : Il est rappelé aux étudiants candidats à un poste de responsabilité dans l’administration du système scolaire que les formations proposées, obligatoires ou facultatives, sont toutes diplomantes, et débouchent sur une certification entrant en compte dans la définition de leur profil de carrière et des primes y afférant."

mardi 19 janvier 2010

PRINCIPE DE PRÉCAUTION

"Chers clients

L’atelier Claude Gouron rue Grenette à Barcelonnette sera fermé ce week-end
pour cause de :

-Glaciation
-Verglas dégoulinant
-Risque d’avalanche de toit ( 5 sur l’échelle de risque)
-Probabilité de présence de grippe H1N1 dans le foyer famillial

L’atelier sera également fermé
ce week end par :

-Arrêté famillial
-Principe de précaution

Si, malgré toutes ces dispositions, notre présence vous paraissait indispensable, vous pouvez prendre rendez vous au 04 92 81 15 77.
Afin de garantir notre quiétude judiciaire, vous voudrez bien vous munir de chaussures à crampons, d’un casque et d’un masque de protection antivirale.

N’oubliez pas de vous laver les mains, votre carte d’identité ou votre permis de séjour et votre carte d’assuré social,
une quittance de loyer, votre numéro de police responsabilité civile individuelle.

merci pour votre compréhension,

Claude Gouron
photographe

15 villa Puebla
04 400 Barcelonnette

TVA INTRACOMM : FR 14 43 07 93 620

04 92 81 15 77 - 06 829 77 477
claude.gouron@wanadoo.fr

http://homepage.mac.com/claudegouronubaye/FileSharing1.html
Visitez les Alpes du sud sur
http://www.claudegouron.fr"

vendredi 15 janvier 2010

VŒUX CALENDAIRES

Bonne année !

Je vous la souhaite aussi colorée que l’aquarelle ci-dessous…


The alchemic fusion
11-12-09, 10x15 cm © Sagault 2009


… et aussi sereine que la suivante :

Ce jour-là, la réalité rêvait d’être un rêve
5-4-09, 13,5x21 cm © Sagault 2009

Comme en 2008 et 2009, j’ai fait à mon intention un calendrier illustré de reproductions de quelques-unes des aquarelles peintes pendant l’année.
Il a intéressé certains de mes lecteurs et amis (ce ne sont pas toujours les mêmes…), je le propose donc pour la première fois cette année, au prix coûtant (28,80 euros port compris), histoire de ménager vos bourses en crise sans endommager les miennes…
Utile précision : on peut choisir son mois de départ !
Si vous êtes intéressé, contactez-moi par le biais d’un commentaire, ou par mail :

alain@sagault.com

dimanche 20 décembre 2009

REMARQUES EN PASSANT 21, suite et fin

CAFARD
Je me rends compte que j’ai vraiment le cafard quand j’en arrive à lire des livres sur les camps de concentration et la Shoah pour me convaincre qu’après tout je ne suis pas si malheureux que ça.

CALCULATEURS
Je n’ai jamais rencontré d’être humain incapable de calcul. Mais je n’ai cessé de croiser des calculateurs si essentiellement aptes à la duplicité qu’ils étaient parvenus à se persuader qu’ils ne nourrissaient jamais aucune arrière-pensée.
La plupart d’entre nous ont parfaitement compris que le calculateur le plus efficace est celui qui s’ignore…
Comment en vouloir à un calculateur naïf ? Comment même se rendre compte qu’il calcule ?

CALCULS
Nous calculons tous, et faisons bien. Ce qui est grave, c’est quand le calcul est si prépondérant que la spontanéité même en devient calculée.

CANCERS
On n’échappe pas au cancer. La vocation du cancer, c’est de se généraliser. Nous vivons à l’époque de ce que j’appelle le cancer globalisé, dans lequel les micro-cancers individuels sont la résultante du macro-cancer social.
Le cancer infecte tout en nous et en notre environnement parce qu’à tous les niveaux il est source de profit. Le profit, c’est le cancer par excellence.
Reich avait très bien perçu le lien organique entre la peste émotionnelle liée au désordre politique et social et le cancer individuel produit par ce chaos intérieur et extérieur.

CARNAVAL
La communication a peu à peu créé une société carnavalesque, où règne le renversement des valeurs. Mais dans l’ancien carnaval, ce n’est qu’une fois l’an que le roi descendait de son trône et que le bouffon se voyait couronné. Aujourd’hui, le carnaval est permanent : Johnny Halliday, le suisse fiscal, chante pour la France le 14 juillet, Michael Jackson, cet insondable abruti, est un génie, et un échotier, j’allais dire un égoutier, est ministre de la Culture.
Que des bouffons dirigent des états serait peut-être une bonne chose s’ils avaient conscience d’être ce qu’ils sont, mais les actuels bouffons de pouvoir se prennent si au sérieux qu’ils ne supportent pas qu’on leur tende un miroir.

CARRIÈRE (Jean-Claude)
Chaque fois que j’entends pérorer Jean-Claude Carrière, je me dis qu’il est le meilleur exemple actuel de ces brillants causeurs dont la culture est plus étendue que profonde, et relève davantage d’une remarquable mémoire que d’une intelligence exceptionnelle. Il y a chez les compilateurs une fâcheuse propension à enfoncer à grand fracas des portes depuis longtemps ouvertes, et le dernier livre de Carrière avec son ami Eco relève de cet art un peu douteux qui consiste à présenter comme une réflexion non conformiste un assez consternant catalogue de lieux communs.
Carrière et Eco sont assurément de grands habilleurs d’idées pauvres, et c’est pourquoi leurs œuvres respectives sentent si fort l’étude ; quand ils tentent de retrouver la verdeur rabelaisienne, c’est toujours du haut d’une chaire virtuelle : malgré leurs laborieux efforts pour la rendre truculente, la culture chez eux sent toujours un peu la naphtaline.
Carrière s’est beaucoup intéressé à la bêtise sous toutes ses méformes, et je crains qu’il ait fini par faire corps avec son sujet, comme cela arrive souvent aux experts ; à tout le moins, il sait de quoi il parle.
C’est ainsi qu’il s’autorise à conclure qu’on reconnaît la bêtise à ce qu’elle est péremptoire et aussi sûre d’elle que de sa vérité.
Ce qui l’autorise à décréter péremptoirement, bien à tort selon moi, que 95% des écrits humains sont aussi stupides qu’inutiles, indiquant clairement par là qu’il pense en priorité aux siens.
On se gardera de le contredire : la bêtise ne supporte pas la contradiction.

CATÉ
Je croirais peut-être en Dieu si je n’étais pas allé si longtemps au catéchisme.

CATHOLICITÉ
Tout n’est pas à rejeter dans l’héritage catholique, à commencer par le caractère universel qui lui a donné son nom…
En fait, de l’héritage catholique, il n’y a guère à rejeter que la foi…
Mais alors fermement !
Pour une raison cardinale : la foi déresponsabilise.

CHANGEMENT
Les détails changent, pas l’essentiel. Demandons-nous qui a écrit : « Mais ils ne font guère mieux, ceux d’aujourd’hui qui avant de commettre leurs crimes les plus graves les font toujours précéder de quelque joli discours sur le bien public et le soulagement des malheureux. On connaît la formule dont ils font si finement usage ; mais peut-on parler de finesse là où il y a tant d’impudence ? »
Et du même, qui n’a pourtant pas connu nos gouvernants mondialisés : la populace, « ils n’ont jamais eu plus de facilité à la tromper, ils ne l’ont jamais mieux asservie que lorsqu’ils s’en moquaient le plus ».
Cet auteur à lire toutes affaires cessantes par toutes les couilles molles qui peuplent la planète, c’est La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire, il y a bientôt cinq cents ans.

CHEMIN
Plus nous vieillissons, plus notre chemin de vie se rétrécit, devenant d’autant plus délicat à parcourir que notre équilibre diminue.

CITOYENS
« Les citoyens, c’est très bien, mais nous sommes là pour les éclairer », décrétait l’autre jour sur France-Inter je ne sais plus quel cacique de la majorité, à propos du « référendum » sur la Poste. J’espère que les 53% de sombres abrutis qui ont porté ces brillants démocrates au pouvoir seront heureux d’apprendre qu’ils n’ont pas affaire à des ingrats, et que leurs élus vont s’efforcer de les rendre un peu moins stupides. À vrai dire, s’ils n’ont pas encore ouvert les yeux, ils méritent le mépris qu’affichent pour eux leurs maîtres…

CLASSE
Pour trouver que Federer a de la classe, il faut soi-même en manquer totalement. La « classe » de Federer, c’est le bling-bling des nouveaux riches, un argument de vente, une astuce de marketing. Avoir de la classe, ce n’est pas frapper ses initiales au cul de ses chaussures. Ce n’est pas endosser des vestes blanches, mais savoir en prendre avec dignité, sans chouiner ni crâner. Federer aura de la classe le jour où il sera lui-même et non, comme Agassi, un cintre à porter haut et fort des « valeurs » publicitaires, tout en se chargeant comme une mule et en portant perruque.

COHEN (Albert)
Ce Solal, quel con ! Un larbin qui veut jouer au grand seigneur. Les petits bourgeois se pâment. Tant de jactance !
J’ai beau faire, Belle du Seigneur me tombe des mains. Trop d’affectation et de forfanterie chez Cohen comme chez son pitoyable héros. Grandiloquence et présomption s’enflent à chaque page, et je me demande sans cesse si elles appartiennent au personnage ô combien principal ou à son auteur envahissant.
Chaque fois que ça devient beau, il est si content de lui qu’il développe à l’infini, comme si la beauté ne se suffisait pas, comme si elle devait convaincre par la répétition et l’entassement.
Belle du Seigneur, c’est le Cantique des Cantiques délayé jusqu’à l’écœurement, jusqu’à ce que les mots, loin de servir la réalité, l’emportent sur elle, tournant en rond dans le manège surchargé d’un esprit pour qui l’artifice est le comble de l’art.
Pas de doute, Albert Cohen est intelligent. Trop, ou mal. Il fait partie de ces intellectuels qui n’arrivent jamais à forcer le mur de l’intelligence, à ouvrir les portes de l’émotion. Peut-être parce qu’ils font trop confiance au pouvoir des mots, croyant bien à tort qu’ils peuvent remplacer la réalité, voire la dépasser.
Or ce ne sont pas les mots qui créent, n’en déplaise aux poètes prétentieux. C’est l’amour qui trouve les mots, non l’inverse. La Kabbale se trompe, qui veut croire que le Verbe se fait chair, c’est en vérité la Chair qui crée le verbe.
Ainsi Cohen s’agite comme un mille-pattes, court partout comme une fourmi égarée, vibrionne à l’infini – et n’avance pas.
Rien de plus irritant que cette intelligence qui ne débouche jamais, que cette perpétuelle logorrhée d’un « radauteur » qui entasse les mots comme si leur litanie obsessionnellement répétitive pouvait à force créer par accumulation ce qu’il ne parvient pas à faire exister naturellement.
Si Proust donne à son lecteur l’impression d’être devenu intelligent, la lecture de Cohen donne au lecteur l’impression, pas forcément plus justifiée, que l’auteur est intelligent. Proust ne me paraît jamais bavard, ni complaisant. Cohen, j’ai sans cesse l’impression qu’il se regarde dans un miroir. Grossissant, pour mieux s’admirer.
Sa prolixité a quelque chose de malsain, sa nature est l’artifice. Voilà : pour moi, Belle du Seigneur est un artificiel feu d’artifice, et le bouquet retombé connaîtra le même sort que ces autres feux d’artifice à paillettes, les interminables et insupportables romans précieux auxquels il me fait irrésistiblement penser.
Cohen a l’impuissance bavarde d’une Scudéry des années folles.
Voir DISCOURS et SOPHISTICATION

COINCIDENCE
Ce que nous appelons faute de mieux le hasard existe-t-il vraiment ? Je me le demande souvent, particulièrement quand de petits événements apparemment fortuits viennent ébranler ma cuirasse rationnelle. Ainsi l’autre jour, partant pour un long voyage, j’appuie sur le bouton de la radio, et au moment précis où je passe, quelques instants plus tard, devant la maison de retraite médicalisée où agonise une vieille cousine, résonnent les premières mesures du mouvement lent de la sonate funèbre de Vivaldi…

COMMENTAIRES
Parmi les commentaires les plus stupides des libres consommateurs individuels contemporains, celui-ci, parlant d’un tableau ou d’un livre :
– Ça ne me parle pas.
Répondre aussi sec :
– Ça ne vous parle pas ? Pas grave. Ça vous parlera peut-être plus tard, quand vous aurez compris de quoi ça cause…

COMPLAISANCE
Je tombe par hasard sur une chanson de Gainsbourg, et y renifle une fois de plus quelque chose de répugnant – pire, de gnangnan. Cette habileté putassière, ce savoir-faire de maquereau, décidément, je ne m’y fais pas. L’époque, qui s’y reconnaît, a voulu voir du génie là où il n’y a pour moi qu’un talent aussi indiscutable que complaisant et veule, habile à ne provoquer que ce qu’il faut pour avoir l’air d’un provocateur sans en avoir la chanson. Le vrai mérite de Gainsbourg est de ressembler à son époque, à laquelle il a tendu un miroir d’autant plus sévère qu’il était complaisant.
Je reviens souvent sur Gainsbourg, trop peut-être ; mais il est en effet une de mes bêtes noires tant il est représentatif de l’homme branché, cette caricature d’être humain qui m’a toujours fait penser aux petits marquis, ces courtisans d’autant plus insolents à la ville qu’ils étaient serviles à la cour, si efficacement brocardés par Molière qu’ils ne s’en sont jamais remis. Eux aussi se croyaient provocateurs, quand ils n’étaient que des mufles incapables de hausser leur grossièreté au-dessus des platitudes de la vulgarité.
J’y suis : Gainsbourg me fait penser à deux autres provocateurs en mie de pain, faux anticonformistes toujours courant langue pendante après la mode, les deux Philippe, Sollers et Val, prêts à s’abaisser à tout pour grimper à leur niveau d’incompétence et péter plus haut que leur cul.

COMPLOT
Bien sûr qu’il y a complot, mais largement subliminal, du moins jusqu’à présent. Riches et puissants ont très bien compris, au moins inconsciemment, que nous sommes trop nombreux pour que nos modes de vie puissent perdurer, et, très logiquement, ils organisent le massacre en espérant y échapper – ce qui dénote de leur part un optimisme tant soit peu délirant.

COMPRÉHENSION
Ça fait onze ans qu’à force de vouloir comprendre les autres je finis par ne plus me comprendre moi-même.

CON
Congénères, concitoyens, condisciples, compatriotes. J’ai du mal à ne pas détester tous ces cons.

CONSENSUS
Toute idée de consensus me fait fuir. Si tout le monde vous trouve bon, c’est que vous ne valez pas grand-chose. Rien de plus suspect que l’unanimité. Quel renoncement sordide cache cette adhésion universelle ? Il y a toujours sous les accords parfaits une défaite de l’esprit. Et pas seulement de l’esprit critique.

CONTRADICTIONS
Nos contradictions sont devenues insolubles parce que nous sommes à la fois trop nombreux et trop puissants pour que leur mise en œuvre permanente ne nous mène pas à l’autodestruction dont nous semblons rêver au fond de nous, sans doute par dépit de n’être pas tout à fait des dieux, ce qui ne nous permet pas d’échapper aux conséquences de notre toute-puissance.
Comme il se doit dans un monde beaucoup moins chaotique qu’il ne nous plaît de le croire, notre principale faiblesse est notre force, et c’est notre excessive réussite qui provoquera notre inévitable échec.

CONVAINCU
D’un conte que je lui ai envoyé, un éditeur m’écrit : « Je ne suis pas convaincu. »
Fort bien ; mais je n’écris ni ne peins jamais pour convaincre. Chercher à convaincre est une démarche radicalement opposée à l’idée que je me fais de ce que c’est que créer. Chercher à convaincre, c’est vouloir éliminer le hasard, et savoir ce qu’on va faire avant de l’avoir fait.
Je laisse le désir de convaincre aux créatifs – qui sont tout sauf des créateurs. Pour moi, je propose un témoignage, je présente des créations.
Quant à mon sceptique, je n’ai pas pu m’empêcher de lire convaincu en deux mots.

CONVICTION
La conviction comme monnaie d’échange. Conviction et passion se vendent très bien de nos jours. Ce sont des valeurs d’autant plus fortes qu’elles nous font radicalement défaut.

CONVOQUER
Que les amateurs de tartes à la crème sont gâtés de nos jours ! Et particulièrement s’agissant de ces arts plastiques qui ont si congrûment remplacé les Beaux-Arts…
Pas un barbouilleur dont les croûtes ne « convoquent » l’univers, pas un bidouilleur dont le « geste » « n’interpelle » l’histoire de l’art toute entière tout en « questionnant » l’ensemble de ses contemporains. Que d’inflation et d’enflure dans ces rodomontades de marché !
Autant l’avouer, ma peinture ne convoque personne, mon geste ne questionne aucune certitude, je tente de peindre, de donner à voir ce que j’aime voir, c’est déjà un sacré pari. Presque un pari sacré.

CORRUPTION
Ce ne sont pas les corrompus conscients qui me font peur, ni même ceux qui parviennent à se convaincre qu’ils ne le sont pas plus que les autres. Ceux qui me terrifient, ne serait-ce que parce qu’ils sont infiniment plus nombreux, ce sont ceux qui sont en toute bonne foi convaincus d’être honnêtes, tant la corruption leur est devenue une seconde nature.
Voir REPÈRES (perte de)

CUIR
Il en est de si énormes qu’ils prennent un caractère sublime : le plus beau peut-être, entendu sur France-Inter : « Les choses t’avancent ». Pour une fois, le coupable n’était pas l’ineffable Bernard Guetta…

CUISTRE
Sollers, ce moderne Trissotin, ce qu’on peut rêver de pire en matière d’intellectuel : un libertin laborieux. Un intellectruel.

CYNISME
Il entre presque toujours beaucoup de naïveté dans le cynisme, car le cynique est souvent un idéaliste déçu. Se sentant trahi par la vie, il la prend en haine pour l’avoir trop aimée.

DÉCEPTION
C’est parce que j’aurais tant envie de pouvoir les estimer que j’engueule si férocement mes congénères.

DÉCULPABILISER
Sous prétexte de déculpabiliser l’être humain, nous avons réussi à lui faire perdre tout sens moral.

DELORS (Jacques)
Chaque fois que j’entends parler Jacques Delors, je me rappelle ce proverbe un peu cynique mais ô combien perspicace : « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». Et je me dis qu’il n’y a jamais très loin du vieux sage au vieux con. Cela dit, ce Rubicon-là, Delors, grand naïf prétentieux et sentencieux, l’a franchi très tôt : encore jeune con, il jouait déjà les vieux sages.
Tout en faisant le lit de l’ultra-libéralisme, car ce Lamartine de l’économie, aussi naïf qu’incompétent, aura été une véritable catastrophe pour l’Europe. Les pires chevaux de Troie sont ceux qui croient porter secours à ceux qu’ils livrent à l’ennemi. Delors n’aura été que le faux nez inconscient des néo-libéraux.

DÉMOCRATIE
N’est plus qu’un mot. Début septembre, Boutros-Ghali a pu dire que les occidentaux « refusent la démocratie » parce qu’ils ne voulaient pas participer à un « sommet de l’anti-racisme » réunissant la fine fleur des dictatures afro-asiatiques. C’est le sort des grandes idées de finir dans la bouche des hommes les plus méprisables.

DÉPAYSEMENT
Ce besoin pressant que j’ai de me dépayser de temps en temps pour mieux me repayser. Constater qu’ailleurs je ne suis pas mieux que chez moi, et que je suis donc mieux chez moi, même si ailleurs je ne suis pas moins bien que chez moi…

DIABOLISATION
Dans ma famille, certains se plaignent de la « diabolisation » de Sarkozy. Réaction typique des nantis au début des prises de pouvoir par des régimes totalitaires : chaque fois, le bon bourgeois s’insurge contre l’opposition qui diabolise Mussolini, Hitler, Franco, etc.
Ne pouvant en aucun cas admettre la réalité sordide du pouvoir qu’ils soutiennent, les bien-pensants font l’autruche et nient les faits les plus évidents, se raccrochant à des « arguments » si stupides qu’ils devraient en avoir honte, mais qui leur évitent la honte plus grande encore de reconnaître qu’en soutenant un pouvoir sans foi ni loi ni honneur ils se déshonorent eux-mêmes.
Il suffit de lire les journaux de l’époque pour apprendre qu’aux yeux d’une quantité de « braves gens », sous leurs airs méchants, Mussolini, Hitler et Franco étaient des types bien, des hommes de bonne volonté scandaleusement calomniés par des opposants remplis de la plus perverse mauvaise foi.
C’est vrai, quoi, c’est indécent de diaboliser le diable !
Dire la vérité sur un salaud, c’est donc le diaboliser.
Grâce à cette pitoyable pirouette, les bons apôtres de la bourgeoisie conservatrice s’exonèrent au meilleur compte depuis toujours de leur responsabilité dans la montée des totalitarismes.
La paranoïa étant contagieuse, quand je tente d’exposer à peu près objectivement les faits, j’ai parfois l’impression d’être diabolisé, tant la réalité que je décris semble sacrilège à nos aveugles volontaires…

DISCOURS
Contrairement à ce que veut croire la Kabbale, le discours n’est pas fondateur. Il n’est pas le point de départ, mais l’arrivée. L’inconscient (et pas seulement le collectif) précède le langage. Lacan, ce cabaliste contemporain, a d’autant plus complètement échoué dans sa tentative de reprise du pouvoir par le langage qu’il avait oublié la mystique en route, ce qui fait de sa tentative de magie une contrefaçon ridicule, dans le meilleur des cas une assez pathétique prestidigitation.
Voir COHEN (Albert)

DISCRÉTION
Je continue à me demander si dans nos vies minuscules l’héroïsme, d’ailleurs tout relatif, ne consiste pas à tenter de poursuivre son chemin en passant de son mieux à travers les gouttes, comme ces fourmis à qui je mettais des bâtons dans les roues pour admirer plus longtemps leur incroyable et tranquille acharnement à aller vers le but qu’elles veulent atteindre.

ENFANTS
Je parle très peu des miens dans ce que j’écris. Non que je n’en sois pas fier ou que je ne les aime pas, mais par pudeur, si, si, et pour ne pas les mêler sans leur aveu à mes petites affaires.

ENNUI
Si nous ennuyons ceux qui ne nous ennuient pas, et que les gens que nous n’ennuyons pas nous ennuient, autant rester tout seul…

ESCLAVAGE
Revenir sur cet esclavage qu’est une totale liberté. Le consommateur actuel en est la parfaite illustration. Son illusoire liberté de consommer l’enferme plus sûrement que des barreaux.
Je l’ai déjà dit, j’y reviens, tant pis, parce que c’est un des enjeux capitaux de la crise globale de l’humanité actuelle : en nous libérant, nous nous sommes enchaînés.
C’est une de ces évidences qui vous tombent dessus dans votre baignoire, ou vous réveillent à trois heures du matin. Ça s’appelle inventer l’eau chaude, mais rien n’est plus invisible aujourd’hui que ce qui devrait sauter aux yeux.

ÉVOLUTION
Autrefois, le « grand » écrivain disait : « Je médite. » Aujourd’hui, il annonce : « Je m’édite. »
Je l’aimais quand même mieux avant.

FASCISME
Le fascisme ordinaire, au quotidien. À petites doses, quasi homéopathiques ; on s’habitue peu à peu, on se mithridatise, le poison semble ne plus faire d’effet ; c’est que dans nos veines il a remplacé le sang et nous est devenu consubstantiel.

FAUSSE MONNAIE
La vraie valeur de la fausse monnaie, c’est qu’elle n’est pas seulement sans valeur ; elle dévalue la vraie.
Nous vivons dans un monde de fausse monnaie universelle où discours et gesticulations tiennent lieu de convictions et d’actes. Tant de mensonges font que nous n’osons plus croire à rien. Nous avons tort. Malgré l’omniprésence arrogante et l’apparente omnipotence des faux-monnayeurs, nous pouvons à tout instant éprouver la force et la justesse des vraies valeurs à l’aune de notre conscience personnelle.

FIERTÉ
Ce qui me sidère chez les hommes politiques actuels, c’est leur totale absence de fierté, leur radicale incapacité à faire preuve de la moindre dignité. Pris la main dans le sac, ils se livrent à d’incroyables contorsions pour tenter d’échapper à leurs responsabilités. Noyer le poisson semble être leur idée fixe, comme si l’oubli des fautes était une sorte d’absolution. Peu leur importe d’être innocentés, leur suffira de retrouver une « crédibilité », ce sésame des adorateurs de l’apparence, qui permet de briguer des sièges, d’obtenir des postes et de s’acheter des montres.
Il serait temps de les remettre à l’heure juste.

FILLE
Si j’avais été une fille, c’aurait été un garçon manqué, j’espère. Les garçons manqués que j’ai connus étaient pour moi les plus réussies des filles, et valaient beaucoup mieux que les garçons, qui malgré tous leurs efforts n’arrivent jamais à être des filles manquées.

FOI
Méfions-nous de la foi. Tant qu’elle est fraîche, elle peut nous nourrir. Mais elle se conserve mal, et une foi rance tourne très vite à la mauvaise foi. À tant vouloir croire, le convaincu lasse jusqu’à lui-même, accouchant pour finir d’un con vaincu.

FOOTBALL
L’identité nationale, elle se trouve aujourd’hui dans le football. Le sport professionnel est la mère de tous les vices, et le football est bien la fille aînée de l’église sectaire du sport spectacle. Le geste contre la geste, la triche contre le fair-play, le fric contre la vie.
Elle est belle, notre identité nationale !
La main de Dieu, se félicite L’Équipe. Le foot, décidément, ce n’est pas le pied.

FRANC-MAÇONNERIE
Il y a quelque drôlerie à voir la franc-maçonnerie, qui n’est au bout du compte qu’une maffia au petit pied, se parer indécemment des plumes du paon en tentant de faire croire à travers des rituels ridicules et surannés qu’elle s’intéresse à l’essentiel des choses humaines. Comme si la philosophie résidait dans le tablier, l’équerre et autres âneries fétichistes pour adolescents attardés. Un franc-maçon aujourd’hui, c’est un jobard ou un hypocrite.

GÉNÉROSITÉ
La générosité n’est le plus souvent que le meilleur moyen de ne rien devoir à personne. Elle procure bonne conscience, va chez certains jusqu’à l’ostentation, et demeure l’instrument de pouvoir préféré de ceux qui par nature ou par état ne peuvent sacrifier ouvertement à leur soif de puissance.
C’est dire combien nous avons tort de ne pas la pratiquer davantage.

GÉNÉROSITÉ
Ce n’est pas par hasard que les pauvres sont à peu près toujours plus généreux que les riches. La générosité ne leur coûte guère : rien n’est plus facile à partager que rien. Si tu veux savoir s’il est réellement généreux, rends le pauvre riche…
Quant au riche, fais-en un pauvre, son coffre-fort vide te sera désormais grand ouvert.

GRÈVE
Le comble de l’individualisme : faire grève tout seul.
Ça m’est arrivé plus d’une fois.
À cause de l’individualisme ultra-majoritaire de mes collègues.

GRÈVE
Pour le crétin individualiste hédoniste contemporain, la grève, ce n’est pas seulement ringard, c’est obscène : qui espère devenir people ne va tout de même pas se mêler au peuple !

GROUPE (thérapie de)
Je me demande si le principal intérêt de la thérapie de groupe ne réside pas dans le fait qu’après l’avoir pratiquée quelque temps on n’est plus étonné de rien. On a tant vu les faiblesses et les vilenies des autres, leurs faiblesses et leurs mensonges, qu’on se pardonne ses propres errements, et d’autant plus qu’eux-mêmes nous les pardonnent. Car ces autres, on les découvre tout aussi démunis que nous, tout aussi fragiles et souffrants, et finalement pleins de bonne volonté. Il en faut pour persévérer dans un travail où il est très rapidement impossible de tricher : si le groupe est toujours prêt à nous soutenir, aucun de nos masques ne résiste à sa perspicacité, et il ne laisse rien passer de nos contradictions, de nos lâchetés, de nos saletés. Mais sans jamais juger : un groupe digne de ce nom ne juge pas, il constate.
La thérapie de groupe nous permet de comprendre et de ressentir dans notre chair ce que notre stupide ego tente constamment d’oublier, à savoir que nous sommes tous sur le même bateau.
En nous soulageant au moins partiellement de notre culpabilité, en nous redonnant conscience de notre véritable identité, en nous rappelant que nous sommes comme les autres et pourtant nous-mêmes, elle recrée les conditions d’une nouvelle solidarité.

HAINE
La haine, c’est l’histoire d’une insupportable déception, d’une torturante frustration. On ne hait vraiment que ce qu’on aurait voulu pouvoir aimer.
Voir AIMER

HARA-KIRI
Je n’ai pas connu Reiser, et je le regrette.
C’était à mes yeux avec Gébé le seul génie de la bande. De génie, les autres, bourrés de talent, étaient singulièrement dépourvus, à l’exception peut-être de Willem, qui bien aidé par son envergure et son français approximatif planait majestueusement au-dessus de la mêlée.
Berroyer arborait déjà cette timidité fanfaronne et ironique qui ne l’a pas quitté, et dont il s’est fait une marque de fabrique un peu trop ostensible, Wolinski affichait la modeste suffisance du manipulateur cynique qu’il a toujours vainement rêvé d’être, Cavanna assumait avec panache et une inoxydable mauvaise foi son rôle de grande gueule au grand cœur, Gourio et Vuillemin justifiaient leurs tronches de faux frères masturbateurs de dortoir en jouant les cafards potaches et en léchant goulûment le cul toujours plus ou moins à l’air du professeur Choron, lequel posait laborieusement à l’affranchi en s’attaquant aux plus faibles des spectateurs de passage pour des « plaisanteries » plus stupides encore que cruelles, tout en surjouant son horripilant personnage de brute avinée mâtinée de gorille en rut occupé à se frapper la poitrine dans une jungle imaginaire et déserte, provoquant le vide histoire de faire croire qu’il n’a peur de rien…
En fait Choron avait peur de tout, et surtout de ne pas être à sa hauteur, prisonnier qu’il était d’un costume qu’il savait trop grand pour lui.
Sa femme Odile cachait si bien son chagrin qu’elle a fini par en mourir.
Seul Gébé était lui-même.
Je respectais Willem pour son formidable talent, j’aimais Gébé non seulement pour son génie, mais parce qu’il était vrai.

HEAUTONTIMOROUMENOS
À partir du moment où, sachant combien nos congénères sont manipulables, tu te laisses aller à les manipuler, tu entres dans la spirale du dégoût – des autres mais surtout de toi.
Car tu sais bien qu’en méprisant autrui au point d’en faire ta chose, tu t’es interdit à toi-même de le rencontrer autrement qu’à la surface, dans sa laideur, qui n’est que le miroir de la tienne.
C’est que toute manipulation est une forme perverse de masturbation.
Le manipulateur, ce tricheur suicidaire, se manipule en fin de compte bien plus impitoyablement encore que ceux qu’il manipule, parce qu’il n’a pas conscience d’être devenu l’heautontimoroumenos, le bourreau de soi-même.
Voir MANIPULATION

ICÔNES
L’emploi de plus en plus fréquent de ce mot pour désigner, de façon aussi métaphorique qu’impropre, stars et vedettes n’a rien d’innocent. Il révèle, dans un contexte porteur, pour parler comme les imbéciles, qu’un des penchants les plus dangereux de l’humanité et les plus révélateurs de sa bêtise crasse, a le vent en poupe : le besoin irrépressible d’adorer quelque chose ou quelqu’un, de préférence parfaitement indigne d’adoration, voire franchement méprisable.
Les récentes apothéoses d’un excellent joueur de tennis enclin à la grosse tête et d’un chanteur passablement taré en ont fourni deux exemples consternants, qui rappellent par leur démesure et leur ridicule les funestes excès où se sont complu les Romains de la décadence, idolâtrant leurs gladiateurs et se divinisant à qui mieux mieux.
« Federermania », « Jacksonmania » : l’emploi, complaisant ou non, du mot « mania » avoue clairement de quelle pandémie autrement dangereuse que les grippes aviaires ou porcines nous sommes les victimes plus ou moins consentantes. Puisqu’il n’existe pas encore de vaccin contre les icônes, commençons par les prendre en grippe.
Car la maladie peut être mortelle, et l’a souvent été dans le passé.
On est toujours l’esclave de ce qu’on adore, et c’est pourquoi je n’adore personne – pas même moi, contrairement à beaucoup de contemporains. L’actuel et triomphant retour de l’esclavage comme mode de gestion du peuple souverain devrait nous faire réfléchir : faire des « people » des icônes, les déifier en somme, n’est pas seulement très exactement sacrilège, mais nous ramène une fois de plus, une fois de trop, aux mises en scène totalitaires et à leur volonté avouée de créer une race de surhommes, de solenniser l’existence, de figer les masses en un seul bloc d’assentiment béat et d’adoration inconditionnelle.
Après tout, les hommes ont probablement inventé Dieu pour mieux s’adorer eux-mêmes. Ils l’ont fait à leur image, ce qui leur permet de prétendre qu’il les a fait à la sienne.
Plus je suis proche de Dieu, plus sa gloire rejaillit sur moi, s’est d’abord dit Lucifer. Avant de conclure : Mais c’est peut-être de moi que lui vient sa lumière…
La « peoplisation », comme presque toute mythification, est avant tout une mystification. L’iconification est une manipulation. Cherche à qui le crime profite…
Nos icônes divinisées feraient bien d’y réfléchir : il arrive aux peuples de devenir diaboliques…
Quant à moi, les pauvres icônes actuelles ne me donnent qu’une envie : devenir iconoclaste.

IMMOBILISME
C’est vrai, nous avons besoin de temps en temps qu’une jeunesse aussi stupide qu’orgueilleuse nous secoue les puces et nous botte le cul ; nous resterions assis dessus, car la sagesse est de se laisser vivre.
Mais sachons aussi, sans les lui couper, rogner les ailes à cette jeunesse plus inculte qu’oublieuse : il n’est bon ni de courir, ni de marcher au pas, que ce soit celui du chasseur ou de l’oie. On n’avance jamais mieux qu’en flânant.
Le vrai progrès, ce serait de prendre son temps, et de ne reconnaître que les urgences qui le méritent – presque aucune.

IMPACTER
Un certain Lombard, ça rime avec connard, PDG de France Télécom : « Je ne voulais pas rentrer dans un système où la communication pouvait impacter le moral d’un certain nombre de personnes qui sont par nature fragiles (…) Il faut marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide ».
Quelques mois auparavant, le même élégant personnage déclarait à ses employés dans le langage châtié qui le caractérise, et qui dit tout de son insondable vulgarité d’âme,en même temps que de son ignorance crasse des accords les plus élémentaires :
« (…) les populations qui sont pas à Paris, qui pensent que la pêche aux moules est merveilleux, c’est fini ! »
Il y a des gros culs qui auraient bien besoin d’être un peu impactés…

IMPACTER (bis)
Au passage, l’emploi de ce verbe signe à lui seul l’appartenance à l’internationale de la connerie néo-libérale. Il n’est donc pas étonnant qu’on le retrouve constamment dans la bouche de nos gouvernants et autres « experts » de la sortie de crise permanente et de l’enfumage généralisé.

IMPUISSANCE
Notre impuissance à aider quelqu’un nous conduit tout naturellement à le rejeter. Question de survie.

INCONSCIENCE
Les hommes de pouvoir, ces idéalistes manipulateurs, croient toujours que leur tête mène leur barque, alors que c’est leur cul qui les gouverne. Ce n’est pas en calculant tout qu’on échappe à ses pulsions, c’est au contraire le meilleur moyen de les mettre au pouvoir.

INCULTURE
L’inculture est le plus souvent une ignorance volontaire. Ne pouvant tout savoir, nous choisissons de ne rien savoir. Il est vrai qu’il est utile de savoir oublier, et qu’une vraie culture est sélective et hiérarchisée. Encore faut-il avoir quelque chose à oublier.

INCULTURE
En matière de création, le manque d’humilité est toujours une preuve d’inculture.

INDICE
Moins la plupart des gens aiment ton travail, plus il t’est permis de penser que tu es sur la bonne voie.

INDIVIDUALISME
Réaction partiellement saine des êtres humains confrontés à la mondialisation-massification. Comment ne pas devenir individualiste quand on n’est plus considéré que comme un numéro matricule indifférencié ? Tout tend à nous uniformiser, d’où cette quête désespérée, à la fois pathétique et grotesque, odieuse et touchante, des egos en mal d’individualité – d’individuation. Le tuning en est la preuve achevée : personnaliser une voiture de série…
Les individus de série que nous sommes devenus, comme nos maîtres tentent de nous aider à les personnaliser !

INDULGENCE
Je ne ressens d’indulgence envers les cons que les rares fois où je me rends compte que je le suis probablement autant qu’eux.

INNOCENCE
On est innocent tant qu’on ne sait pas qu’on ne l’est pas. Nous ne sommes jamais innocents que par ignorance.
Une amie très chère a été innocente tant qu’elle ne savait pas qu’elle ne l’était pas. Maintenant qu’elle a dû renoncer à se croire totalement innocente, elle est sans cesse obligée de se reconstruire une innocence nouvelle sur les ruines de la précédente. Même elle n’y croit plus.

JOIE
La joie n’est pas dans le résultat, mais dans le travail qui y conduit. Peu d’entre nous sentent encore cette évidence, tant le règne de l’argent déforme non seulement notre jugement mais notre capacité à vivre.

JUGE ET PARTIE
Que le caractère de Sarkozy puisse le rendre par moments parfaitement stupide, son attitude dans l’affaire Clearstream en a donné une preuve magistrale. Comme tous les êtres mentalement difformes, il est bourré de complexes, ce qui lui rend insupportable toute humiliation, même imaginaire, toute agression, même fictive. Aucune objectivité ne peut forcer le cercle d’une subjectivité aussi foncièrement autiste, ce qui fait de ce caractériel le président le plus dangereux qui soit. Rendons hommage à la lucidité du peuple français qui a su faire un choix particulièrement opportun dans une période qui est probablement la plus dangereuse jamais vécue par l’humanité.
Nul mieux que Nicolas Sarkozy ne pouvait nous conduire au désastre.

LÈCHE-CULS
Pourquoi les cireurs de pompes cirent-ils si amoureusement les pompes de leurs maîtres ? Tant qu’à prendre des coups de pied au cul, autant que ça ne laisse pas de traces.

LIBÉRALISME
Le libéralisme, ça consiste à chanter les bienfaisantes vertus de la concurrence tout en la mettant à mort pour pouvoir jouir tranquillement des délicieux méfaits du monopole. Le libéral exalte la concurrence comme le boa enlace sa proie : pour mieux l’étrangler.

LONGÉVITÉ
Et si notre insolente longévité était due au parahydroxybenzoate de méthyle ? Pas étonnant que nous ne vieillissions plus : avec tous les conservateurs que nous ingurgitons consciemment ou non, nous serons sans doute bientôt immortels, momifiés vivants.

LUMIÈRES
Nous avons besoin d’une nouvelle philosophie des Lumières. L’idéologie rationaliste des Lumières est non seulement dépassée, mais inadéquate. Liée à l’état des sciences de son époque, elle fonde sa réflexion sur un rationalisme matérialiste trop primaire pour fonctionner encore à l’heure où les sciences du vivant commencent à entrevoir la complexité de l’univers.
Le rationalisme est devenu irrationnel, il n’est plus qu’une idéologie dont les fondements théoriques n’en finissent plus de s’écrouler.
Le rationalisme des lumières est aujourd’hui un obscurantisme. Les lumières froides du XVIIIe ne produisent plus que des fanatiques aussi dévots qu’opportunistes, de ces pharisiens de la religion rationaliste dont Philippe Val est en quelque sorte le dérisoire archétype.
Dans l’ombre de ces ayatollahs de la tolérance obligatoire se profile comme autrefois le couperet luisant de la guillotine.
Je n’ai aucune envie de vivre à l’ombre des lumières autoritaires du grand inquisiteur tout débordant d’incorruptible vertu qui a si proprement exécuté Siné avant même que ses maîtres aient eu besoin de le siffler.
Face aux dinosaures intéressés du rationalisme sectaire nous devons d’urgence inventer une nouvelle rationalité. Voir SCIENCE

MAJORITÉ
Une majorité d’imbéciles a toujours tort. Ce qui revient à dire que, les imbéciles étant toujours majoritaires dans toute majorité, une majorité quelle qu’elle soit a toujours tort. S’il arrive qu’une majorité ait raison, c’est parce qu’elle se trompe.

MASOCHISME
Ce n’est pas seulement par masochisme que nous aimons davantage les êtres qui nous posent problème que ceux qui nous reposent. Les premiers nous éveillent, les seconds nous endorment.

MAXIME
Le grand intérêt d’une maxime réussie, c’est de rendre inutile une discussion en en donnant d’entrée la conclusion. C’est par paresse que je tente de fignoler assez mes maximes pour qu’elles m’évitent d’avoir à argumenter avec autrui – et au besoin avec moi-même.
Une maxime digne de ce nom contient sa discussion tout entière, permettant de poursuivre sans tarder l’avancée de la réflexion. C’est une façon de régler son compte à une question pour passer à la suite. Quand j’ai compris, rien ne m’irrite comme l’obligation d’y revenir.

MÉCÉNAT
Il faut bien l’avouer, les nouveaux riches font de piètres mécènes. J’ai le plus profond mépris pour « l’entrepreneur » François Pinault, escroc des plus vulgaires, répugnant prototype du chevalier d’industrie contemporain. On aurait pu espérer qu’il fasse du moins bon usage d’une fortune aussi mal gagnée que possible. Comme disait de Gaulle : « Hélas ! Hélaas ! Hélaaas ! »
Le mécène Pinault donne une fois de plus la preuve qu’il ne suffit pas de gagner de l’argent pour pouvoir s’acheter une culture, ou avoir un minimum de goût. Non content d’occuper au pire sens du terme la Dogana di Mare, il y expose avec toute la fierté du gogo parvenu une assez ahurissante collection d’ineffables daubes.
Il fallait le voir, l’autre jour, s’extasier sur une énorme toile : « De loin, on croit que c’est une photo, disait-il, mais voyez, ce n’est pas une photo, c’est une peinture ! » Et de s’en rapprocher et d’y mettre la main comme pour s’assurer en la grattant que l’imitation est parfaite.
Il faut avouer qu’une carrière de mécène est bien remplie, quand elle a pu aider un « créateur » à peindre un tableau qu’on prend pour une photo – très mauvaise au demeurant.
Mais j’ai tort de brocarder ce bourgeois gentilhomme au petit pied. Car ce redoutable patron liquidateur a un cœur, et si ce n’est pas avec lui qu’il licencie et met au chômage, c’est avec lui qu’il achète. C’est du moins ce qu’il disait, parlant de coups de cœur et peut-être même d’âme, tandis que de sa bouche aux lèvres minces et serrées sourdait une voix coupante, et que ses yeux glacés comme deux huîtres surgelées prenaient les brillances luminescentes des diodes de calculatrices électroniques. C’était un monstre froid qui parlait d’émotion, un mort qui nous parlait d’amour.
Quand les mécènes étranglent l’art sur l’autel du marché, Venise devient une nécropole à touriste friqués, et la vie congelée scelle l’enterrement de première classe d’une civilisation moribonde.

MÉCHANCETÉ
Je ne crois pas que nous soyons foncièrement méchants. Mais que nous le devenons chaque fois que, consciemment ou non, nous le jugeons nécessaire. Trop souvent, à la vérité, car la peur n’est pas seulement notre plus mauvaise conseillère : elle est notre mauvais ange.
Derrière toute méchanceté se profile le museau camard de la peur, cette tueuse à petit feu.

MEILLEURS (les)
Juppé, cette invraisemblable baderne, reprenait il y a quelque temps, à propos des salaires extravagants de certains patrons, l’argument particulièrement éculé et stupide selon lequel, si on limite leur rémunération, « les meilleurs s’en iront ailleurs ».
Outre que c’est loin d’être toujours le cas, l’auteur de l’inénarrable Tentation de Venise pourrait-il expliquer en quoi les plus avides seraient forcément les meilleurs ? Il est permis de penser que les meilleurs dirigeants seraient sans doute les plus désintéressés, ceux qui font passer l’intérêt de l’entreprise avant le leur, ceux qui accepteraient de gagner moins pour aider à sauver des emplois, ceux qui sauraient motiver leurs employés en partageant équitablement des bénéfices qu’ils ne sont pas les seuls à créer…
Mais allez faire comprendre la valeur du désintéressement à un ancien premier ministre qui ne craignait pas de se faire loger par l’état dans des conditions qui relevaient au minimum de la plus sordide grivèlerie !
Tout comme le nazisme, le néo-libéralisme a tellement déformé les consciences qu’il fait admettre comme évidentes et démontrées des idées par lui reçues qui n’ont en fait aucun fondement théorique, sont dépourvues du moindre bon sens et ne correspondent en aucune manière à la réalité vécue : les plus avides sont généralement les plus mauvais, voyez Tapie, voyez Bouton ! Et les « meilleurs » sont souvent les pires, voyez Bolloré, Bouygues, Dassault, Pinault, Sellière : pour mieux se servir, ils n’hésitent jamais à desservir leurs salariés et au besoin leur entreprise, et toujours la société, aux crochets de laquelle ils vivent systématiquement.
Conception maffieuse de l’existence, qui prédomine dans le néo-libéralisme tout comme elle prédominait dans le national-socialisme ou le communisme stalinien.
Il n’y a aucun mérite à exercer le pouvoir. C’est une charge, non un état, encore moins un sacerdoce qui mériterait récompense. On devrait payer pour exercer le pouvoir…

MINORITAIRES
Par esprit de contradiction sûrement, par esprit de chevalerie peut-être, j’ai toujours préféré les minorités aux majorités. Les marginaux m’intéressent davantage que les intégrés, j’aime les esprits libres, ceux qui pour suivre leur chemin, pour vivre leur nécessité intérieure, refusent de se soumettre, dédaignent de « s’adapter ».
Ils auront moins de succès que les habiles, mais ils peuvent à tout instant se regarder en face et se reconnaître.
Il est parfois beau de s’incliner devant la nécessité ; plus beau encore, n’obéir qu’à sa nécessité intérieure. Quoi qu’il en coûte : les majorités ne le sont jamais assez et n’ont de cesse d’absorber ou de détruire ces minorités insolentes dont la seule existence menace leur hégémonie.
La démocratie est viciée à la base par cette évidence si volontiers occultée que toute majorité se veut unanimité.

MISÈRE
L’affaire, à la fois dérisoire, grotesque et gravissime, de la réécriture de l’histoire et de la démolition du mur de Berlin par le minuscule mythomane qui nous gouverne, dit tout non seulement de son répugnant cynisme, mais de son incroyable pauvreté intellectuelle.
Le moment est venu de ressortir cette remarque en passant écrite avant la consécration de la carrière politique de l’ex-Ministre de l’Intérieur :
« ADULATION
Il faut être singulièrement dépourvu de vie intérieure pour mettre toute son énergie à devenir un homme public. Vouloir plaire aux foules tout en les manipulant, quel étrange choix de vie ! Fondé sur la communication, le pouvoir d’un Sarkozy sacrifie la réalité du pouvoir à ses apparences – c’est ici le cas de dire à ses appâts rances ! –, et conduit à tous les désastres qu’engendre le mensonge.
Adulé par les imbéciles, Sarkozy sera tôt ou tard honni par les mêmes. Être adulé n’a rien de rassurant, car ceux qui adulent ont beaucoup à demander à celui qu’ils adulent et tout spécialement ce qu’il ne pourra pas leur donner…
Quiconque adule est en manque d’un essentiel, et demandeur d’une satisfaction que lui seul pourrait se donner. Quiconque se laisse aduler est également en manque et se satisfait d’une apparence qui le décevra tôt ou tard.
L’adulation est un marché de dupes où l’adulateur et l’adulé ont tout à perdre, l’un demandant l’impossible et l’autre le promettant.
La communication, ce n’est pas la politique rêvée, c’est la politique du rêve organisé. »
Cette photo ridicule et antidatée, vraiment, mauvaise pioche, Monsieur le futur ex-Président !

MUTISME
Je me demande souvent en nous écoutant : « Quand on n’a rien à dire, pourquoi le dire ? »

NAUFRAGEUSES
Je pense à ces femmes vers lesquelles nous nous précipitons avec le même soulagement naïf que ces vaisseaux d’autrefois qui venaient se fracasser sur les récifs mêmes qu’ils pensaient éviter grâce à des feux qui n’avaient été allumés que pour provoquer leur naufrage.
En cette période de pudibonderie conformiste politiquement correcte, il est malheureusement nécessaire que je précise cette évidence que la même phrase peut être formulée au masculin – même si j’ai perdu davantage de plumes avec les naufrageuses qu’avec leurs congénères du sexe prétendu fort.

NOMBRILISME
Je me sais égocentrique et me sens parfois coupable de nombrilisme. Mais cette culpabilité ne me pèse pas trop : c’est mon égocentrisme qui me permet de comprendre quelque chose aux autres et de les accepter au moins un peu comme ils sont, puisque l’expérience me prouve que je ne vaux pas mieux qu’eux.
Je suis la seule conscience à laquelle j’ai accès, la seule existence que je puisse vivre. L’observer et en rendre compte m’a toujours semblé un devoir.
Pour les japonais, regarder son nombril, c’est se souvenir qu’on est né d’autrui.

OBAMA
Obama me décevrait si j’avais mis le moindre espoir en lui. Mais je n’attendais de lui que la disparition de Bush, et une alternance qui écarte, ne serait-ce qu’un temps, les pires voyous de l’ultralibéralisme. Il n’était dès le départ que trop évident qu’on ne tirerait rien de plus de ce politicien trop habile pour être totalement honnête, et trop pragmatique pour tenter de mettre fin à la folie meurtrière de la mondialisation financière.
Quant à sauver la planète, cet habile démagogue sait bien qu’il se perdrait à passer des bonnes paroles aux actes vertueux.

OUBLI
Il est aussi important de savoir oublier que de savoir se souvenir.
Mais la réciproque est vraie, contrairement à ce que semblent croire beaucoup de mes contemporains, confondant esprit d’enfance et puérilité.
Ce n’est pas en changeant sans cesse de partenaire qu’on se refait une virginité, mais en redécouvrant ce qu’on connaît déjà.

OUVERTURE
Je ne suis fermé à rien, mais je ne suis pas ouvert à tout.

PANDORE (boîte de)
Avec Internet, nous avons créé cet improbable artefact : l’intimité virtuelle. Internet est un fourre-tout qui héberge entre autres l’égrégore de notre inconscient collectif. Qui n’y est pas seulement immergé, mais s’y développe selon un rythme constamment accéléré qui n’a plus rien à voir avec notre réalité physiologique – et tend donc à la remplacer.
La proximité fallacieuse et l’anonymat trompeur sont les deux mamelles de la géniale toile d’araignée où nous nous engluons chaque jour davantage. Elles nous permettent de faire ce que faute de place nous ne pouvons plus faire dans la réalité physique : nous lâcher. Il n’y a jamais eu aussi peu de distance entre la recherche et la découverte, entre le désir et son objet. Internet, baguette magique universelle, réalise nos fantasmes, et pas seulement celui de la toute-puissance. Il nous ouvre sur cette merveille : l’espace narcissique infini.
Nous pouvons désormais, nous retournant comme des gants, exposer notre minuscule intimité à la face forcément éblouie de l’univers. Qu’il s’agisse d’une illusion et que notre chance de briller réellement soit aussi réduite que nos chances de gagner au loto ne change rien à l’affaire : le privé désormais se confond avec le public, et c’est ce qu’ont parfaitement compris et exploité les plus avisés des hommes et femmes de pouvoir. Nous pouvons désormais nous communiquer tout entiers.
Nous voici donc entrés dans l’ère du commun niquer, qui me semble devoir évoluer tout naturellement et à la vitesse d’un suppositoire vers le commun niqué.
La confusion créée et entretenue par Internet entre le domaine privé et le domaine public, entre la réalité et le fantasme, entre le vouloir et le pouvoir n’a pas que des aspects pernicieux, elle ouvre tout un domaine d’expérimentation, mais elle est propice à des dérives nous menant toujours plus loin dans cet enfermement qu’est notre goût pour l’abstraction.
Quand Pandore a ouvert sa fameuse boîte, ce qu’il a découvert, c’est qu’à force d’être pleine, elle était vide.
À force de nous aider à sortir de notre coquille, Internet nous vide de nous-mêmes.
Nous ne sommes déjà plus que des simulacres, de fantomatiques projections de nous-mêmes.

PARADIS
Le paradis terrestre, il n’en reste que des lambeaux qu’il faut sans cesse recréer, puisque les hommes s’acharnent à les détruire. Pelleteuse, tronçonneuse, marteau-piqueur, bulldozer, béton : la haine de la vie en action. Forcer, toujours forcer ; en guerre contre le monde, contre soi-même, en guerre toujours ! Il faut relire le camarade Ronsard :« Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras ! »
Au printemps, quand ils ont réparé la digue, les massacreurs s’en sont donné à cœur joie. Les acacias décapités, les sureaux déchiquetés, ce goût féroce de la castration, du nivellement, couper, arracher tout ce qui dépasse. Les hommes en veulent aux arbres de si bien bander, d’être toujours debout… Insolence de ces arbres qui ne débandent jamais, et ne s’en vantent même pas ! Même mort, l’arbre bande encore. Même sec, l’arbre est encore plein de feu.
La déforestation, ce n’est finalement que la jalousie de l’impuissant.
Sous une autre forme au besoin, les arbres reviendront quand nous ne serons plus là…
Et pendant ce temps-là Jacques Julliard, cet insupportable vieux con, membre ô combien déclinant de l’archi-rance gauche caviar, dénonce avec une emphase aussi ridicule qu’odieuse un improbable « écolo-fascisme » et prône ce dérisoire oxymore, une écologie rationaliste !

PARADOXE
Je suis toujours un peu étonné de voir tant de parents se sacrifier pour que leurs enfants, obsédés par leur « réussite », deviennent de parfaits égoïstes. J’en conclus que les plus sacrifiés ne sont peut-être pas ceux qu’on pense, et que beaucoup de ces trop généreux parents se servent de leurs enfants en vue d’obtenir par procuration une réussite qui compense tant soit peu leur propre échec.
C’est sans doute pourquoi « l’ingratitude » de certains enfants ressemble si fort à un tardif accès de lucidité…

PARFAIRE
Parfaire, c’est finir, mais bien. En achevant. Nous ne faisons jamais assez attention à l’étymologie. La perfection, c’est ce qui est si bien fini que c’en est devenu infini.

PEINTURE INTÉRIEURE
Aller vers la peinture intérieure : mettre au monde le tableau intérieur que nous portons en nous – que nous peignons depuis toujours et pour toujours au fond de nous. La plupart du temps sans le savoir ni le voir.

PENSÉE POSITIVE
Se voir meilleur qu’on n’est, c’est la pire façon de ne pas s’accepter tel qu’on est. Si nous voulons devenir meilleurs, commençons par reconnaître ce qu’il y a de mauvais en nous. Je me demande toujours quelles tares, peurs paniques tente de dissimuler une excessive confiance en soi. Y compris quand je me laisse aller à mon optimisme naturel me concernant !

PÉREMPTION
Un des exemples les plus ahurissants de la confusion mentale gravissime qui embrume actuellement les cerveaux désaffectés de mes compatriotes concerne les poursuites correctionnelles qui atteignent enfin l’un des pires escrocs politiques d’une époque pourtant foisonnante en malandrins sans foi ni loi.
Chirac, puisqu’il s’agit de ce parrain retraité aussi dépourvu de sens moral que de vision politique (sauf à appeler politique les tripatouillages minables, les magouilles sordides et les ignobles coups tordus dont il s’était fait une spécialité), Chirac, donc, ne devrait pas rendre de comptes à la justice, sous prétexte que les affaires concernées sont trop anciennes.
D’une part, lesdites affaires ne ressortent si tardivement que du fait qu’une loi est venue fort à propos éviter au président de l’époque toute mise en cause pendant toute la durée de son mandat ; il faut donc un sacré culot pour venir dire que l’affaire est trop ancienne quand une loi providentielle a permis de suspendre les poursuites pendant des années !
Et puis qu’est-ce que c’est que cette façon d’instrumentaliser le temps qui passe pour en faire une gomme à effacer les méfaits ?
En somme, le passage du temps effacerait les fautes, si bien qu’il suffirait de faire traîner suffisamment les choses pour échapper aux conséquences de ses actes. On parle ici, non de fautes vénielles accidentelles, mais de délits répétés et planifiés en toute connaissance de cause, délits mettant en cause non seulement les valeurs républicaines mais la notion même de démocratie.
Car Jacques Chirac n’est pas seulement un politicien marron, il s’est constamment et joyeusement assis sur les principes qui figurent en tête de la constitution d’une république qu’il a déshonorée par sa seule présence à sa tête. Il n’est que normal qu’il ait à répondre d’au moins une partie de ses fautes, la partie émergée de l’iceberg…
On marche un peu beaucoup sur la tête, ces temps-ci, au beau pays de France ! Il y aurait donc une date de péremption pour les crimes de sang-froid, mais une rétention de sûreté pour les crimes pulsionnels. J’avoue mal comprendre la subtilité casuistique des raisonnements de beaucoup de mes contemporains, dont ils semblent très fiers, et qui me paraissent singulièrement pervers et destructeurs de tout contrat social. Je renifle sous ces indulgences suspectes une assez répugnante odeur de pourriture morale, et la sordide complicité d’une société à la dérive dont beaucoup des membres ont perdu non seulement tout sens moral mais encore la plus élémentaire pudeur.

PERFECTION (esprit de)
« L’esprit de perfection », tel est le beau titre du petit livre de Georges Roditi que j’ai toujours envie d’offrir à celles de mes connaissances qui semblent croire que la réussite d’une vie se mesure à l’avoir plus qu’à l’être, et au pouvoir qu’on a exercé plutôt qu’à ce qu’on a tenté de créer.
Georges Roditi était l’homme d’un seul livre, qu’il remaniait inlassablement au fil des rééditions et à la lumière des conversations qu’il avait avec quelques-uns de ses lecteurs, pour le rendre toujours plus limpide et plus pur. Son message était beaucoup trop clair pour être entendu par une époque avide de confusion. Il est plus actuel que jamais, car si les vérités simples ne sont pas bonnes à dire aux yeux des élites, c’est parce qu’elles font apparaître dans la lumière crue de l’évidence le mensonge que dissimulent les commodes complexités dont elles se gargarisent pour tenir les citoyens à l’écart non seulement du pouvoir politique, mais du pouvoir sur soi-même qui est la visée de toute conscience digne de ce nom.

PERPLEXITÉ
Tiens, pour une fois, j’ai envie d’être drôle.
Problème : le monde est devenu si triste que je ne sais plus comment on fait.

PETIT GARÇON
J’ai beau savoir que je vieillis, me le dire et en avertir autrui, qui n’a guère besoin de moi pour s’en douter, je me perçois encore et toujours comme le petit garçon que je n’ai jamais cessé d’être. Nous sommes sans doute si convaincus de la permanence de notre conscience que nous ne pouvons nous envisager et nous percevoir que comme étant nous-même du début à la fin, et donc jamais comme un vieillard, mais comme un homme pour toujours très jeune.

PEUR
Ils ont raison, les salauds, de n’avoir pas peur des imbéciles ; c’est qu’on reconnaît les imbéciles à ce qu’ils n’ont peur des salauds qu’après coup. Précoce, la peur les aiderait à se défendre, tardive elle les paralyse.

PLACEMENT
Entretenir son désespoir, c’est à peu près aussi risqué que de placer en bourse de l’argent dont on n’a pas besoin. Il faut jouir de beaucoup de liberté pour avoir celle de se désespérer.

POLÉMIQUE
On dirait que le mot « polémique » est devenu un gros mot. Polémiquer serait une faute de goût, une preuve de mauvaise éducation, un déni d’intelligence.
La polémique serait inefficace, stérile, contre-productive.
Je n’en crois rien. Refuser la polémique, c’est avouer qu’on n’ose plus se battre pour ce en quoi on croit, c’est admettre qu’on manque de conviction. Ce refus de débattre à fond est très représentatif d’une époque où plutôt que de dire les choses en face on préfère tricher et manipuler.
La bourgeoisie a toujours tenté de faire croire à ceux qu’elle opprime que sortir des clous de la correction, du raisonnement, de la démonstration serait un crime.
La bourgeoisie a peur de la polémique, qui en dévoilant son hypocrisie et sa violence feutrée l’oblige à sortir du bois. Toutes les élites condamnent la polémique, quitte à la pratiquer sous des formes insidieuses et perverses. La polémique déplaît parce qu’elle lève les masques.
On déteste la violence verbale ouverte, tout en s’accommodant très bien du harcèlement moral et en conduisant les « faibles » au suicide et les enfants à l’avion. Tortueux et hypocrites, les intellectuels contemporains suscitent légitimement le dégoût.
Nous vivons dans un régime dont la violence est inouïe, et il faudrait ne pas polémiquer avec lui ? Notre époque ne fait semblant de refuser la violence que pour mieux assouvir sa cruauté. Elle est d’autant plus lâche que sa sensiblerie affichée cache une cruauté qui va jusqu’au sadisme.
Le rôle de la polémique, c’est d’arracher les masques, d’écarter par une saine colère les rideaux de fumée.
Il n’est pas bon que les êtres humains se veuillent meilleurs qu’ils ne sont.

POTACHES
La plupart des potaches se réfugient dans la légèreté lourdingue qui caractérise les adolescents attardés parce qu’ils n’osent pas se prendre aussi au sérieux qu’ils le voudraient, ne serait-ce que parce que cela les obligerait à mettre leurs actes en rapports avec leurs idées.
Le potachisme est presque toujours une fuite en arrière, en vue de s’épargner une révolte qui pourrait s’avérer coûteuse et qui ébranlerait de toute façon le confort intellectuel auquel il contribue.
Reste qu’assumé à fond le potachisme peut prendre une dimension carnavalesque et bouffonne joyeusement décapante et finalement nécessaire. Un certain Dejaeger en a donné de bien beaux exemples dans son jouissif « Lexique d’anthropoclastie ».

PRÉCISION
Elle est capitale, la précision du langage, et pas seulement en droit. L’impropriété mène au chaos. C’est ainsi que les grands patrons actuels confondent depuis quelques décennies capitaine d’industrie et chevalier d’industrie – deux expressions qui ne sont nullement synonymes…

PRENDRE
Qu’on dise qu’un homme prend une femme quand il la pénètre m’a toujours surpris comme une idée incongrue, un fantasme assez puéril ou une franche incompréhension du rapport sexuel. Prendre, c’est se donner ; être prise, c’est recevoir. Il me semble avoir compris très tôt qu’en amour, prendre, c’est être pris, être prise c’est prendre. Si je prends c’est pour mieux me donner ; si elle se donne, c’est pour mieux recevoir.

PROJECTION
En matière de racisme, comme pour à peu près tout, c’est très souvent celui qui le dit qui y est. Nous avons tous une étonnante propension à reprocher à autrui des défauts dont nous nous accommodons très bien pour notre compte, parce que nous savons parfaitement nous les déguiser.

PSYCHANALYSE
Je n’ai rien contre la psychanalyse, mais la présenter comme une science, alors qu’elle n’en aucune des caractéristiques, constitue un abus de langage aussi manifeste que scandaleux, et une tromperie sur la marchandise de nature à affaiblir sa position bien plus qu’à la renforcer.
Plus généralement, il convient de rappeler en toute occasion qu’au même titre que la dénomination usurpée de « sciences économiques », l’expression « sciences humaines » constitue un redoutable oxymore…

PUNITION
Refuser toute punition est absurde. Accepter l’idée qu’il puisse y avoir punition c’est reconnaître que l’on est responsable de ses actes et qu’il est légitime qu’ils entraînent des conséquences. Un tort commis appelle réparation. Une punition doit être intelligente, sous peine de devenir une brimade ; on n’est plus alors dans la rétribution par la justice, mais dans un rapport de forces imposé par un pouvoir.
Si quels que soient tes actes tu peux échapper à leurs conséquences, il n’y a aucune raison que tu ne fasses pas n’importe quoi. Il est impossible d’éduquer qui que ce soit sans donner des repères précis en matière de responsabilité. Dans tous les domaines et quel que soit le niveau social, l’impunité rend impossible la vie en société.

RADOTAGE
D’aucuns diront que je me répète, que je tourne en rond. Ils auront raison. Je tourne en rond autour de certaines idées capitales, de certaines valeurs essentielles, de certains principes fondateurs, pour tenter de mieux les cerner, et de les rappeler à notre stupéfiante indifférence, à notre désastreuse passivité devant leur destruction progressive par les hommes de pouvoir et de profit.

RECULER
Les débrouillards reculent pour mieux sauter. Les prudents, plus sages, reculent pour mieux ne pas sauter.

REGARD
Ce qui pour moi compte en peinture, c’est ce que j’appellerai faute de mieux la qualité du regard. Les peintres que j’aime, Carpaccio, Bellini, Botticelli, Vermeer, Friedrich, Turner, Van Gogh, ont en commun une extraordinaire qualité de regard.

REPÈRES (perte de)
On ne peut qu’être épaté par l’infernal toupet des VIPs actuels. Naïvement, à chaque nouvelle escalade, on se dit : « Ça y est, le comble est atteint, impossible d’aller plus loin… »
Et chaque fois on se trompe.
Il est des signes qui ne trompent pas. Tout indique que les « élites » cooptées actuelles ont définitivement perdu les pédales. Grisées par le pouvoir, droguées par le fric, encouragées par l’impunité, elles se croient affranchies de tout devoir moral alors qu’elles ont simplement perdu tout repère en même temps que toute dignité.
À la fois irresponsables et criminelles, elles s’étonnent d’un pourrissement sociétal dont elles sont la cause et la conséquence, et qu’elles ne cessent d’encourager par l’exemple.
On n’en finirait pas de citer les dérapages consternants qui montrent l’incroyable inconscience et l’ahurissante stupidité des people – à un tel degré d’insanité on n’ose croire que le cynisme soit tout à fait conscient.
Parachutes dorés et retraites chapeaux, Didier Lombard et la mode du suicide et la pêche aux moules, Frédéric Mitterand et le tourisme sexuel, Polanski et le deux poids deux mesures, Martin Hirsch et l’idée de payer les élèves qui daignent faire acte de présence, l’imposition des indemnités pour accident du travail et le bouclier fiscal. Perte du sens moral, perte de la langue, la décomposition s’opère aussi vite que le réchauffement : nous vivons l’apocalypse d’une civilisation.
Le commun dénominateur est bien évidemment le règne du fric, l’argent roi.
Voir CORRUPTION

RESPECT
Le problème, ce n’est pas que « les gens ne respectent plus rien », c’est qu’ils ne se respectent plus. Logique : la plupart d’entre nous exigent un respect qu’ils refusent de se donner la peine de mériter.

RÊVE
Mes obsessions, comme de juste, me poursuivent jusque dans mes rêves, où elles se frayent parfois d’assez réjouissants chemins : c’est ainsi que l’autre jour, à l’aube, ma petite sœur par deux fois me présentait des « œuvres d’art » qui lui plaisaient, qu’elles trouvaient intéressantes. À mes yeux, elles étaient habiles mais inhabitées ; les deux fois, je faisais donc la moue et disais : « Non, ça ne m’intéresse pas beaucoup », ce qui avait naturellement le don de l’agacer…
La seconde fois, il s’agissait d’un buvard sur lequel une feuille de papier ivoire était reproduite une trentaine de fois, réduite à la taille d’un très petit timbre-poste, créant ainsi une sorte de damier dont les cases ne se toucheraient pas. Parfaitement lisse au départ, cette feuille minuscule était un peu plus froissée à chaque fois, tout en gardant à peu près sa forme rectangulaire.
Manifestement, le créateur, l’artiste, avait voulu évoquer par ce symbole aussi subtil que puissant le passage irréversible du temps et donner un foudroyant résumé, non seulement de la condition humaine, mais du destin universel.
Faut-il que je sois béotien pour avoir trouvé que ce chef-d’œuvre n’était qu’une triste daube !
Ma seule excuse est que c’était en rêve, et chacun sait que l’inconscient manque totalement de discernement en matière de symbolique…

RÊVEUR
J’ai toujours été un grand rêveur. Par exemple, je voudrais que tout le monde m’aime, et tout le temps, alors que je n’aime pas tout le monde, tant s’en faut, et personne en permanence. C’est dire combien je reste humain, et indécrottablement humain moyen.

RÉVOLTE (préventive)
Si j’étais absolument sûr d’être capable de résister à une autorité illégitime, je serais moins prompt à me révolter.
Mais je ne sais que trop combien notre détermination à tous est fragile…

RONIS
Je n’aime pas les stars et n’ai aucune envie de les rencontrer. Ça tombe bien : Ronis n’en était pas une. S’il y a une vie après la vie, j’espère avoir un jour la chance de le rencontrer, ne serait-ce que cinq minutes. C’est un des rares êtres dont je pourrais dire qu’il m’a rendu meilleur.
Depuis toujours ses photos m’épatent et m’enchantent : Ronis, c’est la simplicité dans la perfection, la perfection atteinte à travers la simplicité. Une sorte de Vermeer de la photo, un des très rares photographes qui soit réellement un artiste.
Ronis ne fait pas dans l’effet, mais ses photos sont toujours d’une incroyable justesse.
Je suis heureux qu’on n’ait pas attendu sa mort pour commencer à lui rendre justice.

RUPTURE
Rupture, la tentative de régression tous azimuts qui constitue la seule logique guidant les choix politiques de Sarkozy ? Marche arrière toute, oui ! Et si rupture il y a, c’est avec les principes et les progrès qui donnaient un sens, si précaire soit-il, à la république française et à ses tentatives pour établir un régime démocratique.

SACRIFICES
Le bonheur ne se conquiert pas à coup de sacrifices, que ce soit en se sacrifiant ou en sacrifiant autrui. L’effort et le don de soi ne sont pas des sacrifices, mais des plaisirs suffisamment égoïstes pour porter de vrais fruits. Les sacrifices ne donnent jamais que des fruits secs, aussi amers pour eux qui les font que pour ceux qui en profitent.

SCIENCE
Les tenants de la science mécaniste qui pensent que la technologie peut constituer la solution au problème que pose à l’humanité le fait que son développement a atteint une sorte de masse critique sont de véritables dangers publics. Tout en encourageant notre tendance à la bonne conscience, ils favorisent notre propension à jouer les autruches. La fuite en avant scientifique, comme le prouvent les « progrès » des deux cents dernières années, pose au moins autant de problèmes qu’elle n’en résout.
D’une façon générale, la philosophie des lumières, philosophie de citadins ayant peu à peu perdu tout contact avec la réalité du biocosme, est éminemment dangereuse par son goût immodéré pour ce que j’appellerais le volontarisme abstrait. Les lumières, ce n’est pas le règne de la raison, mais la dictature du rationalisme, c’est la naissance de l’idéologie triomphante et de l’anthropocentrisme délirant. Le début de beaucoup de belles et bonnes choses certes, mais aussi le commencement de l’horreur systématique. Rien de plus rigoureusement rationnel que la solution finale…
Les Lumières, un début ? Oui, le début de la fin. Les Lumières ont tué l’humanisme, ravagé la planète et rendu l’humanité schizophrène.
Ce qui reste de la philosophie des lumières aujourd’hui, c’est la venimeuse connerie d’un Philippe Val, la stupide arrogance d’un Claude Allègre, ou le mépris écœurant d’un Didier Lombard.
Voir LUMIÈRES

SOPHISTICATION
Lisant, ou plutôt essayant de lire, Albert Cohen, je constate que, quand elle ne se hisse pas au niveau d’un Proust ou d’un Pessoa, la sophistication est presque toujours profondément ennuyeuse. C’est que la plupart des êtres sophistiqués sont avant tout des gens qui s’ennuient, et que pour s’ennuyer dans l’existence qui nous est offerte, il faut être essentiellement superficiel. D’où ces laborieuses tentatives de légèreté, d’où ces interminables bavardages qui tentent assez vainement de dissimuler un dérisoire vide existentiel.
Même en littérature, les séducteurs manquent d’amour, et ça se lit.
Si nous voulons réellement être à la fête, allons au fait.
Voir COHEN (Albert)

SOPHISTICATION
Dans un registre différent, le dernier film de Tarantino me laisse sur un singulier malaise. Brillant et intelligent (ça ne va pas toujours ensemble, heureusement…) durant près de deux heures, il tourne au grand-guignol dans la dernière demi-heure. Il y a quelque chose de malsain dans cette fiction qui s’exhibe comme telle et finit par prendre si lourdement les choses à la légère que non seulement on n’y croit plus, mais on n’a plus envie d’y croire.
C’est que le cinéaste semble encore plus manipulateur que son réjouissant bourreau, et seulement pour le « fun », ce qui à la longue n’est franchement pas drôle.
Tarantino a beaucoup de talent, mais à quoi sert-il ? Voilà un film qui ajoute à l’universelle confusion des valeurs. Le jeu n’est pas la vie, et la guerre n’est pas une partie de poker. La dérision ambiguë de ce film très bien ficelé me gêne en ce qu’elle exprime parfaitement la vacuité du regard que notre époque porte non seulement sur elle-même mais sur celles qui l’ont précédée.
Ce qui me fait peur, c’est que les clichés complaisants qui nourrissent "Inglorious basterds" me semblent relever de la redoutable mode actuelle qui consiste à envisager l’histoire comme un réservoir où puiser pour colorier le storytelling dominant. Car, n’en déplaise aux exégètes cathos décoincés de Télérama, il pue sérieusement, le rapport à l’histoire de cette BD trash qui sous prétexte de condamner la guerre et ses horreurs renvoie pratiquement dos à dos tous les protagonistes…
Comme si tout vider de son sens était devenu le seul moyen de rendre un sens à cette vie de fous que nous nous acharnons à mener.
Voir SUPPLÉMENT (d’âme)

STORYTELLING
J’aime raconter des histoires, mais je n’aime pas qu’on me raconte des histoires.

STYLE (figures de)
Utilisées trop consciemment, les figures de style se réduisent à elles-mêmes, c’est à dire à l’effet qu’elles produisent, indépendamment de ce qu’elles pourraient signifier. Devenues systématiques, elles ne font plus image, et leur usage mécanique leur fait perdre la force que l’émotion qui les produit pouvait engendrer.
Dans tous les arts, le truc n’est pas seulement une facilité, mais une tricherie.

SUPPLÉMENT (d’âme)
Un art qui ne s’intéresse qu’à la forme ou à l’idée engendre vite l’ennui. Livrées à elles-mêmes, ni la forme ni l’idée n’apportent jamais ce supplément d’âme qui confère à l’art son mystère et constitue selon moi sa véritable raison d’être. Je n’ai rien contre les recherches formelles, mais si exigeantes soient-elles, elles ne suffisent pas pour atteindre la transcendance. Quand l’intelligence ne débouche pas sur l’émotion, elle n’est qu’une habile masturbation : laquelle, même réussie, ne donne qu’une bien pauvre idée de l’orgasme. Ersatz, fausse monnaie !
Voir ART CONTEMPORAIN et TARANTINO

SURVIVANCE
Ce soir, la lune croissante, à demi pleine, s’auréolait d’une mince écharpe de nuages où jouaient les couleurs irisées d’un halo à peine visible.
Impossible de ne pas revoir aussitôt « Le Halo », ce grand tableau de mon arrière-grand-père Adrien Demont. La similitude est frappante, le peintre a juste éclairé le paysage un peu plus que ne le fait en réalité la lune.
Et je dis tout à coup à ce ciel que la peinture me rend plus proche et plus familier sans en diminuer l’immensité, et où flotte, au moins pour moi, le souvenir de mon ancêtre : « Je ne sais pas si tu es ou si tu n’es plus, mais tu es, et cela m’aide à être à mon tour. »

SYSTÈME (esprit de)
Rien de plus bête que l’optimisme systématique !
Si : le pessimisme systématique.
Cioran semble parfois n’être venu au monde que pour en témoigner.

TAPPEL
Il est des réputations injustifiées. On dit la justice conservatrice. Elle n’est pourtant pas fermée à l’innovation, même la plus audacieuse, si j’en juge par ce que j’entends dire à une envoyée spéciale de France 2, Stéphanie je ne sais qui, à propos de l’affaire Polanski : « Ses avocats pourraient faire tappel ». De mon temps, on pouvait seulement faire appel. Il est bon que comme toute chose les langues évoluent ; mais je ne trouverais pas mauvais que les journalistes missent en pratique cette vieille recommandation parentale qui revenait comme une rengaine chaque fois que nous abusions de la parole : « Tourne sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler. »
Si la charmante Stéphanie veut que je lui pardonne cet écart de langage, qu’elle se garde de faire tappel à mon indulgence !

TÉMOIGNER
On ne peut témoigner que de ce qu’on est, pas de ce qu’on voudrait être, et encore moins de ce que les autres voudraient qu’on soit. C’est pourquoi il y a tant de faux témoins.

TESTS
Il serait grand temps d’instituer pour les candidats à des fonctions électives des tests de QI et de santé mentale, ainsi qu’une épreuve de français obligatoire. On éviterait ainsi de voir parader dans les allées du pouvoir d’incroyables badernes, les Estrosi, les Lefebvre, et tant d’autres.

THÉÂTRE
Ce n’est pas pour le cinéma qu’on fait autour que j’ai aimé le théâtre, mais parce que vrai ou faux, tout s’y montre à nu. Toute la mythification qui l’entoure ne sert qu’à faire oublier ce terrible et exaltant moment de vérité qui jaillit du vrai théâtre. Ce qui fait peur dans le théâtre, ce n’est pas qu’il soit illusion, c’est que, réussie, cette illusion devient un instant plus vraie que la réalité.

TITIS (gros)
Elle arborait une superbe paire de ces seins majestueux qui inspirent le respect – et l’envie d’en manquer. Tant, si souvent, ils nous manquent.

VALSE HÉSITATION
J’ai parfois de parfaites envies de suicide. Mais en même temps, c’est trop beau, je ne veux rien louper. En Ubaye, presque tous les matins, le monde a l’air de renaître. Ce n’est donc jamais le moment de s’en aller.

VERT
Je me suis toujours demandé pourquoi le théâtre a horreur du vert, couleur que j’aime autant que toutes les autres. Est-ce parce que le vert rappelle forcément la nature et que la nature n’a pas sa place au théâtre, qui est tout artifice ?

VIEILLIR
Je n’ai aucune envie d’entrer en compétition avec le jeune homme que j’étais il y a quarante ans. Bien vieillir, c’est savoir qu’on a tout à perdre à vouloir rester le même et beaucoup à gagner à se voir comme on est.

VIEUX CON
Ce qui peut sauver les vieux cons, c’est de garder leurs idées de jeunes cons. Ça compense la panse.

VIOLENCE
Ivan Levaï a beau jouer à l’humaniste, il reste à mes yeux un bel exemple de la violence feutrée des bourgeoisies élitistes et de leurs hérauts, toujours prompts à se réclamer de valeurs qu’ils se gardent bien de pratiquer, et à dénoncer ceux qui ne les pratiquent pas comme il leur convient, c’est à dire à leur service exclusif.
Il y a chez ce journaliste un peu blet un côté benoîtement ignoble qui me rappelle irrésistiblement l’onctueuse férocité des pharisiens si justement dénoncée par un certain Jésus…
Le plus effrayant chez ces élites qui n’en sont pas, c’est leur tranquille bonne conscience, cette espèce de certitude que le bon droit est toujours de leur côté – ce qui n’est que normal, puisqu’à leurs yeux le droit se confond automatiquement avec leurs intérêts privés.
Noyer le poisson avec bonhomie, c’est à quoi s’entend Ivan Levaï.

VIOLEUR
J’ai toujours eu bien trop d’amour-propre pour violer qui que ce soit. Rien de plus humiliant que de forcer la main à quelqu’un.

VOLONTARISME
Le pessimisme méthodique me paraît valoir bien mieux que l’optimisme volontariste, ne serait-ce que parce que pour résoudre les problèmes que nous rencontrons, la première chose à faire consiste à en prendre conscience et à ne pas les nier ni les minimiser.
La pensée positive est un de ces doux euphémismes dont notre civilisation portée aux vapeurs s’est fait une spécialité ; ce que les optimistes décorent de ce nom flatteur, c’est notre incoercible propension à jouer les autruches dès que la réalité ne comble pas nos vœux les plus irrationnels.
Dénoncer les pessimistes et refuser de prendre en compte leurs analyses comme l’ont fait tant de bonnes âmes au nom d’un volontarisme obtus, c’est en fin de compte prendre le parti des maffieux de tout poil en aidant les peuples à s’aveugler, et c’est accélérer la catastrophe en cours tout en contribuant à empêcher de l’atténuer autant que faire se peut.
Admettre enfin que nous sommes en plein désastre serait notre seule chance de limiter un peu les dégâts et d’essayer de nous en sortir, étant bien entendu que l’issue ne dépend plus réellement de nous, mais de notre biosphère, qui a repris la main et fera le nécessaire pour retrouver un équilibre que nous avons réussi à lui faire perdre, et que nous sommes incapables de lui rendre.
Grâce notamment à notre volontarisme et à notre inoxydable optimisme, nos contradictions sont devenues insolubles. Nous sommes désormais trop nombreux et avons trop de pouvoir pour que la mise en œuvre permanente de contradictions toujours plus schizophréniques ne soit pas obligatoirement autodestructrice.
Ce qui me rend pessimiste, c’est précisément le fait que j’ai des enfants, que je les aime et que malgré nos cris d’alarme pourtant fondés, on nos a accusé depuis trente ans de jouer les Cassandre, oubliant que si les troyens avaient écouté cette visionnaire, ils auraient sauvé leur cité.
Un optimiste dépourvu de lucidité, ce n’est jamais qu’un imbécile. Au jour d’aujourd’hui, il faut manquer singulièrement de lucidité pour être optimiste.

VULGARITÉ (comble de la)
Rien n’est plus proche de la vulgarité que le raffinement. Suffit qu’il devienne excessif. C’est sa pente naturelle.

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