Devant l’obstacle, nous avons parfois envie de sortir notre joker, de passer notre tour.
Au dernier moment, nous refusons de nous brûler. Et nous perdons la flamme qui nous ferait décoller. Faisant d’un excellent musicien, d’un brillant comédien, un véritable interprète. Qui ne répète plus, mais recrée. C’est le coup de la montgolfière : elle ne peut voler que grâce à l’air brûlant de son foyer.
Trouver l’envie et le plaisir d’aller même là où ça peut faire un peu mal, afin d’être vraiment bien. Entre la créativité et la création, il y a la même distance qu’entre le plaisir et le bonheur. Se révéler est plus intéressant que s’amuser, et c’est finalement beaucoup plus amusant.
C’est toute l’histoire du flapin et du rageur : le flapin fait ce qu’il sait faire, ce qui marche, il se repose sur ses trucs et se fait plaisir, le rageur ne se contente pas de ce qu’il sait faire, il veut faire ce qu’il ne sait pas encore faire. L’un veut (se) plaire, l’autre veut (se) découvrir.
Au bout des épines, il y a la rose ! Les fleurs artificielles sont sans épines, mais aussi sans parfum.
La créativité ne fait que passer, la création tend à durer. La créativité séduit, la création partage.
La créativité fait passer le temps, la création engendre de la vie.
Tant que nous ne prenons pas le risque de flamber de l’intérieur et de laisser sortir cette flamme à l’extérieur, de la partager, nous ne donnons ni flamme, ni lumière ni chaleur, nous faisons de la fumée, une jolie petite fumée vite dissipée, mais qui, comme le voulait notre paresseux ego, masque notre âme et sa capacité à créer. Pascal appelait cela le divertissement…
Ne serait-il pas dommage que notre Joker soit le seul Clown que nous sortions de notre jeu ?
Il est bon que nous disposions d’un joker. À condition qu’il ne finisse pas par disposer de nous ! S’il devient permanent, s’il est le moyen pour notre ego de ne jamais se mettre en question, il ne nous protège plus, il nous emprisonne. L’ego dit à l’âme : « Pas question que tu sortes, tu mets en danger mon image, l’essentiel est risqué, c’est l’inconnu, contentons-nous du confort bien connu de l’accessoire… »
Quand nous commençons à jouer, à écrire, à peindre, nous repartons toujours de zéro. Même si nous sommes des virtuoses de notre art, à chaque fois nous repartons de zéro. Pire, plus nous maîtrisons notre technique, plus nous devons vivre ce redoutable paradoxe de découvrir sans cesse que, depuis le sommet que nous avons atteint, nous repartons à nouveau de zéro. Ça devient fatigant à la longue, et c’est pourquoi il est parfois nécessaire de sortir de notre manche un reposant Joker. Mais il faut aussi savoir le rentrer dans sa boîte, ce Joker si tentant, parce qu’autrement, nous ne faisons plus rien… que nous répéter !
Se sentir libre est essentiel, prendre la liberté de se libérer l’est tout autant.
Plus nous souhaitons donner vie à notre rageur, à cet élan en nous que Michaux nomme Clown, plus nous voulons libérer et exercer notre âme créatrice, plus forts sont les enjeux et les craintes qu’ils suscitent, et par conséquent plus grande la tentation d’utiliser notre Joker…
Le seul moyen de conjurer nos peurs, c’est d’aller voir là où on a peur, et de quoi on a peur.
Ayant vécu nos peurs, nous ne les laissons plus nous empêcher de faire ce que nous voulons faire, nous empêcher de réaliser nos rêves. La peur nous empêche d’être pleinement nous-mêmes. Mais nous pouvons aussi nous servir d’elle pour devenir nous-mêmes. La peur peut être un moteur, et nous savons bien que le stress, le trac, sont des moteurs indispensables.
Nous ne supportons pas d’être contraints, et nous avons raison. Mais qui nous contraint plus que nous-mêmes ?
Nous avons à tout instant le choix d’être libres.