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lundi 30 novembre 2009

REMARQUES EN PASSANT 21


Sein de neige © Sagault 2009

ACCORD
Il y a une chose que nos gouvernants font encore plus souvent que de signer à tout bout de champ des accords avec lesquels nul, y compris eux-mêmes, n’est d’accord, et que par voie de conséquence nul ne respectera : ce sont les fautes d’accord.
J’entendais ainsi l’autre jour le sémillant Christian Estrosi, ministre de son état, écorcher allègrement le français (pas les français, nous n’en sommes pas encore là) : « une situation des finances de l’état qui font que… »
Comment pourrions-nous respecter des politiques qui ne respectent aucun accord, pas même celui du verbe avec son sujet ?

ADMIRATION
M’étonne toujours l’étrange admiration de la plupart de mes congénères pour tout ce qui est malsain.

ADMIRATION
Je suis plein d’admiration pour le courage que montrent les êtres humains qui m’entourent. Dans la catastrophe, ils continuent à vivre comme si rien ne se passait, comme si tout était normal. Ils consomment, discutent, parlent gravement de croissance, de laïcité, discourent doctement de la civilisation judéo-chrétienne et des différences doctrinales et psychosociologiques entre ses diverses branches, ou évoquent avec une sorte d’envie l’irrésistible essor de la Chine et notre inéluctable décadence si nous autres français ne nous mettons pas enfin au travail.
Il en faut, du courage, pour parvenir à se voiler si complètement la face et continuer à brasser du vent tout en faisant semblant de croire que rien n’a changé et que tout va continuer à l’infini comme avant…

ADMIRATION
Je ne peux admirer que ceux qui sont capables de faire des choses dont je me sais incapable. Ça fait beaucoup de monde.

ADORATION
Il y a dans le fait d’adorer quelque chose ou quelqu’un une nuance d’inconditionnalité qui m’a toujours mis mal à l’aise. L’adoration me semble incompatible avec l’intelligence, parce qu’en communiant avec son objet elle perd toute distance. Sans recul, pas d’esprit critique, et sans esprit critique, pas de jugement, donc pas de choix possible. L’adoration est un voyage sans retour, d’où la violence des adorateurs déçus.
D’un autre côté, l’adoration, si elle ne perd pas la tête, a l’immense mérite d’impliquer le corps tout entier, de mobiliser tout l’être, et de permettre une forme de fusion qui transcende l’observation en parvenant à la contemplation. Si elle ne se dissout pas dans son objet, l’adoration devient compréhension. Elle reçoit alors autant qu’elle donne.
L’adoration ne peut être à sens unique, la vraie adoration exige l’échange.
C’est en quoi Hugo a tort quand il dit : « J’admire tout comme une brute », donnant par là la mesure de son singulier génie – en creux comme en plein, en ouverture d’esprit comme en opportunisme.

ADULTE
On reconnaît un véritable adulte à ce qu’il a compris qu’il ne sera jamais qu’un enfant. Et agit en conséquence…
Je n’en ai connu que très peu, et n’ai toujours pas l’impression d’en voir un dans mon miroir.

AIMER
On aime comme on peut. Mais on aime. On aime toujours, même quand on croit haïr.
Voir HAINE

AIMER
J’essaye de ne pas tenter de séduire les gens que j’ai envie d’aimer. Pas par jansénisme, par calcul. La séduction est un obstacle à l’amour.

AMBASSADEUR
Bernadette regarde « 66 minutes » sur M6. Je suis pendant cinq minutes le portrait du nouvel ambassadeur de France en Irak, superbe prototype de tête à claques, aussi inculte et vulgaire que son maître, vide et avide à l’image du pauvre type dont il est le clone. Ce qui me terrifie, c’est que ce rachitique amateur de pompes est aussi représentatif de la génération de zombies analphabètes et invertébrés engendrée par nos détestables trente glorieuses que son mentor. Et mérite donc pleinement d’être son ambassadeur…

AMBITION
Une de mes grandes ambitions d’indécrottable romantique : réconcilier le figuratif et l’abstrait. Rien que ça !

AQUARELLE
J’entends toujours dire que l’aquarelle, c’est très difficile.
Ce qui me semble très difficile avec l’aquarelle, c’est de faire de la peinture. La plupart des aquarellistes se contentent de faire de l’aquarelle. Quand on regarde ce qu’ils font, ce qui saute aux yeux, ce n’est pas la peinture, c’est l’aquarelle.
Avec l’aquarelle, Turner faisait de la peinture.
On peut faire le même reproche à beaucoup de peintres à l’huile : quand on regarde leurs tableaux, on nage dans l’huile. Pourtant la peinture à l’huile n’est pas destinée à la friture, ni à faire de la glace ou du pâté, mais à faire de la peinture.
Je veux dire qu’idéalement, quand on regarde un tableau, on ne devrait pas penser en premier lieu à la technique utilisée, mais voir de la peinture. Si on voit de l’eau ou de l’huile, c’est que la mayonnaise n’a pas vraiment pris, c’est que le tableau, davantage que l’œuvre d’un peintre, est celle d’un cuisinier, voire d’un gâte-sauce.

AQUARELLE
Mon choix de l’aquarelle est un choix écologique. Tout comme mon choix d’un sujet unique. Il va dans le sens d’un refus du toujours plus et du toujours nouveau. Je récuse l’idée que la transgression serait la seule démarche de création possible.

ART ?
Chez des amis, certains jouets et artefacts rapportés d’Inde me donnent à penser. L’art ne vient-il pas mieux quand on ne le cherche pas ? L’artisan rencontre l’art presque fortuitement, parce qu’il a créé avec amour, non parce qu’il a cherché à faire de l’art. Ce qui s’ajoute de gratuit à son travail efficace, là est l’art. Cerise sur le gâteau, qui tout à coup en change le goût, opérant la transmutation qui sépare le chef-d’œuvre du travail bien fait.
Est-ce assez dire que le plaisir a rendez-vous avec l’art ? Le plaisir épouse toujours la gratuité, et quoique, comme tout ce qui est gratuit, il coûte cher, il porte en lui-même sa récompense.
Rien n’égale le bonheur de créer. Mais alors, quid des enfants qui tissent des tapis douze heures par jour dans des ateliers sombres et insalubres dont ils sortent à peu près aveugles avant leurs vingt ans, comme c’était le cas au Maroc du temps que j’y vivais ?

ART CONTEMPORAIN
Je trouve étrange et pour tout dire contre nature la réunion des mots « art » et « contemporain ». Elle me semble révélatrice de la confusion permanente si caractéristique de notre époque de créateurs impuissants. Un art digne de ce nom n’est jamais seulement contemporain. L’art véritable d’une façon ou d’une autre touche à l’éternité.
« Art contemporain », voilà bien pour moi le plus vicieux des oxymores ! C’est être trop humble ou trop prétentieux – à côté de la plaque en tout cas. Une recherche de la perfection qui n’est pas, fût-ce inconsciemment, recherche de la transcendance, a toute chance de rester stérile. Si l’art ne divinise pas, il décore. C’est là déroger.
Voir SUPPLÉMENT (d’âme) et TARANTINO

AUTEURS
Ben Hecht haïssait les acteurs. Je hais les auteurs – en connaissance de cause, j’en suis un. Entendu, dans un petit salon du livre joyeusement ringard, deux auteurs partant déjeuner aux frais de la princesse, s’exclamer : « Aujourd’hui on repère, demain on vend ! »
Qui a dit que j’étais violent ? Je me suis contenté de ne pas manger avec eux.
Tout le monde publie désormais. C’est trop. Il n’est pas bon que les écrivants supplantent les écrivains, parce qu’il n’est pas vrai que tout le monde ait quelque chose à dire.

AVANCÉE
Grave confusion que celle qui fait prendre toute nouveauté pour une avancée. Entretenue, cette juteuse confusion, par le marketing, dont c’est un des procédés favoris.
Comment remplacer ce qui n’a pas besoin de l’être, et si possible par quelque chose d’identique, mais plus cher, sinon en matraquant sans cesse : Nouveau ! New ! Neu !
Proust était une avancée, le nouveau roman n’était qu’une nouveauté…

BAISE
Une vieille amie toujours charmante me raconte qu’il y a un quart de siècle, pendant le tournage d’un court métrage dont, excusez du peu, j’étais la star, elle a engrangé un souvenir de moi particulièrement frappant : un soir que nous couchions à quelques-uns dans une chambre commune, j’aurais, hilare et les jambes pendant du châlit, professé avec la foi du charbonnier : « Rien de tel qu’une bonne baise ! »
Je connais pire message à adresser au monde.
Mais je ne me croyais pas tant de bon sens.
Je devais être bourré.

BESOINS
Nos besoins essentiels sont finalement très peu nombreux et relativement faciles à satisfaire. Je suis toujours surpris quand j’entends des gens « raisonnables » s’écrier : « Je ne pourrais pas me passer d’Internet ! »
Ou de la télévision, ou d’une voiture, ou de l’électricité, ou de toute autre invention « indispensable ». Pour vivre, il nous faut de l’air, de l’eau, du feu, et un coin de terre. Tout le reste est divertissement, aurait ajouté Pascal. À juste titre.
Pour vivre nous n’avons besoin que de nous-même, et de quelques autres.

BON SENS
Le bon sens consiste d’abord à admettre que nous sommes bien là. En ce sens, il n’est pas interdit de préférer Churchill à Cioran.

BOURDON
J’aime toujours autant la vie, mais j’ai bien peur qu’elle ne m’aime plus. C’est peut-être tout bêtement le drame de ceux qui vieillissent : ils en veulent encore, de la vie, mais la vie ne veut plus d’eux…

BUKOWSKI
Je n’ai lu que les contes et nouveaux contes de la folie ordinaire. J’ignore tout de sa poésie, et il se peut bien qu’elle soit géniale. Mais pour sa prose, je suis tombé de haut. On m’en avait dit tant de bien, j’allais voir ce que j’allais voir. J’ai surtout vu un vieux con. D’accord, Bukowski fait beaucoup de vent. Mais au bout du compte, ce n’est jamais que du vent. Et les vents de Bukowski ne pètent pas bien haut.
Un côté sous-Fante, un Fante qui n’aurait pas su se dépasser, faute de vrai travail. Dans désespérance il y a rance, et c’est un peu l’effet que me fait Bukowski. Ça vient à peine de sortir, et c’est déjà vieilli. Cette sordidité joyeuse est parfois amusante, parfois presque bouleversante, mais souvent, mais surtout, creuse, plate, vide.
Bukowski, dans ses contes en tout cas, manque d’imagination. Je ne suis pas très intéressé par les écrivains qui vous font vivre une tranche de réalité dont les imbéciles, toujours à l’affût d’une occasion d’étaler en plein jour leur congénitale stupidité, vous disent, épatés, « c’est la réalité », comme s’il y avait une réalité.
Bukowski a du bon sens, il voit assez clair, mais il voit court. Voir le monde à travers le cul des bouteilles, c’est courir le risque d’une philosophie de brèves de comptoir.
Il est bon que certains fassent les poubelles, mais les poubelles ne sont pas la vie. Qui croit que les poubelles sont toute la vie ne connaît tout simplement rien à la vie – refuse de la vivre comme elle est. Fait comme si son regard était le monde – ce que jamais n’est un regard, si perspicace soit-il.
Bukowski ne parle en fait que de lui, parce qu’il refuse toute relation réelle avec autrui. Fante parle de lui et de ceux qui l’entourent, parce qu’entrer en relation est à la fois son souhait le plus cher et ce qui lui est le plus difficile. Fante décrit le raté qu’il aurait pu être, Bukowski met en scène celui qu’il est. Il se regarde écrire, alors que Fante se regarde vivre et vit en même temps – et ça, c’est très fort. Fante, quand il écrit, est à la fois dehors et dedans. Bukowski reste presque toujours dehors, parce que c’est plus facile et que Bukowski est avant tout un paresseux.
Bukowski n’est pas un alchimiste, l’alchimie demande trop de travail : avec de la merde, il fait de la merde. Fante, avec de la merde fait de l’or, et en prime montre que la merde peut devenir de l’or. C’est que Fante a du génie, quand Buk n’a que du talent.
Pour croire au génie de Bukowski, il faut des précieux ridicules comme Sollers, à l’affût de toutes les modes pour tenter d’y faire voler leur dragon poussif, et qui comme Bukowski manquent terriblement d’humour, parce qu’ils se prennent au fond très au sérieux, et d’autant plus qu’ils affectent la légèreté. Sur ces êtres-là, l’humour corrosif de Fante agit comme un décapant.
C’est pour toutes ces raisons et d’autres que je n’aime pas Céline. Chez lui comme chez Bukowski, je retrouve cette coquetterie du dégueulasse qui est la marque de fabrique de l’adolescent qui n’a jamais voulu grandir. Que d’afféterie dans la vulgarité ! Ça amuse cinq minutes, et puis ça lasse.

dimanche 8 novembre 2009

REMARQUES EN PASSANT 20, suite et fin


Beauté de la violence ? Tempête au Cap Gris-Nez, septembre 2009

FOOTBALL
Je dirai plus tard ce que je pense de l’ô combien significatif et exemplaire geste du voyou en chef de l’équipe de la triche et du fric.
Quand la politique et l’économie oublient toute idée de morale, c’est que la pourriture a tourné à la gangrène.
Elle est belle, notre identité nationale…
En attendant, je ne saurais trop recommander la lecture du salubre réquisitoire dont voici le lien :
http://www.marianne2.fr/Comment-le-foot-est-devenu-un-sport-de-voyous_a182851.html

DEVOIR DE RÉSERVE
Un nommé Raoult, scandalisé par la liberté de parole de la dernière Prix Goncourt, demande à Frédéric Mitterrand de rappeler aux primés un « nécessaire devoir de réserve qui va dans le sens d’une plus grande exemplarité et responsabilité ».
On ne savait pas que le nommé Raoult appartînt au jury du prix Goncourt, dont les membres, à défaut d’être toujours de grands écrivains, ne sont généralement pas, contrairement à cet analphabète, incapables d’écrire correctement deux phrases dans leur langue natale. Pour l’honneur de la France, il serait plus important que ce cancre monté en graine et en bedaine écrivît le français que de censurer les écrivains qui contrairement à lui se servent de leur langue pour penser.
Restons sur la réserve : passé un certain niveau d’ânerie, il n’y a plus qu’à tirer l’échelle. Ce bouffon a été ministre…
Mépriser Eric Raoult, c’est encore lui faire trop d’honneur.

IDENTITÉ
On n’a plus le droit de sourire sur les photos d’identité. Obligation de faire la gueule sur les papiers officiels ! Preuve supplémentaire de l’insondable connerie des nuisibles qui nous gouvernent ? Ils devraient savoir qu’à trop vouloir nous identifier les uns les autres nous perdons notre identité. Mais peut-être est-ce là leur but.

IMAGE
Notre époque me semble avoir poussé plus loin que tout autre le souci permanent et obsessionnel du regard d’autrui comme étalon de la valeur de l’individu. La plupart des membres des élites au pouvoir se préoccupent bien davantage de construire leur image que de vivre leur vie. Le piège fonctionne pour presque tous les « starisables », comme en témoigne à mes yeux le tennis où les champions de la vieille école (introvertis à la Edberg ou à la Sampras comme extravertis façon Connors ou Mac Enroe) ont fait place aux « méga-stars » façon Agassi ou Federer, qui contrairement à leurs prédécesseurs sacrifient allègrement, avec la bénédiction intéressée des médias, l’authenticité, spectaculaire ou non, à la communication. Les uns cherchaient à leur manière la perfection, les autres veulent créer un mythe. On a les ambitions qu’on mérite.
Ce souci de l’image n’est pas nouveau, mais il n’a jamais été aussi universellement partagé – « démocratisé », plébiscité. Il constitue désormais une menace mortelle pour l’humanité, par le mélange contre nature de conformisme et d’excès qu’il engendre, et par les frustrations qu’il ne cesse d’alimenter. Recherche de sécurité et mégalomanie se conjuguent en injonctions paradoxales de plus en plus schizophréniques : l’oxymore n’est pas un mode de vie durable.
La communication (ce beau mot, usurpé et dénaturé par les hommes de pouvoir, est devenu un faux ami, un masque hypocrite destiné à cacher la réalité de la manipulation par la publicité et la propagande) triomphe, sous les applaudissements de la foule en délire, hypnotisée. L’image ayant totalement phagocyté la réalité, il n’y a jamais eu autant de temps de cerveau disponible. Pour combien de temps ?
C’est que le règne de l’image n’offre pas à ses sujets que des droits toujours plus étendus. Il exige en échange des sacrifices consentis à la légère dans l’euphorie des illusions consommatrices, sacrifices dont les factures commencent seulement à être présentées, et s’avèrent déjà trop lourdes pour nos moyens. L’extension du domaine des droits s’accompagne en sourdine d’une extension proportionnellement plus grande encore du domaine des devoirs.
Se définir par rapport à une image, c’est déjà entrer dans l’abstraction, c’est se dépouiller de sa réalité en devenant l’esclave de références extérieures constamment réévaluées dont les exigences toujours plus impérieuses nous éloignent toujours davantage de nous-mêmes.
« La liberté, c’est l’esclavage », fait dire Orwell à sa prophétique novlangue. Les libertés que nous avons si imprudemment prises désormais nous enchaînent mieux que toutes nos anciennes contraintes.
Devenues littéralement folles, nos élites n’ont cessé de creuser toujours plus vite depuis les débuts de la révolution industrielle, et particulièrement depuis une trentaine d’années, notre tombe à tous.
Jusqu’au jour où les masses, confrontées au désastre généralisé, folles furieuses de s’être laissé abuser par les faux-semblants triomphants de la stupide fuite en avant technologique, se retourneront contre leurs anciennes idoles, et les piétineront pour mieux replacer l’instant d’après sur leurs piédestaux les nouvelles stars chargées d’incarner la nouvelle image à poursuivre, le nouvel idéal à imposer.
Car l’inconscient collectif ne renonce pas si aisément aux fantasmes qui lui permettent d’éluder notre peur universelle : quand on a enfin déshabillé le pouvoir et que les vieux rois sont nus, vite, vite, en habiller de nouveaux – pour ne pas se voir dans le miroir.
Oui, le roi est nu. Ses sujets aussi.

INCONSCIENCE
Y a des gars, ils sont tellement de bonne foi qu’ils peuvent faire n’importe quoi.
Voir INDÉCENCE

INDÉCENCE
Je suis toujours frappé par l’infernal toupet de certains intellectuels hâtivement décorés du nom de penseurs. La façon dont un Alain Finkielkraut récupère et détourne le superbe concept de « common decency » développé par Orwell est ainsi d’une rare indécence : ce laquais d’un ordre dont le fonctionnement communicationnel est tout proche de celui du gouvernement décrit dans « 1984 » retourne le sens de cette notion avec la même cynique impudeur qui guide la démarche des laveurs de cerveau du terrifiant pouvoir si lucidement décrit par l’auteur d’Animal Farm.
Voir INCONSCIENCE

INDIVIDUALISME
M’inquiète au plus haut point la très à la mode et très paradoxale condamnation de l’individualisme par une société plus élitiste que jamais, et l’exaltation concomitante du collectif et de la « fête ». J’y vois le grand retour des fascismes de droite et de gauche, qui ont toujours joué la masse contre la personne, et déguisé sous le masque commode de l’unanimisme la recherche du pouvoir absolu par une oligarchie désireuse de légitimer sa domination pour mieux la perpétuer.
L’individu n’est certes pas tout, mais nous ne devrions jamais oublier que cette petite partie-là est la raison d’être de l’ensemble. L’humanité n’est pas une fourmilière, et aurait tout perdre à le devenir – à commencer par son humanité !
Quand des people aussi ouvertement cyniques que l’actuel président de la république ou que la patronne en cours du Medef se mettent à évoquer la solidarité avec des trémolos dans la voix, je me demande avec angoisse à quelle sauce « collective » ils ont décidé de manger les appétissants individus que nous sommes…

INTELLIGENCE COLLECTIVE
Je crains que les thuriféraires de l’intelligence collective ne se fassent beaucoup d’illusions sur ses possibilités créatrices, en matière artistique du moins. Il ne faut pas confondre efficacité et création. L’intelligence collective est par nature plus gestionnaire qu’inventive. Elle relève nécessairement du compromis, démarche bien peu favorable à la création.
On le voit clairement dans les groupes artistiques et autres écoles ou mouvements littéraires. S’ils permettent aux novateurs de survivre dans un environnement hostile, voire de lui imposer une présence collective, les individus qui les composent dès qu’ils le peuvent quittent le nid, et le groupe explose à mesure que chacun trouve sa vraie voie.
C’est que le collectif n’était que l’addition provisoire des consensus, toujours réduits à peu de choses dès qu’on y regarde de près, c’est à dire dès que diminue l’urgence de la survie. Dès lors, chacun des maillons prend conscience que le groupe est une chaîne, et ne vaut jamais que ce que vaut le maillon le plus faible.
Les groupes favorisent bien plus l’éclosion des génies individuels que la naissance d’œuvres véritablement collectives. Et si des collaborations entre deux ou trois créateurs peuvent sous certaines conditions entraîner de véritables synergies, elles portent le plus souvent la marque d’une cheville ouvrière, comme dans les cas très caractéristiques de Dumas et de Labiche, ou se résument à des couples fusionnels comme Meilhac et Halévy.
Le dix-neuvième siècle a donné de nombreux et remarquables ouvrages littéraires collectifs. « Les français peints par eux-mêmes » ou « Le Diable à Paris » sont par exemple des livres passionnants, mais moins par leurs qualités littéraires que parce qu’ils sont éminemment représentatifs de leur époque, tout comme aujourd’hui « Desperate housewives » ou « Dr House ». Ces ouvrages collectifs ont la force du consensus qui s’en dégage, mais l’originalité personnelle de leurs collaborateurs et leur énergie particulière, si prestigieux soient-ils, s’y trouvent par là même quelque peu muselées, soumises qu’elle sont à l’accord général, à la communauté d’idées et de vécu qui préside au projet collectif.
Ce n’est pas pour leur collaboration à ces ouvrages qu’on garde le souvenir de Balzac, de Musset ou de George Sand, et elle n’a pas suffi aux excellents auteurs qui les accompagnent pour sortir de l’anonymat, faute d’une œuvre personnelle plus accomplie.

JEU
Non, la vie n’est pas un jeu. Elle est à la fois bien trop belle et bien trop cruelle pour n’être qu’un jeu. Dire que la vie est un jeu, c’est tricher avec elle pour n’avoir pas à la vivre pleinement. Et puis nous n’avons au fond rien à perdre ni à gagner ; il s’agit juste de vivre.

LIBERTÉ
Depuis la révolution artistique qui a ouvert tant de portes, beaucoup d’artistes, même parmi les plus grands, sont devenus prisonniers de leur liberté. La recherchant pour elle-même et non pour ce qu’elle leur autorise, ils en jouissent mais ne s’en servent pas. C’est qu’il n’y a de vraie liberté qu’au service d’un dessein.
Pour savoir ce qu’est vraiment la liberté créatrice, il faut regarder la nature. Il y a beaucoup plus à apprendre d’un chèvrefeuille en fleurs que de tous les mouvements du style Support-Surface. Certaines recherches sont de nécessaires voies de garage : il faut savoir se fourvoyer, mais pour mieux reprendre sa liberté. L’erreur bien comprise est le meilleur des tremplins. Il y a une logique de la liberté qui consiste à se jouer de la contrainte pour mieux jouer avec elle.
Supprimer toute contrainte, quel esclavage !
Tu me dis que tu es libre, et je te réponds : Oui, et qu’as-tu fait de ta liberté ?

LIT (faire son)
Importance des rituels. Faire le lit et le fermer, c’est ouvrir la journée. Ce rituel-là devient plus que jamais indispensable, vital même quand le chaos s’installe au foyer. Les longues maladies, ces métaphores contemporaines de l’entropie généralisée, imposent ce raidissement dans la souplesse que les Britanniques, observateurs avisés de notre psychologie pratique, nomment très à propos : « pull oneself together », grossièrement mais concrètement traduisible : « se tirer ensemble », délicate opération dont notre verbe « se remettre » traduit assez bien la difficulté…
Un lit fait, c’est table rase, place nette. Le seul bon point de départ, c’est de repartir de zéro.
Ou, au moins, de faire comme si.

MANIPULATION
Méfions-nous de qui tente de manipuler autrui. Et plus encore de qui se laisse manipuler.

MARIONNETTE
En fait, un Sarkozy n’agit pas, il est agi. Et d’abord par son inconscient. Dépourvu de surmoi, l’actuel – trop actuel – président est tout entier livré au Moi et au Ça, esclave autant de ses pulsions que de ses calculs. Pantin de son inconscient personnel comme de l’inconscient collectif d’une civilisation en pleine déliquescence, Sarkozy ferait pitié si les forces qui le manipulent n’étaient bien plus dangereuses que sa minuscule personne. En vérité, les français qui croient en Dieu feraient bien de lui demander d’avoir pitié de nous…

MARKETING
Je ne crois pas qu’il faille confondre commerce et marketing. Un commerce digne de ce nom propose un échange, alors que le marketing cherche à imposer des achats. Il y a là plus qu’une nuance…

MÉGALOMANIE
Je n’ai rien contre la mégalomanie, pourvu qu’elle soit modeste. Avoir la mégalomanie modeste permet de rester soi-même. Tricher pour être plus grand qu’on n’est, ça vous rapetisse. Rien ne vaut l’authenticité. Les mégalomanes excessifs finissent toujours par tomber dans la vulgarité parce qu’à vouloir péter beaucoup plus haut que son cul on finit par se chier dans la bouche.

MEILLEUR DE TOUS LES TEMPS
Prétendre que Roger Federer est « le meilleur joueur de tous les temps », ou que Michael Jackson ou Johnny Halliday sont d’authentiques « génies » n’est pas qu’une simple exagération, mais relève de l’hallucination collective.
C’est la plaie de notre époque asservie aux outrances de la communication publicitaire, cette peste émotionnelle, que ce goût pervers pour l’hyperbole et cet abandon moutonnier à des opinions consensuelles dépourvues de tout autre fondement que la paresse intellectuelle si bien partagée par les « élites » et les « masses » et leur goût commun pour l’adoration de la quantité comme étalon de la qualité. C’est ainsi que deviennent chefs d’état ou dictateurs des hypnotiseurs dépourvus de tout autre talent que de l’art finalement assez facile de faire prendre à une majorité d’imbéciles des vessies pour des lanternes.
Il n’y a pas, il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais, en quelque domaine de l’activité humaine que ce soit, de meilleur de tous les temps. Quiconque se vautre dans ce concept stupide s’avoue donc, sans discussion possible, membre actif de l’immense confrérie des cons. Au sein de laquelle il est d’ailleurs tout aussi impossible de distinguer « le plus con de tous les temps », tant à toute époque le con fait invariablement preuve d’une incurable excellence dans la connerie.

MENSONGE
À propos d’OGM, ce proverbe africain particulièrement adéquat : « Le mensonge donne des fleurs, mais jamais de fruits ».

MODÉRATION
« On y pratique un Islam modéré » entends-je sur France-Inter à propos de l’Indonésie. Foutaises ! Aucune religion n’est modérée, aucune ne peut l’être. Toute religion pose en principe le primat de l’absolu sur le relatif, invitant dès lors les esprits faibles au fanatisme, les esprits forts au mysticisme.
Par définition le fanatisme ignore toute mesure.
Et la modération n’a jamais été le principal souci des mystiques…
Quant aux tièdes, croyants ou non, ils demeurent toujours ce qu’ils ont choisi d’être : tièdes.
Voir RELIGION

MOYEN
Face à l’inflation des icônes et des idoles, des vedettes et des stars, des VIP et des people, je revendique ma « moyennitude », pour parler comme l’ineffable Ségolène Royal. J’en suis fier. Le refus de la performance est le premier pas vers la vraie vie, qui ne consiste pas à se projeter mais à jouir de notre présence. Être moyen, c’est refuser de monter à l’échelle et garder les pieds sur terre. Je n’ai envie ni de me dépasser ni de me surpasser, je veux juste être moi-même. La sur-vie nous empêche de vivre.

NATURE
Défendre la nature par l’artifice ne me paraît pas le meilleur moyen de venir à bout des problèmes écologiques que nous nous sommes si complaisamment créés. C’est pousser un peu loin le bouchon de nos trop humaines contradictions. Mené à cette extrémité, le paradoxe a quelque chose d’obscène.
C’est pourquoi je n’irai pas voir « Home », le film manifeste de la nouvelle écologie libérale, l’œuvre impérissable du David Hamilton de l’écologie, Yann Arthus-Bertrand. J’ai feuilleté ses bouquins, incontournables piliers des salles de séjour du bobo branché, et aucune de ces saloperies n’entrera chez moi.
Il y a à mes yeux quelque chose d’aussi obscène dans cette vision d’une terre idéalisée et déformée par la grâce de Photoshop que dans les flous « artistiques » du photographe de minettes évanescentes dont les albums ont précédé ceux du gourou de l’écolo-business sur les tables basses des écologistes de salon.
Yann Arthus-Bertrand mérite de rester dans les annales : il a inventé l’écologie pornographique. Dûment retouchées, ses photos arborent des verts trop brillants, des jaunes trop intenses, des bleus trop profonds, des rouges trop éclatants pour être vrais.
Par la grâce de ce filtrage numérique, ce n’est pas tant la beauté de la nature qui est proclamée que celle du regard du photographe, ce mage qui nous fait apparaître la beauté surnaturelle cachée d’une nature que nous ne risquions pas de découvrir par nous-mêmes puisqu’elle n’existe que dans son regard fantasmatique, à travers un objectif dont la subjectivité voulue nous présente un univers manipulé parfaitement artificiel.
Dans les photos de Yann Arthus-Bertrand, la nature est trop « belle » pour être vraie. La beauté publicitaire, tout le contraire d’une écologie digne de ce nom !
Avec ces bonbons aux couleurs chimiques, on est plus que jamais dans la consommation de la nature.
Polluants à tous égards, les livres de YAB participent de cette imposture généralisée qu’est la mondialisation.
Ils me font penser aux boîtes de jus d’ananas américaines des années cinquante, avec leurs photos Cypress Gardens…
La nature n’est pas un parc d’attractions, ni un spectacle sensationnel. La nature est tout bêtement notre mère, la maquiller pour en faire une star, pardon, une icône, c’est un travail de maquereau.

NAUFRAGE
Je ne lis plus Charlie-Hebdo. Pas plus d’ailleurs que Siné-Hebdo. Depuis quelques années, les chroniques de Cavanna et Siné m’ont trop régulièrement rappelé que pour beaucoup d’entre nous la vieillesse est un interminable naufrage.

NON-VIOLENCE
La non-violence ? Elle peut être efficace, dans les pays plus ou moins démocratiques, ou qui se réclament de la démocratie. Mais jamais dans les vraies dictatures, qui l’écrasent dans l’œuf ou s’en font une complice. En dictature, la non-violence est un renoncement. Où était la non-violence dans l’Allemagne nazie, sous le régime stalinien, dans l’Espagne de Franco ? Où est-elle en Corée du Nord, en Birmanie, en Iran ?
Le choix de la non-violence dans un régime dictatorial est en fait une démission, un alibi commode pour ne rien faire : dans cet ordre d’idées, la remarquable action unitaire non-violente des syndicats français depuis le début de l’année 2009 est un cas d’école. Complices objectifs du pouvoir, les syndicats ont magistralement réussi à désamorcer le mouvement populaire.
La non-violence en dictature est démobilisatrice parce qu’elle y est en fait impraticable. Un pouvoir dictatorial digne de ce nom n’a aucun complexe, ne ressent aucune culpabilité. La non-violence ne peut mettre en porte-à-faux que les pouvoirs qui prétendent à tort ou à raison respecter les droits de l’homme et du citoyen.
Sous tout autre régime, la non-violence est tout simplement puérile. Muselée d’avance, elle ne mène nulle part.
Si on pouvait arrêter un tank en se mettant à genoux devant, ça se saurait.

ŒILLÈRES
Ont remplacé les yeux, d’après ce que j’entends dire à un spectateur béat de l’ouverture du Festival d’Avignon 2009 : « On est venu s’en mettre plein les œillères ! »
J’ai toujours adoré ces aveux involontaires et spontanés que sont les lapsus. Que nos yeux soient devenus des œillères, c’est la preuve que j’attendais pour me rallier au si réconfortant adage : « On n’arrête pas le progrès ».

OXYMORE
J’avais presque terminé « La politique de l’oxymore ». Le livre en main, j’ai croisé dans la rue une ex-collègue, prof de maths BCBG provincial, femme de militaire et très propre sur elle, attifée à la mode djeune, c’est à dire déguisée en pute, poitrine offerte, nombril ouvert et croupe moulée jusqu’à l’anus.
Bel oxymore que cette femme coincée au dernier degré offrant le simulacre d’une liberté dont elle a si peu idée – et encore moins envie – qu’elle refuserait avec indignation qu’on prenne la moindre avec elle. Liberté, je veux dire.

PAROLES (mes futures dernières)
Attendez-moi ! Je reviens dès que possible ; je veux voir la suite…

PARTIALITÉ
Rien de plus exaspérant que la partialité, surtout quand elle se prétend objective. Par exemple, je ne supporte pas les gens qui font semblant de douter de mon impartialité.

PEINTURE
Quand j’écris sur la peinture, ça peut paraître souvent très péremptoire. Aucune prétention là-dedans, juste de la passion. Si je me trompe, tant pis pour moi…

PERVERSITÉ
La perversité inconsciente a du moins le mérite de n’être pas volontaire. C’est pourquoi nous la pratiquons tous assidûment. Toute la beauté et toute la laideur, tout le plaisir et toute la souffrance de la perversité résident dans sa conscience. D’ou notre admiration pour les vrais pervers : ils ont le courage de se voir tels qu’ils sont.

PEUR
Quand j’ai peur, j’y vais voir. Aucun mérite. C’est juste que j’ai encore plus peur de rester dans ma peur que d’en sortir. Et puis je suis curieux comme une pie.

POUVOIR
J’ai longtemps vitupéré les hommes de pouvoir. J’avais tort. Il n’y a plus d’hommes de pouvoir. Au degré d’abjection et de renoncement à toute éthique où ils sont désormais parvenus, les dirigeants de tout poil sont devenus des machines de pouvoir.
À force de se laisser aller à leur mégalomanie, ils n’ont plus rien d’humain. Malgré leur aptitude à l’hypocrisie, le fardeau de l’humanisme pesait aux hommes de pouvoir. Ils ont su s’en débarrasser.
Il faut avouer qu’ils étaient un peu ridicules quand ils tentaient encore de passer pour humains. Leur indigence intellectuelle, leur sécheresse de cœur, tout chez eux avoue l’être machinal, l’homme de buts, formaté, manipulateur et manipulé, pantin dérisoire qui croit tirer les ficelles de ses concitoyens et ne sait pas même que son propre inconscient tire encore plus despotiquement les siennes.
Car elles se croient libres, les machines de pouvoir, et courent pourtant à grande foulées mécaniques sous le fouet de leur maître caché, plus asservies encore que leurs esclaves plus ou moins volontaires.

PRÉSENCE
Ça paraît pourtant simple, la présence : on est là ou on n’est pas là. La plupart du temps, nous sommes là sans y être. Nous devrions comprendre que si on n’est pas là, ce n’est pas la peine d’être là. Me disais-je à la fin d’un beau concert, quelque peu perturbé par des auditeurs que le fait de devoir écouter rendait sourds, mais hélas pas muets.

RECOMMENCEMENT (éternel ?)
« Malheureusement on ne sait jamais prévoir les sacrifices nécessaires, et en diminuer l’étendue en les faisant d’avance. Cette prévoyance et ce courage on toujours manqué aux nations dans les crises financières. »
Ce n’est pas Bernard Maris ou George Soros qui ont dit cela, mais Adolphe Thiers, au tome VII de son Histoire de la Révolution française, parue en 1827, à propos des problèmes posés par les assignats entre 1792 et 1795…
Allez savoir pourquoi, quand j’entends le mot progrès, j’ai du mal à me retenir de pouffer.

RELIGION
Si je pensais qu’il y a quelque chose à expliquer, bien sûr que je demanderais qu’on m’explique. Mais notre monde demeure inexplicable, d’où les religions, ces explications bidon.
Car la religion est la manifestation la plus évidente de notre incoercible besoin de raison. Elle est une tentative absurde et courageuse de trouver une raison d’être à l’univers et un sens à notre existence. La religion, c’est le triomphe de l’esprit rationnel, la quintessence de la rationalisation. La religion est le comble de la raison : une pure folie.
Que rationalisme et religion aient partie liée ou, pour mieux dire, soient comme cul et chemise, j’en vois la preuve dans le fait trop avéré que les rationalistes sont presque toujours des intégristes de la raison, cette Révélation humaine, et que les esprits religieux ne cessent de ratiociner en vue de prouver ce qui par définition ne peut l’être, à savoir l’existence de Dieu.
Voir MODÉRATION

« RÉUSSITE »
Je continue à me demander quel goût peut bien avoir la réussite individuelle au sein d’un malheur collectif.

RUINES
« Casse tes ruines ! » nous lancions-nous, gamins, pendant les chères disputes où s’affrontaient pour s’affirmer nos petits egos déjà surdimensionnés.
Ruines nous étions déjà, ruines nous restons jusqu’à la fin. Chacun de nous dès le berceau mène une lutte quotidienne constamment perdue d’avance contre l’entropie, se dit-il en s’asseyant sur le siège après avoir posé culotte.

SAGESSE
Les gens équilibrés le sont trop pour avoir envie d’exercer le pouvoir, et le laissent donc aux malades assez fous pour en rêver.
Peut-être aussi sont-ils assez intelligents pour sentir que s’ils acceptaient d’exercer le pouvoir ils risqueraient d’y prendre goût au point de rejoindre les hommes de pouvoir dans leur folie…

SNOBISME
Affecter de mépriser la culture parce qu’on a la chance d’être cultivé, c’est peut-être le seul snobisme qu’on puisse qualifier de criminel.

SOCIAL-DÉMOCRATIE
La social-démocratie, ça consiste à se dire : « De toute façon, on n’y peut rien, et bon an mal an, nous, on s’en arrange, et même ça nous arrange ; suffit de mettre des rustines, histoire de garder bonne conscience. »

SPORT
Le sport-spectacle n’est que la poursuite de la guerre par des moyens « pacifiques ». C’est pourquoi loin d’apaiser les rivalités, il les exacerbe. Les foules sportives sont sans cesse à la recherche d’un superman devant qui se prosterner et de boucs émissaires à piétiner. Le sport-spectacle n’est pas un apprentissage de la vie, mais l’instrument privilégié des fantasmes et du divertissement, et l’école de la guerre.
Rien d’étonnant donc à ce qu’il soit depuis toujours le plus fidèle soutien des dictatures de tout poil.
Au fait, je sais de quoi je parle : en ai-je regardé, du tennis !

SUICIDE MODE D’EMPLOI
« Selon la police, il s’est suicidé après s’être pendu ». Je ne sais pas s’il y a eu bavure policière dans cette récente affaire de garde à vue, mais il y a bien eu bavure linguistique. Révélatrice ?

SUPERLATIF
« La Traviata, le plus bel opéra de Verdi », décrète je ne sais quelle pimbêche radiophonique, au détour de son journal du matin. Le nombre d’énormités que peut nous faire dire notre stupide addiction au superlatif ! Pourquoi faudrait-il qu’il y ait un plus bel opéra de Verdi, ou un meilleur joueur de tous les temps ? L’a-t-elle seulement écoutée en entier, la Traviata ?
Le superlatif relatif fausse toute comparaison en la déclarant achevée d’entrée.
Préférons le superlatif absolu : c’est vrai, la Traviata est un très bel opéra.

TACT
Si tu veux vraiment obtenir tout ce que tu veux, prends la précaution de ne pas trop en demander.

TOURISME
Je me demande si je ne pourrais pas, histoire de faire court, résumer mon attitude devant la vie par les quelques mots suivants : « Ça ne m’intéresse pas de ne faire que passer. » Touriste, ce n’est pas un métier. Pire : touriste, ce n’est pas une vie.
Ils m’inquiètent, les « habitants du monde ». Moi, j’ai envie d’habiter ma vie.

UNDERSTATEMENT
L’understatement ne consiste pas à ne pas dire les choses, ni même à les sous-entendre, mais à les évoquer de façon qu’elles puissent être entendues sans que l’auditeur ait été forcé de les écouter.
Cette négociation avec soi-même au profit des deux parties n’est pas seulement utile, elle est l’un des fondements de toute vie en société, parce qu’elle remet l’émotion à sa juste place, qui n’est jamais la première.
Elle permet aux interlocuteurs de se sentir intelligents, ce qui est la seule prémisse réellement indispensable à un dialogue constructif…

VEAU D’OR
De Nietzsche, en 1876, dans ses Considérations inactuelles, IV, Folio, page 126 :
« Je ne veux montrer que sur ces deux exemples à quel point le sentiment est détraqué à notre époque et combien elle-même n’en a précisément pas du tout conscience. Autrefois, on regardait de haut, avec un honorable sentiment de supériorité, les gens qui faisaient le commerce de l’argent, même si l’on avait besoin d’eux ; on admettait que toute société doive avoir ses entrailles. À présent, ils sont la puissance dominante dans l’âme de l’humanité moderne, et sa composante la plus enviable. »
Comme quoi l’argent-roi, ça ne date pas d’hier…

VÉRITÉ
La vérité est plus importante que le bonheur, parce qu’on ne peut pas être réellement heureux en refusant de regarder la vérité en face. Quand je dis « la vérité », je veux parler de cette vérité personnelle qui consiste à vivre et agir en accord avec sa conscience, en cherchant à s’approcher au plus près d’une vérité universelle qui par définition nous échappe, à supposer qu’elle existe.

VÉRITÉ
Je n’ai aucun souci de « La » vérité. Ne m’intéresse que ma vérité. Et celle d’autrui, si je la reconnais. Sans forcément l’adopter, car, à choisir, je préférerai toujours ma vérité à celle d’autrui.

VIOLENCE
Mon enfance, je l’ai vécue dans une époque très violente, et qui ne le savait pas. Il est vrai qu’elle succédait à une période d’horreur déchaînée et pouvait se croire un peu plus « normale ». Le fait est que la violence faisait partie de la vie ; et les petites violences quotidiennes paraissaient peu de chose au regard des « vraies » violences. On ne se plaignait pas pour des petits bobos, on ne portait pas plainte à tout bout de champ, on mourait sans faire d’histoires sur la route, on était dur au mal. On condamnait la violence tout en lui accordant sa part, histoire de la calmer.
Il n’est pas sûr que cette scandaleuse tolérance n’ait pas été une forme de sagesse. La volonté actuelle d’éradiquer la violence fait la part belle à une violence idéologique quasi inquisitoriale, et cette façon de répondre à la violence spontanée par la violence institutionnalisée ne me paraît pas exempte de dangereux effets pervers.
Refuser toute violence, c’est refuser la vie. Qui veut faire l’ange fait la bête…
Il y a quelque chose de suspect dans la rage que nous mettons à condamner la violence, et notre passion pour la sécurité sous toutes ses formes me paraît une des pires violences qu’on puisse faire à la vie. Il me semble plus sage de canaliser la violence que de tenter de la supprimer.


Violence de la beauté, tempête à Wissant, septembre 2009

dimanche 1er novembre 2009

L’AN 2440

Cet étrange roman politico-philosophique est censé se dérouler dans près de quatre cents ans, à une époque où le progrès a permis l’épanouissement d’une humanité enfin parvenue à maturité, et qui se penche avec effroi et une certaine commisération sur l’état de la France en 1770, il y a près de deux cent cinquante ans.
À vrai dire, beaucoup des critiques formulées par l’auteur semblent malheureusement encore tout à fait d’actualité, et entrent singulièrement en résonance avec des problèmes politiques et sociaux que non seulement l’humanité contemporaine est loin d’avoir résolus, mais qui sont plus aigus que jamais… sans préjudice des problèmes nouveaux engendrés par les "progrès" effectués depuis l’époque où écrivait l’auteur, Louis-Sébastien Mercier !
Il ne fait guère de doute que les heureux citoyens de l’an 2.440 pourraient s’adresser à nous autant qu’à nos ancêtres quand ils s’exclament :
"Pourquoi avez-vous la fureur de comparer ce temps présent avec un vieux siècle bizarre, extravagant, où l’on avait de fausses idées sur les matières les plus simples, où l’orgueil jouait la grandeur, où le faste et la représentation étaient tout, et le reste rien, où la vertu enfin n’était regardée que comme un fantôme, pur ouvrage de quelques philosophes rêveurs ?"

Il y a évidemment lieu de se demander si cet utopique présent futur a un avenir, et si l’an 2440 remplira les espoirs de l’auteur… à supposer que l’humanité soit parvenue jusque là !
Mercier lui-même laissait place au doute quand il sous-titrait son anticipation : rêve s’il en fût jamais.
Reste que dix-huit ans après sa parution, le peuple prenait la Bastille…

C’était le début d’une révolution qui prouve que Mercier restait sans doute encore en dessous de la vérité quand, faisant à la fois la question et la réponse, il écrivait dans le même ouvrage à propos du fonctionnement de la monarchie de son époque :
« Voulez-vous connaître quels sont les principes généraux qui règnent habituellement dans le conseil d’un monarque ?
Voici à peu près le résultat de ce qui s’y dit, ou plutôt de ce qui s’y fait :
"Il faut multiplier les impôts de toutes sortes, parce que le prince ne saurait jamais être assez riche, attendu qu’il est obligé d’entretenir des armées, et les officiers de sa maison, qui doit être absolument très magnifique. Si le peuple surchargé élève des plaintes, le peuple aura tort, et il faudra le réprimer. On ne saurait être injuste envers lui, parce que dans le fonds (sic) il ne possède rien que sous la bonne volonté du prince qui peut lui redemander en temps et lieu ce qu’il a eu la bonté de lui laisser, surtout lorsqu’il en a besoin pour l’intérêt ou la splendeur de sa couronne. D’ailleurs il est notoire qu’un peuple qu’on abandonne à l’aisance est moins laborieux et peut devenir insolent. Il faut retrancher à son bonheur pour ajouter à sa soumission. La pauvreté des sujets sera toujours le plus fort rempart du monarque : et moins les particuliers auront de richesse, plus la nation sera obéissante ; une fois pliée au devoir, elle le suivra par habitude, ce qui est la manière la plus sûre d’être obéi. Ce n’est point assez d’être soumise ; elle doit croire qu’ici réside l’esprit de sagesse en toute sa plénitude, et se soumettre par conséquent, sans oser raisonner, à nos décrets émanés de notre certaine science." »

Au fait, voilà un discours qu’on pourrait bien appliquer mot pour mot à notre régime actuel…
Il est encore loin, l’an 2440 !

lundi 28 septembre 2009

RIEN DE NOUVEAU SOUS LE SOLEIL

28 septembre 2009
Qu’on se le dise, le globe de l’homme moyen ne tourne pas qu’autour de son nombril…
J’ai souvent envie de citer quelques-uns de mes amis écrivains, particulièrement ceux qui, étant morts, ne peuvent en aucun cas m’accuser de détourner leur pensée ou refuser de venir orner mon petit globe ! À défaut de les avoir connus, je puis du moins les partager.
D’autant que n’en déplaise aux zélateurs du progrès, l’intelligence humaine me semble particulièrement apte à la pratique assidue du sur-place, tout comme l’histoire de l’espèce, qui se répète inlassablement avec une désolante absence d’imagination.
Une chose est sûre : nos prédécesseurs n’étaient pas plus parfaits que nous, mais ne manquaient ni de cœur ni d’esprit, et je compte bien en fournir à mes lecteurs, pour leur plaisir et leur édification, quelques exemples des plus probants.
C’est ainsi que j’évoquerai bientôt d’un peu plus près deux de ces auteurs d’autant plus jouissifs qu’ils sont à peu près oubliés, et indûment considérés comme "mineurs" par des gens qui ne les ont pas lus : Sébastien Mercier, roturier et philosophe (cela allait de pair) et le vicomte Alphonse de Calonne, gentilhomme et philosophe (cela aussi pouvait aller de pair, voire parfois de duc et pair).
Tout les oppose et pourtant sur bien des points ils se rencontrent, sur un surtout : tous deux sont ce qu’on appelait en des temps un peu plus exigeants que le nôtre des honnêtes hommes, à tous les sens de cet adjectif, que nous avons depuis quelques décennies d’autant plus employé que nous pratiquons moins les vertus qu’il désigne…
Non que nos ancêtres aient été plus scrupuleux que nous : comme nous le verrons par ailleurs, en matière de corruption comme en matière de philosophie, ils nous tiennent aisément tête, nous damant le pion jusque dans nos domaines d’excellence : le premier Dictionnaire des Girouettes parut en 1815 et le premier Almanach des Cumulards fut publié en 1821.
Ils peuvent certes être fiers de nous ; reste que, malgré les progrès techniques dont nous sommes si excessivement fiers, nous ne les avons pas encore surpassés.
Mais pour aujourd’hui, penchons-nous sur l’actualité récente, quitte à l’éclairer des lumières d’un adepte de la philosophie du même nom, histoire de rappeler à nos mémoires oublieuses qu’il n’est au fond rien de nouveau sous le soleil…

ÉJACULATION PRÉCOCE
Notre président a depuis toujours un problème : il ne sait pas se retenir. Il faut que ça sorte. Cette impatience maladive lui a fait commettre beaucoup de sottises que l’opinion publique lui a trop souvent pardonnées, sans doute parce que cette névrose est, c’est le moins qu’on puisse dire, dans l’air du temps.
Sa dernière bourde est pourtant si énorme que j’en viens à me demander si cette impulsivité ne serait pas sous contrôle, chaque dérapage lui permettant de vérifier jusqu’où il peut aller trop loin : je risque une énormité, si personne ne réagit, j’en prends bonne note, et dès que possible je tenterai pire ; si c’est une levée de bouclier, je ferai retraite en bon ordre sur des positions préparées à l’avance (à savoir la dernière provocation réussie, c’est à dire entérinée par une bienveillante apathie du corps social) et je reviendrai à la charge d’une façon ou d’une autre à la première occasion, histoire de pousser le bouchon toujours un peu plus loin vers le pouvoir absolu.
Si personne ne réagit, si ma provocation passe comme une lettre à la poste, je passe aussitôt à la suivante, histoire toujours de pousser un peu plus loin le bouchon vers le pouvoir absolu…
C’est ainsi que procèdent les très petits enfants pour explorer les limites de leur domaine.
Dans une démocratie digne de ce nom, un président de la République qui dans l’exercice de ses fonctions traiterait de coupables des prévenus, qui plus est lors d’un procès où il est partie civile, serait aussitôt l’objet d’une procédure de destitution, tant cette intervention constitue une impardonnable violation de la lettre et de l’esprit de la Constitution.
C’est du moins ce qu’aurait certainement pensé Sébastien Mercier, dont je lis en ce moment L’An 2440, publié en 1761, passionnante anticipation pré-révolutionnaire, dont je ne saurais trop conseiller la lecture, dès qu’il aura terminé La princesse de Clèves, à notre accusateur public intempestif. Il y trouverait certainement mainte matière à méditer, ne serait-ce qu’en ouvrant l’édition de 1776 à la page 84, où fleurit cette note frappée au coin du meilleur bon sens citoyen :
« Ceux qui occupent une place qui leur donne quelque pouvoir sur les hommes, doivent trembler d’agir suivant leur caractère ; ils doivent regarder tous les coupables comme des malheureux plus ou moins insensés. Il faut donc que l’homme qui agit sur eux sente toujours dans son cœur qu’il agit sur ses semblables, que des causes qui nous sont inconnues ont égaré sur des routes malheureuses. Il faut que le juge sévère en prononçant la condamnation avec majesté, gémisse de ne pouvoir soustraire le criminel au supplice. »
Et l’auteur d’enfoncer le clou à la même page dans une autre note qui nous concerne tous :
« Heureuse conscience, juge équitable et prompt, ne t’éteins point dans mon être ! Apprends-moi que je ne puis porter aux hommes la moindre atteinte sans en recevoir le contre-coup & qu’on se blesse toujours soi-même en blessant un autre. »
On a tort de négliger les vieux auteurs ; ils n’avaient pas d’ordinateurs, et n’en pensaient que mieux.

ÉJACULATION PRÉCOCE (bis)
À la… décharge de Nicolas Sarkozy, il faut admettre que si la plupart des éjaculations précoces laissent assez logiquement de glace leurs, j’ose le dire, victimes, la sienne semble avoir fait jouir non seulement Monsieur de Villepin, mais ses avocats…

mardi 22 septembre 2009

REMARQUES EN PASSANT 20, part 1

ANACHORÈTE
Sur sa boîte aux lettres, il avait écrit : « PAS DE COURRIER, SVP ! »

BEAUTÉ
Rien n’est plus désagréable pour la beauté que d’être contemplée avec une vraie adoration, comme si elle était l’image même de la perfection. La beauté sait trop bien qu’elle n’est pas parfaite, puisqu’elle n’est pas éternelle.
Ou seulement dans le regard et le cœur de ses adorateurs, d’ailleurs tout aussi mortels qu’elle.
D’être adorée, ça lui fait une belle jambe, à la beauté ! Elle ne s’en fanera que mieux.

BRONZAGE
Il y a donc en France huit millions de bronzés artificiels. La connerie se porte bien, le mélanome aussi. Faut-il être mal dans sa peau pour avoir envie de bronzer idiot !

CAMPING-CAR
C’est une histoire vraie. Elle se passe au Maroc, il y a deux mois, dans un camping. Une handicapée, malgré son déambulateur, perd l’équilibre et tombe à terre en heurtant au passage la paroi du camping-car qu’elle longeait.
Le gars du camping-car, un français entre deux âges, sort aussi sec, vérifie que son camping-car n’a rien et rentre dans sa coquille sans regarder et encore moins aider la malheureuse étalée par terre, que relève tant bien que mal l’amie qui voyage avec elle…
Le cynisme inconscient du beauf n’en finit pas de m’épater. Pour moi, c’est ça, la droite décomplexée. Ce qui ne veut pas dire que le type en question vote forcément Sarkozy. Des décomplexés allant au bout de la logique libérale, on en trouve quantité à gauche, à commencer par Manuel Valls…

CARTON-PÂTE
Frédéric Mitterand ministre : la restauration monarchique est en bonne voie. L’aboyeur des royautés déchues et des fastes princiers, le lécheur de culs royaux dégénérés, le chroniqueur des royaumes de carton-pâte au ministère de la Culture ? Laissez-moi vomir !

CATASTROPHE
Ce n’est pas par sado-masochisme que j’appelle de mes vœux la catastrophe. Nous l’avons de toute façon rendue inévitable ; plus elle tarde à venir, plus grave elle sera, et plus lourdes ses conséquences. Chaque minute qui passe alourdit la note que nous aurons à payer. Plus tôt elle nous sera présentée, plus nous aurons de chances de parvenir à la régler sans y laisser, non seulement notre chemise, mais notre vie.
Si donc je joue plus que jamais les Cassandre, c’est qu’il me reste encore de l’espoir.
Voir GRENOUILLE

CHANCE
Ce n’est pas parce que je râle très souvent que je n’ai pas conscience d’avoir beaucoup de chance. La vie, je n’en jouis pas tout le temps, mais je peux en jouir. Ils sont des milliards à ne pas pouvoir en dire autant. Pouvoir vivre sa vie, si dure soit-elle, ça me semble déjà une chance inouïe.
Et pour ceux qui ne l’ont même pas, cette chance, la meilleure des raisons de se révolter contre qui les en prive. Fût-ce eux-mêmes…

COMMERCE
Dans les périodes comme la nôtre où le commerce devient l’organisation systématique de la prostitution généralisée, et où tout se vend, surtout ce qui ne devrait pas se vendre, l’exhibition fait bon ménage avec la pudeur : c’est que les deux ne sont plus que des astuces de marketing, des truc de putains bien entraînées.
Voir CONTRADICTION

CONTRADICTION
C’est au moment où les décolletés n’ont jamais été aussi vertigineux que la télévision nous explique « qu’après les débordements impudiques de la fin du siècle dernier les femmes redécouvrent la pudeur et ne veulent plus montrer leurs seins sur les plages. »
Il y a peut-être une cohérence derrière cet apparent paradoxe : on peut tricher avec un décolleté, et beaucoup de nos compagnes ne s’en privent pas, mais les seins nus se montrent tels qu’ils sont, au naturel – ou pas…
Voir COMMERCE

D’ART D’ART
Le principe même de cette émission de vulgarisation qui remplit parfaitement son rôle (rendre l’art, ou ce qui en tient lieu, parfaitement vulgaire, en imposant en une minute au téléspectateur l’idée que ce qui lui est présenté sous ce label certifiant est forcément une œuvre d’art « authentique » et en lui faisant entrer dans le crâne, toujours en une minute, ce qu’il doit « savoir » pour la « comprendre » et ce qu’il lui faut en « penser » pour être digne de son époque) est la négation même de toute culture digne de ce nom.
Après le bac sans peine, l’anglais sans effort, la politique pour les nuls et la purée Mousline, l’art minute. Comme dit l’autre, nous vivons une époque moderne…

DÉCADENCE
Qu’une langue évolue, rien de plus naturel. Mais quand les prétendues élites qui l’ont largement confisquée se mettent à la massacrer jusque dans ses principes les plus essentiels, on tient l’un des signes les plus sûrs de la décadence d’une civilisation. On peut pardonner à Bernard Guetta les trop nombreux cuirs dont il parsème ses laborieuses chroniques, pas ses constructions à l’emporte-pièce du style « Car la Lybie est une grande nation et que son président en assume le gouvernement ». Dio cane !
La ridicule redondance « où là », qui émaille avec tant de grâce les discours faussement policés de tant de journalistes, d’experts et d’hommes politiques, est déjà difficilement supportable, mais entendre de plus en plus souvent, et jusque dans la bouche de Monsieur de Villepin, poète, diplomate et premier ministre, des accords aussi dissonants que « l’élection auquel » ou « la famille auquel », c’est à hurler.
Que peut bien valoir la pensée d’un homme qui ne sait plus même pratiquer les accords les plus élémentaires ?
Pardon, j’aurais dû dire, comme cet agrégé d’histoire chargé de cours à la Sorbonne lors d’une conférence émaillée de cuirs crépitant comme des pétards à mes oreilles passéistes : « Qu’est-ce que peut-elle bien valoir, la pensée… »

DÉTAILS
86% de reçus au bac cette année. C’est trop, ou trop peu. Donnez-le carrément, ou redonnez-lui un minimum de sérieux. La démagogie galopante prend décidément un tour assez terrifiant.
Dans le même désordre d’idées, il aura suffi que des organisations juives décident qu’un jugement ne venge pas suffisamment la victime d’un crime particulièrement odieux pour qu’une ministre irresponsable, droite dans ses godillots, ordonne au parquet de faire appel.
Isolés, tous ces petits « détails » peuvent nous paraître bénins. Réunis, ils signent notre entrée dans l’ère de la lâcheté généralisée, et le triomphe de ce que je persiste à nommer le libéral-nazisme.

DÉTESTATION
Ils l’adorent tous, comme ils adorent Holiday ou Jackson, par besoin d’avoir une icône à adorer, une vierge à bader. Je déteste Federer, cet ours bien léché, avec son tennis prudent et brillantiné, son « élégance » vulgaire de marque de luxe pour nouveaux riches, et ce côté lisse et bien propre du champion aseptisé qui cache mal un ego hypertrophié à l’insondable arrogance.

ÉDITUEURS
Il semble qu’il y ait entre les éditeurs et moi un malentendu originel – et probablement définitif. Je le regrette vraiment. C’est sûrement de ma faute.
Et peut-être aussi de la leur. D’abord, les éditeurs actuels ne savent pas lire. Ne peuvent pas lire. Débordés, et avides de l’être, les éditeurs ne lisent plus. Ils scannent. Souffler n’est pas jouer, scanner n’est pas lire.
Lire à travers nos œillères subjectives, nous le faisons tous. C’est plutôt sain, selon moi. Mais à leur filtre personnel la plupart des éditeurs en rajoutent un autre beaucoup plus sélectif, et selon des critères beaucoup plus discutables. Lire à travers les œillères du marketing, c’est se mépriser soi-même en même temps que les auteurs. Ne lire qu’en fonction des livres qu’on sait vouloir faire, c’est regarder dehors à travers des volets clos.
Face à ce filtre impitoyable, la qualité littéraire n’est absolument plus un critère éditorial, tout au plus une cerise sur le gâteau – quand elle n’est pas considérée comme un handicap !
Les éditeurs, si dépendants de leurs diffuseurs, jouissent en revanche depuis quelques dizaines d’années d’un rapport de forces favorable face aux innombrables auteurs qui voudraient à tort ou à raison être publiés. Non seulement l’offre est bien supérieure à la demande, mais plus la demande diminue, plus l’offre se fait pléthorique. Ce paradoxe infernal, les éditeurs l’entretiennent et l’ont partiellement créé en tentant de sauver le marché de la lecture par l’inondation, espérant qu’à défaut de qualité la quantité allait enrayer la chute des ventes.
Mais les auteurs putatifs se multipliant à la vitesse des drosophiles, les éditeurs se retrouvent submergés par les tapuscrits. N’ayant que l’embarras du choix, et confronté à un océan de médiocrité, l’éditeur se veut désormais créateur ; plus inculte que jamais, il est pourtant d’autant plus fondé à traiter d’égal à égal avec les auteurs que nombre de ceux-ci peuvent désormais rivaliser avec lui en matière d’analphabétisme.
L’édition participe donc pleinement à l’universelle fuite en avant mondialisée, et procède depuis quelques années à un extraordinaire autodafé, publiant à tour de bras des monceaux de livres dont la majorité disparaissent avant même d’avoir été réellement proposés à d’éventuels lecteurs – épargnant à ceux-ci bien des déceptions.
Pas de doute : les éditueurs ont bien mérité de notre boulimique et anorexique société de consommation ; ayant programmé la mort du livre, ils se roulent avec nous tous dans les délices du suicide collectif.

ESPOIR
Il y a de l’espoir : je peux encore être déçu.

FLATTERIE
« Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute » dit La Fontaine. Oubliant d’ajouter que le flatté vit aux dépens de celui qui le flatte. Rude travail, la flatterie, coûteux en temps et en énergie. C’est de ce temps et de cette énergie que l’heureux flatté rayonne, nourri sur la bête. Il est normal que celle-ci reçoive son dû, et humain qu’elle cherche à prendre plus qu’elle ne mérite…

FRANCE-INTER
Je n’aime pas Philippe Val. Sa morgue d’affranchi servile, sa paranoïa de nouveau riche de la culture et sa vindicative intolérance me le rendaient parfaitement antipathique avant même que l’ambition boulimique qui fait le fond de cet assez répugnant personnage ne l’amène à se vendre pour un plat de lentilles cornéennes.
Mais j’avoue que je serais très reconnaissant à ce hiérarque de fraîche date s’il nous épargnait enfin cette purge sabbatique et dominicale qu’est le radotage sénile du kiosquier de service. Entendre tous les week-ends l’insupportable Ivan Levaï étaler sadiquement à tout propos et hors de propos sur l’infecte tartine de son discours l’indigeste confiture de ses souvenirs de récitation, dignes d’un bon élève fayoteur du lycée Janson de Sailly, il y a de quoi vous mettre en rogne pour la semaine !

GÉNIE
Si la marque du génie est de parvenir à faire du « quasiment tout » avec du « presque rien », John Fante est un très grand écrivain.

GRATUITÉ
Contrairement à ce que croient les imbéciles, dans la vraie vie, celle avec laquelle nous essayons toujours de tricher, la gratuité, ça se mérite. C’est une loi physique : la gratuité se paye parce qu’elle coûte cher. Pour recevoir sans avoir à payer, il faut avoir déjà payé d’une façon ou d’une autre : la gratuité est un retour sur investissement que nous accorde la vie parce que nous avons commencé par beaucoup donner de nous-mêmes.

GRENOUILLE
J’ai depuis toujours tenté de mettre en pratique cette superbe phrase attribuée à Guillaume d’Orange, stathouder de Hollande avant de devenir roi d’Angleterre : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »
Et cette autre de Shelley, dans son Prométhée délivré :
« To hope till hope creates
From its own wreck the thing it contemplates. »
De façon plus imagée, une petite histoire de mon enfance dit superbement la même chose :
Deux grenouilles étaient tombées dans un pot à lait. Impossible d’en sortir, tout au plus pouvaient-elles nager en rond dans le liquide blanc et crémeux. Au bout d’un long moment, l’une d’elles, épuisée et découragée, abandonnant une lutte sans espoir et une situation sans issue, se laissa couler.
L’autre continua cette lutte dont elle savait pourtant qu’elle était vaine. Quelque chose en elle contre toute évidence ne voulait pas lâcher.
Désespérée, les pattes raidies par les crampes, elle n’en continuait pas moins de battre le lait de toutes les forces qui lui restaient.
Tout à coup, le lait sous elle devint plus épais, et peu à peu se figea. Hors d’haleine, la grenouille était affalée sur une motte de beurre.
Un esprit chagrin dirait que la jarre était trop haute pour qu’elle pût espérer en sortir, et qu’elle n’avait échappé à la noyade que pour mieux mourir de faim.
Je ne mange pas de ce pain-là, et persiste à croire qu’aller tranquillement au bout de ses forces est la définition même de la vie.

Voir CATASTROPHE

lundi 3 août 2009

BRÈVES DE CONTEUR


RECORD BATTU !
............................................À Alain Sagault

Elle ressuscita le second jour !

(As-tu plus court, Alain ?)

Oui, Éric, à mon avis du moins :

– Oups ! Pardon !
– De rien…

Deux lignes, mais seulement quatre mots !

Un poil plus long, mais encore lapidaire, celle-ci, extraite d’un recueil à venir, que tu m’as donné envie de finir pour de bon :

RACCOURCI

– Est-ce que je vous ai déjà raconté l’histoire du…
– Oui !


Je suis sûr que personne ne t’a coupé à Châteauroux, au contraire, ce qui me permet de te servir la plus courte de toutes, applicable de surcroit à bien des situations, comme l’a fort bien compris la petite Léane, deux ans et demi :

– Encore !


Qui dit mieux ?

dimanche 19 juillet 2009

REMARQUES EN PASSANT 19, suite et fin

J’insère ci-après cette remarque de mon ami Jean Klépal, qui recoupe un certain nombre des miennes :

MARCHÉ DE L’ART
« Il n’est pas dans le marché… »
Etre ou ne pas être dans le marché.
Van Gogh n’était pas dans le marché.
Serait-ce une question, même pour un artiste ?
L’Art est-il une marchandise ?
Sans doute oui, si l’on considère la majeure partie des expositions actuellement louangées, à consommer sans hésitation. Marchandisation de l’Art au moment où faire parler de soi vaut mieux que ce qu’on fait.
Jeff Koons est à Versailles.
En voilà un qui est dans le marché. Jusqu’au cou.
Un marchand est-il un artiste ? Peut-être pas, mais un marchand a de la surface, de la grande surface, de l’hyper surface. Il enseigne multiples, il clignote. Il fait parfois l’artiste. Il se met alors un nez rouge comme un homard.
Le marché est l’alpha et l’oméga. Le Monde est un marché. Produire, répéter, se reproduire et le faire savoir. Asphyxie de l’Art. Dilution de l’Artbusiness, déclinaison de lignes de produits. Gondoles, gondoles.
Etre dans le marché, impératif absolu ?
Ailleurs, en marges, glorieusement modestes, déterminés, opiniâtres, farouchement irréductibles, ceux qui ne peuvent pas éviter d’être ce qu’ils sont, de faire ce qu’ils font : les artistes. Ceux qui prennent le risque du regard, de l’interrogation, de la création. Le risque de la vie en face à face. Les aventuriers de l’esprit, présents dans l’ensemble des réseaux, capillaires vivants de la connaissance. Ceux qui travaillent, créent, s’acharnent sans raisons, témoignent, perpétuent, bouillonnent, écrivent, parlent, musiquent, peignent, sculptent, interprètent.
Les artistes n’ont pas le choix, ils sont ainsi. C’est ainsi qu’ils sont nécessaires à la Cité. Ils ouvrent des perspectives, créent des avenues, donnent à voir et à entendre. Ils décrassent et avivent, ils font entendre la différence, ils dérangent.
Des galeries, librairies, bibliothèques, artothèques, scènes dérobées, des lieux divers, souvent privés de gyrophares, les accueillent, relaient leur parole. Cela fait du monde, beaucoup de monde. Cela provoque l’intérêt de qui est en recherche, avide de découvertes et d’émotions. Peu à peu s’établissent d’incontestables notoriétés hors du marché des satrapes. Hors d’un marché dont souvent ils se méfient, de crainte d’être dévorés ou de se perdre. Le mépris qu’ils encourent est souvent à la mesure de la crainte qu’ils suscitent chez les minables porteurs de certitudes, persuadés de leur pouvoir précaire.

MARTYRE
Rien ne m’aura été épargné : j’aurai même vu un Bush, un Berlusconi, un Sarkozy présidents.

NOUVEAU RICHE
Sorti du domaine où il a « réussi », le nouveau riche est par définition un con, et s’il ne l’est pas trop, le sait. D’où sa fringale de reconnaissance et d’acculturation, et son potentiel de nuisance ou d’utilité, parfaitement illustré par des exemples comme celui des Médicis, pour le meilleur, ou des Pinault, pour le pire.

OPTIMISME
Ce qui me permet de rester optimiste, c’est ma conviction que, quoi qu’il arrive, je peux faire toute confiance à la majorité de mes congénères pour porter toujours plus haut l’étendard de la connerie. Il ne faut jamais désespérer de la bêtise humaine : elle survit à tous les cataclysmes qu’elle provoque.

PASSÉ
Je n’ai pas du tout le sentiment que mon amour du passé m’ait empêché de vivre au présent ; au contraire, je crois qu’il m’a aidé à le vivre plus à fond, plus en profondeur. Je ne vis pas dans le passé, mais avec lui comme nous tous, même si la plupart d’entre nous, n’en ayant pas conscience, passent à côté, non seulement de leur passé, mais de leur vie dont il est le fondement, la fondation sans lequel aucun présent ne peut vivre.

PASSÉISME
Les ordinateurs, c’est bien. Mais je leur préférerai toujours horloges et automates. Aux ordinateurs, il manque le charme de la mécanique, la beauté de l’analogique.

PERDANT
De Qassim Haddad, poète maghrébin souvent trop abscons pour mon goût, cette formule d’une simplicité percutante et biblique :
« Le perdant
N’a plus rien à perdre. »

POÉSIE
La poésie comme réponse, ça me paraît quand même un peu juste…

PRAGMATISME
Ce pragmatisme dont vous vous gargarisez et qui a orienté la pensée et l’action politico-économique depuis si longtemps, c’est tout le contraire du vrai réalisme, qui tient compte non seulement de ce qui se voit, mais de ce qui ne se voit pas, non seulement du résultat immédiat mais de ses conséquences possibles.

PRESSÉ (être)
Partons toujours du sens originel des expressions que nous avons fini par employer machinalement. Être pressé, c’est être oppressé, comprimé. Par le temps, en l’occurrence.
C’est pourquoi plus le temps presse, moins nous devons nous presser, sous peine d’être littéralement écrasés par une urgence qui réduit à néant le présent.

PRINTEMPS POURRI
En avril, je me suis senti débile.
Et en mai, je n’ai pas fait ce qui me plaît.
Vivement l’été !

PRIVILÈGES
Le comble du cynisme a été atteint quand les nouveaux maîtres du monde, non contents de s’arroger des privilèges inouïs et totalement injustifiables, ont dénoncé avec indignation les « privilèges exorbitants » dont jouiraient les uns ou les autres de leurs sujets, et l’égoïsme dont ils feraient preuve en défendant des acquis devenus illégitimes. En accusant des catégories entières de la population de jouir d’avantages indus, les exploiteurs ont parfaitement décrit ce qu’ils étaient en train de faire.

PROBLÈMES
Tu as un problème avec la bouffe, me dit Bernadette.
Non, j’ai un problème avec la vie.

PROGRAMME
Margit, cette chamane autrichienne croisée il y a longtemps, m’avait dit au cours de notre travail que je me faisais « bouffer par le quotidien, les petites choses et les femmes ». Il y avait une certaine réprobation dans sa voix, et je me suis longtemps senti quelque peu coupable de manquer ainsi à mes devoirs, tout en continuant à sacrifier allègrement à mes idoles.
L’âge venant, j’ai fini par me rendre compte que se faire « bouffer par le quotidien, les petites choses et les femmes » était le plus beau des programmes, et un choix de vie plus cohérent et gratifiant que les addictions en vogue au pouvoir, au profit, au paraître.
Voir QUOTIDIEN

QUOTIDIEN
Je consacre depuis toujours une grande partie de mon temps à vivre au quotidien. Plus exactement peut-être : à le vivre au quotidien, ce temps qui ne cesse de m’échapper, comme à nous tous. Il n’est pas jusqu’à l’ennui qui, en ralentissant le temps, ne nous aide à en prendre conscience et donc à le vivre au vrai sens du terme…
Voir PROGRAMME

RATS
À mesure que la massification et la paupérisation engendrées par le libéral-nazisme font de nous des rats en cage, les pouvoirs publics, devenus toujours davantage des pouvoirs privés, nous traitent de plus en plus comme des rats, et nous en adoptons de plus en plus le comportement. Bientôt, nous le revendiquerons, notre statut de rats ! Ce sera notre dignité, nous exigerons d’être respectés en tant que rats, puisque nous ne pouvons même plus imaginer l’être en tant que personnes humaines.
Ainsi, ce ne sont pas les grévistes de la SNCF qui nous « prennent en otages », mais l’organisation marketing savamment désorganisée qui se substitue peu à peu à une rationalité étatique insuffisamment rentable. L’autre jour, gare Saint-Charles à Marseille, nous n’étions guère nombreux ; j’attendais dans la queue que les guichets, squattés depuis près de vingt minutes par deux femmes à chienchiens, l’une jeune et l’autre pas, se libèrent, afin que les voyageurs puissent prendre leur billet pour les trains en partance. Car dans sa sagesse marchande, la SNCF ne sépare plus les guichets pour le départ immédiat des guichets où l’on peut planifier son voyage des mois à l’avance, réserver des chambres d’hôtel, louer des voitures ou des bicyclettes, acheter des billets d’avion.
Après dix minutes d’attente, j’ai commencé à grogner un peu. Mal m’en a pris ! Les deux petites pécores qui me précédaient dans la queue se sont retournées pour m’engueuler, épaulées par leur grosse maman : les pauvres chéries en avaient marre que je râle…
Je leur ai répondu que je n’avais pas de raison d’accepter sans réagir cette situation anormale. Ces deux intrépides jeunesses ont répliqué avec un ensemble touchant : « De toute façon, on n’y peut rien… » Et j’ai conclu : « Mais si, justement, on y peut quelque chose ! Si vous avez une mentalité d’esclaves, ce n’est pas mon cas… », avant d’aller courtoisement discuter cette question avec le guichetier tout en prenant mon billet.
Ce qui me paraît intéressant dans cette petite histoire, c’est la réaction classique, typique de l’esclave soumis, de ces trois femmes : au lieu de se révolter contre le maître, la foule des esclaves se gendarme contre les esclaves insoumis que l’esclavage révolte, avec comme leitmotiv le si consensuel : « On n’y peut rien ! »
C’est que l’insoumis offense les esclaves consentants, en révélant que leur soumission ne relève pas d’une source extérieure irrésistible, mais bien de leur lâcheté et de leur individualisme. Bref, le râleur dérange la tremblante quiétude des rats : dans une queue de rats, l’être humain fait tache.
En démocratie, il n’y a pas d’otages, mais des esclaves qui ont peur de secouer les chaînes qu’ils ont eux-mêmes adoptées.
Voir ACCUEIL

REFUGE
Je me suis réfugié dans les livres anciens parce que c’était devenu le seul moyen pour moi de retrouver un monde que j’ai connu, aimé et vu disparaître sous le tsunami du progrès, remplacé par une barbarie que je déteste viscéralement.
Il n’était pas parfait, ce monde ancien, mais il était, comment dire ? plus « naturel ». Sa relative lenteur et sa simplicité me convenaient mieux que la prétentieuse complexité et la boulimie du très sophistiqué et chaotique monde technologique.
En cela, mon destin individuel est comme de juste parallèle à celui de l’ensemble de mes compatriotes et de mes congénères, la massification entraînant inexorablement l’urbanisation. Le passage de la Grande Ourse, grosse ferme ancienne plus isolée et plus sauvage, à la Petite Ourse, charmante, mais cernée par les pavillons et petits immeubles de la « banlieue » de Barcelonnette, m’empêche désormais de vivre cette relation directe à la nature qui donnait tout son prix à ce désert relatif et presque immuable qu’était la France rurale de mon enfance. C’est un vrai rétrécissement que le passage de la campagne à la banlieue, du village à la ville. Ce que j’appelle la massification a tué notre capacité à nous relier personnellement au monde.
J’écris cela dans le fracas des pelleteuses qui cernent la Petite Ourse, travaillant d’un côté à renforcer la digue de l’Ubaye, de l’autre à la construction d’une maison venue se coller au bout de mon jardin. Débusqué, le Sagault !
Les arbres du jardin n’ont pas baissé pavillon, ils débordent de fleurs, mais que pèsent-ils face aux pelleteuses et au bulldozers ?
Voir TERMITIÈRE

RETOUR (de bâton)
Tant que les imbéciles croyaient pouvoir recueillir les miettes du festin néo-libéral, notamment en participant au pillage des biens publics, ils ont soutenu de leurs votes clientélistes les joueurs de pipeau qui leur promettaient un strapontin à la curée. Mais les faits leur font peu à peu comprendre non seulement qu’ils n’auront même pas les miettes, mais que leurs maîtres ne pourront continuer le festin qu’en les mettant eux-mêmes à la broche.
Si les rats comprennent un jour qu’ils se sont fait blouser, gare au retour de bâton !

SEMPÉ
Si, si, il y a des hommes que j’admire. Sempé en fait partie. Je n’adore pas seulement son humour, si perspicace et si délicat, j’aime sa vision du monde et son attitude devant la vie. Il est d’autant plus profond qu’il sait l’être avec légèreté, et il a cette élégance suprême qui consiste à savoir dire beaucoup en quelques mots, à suggérer sans démontrer.
D’un récent entretien avec Télérama, je retiens entre autres cette phrase qui décrit mes efforts personnels mieux que je ne saurais le faire : « Je me dis : c’est bien, tu as essayé de faire ce que tu ne savais pas faire. » Et comme je me sens proche de lui quand il avoue : « Je suis très paresseux, et comme tous les paresseux, je travaille énormément parce que je ne sais pas m’organiser. Peut-être que cela m’est même parfaitement impossible. » Et cette évidence, que nous ne cessons, volontairement, d’oublier : « La peur est très répandue chez les hommes, il me semble que c’est le sentiment le plus partagé. »
Et pour finir : « La mélancolie fait partie de la vie. Parce qu’on se rend compte que tout est fragile : les relations humaines, l’existence, la lumière même… C’est lié au temps qui passe, ou au temps qu’il fait ; Dans les œuvres de jeunesse de Mozart, il y a déjà de la mélancolie. La mélancolie fait partie de la création. »
Simplicité, modestie, c’est à quoi je reconnais le génie. Et si le talent m’indiffère, rien ne me rend heureux comme le génie.

SENS
Vue par autrui, notre vie paraîtra souvent incohérente, incompréhensible, insensée. Notre conscience pourtant sait la mettre en perspective. Takashi Nagai écrivait : « Vous vous souvenez sans doute des belles dentelles que les femmes faisaient chez elles avant que les machines des usines en fassent des vêtements moins chers et monotones. Elles arrivaient à faire à cette époque des pièces de dentelle très compliquées à partir d’un seul fil. Tout cela me semblait bien mystérieux, mais pour une bonne dentellière le motif et l’entrelacement étaient très simples. Notre vie est ainsi : elle semble incroyablement compliquée et embrouillée aux autres. Il est essentiel de nous rappeler que notre vie ne doit avoir de sens que pour nous-mêmes. »
Voir, à l’inverse, SÉVÈRES

SÉVÈRES (mais justes)
Nous nous jugeons souvent plus sévèrement que ne le font les autres. C’est logique, nous nous connaissons mieux qu’eux. Pourtant, il est probable que l’indulgence d’autrui à notre égard est non seulement plus raisonnable, mais aussi plus équitable : les autres se font sur nous moins d’illusions que nous. Et nous sommes rarement aussi mauvais que le souhaiterait notre indécrottable vanité.
Voir, à l’inverse, SENS

SUCCÈS
Je me suis toujours arrangé plus ou moins consciemment pour ne pas avoir trop de succès, parce que je craignais que ça ne m’arrête dans mon élan. Je sentais que, comme tant d’autres, je risquais de me laisser envahir et emporter par le succès, et d’oublier d’être simplement moi-même. Et je suis sans doute trop paresseux pour accepter d’assumer le poids de la « réussite », d’autant plus que pour y avoir quelque peu goûté je ne suis nullement convaincu de l’intérêt des gratifications qu’on en retire.
Ce n’est pas que les raisins soient verts, c’est qu’ils donnent la chiasse.

SUIVRE
À force de vouloir suivre le changement, on finit par perdre les pédales et par passer plus de temps à « s’adapter » qu’à créer. Devant cette frénésie qui empêche tout recul et toute réflexion, il est urgent que nous refusions de continuer à nous « recycler » : nous ne sommes pas des ordures ! Arrêtons de nous laisser former à (ou plutôt déformer par) de nouveaux instruments, et jouons de celui que nous connaissons et qui est à notre main. Suivre une évolution technique avant tout formelle favorise bien moins la création que l’exploration d’un domaine précis. Ce n’est pas l’instrument qui compte, mais ce qu’on en fait.

SUPERSTITION
De toutes les superstitions, la pire est celle de la raison.

SUPPRESSION
Un mot très à la mode. Un des auditeurs de « Là-bas si j’y suis » a cherché sur Google tous les emplois de ce mot ; la liste qu’il en donnait était aussi significative qu’impressionnante.
Il ne restera bientôt plus que nous à supprimer. Pas d’inquiétude : nous nous employons avec ardeur à notre propre suppression.

TERMITIÈRE
Peu avant de mourir, Saint-Exupéry écrivait :
« Si je suis descendu, je ne regretterai absolument rien. La termitière future m’épouvante. Et je hais leur vertu de robots. Moi, j’étais fait pour être jardinier. »
Voir REFUGE

TROP
Il y aurait à faire une exégèse du « trop » tel que notre monde actuel l’incarne. Le trop de tout.
Nous sommes trop nombreux, nous mangeons trop, nous travaillons trop, nous dépensons trop ; en fin de compte, et la sagesse populaire l’a bien noté, nous « sommes trop », parce que nous en faisons trop.
Voir FANTASMES À GOGO (S)

URGENCE
Pour vivre aujourd’hui, il est beaucoup plus urgent et utile de lire ou relire Montaigne et Shakespeare que BHL ou Sollers. Les génies vivent encore parmi nous, les imbéciles et les salauds sont morts d’avance.

VIEILLISSEMENT
Quand on vieillit, on finit par n’être plus que soi-même. C’est pourquoi la vieillesse, paradis pour les uns, est un enfer pour les autres.
Très logiquement, quand on a fini d’être soi-même, on meurt.

lundi 1er juin 2009

REMARQUES EN PASSANT

REMARQUES EN PASSANT
19

ACADÉMISME
Si l’art officiel illustre l’esprit de son époque, la notion de progrès humain en prend un sérieux coup : après l’art pompier qui fournissait à une certaine bourgeoisie industrielle le décor surchargé dont elle rêvait, néo-gothique exubérant ou mièvrerie mi saint-sulpicienne mi-rococo, un certain art contemporain, néo-kitsch ou post-conceptuel, traduit parfaitement l’essentielle vulgarité, l’absence de scrupules et la totale déconnexion du réel des maîtres d’un monde de la finance devenu encore plus abstrait et criminel que les systèmes mafieux traditionnels.
Peu importe ce que produit réellement l’art académique : ce qu’on lui demande, c’est d’être académique, et il remplit toujours exactement la fonction pour laquelle il a été créé. Un miroir rassurant, ça n’a pas de prix. L’art académique est fidèle à la volonté du commanditaire et à « l’esprit » du temps, l’art authentique est fidèle à la vision de l’artiste.
Chacun de nous a les fidélités qu’il mérite.

ACCUEIL
La société policière s’avance masquée. Sous le beau nom d’accueil, la SNCF a peu à peu mis en place un véritable flicage des passagers. Non seulement ceux-ci doivent présenter leurs billets avant d’entrer sur le quai, mais après avoir ainsi montré patte blanche, ils y entrent désormais seuls. Plus question d’être accompagné jusqu’à sa voiture, encore moins de laisser monter quelques instants la famille. Quant aux adieux, finis les émouvants contacts muets à travers les fenêtres, finies les dernières recommandations fenêtre hâtivement baissée, finie la petite course sur le quai pour voir encore une seconde l’être aimé !
L’idéal du technocrate, c’est de nous faire entrer dans le bon tuyau au bon moment, et de ne surtout pas mélanger les fluides : le passager, dûment étiqueté, ne saurait être confondu avec l’intrus, ce poids mort, cet encombrant qui n’a rien payé. Peut-être moins commode à gérer, l’ancien usage du ticket de quai était plus logique et moins hypocrite. Plus humain aussi.
Voir RATS

AMBIVALENCE
Pensée profonde : il y a des tas de gens charmants que ça n’empêche nullement d’être de fieffés connards. Pensée encore plus profonde : il existe des quantités de connards qui peuvent se révéler charmants à l’usage. Nous disposons tous de potentiels insoupçonnés et sommes capables de les révéler à tout moment, y compris à notre insu. Reste que ni la connerie ni le charme ne sont garantis à vie. Nous devons sans cesse reconquérir l’une et l’autre. Ne nous en plaignons pas : où serait le mérite ?

ASSURANCE
La terrible assurance que nous devons au progrès technique, cette confiance en soi aveugle qui, donnant à l’humanité l’illusion d’un pouvoir quasi absolu sur la nature, a motivé tous les progrès et tous les crimes, cette foi fanatique qui faisait de l’homme le centre du monde, son alpha et son omega, elle est en train de se fracasser contre la réalité d’un monde qui nous échappe d’autant plus que nous avons cru qu’il nous appartenait sans partage.

ATTENTE
Moi qui détestais attendre, j’ai pris le stress en telle horreur que j’ai fini par prendre plaisir à l’attente. J’attrapais métros et trains au vol, je m’arrange désormais pour partir largement en avance, arriver à la station ou à la gare sans me presser et jouir, entre autres, du plaisir d’être sûr de ne pas rater le départ !
C’est une des choses qui font qu’il peut devenir amusant de vieillir, une fois qu’on a admis qu’on ne rajeunirait pas. La grande affaire des vieillards et leur suprême réussite, c’est de se débrouiller, non seulement pour ne pas être bousculé, mais pour ne jamais se bousculer. Le vieillard prend tout son temps parce qu’il sent bien qu’il n’en a plus assez pour le perdre.

AVENTURIER
L’aventurier, c’est tôt ou tard celui qui envahit l’autre. À l’extrême, ça donne ce type qui tape l’incrust chez les pauvres un peu partout dans le monde, se fait entretenir et s’en vante, à la grande joie des téléspectateurs toujours friands de records de muflerie et pas assez culottés pour les battre eux-mêmes autrement que dans l’intimité. Cette forme d’investigation supérieure, ou de supériorité investigatrice, a été pratiquée par la plupart des « aventuriers » occidentaux façon David-Neel ou Segalen. Il a fallu attendre Granet, Mauss et Levi-Strauss pour voir, dans une saine application de la vraie philosophie des Lumières, des chercheurs partir à la rencontre d’autres civilisations, non en vue de les envahir (Mauss n’allait pas sur le terrain, et ne l’en voyait que mieux !), les cataloguer et les exploiter, mais afin de reconnaître leur existence et de comprendre leur mode de vie dans le respect de leur dignité et de leurs spécificités.
Ce qui rend non plus seulement odieux mais grotesques les prétendus aventuriers d’aujourd’hui, c’est qu’ils ne courent à peu près plus aucun danger. Aucune commune mesure entre les voyages d’exploration comme ceux de Colomb ou de Magellan, Cook ou Dumont d’Urville, et les randonnées sponsorisées et médiatisées des Hulot ou des Arthus-Bertrand. Le seul fait d’avoir un GPS dit tout de l’absence d’aventure dans ces « exploits » supposés.
Les vrais aventuriers d’aujourd’hui, ce ne sont pas les batteurs d’estrade, les aventuriers du spectacle, mais les chercheurs en écologie, les archéologues, les astronomes, tous ces passionnés qui mettent tout en œuvre à leurs risques et périls pour connaître et aimer le monde qui les entoure.
La vraie aventure, ce n’est pas le frisson, c’est la recherche.

BAROUD D’HONNEUR
Dans les soubresauts de son agonie, la classe dirigeante actuelle livre un incroyable bouquet de feu d’artifice de mesures délirantes, tant par la dictature qu’elle engendrent que par leurs conséquences catastrophiques. Dans tous les domaines, les hommes de pouvoir formés à la pensée mécaniste multiplient les tentatives désespérées pour imposer la perpétuation de leur monde mortifère, au moment même où le désastre qu’il a engendré est si évident que plus rien ne parvient à le dissimuler. OGM, déchets radioactifs, « réformes » de l’école, du lycée, de l’université, de l’hôpital, de la sécurité sociale, gestion de la crise financière, politique sécuritaire, dans tous les domaines se retrouvent le même autoritarisme, la même précipitation, la même incompétence, la même morgue, le même refus de tout dialogue, la même volonté de réduire toute opposition. Responsables de la catastrophe en cours, les « élites » (de par leur formation commune ?) ne pensent qu’à en remettre une couche pour essayer de sauver leur pouvoir et leurs profits.
Maintenant que la réalité leur présente la note de leurs erreurs et de leurs crimes, les libéraux-nazis, tout aussi incapables d’accepter leur défaite que leurs prédécesseurs, s’acharnent à tout détruire, avant de prendre la fuite.
Est-il encore temps de faire la révolution ?

BEAUTÉ
Ce matin de mai, le chardonneret dans le poirier en fleurs. C’est tout de même autre chose que le bleu Klein.
Ce qui rend la nature bien supérieure à l’homme qu’elle a créé, c’est qu’elle n’a pas besoin de brevets pour inventer.

BERCAIL (retour au)
Les Don Juan, ils cherchent à retourner en utérus, ils veulent rentrer au bercail. N’y arrivent pas. Essayeront donc toutes les femmes, au cas où…
Il ne faut jamais désespérer, se dit le Don Juan. À chaque fois je suis tout près du but, et quand je jouis, je l’atteins un instant !
Une chose est sûre : si j’étais un Don Juan, là serait ma motivation.

BEURRE (le beurre et l’argent du)
Notre impitoyable société n’a jamais assez d’indulgence pour les cas « intéressants », pour les « minorités » qui émeuvent sa compassion, piquent sa curiosité ou suscitent son admiration. Elle est prête à expulser les immigrés, à supprimer les maternelles ou à les rendre payantes, à augmenter les frais d’inscription des étudiants, à écraser d’impôts les classes moyennes, à faire payer les grands malades pour leur maladie et à laisser crever de faim les vieilles gens. Mais les citoyens les plus riches ont droit à ses attentions les plus empressées, et les plus « originaux » à un incompréhensible traitement de faveur : le pouvoir vient ainsi de décider d’un trait de plume que la transsexualité ne sera plus une affection psychologique de longue durée. Pourquoi pas ? Le problème est que le même trait de plume décrète qu’elle continuera à être remboursée comme telle ! De deux choses l’une, ou la transsexualité est une maladie, ou elle ne l’est pas. Dans le second cas, en période de crise et quand on multiplie les déremboursements, il est scandaleux d’utiliser l’argent public à la réalisation d’un choix personnel.
Bien entendu, cette décision proprement extravagante est passée aussi totalement inaperçue que les élections européennes : il y a encore des matches de foot, et Roland-Garros commence.

CASTING (erreur de)
Sarkozy président ? Corrigeons au plus tôt cette invraisemblable erreur de casting.
Mais l’erreur est mienne, et le casting hélas idéal : Sarkozy est le président que nous méritons, et ne fait que nous renvoyer l’image peu ragoûtante de ce que nous sommes devenus.

CONDITION HUMAINE
J’avais six ou sept ans la première fois que j’ai eu honte d’être un homme. Tout juste l’âge de raison. C’était un livre sur Auschwitz, très précis et illustré de photos très parlantes.
Ça m’a sûrement rendu raisonnable : je ne m’en suis jamais remis.

CONSERVATEURS
Il est des moments où les conservateurs dignes de ce nom deviennent d’authentiques novateurs, en ce qu’ils nous permettent de nous réapproprier le passé en jetant un pont entre lui et un présent que la prétention des prétendues avant-gardes a coupé de ses racines. Ce présent rendu stérile, un conservateur de progrès comme Denis Grozdanovitch, aide à le féconder de nouveau en lui apportant la sève d’un passé intelligemment digéré.

CRÉATION DE RICHESSES
Malgré la crise finale en cours, j’entends encore nombre d’imbéciles évoquer d’une voix extatique l’une des pires tartes à la crème du libéral-nazisme : la création de richesses. Contre toute évidence, les tenants de la croissance indéfinie s’accrochent à ce concept délirant, alors que depuis plus d’un demi-siècle, nous avons grâce à lui pratiqué à l’échelle planétaire la pire création de pauvreté de l’histoire, en même temps que la plus grande destruction de richesses – particulièrement de richesses non renouvelables.

DÉBAT
Je viens de voir « Let’s make money ». Le film me semblant suffisamment clair, je suis parti avant le « débat » qui est censé le suivre. À vrai dire, je fuis depuis longtemps les « débats », surtout après des démonstrations aussi indiscutables ! Non seulement le débat n’a alors pas lieu d’être, mais face au désastre organisé actuel il ne s’agit plus de débattre, mais de se battre.
Or se battre, c’est précisément ce que la pernicieuse habitude du débat permet d’éviter…

DÉCHETS RADIOACTIFS
Vu, grâce à la remarquable émission « Pièces à conviction », une enquête absolument terrifiante sur les déchets radioactifs. Areva avait tenté d’empêcher sa programmation ; on se demande pourquoi, puisque ce constat impitoyable est passé comme une lettre à la poste, sans engendrer la moindre réaction. Sans doute y avait-il un match de foot ce soir-là.
Comme presque tous les soirs…

DEMI MESURE
Il faut choisir. En mai 1968, ce qui m’a le plus frappé, c’est l’incapacité des manifestants à faire un choix clair entre violence et non-violence. J’avais choisi cette dernière suite à mes expériences entre extrême-droite et extrême-gauche, dont l’aveugle et répugnante violence réciproque me dégoûtait par ce qu’elle révélait de lâcheté. Ce choix d’une demi violence, qui ne faisait qu’égratigner le pouvoir et lui donner prétexte à répression ne me plaisait ni tactiquement ni moralement, entre autres parce qu’il revenait à s’en prendre avant tout aux personnes privées plutôt qu’à la force publique. Ou l’on refuse la violence, et l’on se lance dans la désobéissance civile façon Gandhi, ou on veut la révolution, et dans ce cas, si on veut avoir une chance de réussir, on ne lance pas des pavés, on prend des fusils. Pour moi, l’échec de 1968 était inscrit d’entrée dans ce refus de choisir un mode d’action cohérent et de s’y engager à fond.
Dans l’action, la demi mesure est l’assurance de l’échec.

DÉMOCRATIE
Le système est organisé de telle façon que ne peuvent arriver au pouvoir par la prétendue voie démocratique que des hommes dont la seule vraie qualité est leur aptitude à la démagogie et au populisme. Si nos gouvernants sont, à un point incroyable, aussi nuls que tarés, aussi incompétents que malhonnêtes, s’ils sont des bonimenteurs de foire et des escrocs à la petite semaine bien plus que des hommes d’état, c’est qu’ils sont le portrait craché de la masse qui les élit. Les hommes politiques contemporains sont le fidèle reflet de leurs électeurs. Ce n’est pas d’eux que nous devrions avoir honte, mais de nous.
Quiconque a un minimum de respect de soi ne peut que refuser les règles actuelles du jeu politique.
Et que dire du jeu syndical ?

ÉCOLOGIE
J’ai du mal avec les écologistes à la Arthus-Bertrand ou à la Hulot. Polluer autant que cent mille des personnes auxquelles on donne des leçons de morale écologique, c’est de l’escroquerie : pour défendre la cause qu’ils prétendent soutenir, ils se mettent au service du système qui a créé et entretient le désastre qu’ils dénoncent avec une vertueuse indignation.
Nous culpabiliser est déjà discutable, mais le faire du haut d’un hélico en faisant ainsi la promotion du prétendu « développement durable » ou de l’inénarrable « croissance verte », c’est littéralement se foutre du monde.

ÉLITISME
Bernadette prétend que je suis élitiste. À juste titre, mais peut-être pas comme elle le croit. Pour les avoir dûment fréquentées, j’ai le plus profond mépris pour les élites actuelles. Si je n’éprouve aucune adoration particulière pour le peuple, je le respecte – tant qu’il se respecte.
Je n’ai aucun respect pour les élites intellectuelles et politiques de notre époque, qui se méprisent sans le savoir autant qu’elles méprisent quiconque n’appartient pas à leur Olympe autosatisfait. Jamais une élite n’a plus goulûment affirmé sa vocation parasitaire, jamais une élite n’est allée plus servilement à la soupe, jamais une élite n’a plus férocement cherché à éliminer tous les obstacles à son hégémonie – au point de programmer sa propre destruction. Comment ne pas être élitiste face à des élites d’une telle stupidité ?

EMPOISONNEMENT
Ce n’est pas seulement physiquement que nous sommes empoisonnés, c’est aussi mentalement. Notre corps est bourré de pesticides, notre tête farcie d’idées destructrices. Et nous sommes si habitués à nos poisons que, sans pour autant être mithridatisés, car ils nous tuent à petit feu, nous ne pouvons nous en déprendre. Nous sommes d’ailleurs si intoxiqués que nous n’en avons la plupart du temps même plus conscience. Tout comme notre système immunitaire, perturbé par d’innombrables agents chimiques exogènes, perdant ses repères, se retourne contre notre organisme, notre vision du monde, déformée par les novlangues anthropocentriques, contribue à l’aveuglement qui amène notre civilisation de Gribouilles à se jeter à l’eau pour n’être pas mouillée par l’orage qu’elle a déclenché.
Certaines idées sont dans l’air : lisant le formidable livre de Bertrand Méheust, La philosophie de l’oxymore, j’y retrouve cette idée de la contamination par des miasmes idéologiques comparables aux pesticides. Il y a bien longtemps, dans La psychologie de masse du fascisme, Reich avait superbement analysé cette pandémie qu’il avait si judicieusement baptisée « peste émotionnelle » et dont Klemperer a décrit le fonctionnement et les effets dans LTI, la langue du Troisième Reich.

ENTERREMENT
Sur France-Inter, un membre du Medef de la Guadeloupe déclare d’une voix graillonnante, avec un sens aigu de l’importance relative des êtres et des choses : « Si la grève continue, ça sera plus seulement des enterrements de personnes, ça sera des d’enterrements d’entreprises ! »
Une insupportable escalade dans l’horreur, en somme. Medef, quand tu nous tiens !

ESPRIT D’ENFANCE
Beaucoup de contemporains confondent commodément esprit d’enfance et puérilité. Cela me semble tout particulièrement vrai des artistes de marché, que cette escroquerie arrange, parce que la puérilité entraîne avec elle l’irresponsabilité, alors que l’esprit d’enfance est éminemment responsable de ses recherches et de ses découvertes. La puérilité se reconnaît aisément à ce qu’elle se prend toujours au sérieux sans jamais prendre la vie au sérieux. L’esprit d’enfance ne se prend jamais au sérieux, il s’engage, ce qui revient à prendre la vie très au sérieux. Regardons jouer les enfants : ils croient à ce qu’ils font tout le temps nécessaire à la création de leur désir. Un enfant ne fait pas semblant, il fait comme si. Autrement dit, il prend un risque, celui de réussir ou d’échouer. Et parce qu’il assume ce risque, à force d’échouer, il a chance de réussir, là où l’adulte puéril, à force de faire semblant, n’obtient que cet échec suprême qu’est une réussite indue.
Car la puérilité veut réussir, c’est à dire faire parler d’elle et être reconnue et récompensée, là où l’esprit d’enfance ne cherche qu’à vivre et créer.
La puérilité met l’enjeu en dehors d’elle (quel qu’il soit, financier, mondain ou « sportif »), l’esprit d’enfance est à lui-même son propre enjeu. La puérilité s’aime, l’esprit d’enfance aime.
Naturellement, ces deux approches du monde peuvent cohabiter de bien des manières chez chacun de nous, et cohabitent en effet la plupart du temps. Mais elles ne se confondent jamais, et si la puérilité, tendant à la société humaine son miroir grossissant, peut obtenir en retour de sa complaisance cette illusion qu’est le succès, l’esprit d’enfance seul atteint le vrai but de l’existence : la création à partir de nous-mêmes de ce qui nous dépasse.

EUPHÉMISMES
S’il est un domaine où notre époque fait preuve d’une créativité débridée confinant parfois au pur génie, c’est celui de l’euphémisme, qu’elle a porté à des altitudes insoupçonnées. C’est ainsi qu’à la radio l’autre jour on parlait pudiquement, à propos de quelques récents athlètes du micro-cravate, de « chanteurs à textes », charmante périphrase pour dire sans le dire qu’ils n’ont pas de voix.

ÉVÉNEMENT
Nous avons perdu tout recul. Sans cesse focalisés sur l’événement le plus récent (la première page des journaux papier, comme les titres de la radio ou de la télévision, n’est plus qu’une gigantesque rubrique de dernière minute), et happés par son remplacement ininterrompu, nous avons perdu de vue que « l’événement » est en fait presque toujours un non-événément, et que le véritable événement, c’est l’enchaînement des causes et des effets dont les événements ponctuels ne sont que les manifestations extérieures, dépourvues de toute signification en dehors du contexte temporel où elles surviennent.
L’événement tel que nous le vivons, ou plutôt tel que nous ne le vivons pas mais le fantasmons, n’est qu’un spectacle, une matière à sensation, un kaléidoscope que nous regardons, fascinés, pendant que nous échappe le véritable événement, notre vie.
La culture de l’événement est une inculture. Car notre vie n’est pas faite d’une succession d’événements, de sensations, d’émotions ; elle est faite de conscience, c’est à dire d’une multitude de réflexions, à tous les sens de ce terme, et de notre capacité à relier et tisser entre eux des instants pour en faire le fil de notre vie.

ÉVOLUTION
De toute façon, les choses évoluent. Pourquoi chercher à les accélérer encore, pourquoi anticiper sur les changements nécessaires ? Laisser libre cours au changement, ce n’est pas le provoquer, mais l’accompagner. Je vois dans cette hâte à tout changer tout le temps un des instruments de l’emprise de l’oligarchie capitaliste sur nos existences. On nous force à changer non parce que c’est utile ou nécessaire, mais parce que c’est rentable pour ceux qui nous exploitent, comme en témoigne le coup « marketing » particulièrement réussi des ampoules « basse consommation », beaucoup plus polluantes et plus coûteuses que la bonne vieille lampe à incandescence, et qui mieux est dangereuses pour la santé…
Pour ma part, je m’efforce au contraire de ralentir l’évolution, afin de vérifier qu’elle s’impose, et de lui donner l’harmonie sans laquelle le changement n’est qu’un désordre supplémentaire.
Plus généralement, ce qui est intéressant dans la vie, ce n’est pas seulement la nouveauté, c’est ce qui perdure. Nous pouvons nous enrichir autant, sinon davantage, du passé survivant qui nourrit le futur que d’un futur envahissant qui, non content d’effacer le passé, détruit du même coup le présent.
Le changement n’est pas une valeur en soi. Il est bon que les choses changent, il est bon qu’elles durent. Cette démarche d’euthanasie de ce qui n’est plus à la mode mais est encore source de vie me paraît aussi stupide que criminelle.
Voyez le corps humain : à l’exception des neurones, nos cellules changent sans cesse ; pour autant, notre apparence et notre conscience n’évoluent que très lentement, et heureusement ; autrement ni notre corps ni notre esprit n’auraient la cohérence nécessaire pour vivre !
Le changement continu des cellules est-il plus important que la persistance du corps et de la conscience ? Rien ne peut s’épanouir sans la durée.
Mieux, rien n’existe sans la durée : quelle que soit sa fréquence, une note de musique, si brève soit-elle, ne prend son et sens que par sa durée.

FAIRE
Faire avec ce qu’on a, c’est faire preuve de raison. Faire avec ce qu’on est, de sagesse.

FANTASMES À GOGO (S)
Le problème du fantasme en art : je suis frappé de l’intellectualité ambiante, qui se retrouve jusque dans beaucoup de livres pour la jeunesse, devenus péniblement abstraits, d’un raffinement excessif, visiblement écrits par des gens qui n’ont jamais vraiment vécu ailleurs que devant un écran, quand ce n’est pas sur ou plutôt dans Internet. On se perd dans un luxe de détails, on se lance dans des constructions tarabiscotées, faute d’imagination authentique, c’est à dire concrète. Notre époque confond imagination et fantasme, elle fait constamment semblant avec des grâces éléphantesques, alors que l’imagination véritable fait comme si.
Nous sommes tous des gogos devant ce toujours plus qui ne se contente pas de la quantité : il lui faut envahir aussi la qualité, on veut toujours plus de qualité. Mais trop de qualité tue la qualité, et à trop chercher le symbole, on patauge dans le cliché. La qualité n’est pas dans la prétention, même pas dans la recherche, mais dans la capacité à transcender le vécu pour en extraire la valeur universelle : tout l’art consiste à faire dire l’infini par le fini, à faire voir l’infini à partir du fini. Lutter avec l’infini en multipliant le fini, c’est tomber de l’art dans l’industrie, c’est croire qu’on peut quantifier la qualité.
Voir TROP

HABITAT
Les anglais adorent construire ; peu importe quoi. Pour plus de simplicité, ils construisent tous la même chose, alignant sur des kilomètres de petits cubes strictement identiques. Quand ils rentrent à la maison bourrés, ils ne risquent pas de se tromper : ils sont chez eux partout.
Ce que les français veulent avant tout, c’est un garage, équipé de préférence d’une porte basculante, qu’on voie bien leur voiture. Ici, « on » ne désigne pas seulement les voisins, mais le propriétaire lui-même, qui peut ainsi contempler à loisir son nombril mobile. En France la maison est construite autour du garage, car s’il le pouvait le français coucherait dans sa voiture, qui lui sert à transporter la France avec lui partout où il va. C’est pourquoi le rêve de tout français digne de ce beau nom est d’avoir un camping-car, qui lui permet en tout lieu de rester en France et entre français, évitant ainsi au maximum d’entendre d’autres langues que la sienne, qui comme chacun sait est la langue universelle par excellence. Mieux encore, le camping-car permet de continuer à manger français, toute cuisine étrangère étant par définition si immangeable qu’il convient de ne pas même la goûter, de crainte de s’empoisonner.
De son côté, l’anglais, essentiellement pragmatique, envahit la France en rachetant les maisons des français pendant que ceux-ci roulent dans leurs voitures et leurs camping-cars. À l’inverse, l’allemand ne sort jamais vraiment de sa maison, et même ses voitures ressemblent à des maisons. Quand pour une raison majeure ou une autre il se décide à en sortir, il s’empresse d’y revenir à 250 kilomètres heure sur des autoroutes spécialement construites pour l’y ramener au plus vite.
Comment voulez-vous faire l’Europe ?

HAINE
Il y a longtemps que je me demandais pourquoi il m’arrive de haïr certains êtres humains. La haine ne m’est pas naturelle. Je peux être méchant, mais je ne peux m’empêcher de le regretter aussitôt.
Je viens de comprendre : mes haines, elles sont importées. Je n’ai jamais haï que des gens qui me haïssent. Je n’ai jamais eu envie de tuer que des gens qui d’une façon ou d’une autre veulent ma peau. Leur haine, ouverte ou soigneusement dissimulée, voilà ce qui en retour me les fait haïr.
Prenons un exemple. Un chef d’entreprise qui lance une charretée de suppressions d’emplois, pardon, un plan social, tout en bénéficiant de rémunérations colossales, à mes yeux ce type-là hait les gens avec qui il travaille. Il faut haïr ses employés pour les condamner au chômage sans autre raison que de gagner plus d’argent qu’on n’en a besoin, et d’en faire gagner encore davantage à des gens qui n’en ont pas besoin.
C’est peut-être une haine froide, très polie, une haine douce, voire doucereuse. Mais cette haine policée et qui ne dit pas son nom, cette haine hypocrite, elle est de toutes la plus violente, parce qu’elle s’accompagne d’un immense mépris.
Tuer l’autre en lui montrant en prime qu’on le tient pour un con, détruire l’autre en l’humiliant, c’est de la haine de nazi ou de stalinien, et ces haines-là engendrent inévitablement la haine.
Et je hais d’autant plus ceux que je sens et sais me haïr qu’à les voir vivre et agir je sais et sens dans ma chair qu’ils haïssent la vie.
Au bout du compte, leur haine, c’est leur peur de la vie.
Ils sont bien pauvres, les riches qui croient pouvoir acheter la vie.
Et le savent, ce qui redouble leur haine.

« IGNARITUDE »
Yann Quéffelec est, paraît-il, romancier. Il a en tout cas une grosse voix grave, qui donnait un relief saisissant aux incroyables fautes de français dont, encouragé et badé par l’inénarrable Stéphane Paoli, il émaillait ce dimanche matin sur France-Inter un discours par ailleurs si creux et prétentieux qu’on avait honte pour lui. Nous avons ainsi eu droit à un superbe : « cette eau auquel », qui en dit long sur les souffrances infligées aux correcteurs chargés de restituer en français les platitudes de cet « écrivain », qui estime par ailleurs qu’il n’y a plus actuellement de poésie française, puisqu’on ne peut qualifier de poètes les rimailleurs de sous-préfecture adeptes de l’alexandrin qui seraient d’après lui les seuls et indignes serviteurs actuels des muses. _ Alléché par cette prestation de haut niveau, j’ai lu quelques pages de son dernier roman. Que cette soupe aussi insipide qu’indigeste (rare exploit !) ait trouvé un éditeur témoigne de notre assez terrifiante décadence culturelle.
Mais les Quéffelec et leur intense vulgarité ont toute leur place dans une époque où règne la politique de l’oxymore si bien décrite par Bertrand Méheust dans le livre du même nom (marre de l’adjectif « éponyme » !).

INDISPENSABLE
Dans son livre « Moins, c’est mieux », Michael Simperl tente de remémorer aux drogués du « progrès » cette vérité première dont l’oubli est une des causes majeures du désastre en cours : « Avec le portable comme avec beaucoup d’objets supposés indispensables, en cas de doute, il faut se rappeler une chose très simple : autrefois, on s’en passait fort bien. »
La vie seule est indispensable à la vie. Tout le reste n’est, au mieux, qu’utile.

INSOUMIS
Insoumis de naissance, je n’ai pu vivre qu’en révolté. J’ai bien peur que la révolte ne soit pas tant un choix qu’un état d’âme. Ou même un état de fait. Mais aussi, parfois, un état de fête !

INSUFFISANCE
Le problème qui guette tous les couples qui durent : se reprocher l’un l’autre de n’être que ce que nous sommes.

LISTE
Je reprends cette liste sans cesse à compléter, que j’avais commencée dans les Remarques en passant 15, et qui donne la mesure du travail de régression en cours sous prétexte de « réforme »…
Elle donne le vertige, la petite liste des mesures et lois infâmes prises ou envisagées en quelques mois par Sarkozy et sa clique :
- La prétendue ouverture, machine de guerre visant à supprimer toute opposition digne de ce nom
- le paquet fiscal et le bouclier du même nom
- l’augmentation de 172% du traitement du Président de la République après le refus d’augmenter le Smic et en même temps que la suppression des privilèges des régimes spéciaux de retraite (sauf ceux des militaires et des députés et sénateurs)
- l’ascension météorique des dépenses de la Présidence de la République
- le Traité européen « simplifié » sans consultation citoyenne
- la révision de la Constitution pour donner plus de pouvoir encore au Président de la République, et assurer l’hégémonie de la majorité parlementaire
- les expulsions systématiques d’étrangers sans papiers et de leurs enfants, et les tests ADN
- l’incroyable mascarade du « Grenelle » de l’environnement, aussitôt suivi par la promotion du nucléaire civil tous azimuts
- la « réforme » de la justice qui pour rapprocher les justiciables des tribunaux les supprime (pas encore les justiciables, « juste » les tribunaux !)
- la « réforme » de l’université et de la recherche
- la « réforme » de la santé et de l’hôpital
- la dépénalisation des délits financiers, suivie de la suppression du juge d’instruction et l’attribution des enquêtes aux procureurs à la solde de l’exécutif : ce que l’actuel président de la République est en train d’installer, c’est la possibilité pour les maffias de tout poil, à commencer par la sienne, d’échapper de fait à tous les problèmes judiciaires que devrait leur valoir leurs perpétuelles infractions à la loi et leur corruption tous azimuts
- la suppression de l’impôt de Bourse, aussitôt complétée par la suppression de l’exonération de la redevance télévisuelle pour les personnes âgées non imposables (finalement abandonnée en vue des municipales…)
- la nomination de l’incapable Pérol à la tête de deux banques qu’il a contribué à plomber
- le refus de voir dans les problèmes des banlieues autre chose que l’action délétère d’une voyoucratie (en l’occurrence, comme si souvent, c’est çui qui l’dit qui y est, le petit haineux en connaît un rayon question voyoucratie !)
Et j’en oublie, à commencer par les attaques contre la laïcité et le massacre programmé de l’éducation Nationale !

mardi 12 mai 2009

C’EST LE PRINTEMPS…

CE QUE J’ÉCRIRAIS

Je me demande parfois ce que je voudrais vraiment écrire, si j’en étais capable.
Il m’est arrivé d’écrire ce que je voudrais vraiment écrire ; mais ça ne m’aide guère, parce que ç’a toujours été un peu par hasard, pour ainsi dire à mon insu de mon plein gré, comme dopé par une intervention extérieure quasi miraculeuse, providentielle en tout cas.
Généralement, j’évite soigneusement d’écrire ce que je voudrais écrire, tout comme la plupart d’entre nous font de leur mieux pour ne pas vivre ce qu’ils voudraient vraiment vivre.
Parfois, sous l’emprise de quelque psychotrope, ou soulevé par l’élan d’une matinée ensoleillée, ou porté par un groupe euphorique, je me pose pour de bon la question.
Aujourd’hui, en proie à une folle témérité, je tente même d’y répondre.
Si j’en étais capable, voici ce que j’écrirais.

Si j’osais, si je pouvais, si je le voulais vraiment
j’écrirais le monde et il serait nouveau
le même que j’ai connu mais par moi recréé
le feu flamberait plus fort et la pluie battrait mes joues sous ma peau
je ne serais pas celui qui parle du loup mais je serais le loup
et mes mots hurleraient à la lune
hurleraient si fort à la lune qu’enfin
premier de tous les loups je la décrocherais !

Si j’en étais capable chaque mot que je proférerais s’incarnerait
et je tuerais tous les faux dieux dont le verbe s’est fait chaire
les Allah et les Jehovah et les Jésus-Christ,
tous les prophètes de bonheur avec leurs soixante-dix vierges
oui si j’osais chacun de mes mots déchirerait un voile
hisserait une voile
chacun de mes mots enfanterait une étoile !

D’un souffle j’enflammerais les cendres
rallumerais les yeux éteints qui m’ont tant manqué
d’un coup je reprendrais toute la hauteur qui me revient…

Si j’en étais capable mes mots auraient des ailes
flèches foudre raz-de-marée
galaxies éclatant aux mille coins de l’univers
la fantasmagorie des formes insensées
si j’osais mes mots repeindraient la vie
aux couleurs d’un arc-en-ciel éblouissant
Car je suis le kaléidoscope
celui qui toujours le même ne cesse de changer
tube borgne où s’agitent confettis et paillettes
tube nain où se réincarne le monde
où s’enchante la vraie vie
où résonne à l’infini la musique des couleurs

Et voici que j’ose
kaléidoscope
et que je peux
très humblement
comme nous tous
être moi-même
dieu

Car ce que je voulais vraiment écrire
je viens de l’écrire
et que nul ne le lise
n’empêchera pas que je l’aie écrit
dieu
minuscule
dieu
ridicule
dieu
lamentable
mais dieu quand même
en quête d’autres dieux
les vrais
les seuls
mes semblables
quand ils osent
mes si différents pareils
pour ensemble nous recréer
et le monde avec nous

Je me demande
puis-je me contenter
de n’être pas capable ?

vendredi 24 avril 2009

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jeudi 16 avril 2009

LE TRAVAIL, CETTE MALADIE


TRAVAIL
Je le dis avec une certaine fierté, j’ai toujours éprouvé un immense plaisir à ne rien faire pendant que les autres travaillent. Maladie, convalescence, séjour à l’hôpital, sieste, tout m’est occasion de m’abandonner à l’écoute voluptueuse de la rumeur de la vie, de contempler la vie en cours au lieu de participer à la vie en course.
J’adore être témoin, reposer, presque flotter, dans la bulle de mon silence intérieur, tout en écoutant le remue-ménage atténué de la fourmilière berçant mon heureuse vacuité. Contraste jouissif entre la présence du fait néant et l’aliénation des hommes occupés ! Curieusement, c’est dans ces moments-là, trop rares à mon goût depuis que je jouis de l’odieux privilège d’être adulte, que je ressens le plus fortement ce bonheur d’exister qui donne son vrai sens à la vie. « Je suis », tout simplement, tout bêtement si vous voulez.
C’est le drame des paresseux qui ne s’acceptent pas tels de s’astreindre constamment, par une culpabilité mal placée, à travailler, alors qu’ils ne sont pas faits pour ça.
Ce n’est pas que je ne travaille pas ; je travaille, mais pour mon plaisir, je travaille, mais quand il me plaît ; je travaille, et même beaucoup, et probablement plus que la plupart des bosseurs compulsifs, si épuisés par leur agitation frénétique qu’ils perdent un temps fou à ne rien faire et souvent pendant leur travail même, comme si un disjoncteur leur coupait le courant pour éviter la surchauffe et le court-circuit qui les menacent sans cesse.
Impossible de ne pas les trouver ridicules, ces hommes occupés, envahis… Et odieux quand ils prétendent nous occuper, comme s’ils ne nous envahissaient pas déjà que trop ! Ce que je n’accepte pas chez les drogués du travail, c’est qu’ils ne se contentent pas d’être masochistes, il leur faut encore jouer les sadiques en voulant nous rendre aussi malheureux qu’eux.


À la nuit tombante, la pêche au soleil © Sagault 2008

vendredi 3 avril 2009

POISON D’AVRIL : LETTRE OUVERTE AUX GOUJATS


LETTRE OUVERTE AUX GOUJATS

Non, vraiment, la colère m’étouffe ! Il faut que ça sorte !
Il ne me suffit pas d’aller voter. Je veux vous dire ce que je pense de vous, les candidats, de vos experts et des élites qui vous soutiennent !
Vous tous, les pharisiens et les marchands du Temple, les menteurs, les écornifleurs, les escrocs à la petite semaine, les agités du portefeuille !
Vous n’arrêtez pas de me surprendre, et plus je m’indigne, plus vous me donnez de raisons de m’indigner : car vous n’êtes pas seulement des exploiteurs, ni des hypocrites et des menteurs, non !
Je n’y avais pas pensé, vous me l’apprenez : vous êtes des victimes !
Et nous des comploteurs, des ennemis de la liberté, puisque nous en avons un peu assez de vous regarder nous tromper, nous manipuler et nous voler...
Victimes innocentes, comment pourriez-vous être responsables ?
Voilà votre triomphe !
Quoi que vous ayez fait, vous n’êtes jamais responsables...
Mieux, c’est toujours de notre faute.
Car nous sommes coupables de ne pas comprendre et de ne pas accepter la réalité.
C’est vrai, quand même ! De quoi nous mêlons-nous ?
Je vous entends d’ici : Vous n’aimez pas mentir, vous n’aimez pas voler ? Alors, laissez-nous faire ! Vous ne voulez pas vous enrichir n’importe comment ? Si vous n’aimez pas ça, n’en dégoûtez pas les autres !
Place aux experts, place aux élites !
Moi, je sais ce que c’est qu’un expert : c’est quelqu’un qui n’est jamais responsable de ses conneries, et qui a toujours raison, surtout quand il a tort.
Trop facile d’avoir raison quand on a raison ; la marque du vrai expert, c’est qu’il peut prouver qu’il a raison même quand il a tort.
Mais l’élite des experts, le comble de l’art, ce sont ces types formidables qui arrivent à faire accepter aux autres des sacrifices qui leur permettront de ne pas en faire eux-mêmes.
La définition du gagneur, dont on nous a tant rebattu les oreilles : celui qui fait payer ses pertes aux autres.
Vous qui allez tant à la messe, et qui vous dévouez tant à autrui, lisez donc l’évangile : Il est plus difficile à un riche...
Et si vous nous lâchiez un peu les baskets ?
Nous, on ne vous a rien demandé !
Et pour tout dire, vous commencez à nous fatiguer.
Nous avons essayé de vous accepter, nous pensions que vous alliez bien vous assagir un jour, et finir par être utiles à quelque chose.
Nous avons fait semblant de ne pas voir à l’oeuvre les termites sociaux que vous êtes. Nous nous sommes voilé la face. Mais vous avez tellement insisté que nous sommes bien obligés de vous voir comme vous êtes !
Et franchement, vous n’êtes pas beaux à voir.
Je me suis longtemps demandé qui vous étiez vraiment.
Et puis j’ai entendu Édouâârd expliquer que tout l’argent qu’il avait gagné en se croisant les pouces l’avait été de façon parfaitement légale, en se soumettant en somme – en grosse somme ! – à la règle commune.
Pouce ! ai-je hurlé. Stop ! J’ai trouvé.
Messieurs et mesdames des élites, je sais maintenant qui vous êtes.
Vous êtes des goujats.
Pas seulement des voleurs, pas uniquement des menteurs. Vous êtes des cyniques, des pharisiens, et des incapables, je vous l’accorde bien volontiers.
Mais avant tout, en fin de compte – en banque et en Suisse –, vous êtes, je persiste, des goujats.
Il faut être un sacré goujat pour avoir le courage d’expliquer aux SDF et aux Rmistes, aux chômeurs et aux smicards que rien dans la loi ne les empêche de faire des plus-values de 2,5 millions de francs !
Et qu’il ne tient qu’à eux de payer l’impôt sur la fortune, en exerçant des "activités de conseil" aussi reposantes que lucratives.
La loi est la même pour tous, chevrote benoîtement ce bon Balladur. Mais pas les profits !
Que vous nous crachiez à la figure, nous nous y étions habitués. Mais qu’il faille en plus vous dire merci, désolés, ça ne passse pas !
Goujaterie, vous dis-je !
Nous savons très bien, nous, que si nous nous faisions piquer à essayer de gagner 500 francs au noir, on nous couperait les vivres, on nous traduirait en justice, on nous ferait goûter de la taule, ferme !
Ce qui est frappant avec vous, les élites actuelles, les politiques, les patrons, les riches, ce n’est pas tant votre absence totale de valeurs morales, c’est votre impudeur.
Pire, votre inconscience : vous êtes si parfaitement corrompus, si enracinés dans la boue que vous êtes "honnêtement" persuadés d’être honnêtes !
Vous n’éprouvez pas le plus léger doute, pas le plus petit remords, pas la moindre gêne. Noir ou Carignon, Garretta ou Longuet, Tapie ou Suard, même combat : pris la main dans le sac, vous vous indignez, vous vous dressez vertueusement sur vos ergots, vous défendez votre "honneur" !
Scandalisés qu’on ose s’en prendre à vous : à force de culot toujours vainqueur, vous en êtes venus à confondre impunité et innocence...
Vous êtes pires que les maffiosi : eux au moins savent qu’ils sont coupables.
C’est ça, le comble de la goujaterie : les profiteurs qui se proclament innocents, les voleurs qui respectent la loi.
Pasqua et Mellick mentent comme ils respirent ? Pas grave, que dis-je, normal. C’est pour la bonne cause – la seule – : la leur.
En somme, vous avez fait vôtre la morale de Mitterand : jamais responsable !
Haberer, pas responsable, Dufoix, pas responsable, Garretta, pas responsable !
Logique : vous êtes les experts, les élites ; vous ne pouvez pas vous tromper.
Les responsables, ce sont ceux qui ne vous laissent pas mentir et voler en paix, ceux qui ne vous croient plus, c’est à dire l’immense majorité des électeurs.
Tous ceux qui ont envie de voter "nuls", parce que vous l’êtes.
Vous n’avez de remarquable que votre infernal culot. Il en faut pour oser nous demander de croire en vous...
Regardez-vous un instant, regardez ce que vous nous avez donné à voir depuis des années !
Ça y est ? Vous vous êtes vus ? Vous comprenez enfin que nous ne pouvons pas vous respecter ? Ça se mérite, le respect.
Alors, s’il vous plaît, pour une fois, respectez-vous, et respectez-nous : retirez-vous !
Nous vous avons assez vus.
Hein, les guignols ? Si vous faisiez relâche ?
Bien sûr, vous ne voudrez pas.
Et si personne n’allait voter ? Si nous lâchions toutes ces marionnettes que nous tenons au bout de nos bulletins de vote ?
C’est nous qui les faisons remuer, ces pantins.
Fourrons-les dans une malle et portons-les au grenier.
Promis : on vous ressortira une fois l’an, pour le Carnaval.

LE G 20, UN TRIOMPHE PLANÉTAIRE !

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