TYRAN, POUR VOUS SERVIR…
Par Alain Sagault, mardi 11 février 2025 à 18:19 :: LE GLOBE DE L’HOMME MOYEN ::#10874
À l’automne 2022, avec quelques amis musiciens, nous avons présenté un concert-spectacle pour lequel j’avais écrit les trois discours d’un tyran idéal, que j’avais l’honneur, ou plutôt l’horreur, d’interpréter.
Devant l’évolution des formes de pouvoir à l’échelon mondial, peut-être cel a vaut-il la peine de se demander si les discours délirants que j’écrivais alors ne sont pas en train de s’incarner de façon bien plus sinistre…
TYRAN, POUR VOUS SERVIR… comporte trois discours, pour trois épisodes de la tragi-comédie des hommes de pouvoir, de paraître et de profit :
1 La prise du pouvoir, ou la jouissance
2 L’exercice du pouvoir, ou la fuite en avant
3 La chute, ou la folie dévoilée
Le spectacle se terminait par la renaissance à l’humanité du Tyran, qui disait CLOWN d’Henry Michaux.
On aimerait que les tyrans, ces ignobles bouffons, soient capables de redevenir humains, ou mieux, de ne jamais devenir inhumains. Mais les exemples actuels montrent que la lecture de CLOWN ne les tente nullement.
Je souhaite qu’elle vous tente, car CLOWN nous concerne tous.
CLOWN
Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour, j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements « de fil en aiguille ».
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
À coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
CLOWN, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous
ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible…
Henri Michaux, « Peintures » (1939) in L’espace du dedans, pages choisies, Poésie / Gallimard, 1966, p.249
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